29 novembre 2017

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Avant de commencer cet article, je tiens à signaler que David Haines, dont les cours sur l’orthodoxie sont à l’origine de cette série, vient de lancer son institut en ligne de philosophie et d’apologétique chrétienne. Vous pouvez retrouver le site ICI, la page Facebook ICI. De plus, vous pouvez contribuer à ce projet en participant au financement ICI. L’approche de l’apologétique donnée par l’institut serait unique en francophonie et comblerait un véritable manque. Pour vous faire une idée du contenu des cours, vous pouvez consulter le premier gratuitement ICI.


Après avoir introduit le sujet, puis défini les termes, nous avons commencé à regarder quelques éléments nécessaires à la compréhension de la solution au problème. Nous avons alors établi une certaine hiérarchie au sein de la Tradition chrétienne. Dans cet article nous traiterons de la question du canon. Les articles suivants répondront à la solution catholique, donneront une solution au problème, des critères d’orthodoxie objectifs et évalueront plusieurs doctrines à la lumière de ces critères.

Cette hiérarchie dans la Tradition, au sens de contenu transmis sans modification, comprend premièrement la Bible qui occupe un rang unique en raison de sa nature : inspirée de Dieu. Le reste de la Tradition chrétienne cherche à expliquer, exposer l’enseignement biblique. Après la Bible, donc, viennent les Crédos universels, les grands théologiens puis les crédos locaux et enfin l’individu.

Puis, nous avons remarqué qu’il s’agit ici d’un ordre de soumission et d’autorité.

Aparté : La Règle de la Foi

Nous devons encore dire un dernier mot sur la notion de tradition. Les pères et les docteurs médiévaux font souvent référence à la Règle de la Foi (Regula Fide). Tertullien en parle en disant qu’une fois que nous avons la Règle de la Foi, il ne reste plus de curiosité malsaine, nous savons ce qu’il faut savoir.

Athanase critique les hérétiques en leur faisant remarquer que, bien qu’ils fassent appel à la Bible, ils le font en niant la Règle de la Foi. Cette Règle de la Foi est une sorte de Tradition orale. Et cette Tradition nous est connue car les pères expliquent ce en quoi elle consiste. Quand ceux-ci décrivent la Règle de la Foi, à quelques variations près, ils mentionnent quelque chose de très similaire à ce que nous appelons le Symbole des Apôtres :

Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre,
et en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur,
qui a été conçu du Saint-Esprit, et qui est né de la Vierge Marie ;
Il a souffert sous Ponce Pilate, Il a été crucifié, Il est mort, Il a été enseveli, Il est descendu aux enfers ;
le troisième jour, Il est ressuscité des morts,
Il est monté au ciel,
Il est assis à la droite de Dieu, le Père tout-puissant, d’où Il viendra pour juger les vivants et les morts.
Je crois en l’Esprit-Saint
à la sainte Église catholique,
à la communion des saints,
à la rémission des péchés,
à la résurrection de la chair
et à la vie éternelle.
Amen

Cela nous laisse croire que, historiquement, la Règle de la Foi, cette tradition orale, s’est trouvée mise par écrit, fixée, dans le Symbole des Apôtres. Pour les pères, si la Règle est contredite, alors il y a hérésie. L’interprète ne doit pas interpréter la Bible d’une façon qui contredit cette règle.

Quand nous lisons les pères et qu’ils mentionnent la “Tradition” ou la Règle de la Foi, nous devons savoir qu’ils font référence au 12 articles listés ci-dessus dans le Credo (1).

Le Canon

Alors que nous définissons la Bible comme autorité suprême dans la hiérarchie établie plus haut, une autre difficulté émerge : qu’est-ce que la Bible ? Quelle est la liste des livres qui la composent. Bref, la question du canon.

C’est une question qui importe car nous, protestants avons 66 livres tandis que les catholiques en ont 73. Cette question doit donc être traitée car il y a une diversité d’approche dans l’histoire du christianisme mais aussi pour répondre à la question “pourquoi tel livre (disons, un évangile gnostique) n’est pas inclus dans le canon ?”

Définition

Le terme canon signifie règle ou standard. Le Canon, dans le Christianisme, fait donc référence au standard des livres qui font autorité. F.F. Bruce fait remarquer que le Canon est important en raison de la question : sur quels livres peut-on s’appuyer pour établir une doctrine soit pour répondre aux hérétiques, soit pour enseigner l’Église ? Cette question était donc importante pour les pères et elle l’est pour nous.

L’Ancien Testament

Il faut distinguer l’Ancien et le Nouveau Testament dans la question du Canon. Les Juifs divisent l’Ancien Testament en 22 livres (2) organisés en 3 sections. Jésus fait référence à cette division quand il nomme “la loi, les prophètes et les psaumes” (Luc 24:44) ou quand il parle du sang d’Abel jusque celui de Zacharie (Luc 11:51, Zacharie dernier prophète dans l’ordre chronologique). Il y a 4 critères pour être inclus dans le canon de l’Ancien Testament (AT) :

  1. Être écrit par un prophète de Dieu.
  2. Le prophète doit être approuvé par Dieu par des miracles, des signes et des accomplissements.
  3. Les enseignements du livre ne contredisent pas ceux d’un autre livre déjà reconnu comme autoritaire. Cela explique que les prophètes font très souvent référence aux écrits de Moïse.
  4. Les livres étaient assez rapidement reconnus par la communauté.

Certains livres sont rejetés pour les raisons suivantes :

  1. Ils contiennent des erreurs historiques, géographiques ou doctrinales. Dieu étant vérité, il ne peut pas dire quoi que ce soit de faux.
  2. Le livre est un pseudo-épigraphe : il se dit écrit par quelqu’un mais l’est par quelqu’un d’autre.
  3. Le livre est une fiction historique : le livre raconte une histoire encourageante mais romancée.

Ces livres rejetés peuvent toutefois jouir d’une certaine considération chez plusieurs et être lus pour édifier le croyant mais ne peuvent pas être utilisés dans les conflits doctrinaux. En raison (1) de ces critères, (2) du fait que les juifs ne les ont pas reconnus, (3) du fait que Jésus et les apôtres ne les ont pas utilisé et (4) qu’ils n’ont jamais eu une acceptation universelle (5) faisant l’objet d’une définition conciliaire universelle, les protestants n’incluent pas dans le canon les livres dits apocryphes que les catholiques romains reconnaissent.

Le Nouveau Testament

Pour ce qui est du Nouveau Testament, les critères sont quelque peu similaires et, cette fois-ci les protestants et catholiques ont exactement le même Nouveau Testament. Voici les critères :

  1. L’autorité apostolique : le livre est écrit soit par un apôtre soit sous l’approbation d’un apôtre.
  2. Les enseignements ne contredisaient pas l’Ancien Testament, les enseignements de Jésus et la Règle de la foi (l’enseignement des apôtres) déjà acceptés.
  3. Les livres ont été acceptés universellement.
  4. Le principe d’antiquité : le livre appartient temporairement à l’âge apostolique.

Pour la question des évangiles apocryphes, consultez ceci.

Le rôle de l’Église

Si nous avons traité superficiellement et rapidement la question jusque maintenant, c’est parce que la vraie question qui importe dans le problème protestant est le rôle de l’Église dans la définition du canon.

Nous avions déjà abordé le sujet ici. Il suffit de dire pour le moment qu’il y a deux approches de la questions : certains disent que l’Église a déterminé le canon, d’autres que l’Église l’a découvert. Si l’Église détermine le canon, l’autorité d’un livre lui vient de l’Église. Si l’Église reconnait le canon, l’autorité est intrinsèque au livre (ou plutôt vient de Dieu) et l’Église le reconnait pour s’y soumettre ensuite. Quand nous disons “le reconnait” nous voulons dire que l’Église reconnait qu’il s’agit bien d’un livre divin, faisant autorité. Les critères de canonicité (d’inclusion dans le canon) ne sont pas le fait d’être reconnu par une autorité ecclésiale mais sont objectifs.

Si Dieu, qui est la vérité, parle, alors sa Parole sera vraie, ne se contredira pas. Il s’agit d’une déduction, non d’une détermination. À partir de ce que l’on sait par la Théologie Naturelle, nous arrivons à déduire les caractéristiques qu’un livre divin doit avoir. Pour savoir si un livre est divin, nous devons alors savoir s’il possède ces caractéristiques. Il s’agit donc d’un processus objectif découlant de ce que l’on sait sur la nature de Dieu de part la Nature (Théologie Naturelle). Les critères que nous avons énoncé plus haut ne sont pas arbitraires mais procèdent de l’Être de Dieu. L’autorité du canon vient donc directement de Dieu, non de l’Église. Et, la définition du canon consiste en fait à découvrir quels livres ont été écrits par quelqu’un revêtu de l’autorité divine, elle ne consiste pas à donner cette autorité à un livre.

Cela implique que l’autorité de l’Église ne peut être que dérivée et découler de Dieu, par la Bible, et non l’inverse. Si un mathématicien découvre une vérité mathématique, celle-ci n’est pas vraie parce qu’il l’a découvert. Il est seulement le moyen par lequel cette vérité a été connue et se découverte peut être évaluée objectivement, contrôlée et validée (ou réfutée !).

Si je sais (1) que Socrate est un homme et (2) que les hommes meurent, je sais que Socrate va mourir (ou est mort). Le fait de découvrir que Socrate va mourir découle logiquement et directement des 2 prémices énoncées. De même, lorsqu’un livre est reconnu canonique, le processus étant objectif et logique, il ne confère pas d’autorité à celui qui fait la découverte. Le processus consiste simplement à faire la juste conclusion à partir des prémices que nous avons et qui sont objectives. Comme dans tout bon raisonnement, la conclusion n’apporte pas une information supplémentaire mais exprime ce qui est déduit logiquement des prémices.

Ainsi, l’autorité de l’Église ne peut qu’être dérivée de la Bible qui elle-même reçoit son autorité de Dieu. Et le fait que l’Église établisse une liste des livres canoniques ne prouve pas la nécessité d’un Magistère infaillible.

La Théologie Naturelle

Nous avions déjà signalé dans le premier article de la série que la Théologie Naturelle est une nécessité quand il s’agit de définir les doctrines fondamentales de la foi chrétienne. Nous voyons ici encore que la Théologie Naturelle, qui consiste à déduire logiquement, à partir de la Nature, tout ce que l’on peut savoir sur l’Être de Dieu, est fondamentale dans la définition du canon. Une approche de la foi chrétienne qui insisterait sur la Révélation en ne faisant pas appel à la Nature (Apologétique Préssupositionnelle, pour ne pas la nommer) ne pourra devenir qu’un raisonnement circulaire et une pétition de principe quand il s’agit de déterminer le canon.

Le Débat Historique

La Traduction de l’Ancien Testament qui a la plus longue durée d’existence est la Vulgate. Son traducteur, Jérome, dit explicitement que les apocryphes qu’il a traduit ne doivent pas être compris comme étant dans le canon. Il dit qu’ils ne doivent pas être utilisé pour les questions de doctrine ou pour y trouver un article de foi (Jérôme, Prologue à la traduction sur l’hébreu des livres de Samuel et des Rois, Prologus Galeatus).

Toutefois, certains pères utilisent ces livres comme canoniques. Augustin par exemple et, sous son influence, les conciles nord africains les ont inclus dans la liste du canon. Toutefois, comme le dit Calvin (Institution, III, IV, 8), considérons avec quelle certitude Augustin reçoit ces livres. En effet, celui-ci dit : “Les Juifs ne considèrent pas l’histoire des Maccabées (un des apocryphes) comme la Loi, les Prophètes et les Psaumes, auxquels le Seigneur rend témoignage comme à ses témoins, disant qu’il fallait que tout ce qui y a été écrit de lui s’accomplisse (Luc 24:44). Toutefois, l’Église l’a reçu, non sans utilité, à condition qu’on le lise avec prudence.” (Augustin, Contre Gaudentius, évêque des donatistes, I, XXXVIII). Si Maccabées est “reçu, non sans utilité”, ce n’est pas sans condition. On voit donc que même chez ceux qui, comme Augustin, considèrent ces livres comme canoniques, ceux-ci jouissent d’un statut moins élevé que la Torah, les Prophètes et les Psaumes.

Rajoutons à cela l’exposition du Symbole, attribuée à Cyprien par Érasme, mais plus vraisemblablement écrite par Rufin d’Aquilée dans les premières années du Vème siècle. En celle-ci, il est montré qu’on ne les comptait pas alors parmi les livres canoniques.

Le débat historique et patristique est donc trop complexe pour être traité ici. Remarquons seulement que l’appel à la Tradition ne permet pas de trancher en faveur du canon catholique car les pères ayant le canon des protestants ne manquent pas. Et notons simplement que les livres que les protestants ont sont ceux qui sont reconnus par tous et qui remplissent les critères mentionnés plus haut.

Conclusion

La question du canon obtient une réponse objective comme nous l’avons dit, et soulever cette question ne permet donc pas de rejeter le Sola Scriptura en établissant la nécessité d’un Magistère infaillible. La question historique est éminemment complexe et nous sommes conscients que cet article est le moins complet de la série. Il s’agit plutôt de pistes de réflexion et le point à retenir est celui d’objectivité dans la définition du canon.

Notons finalement que l’Église fut honnête dans sa démarche vis-à-vis du canon car elle a été amenée à mettre en doute certains livres qui sont maintenant reconnus de tous, en raison d’un doute au sujet d’un ou plusieurs critères mentionnés dans l’article.

Notes

(1) C’est ce que Keith Mathison prouve dans son livre The Shape of Sola Scriptura.
(2) Bien qu’organisé différemment, ces livres sont les mêmes que ceux des Bibles protestantes.

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

3 Commentaires

  1. Alfred

    Bonsoir,

    je viens de voir récemment, que dans sa “Théologie Systématique”, W. Grudem remettait en cause la phrase “Il est descendu aux enfers” du credo.
    Arguant – notamment – que cette “expression ne figurait pas dans les premières versions du Symbole …. jusqu’ à ce qu’ elle apparaisse dans l’une des deux versions de Rufin en 390. Puis elle n’a plus été incluse dans aucune version du Symbole jusqu’en 650”.
    Qu’en pensez-vous, svp ?
    Merci

    Réponse
    • Etienne Omnès

      Je ne saurais répondre à la place de Maxime, mais pour ma part, après m’être abstenu pendant un temps d’y inclure “Il est descendu aux enfers” dans ma propre récitation du crédo, à cause de l’argumentation de Grudem justement, j’ai décidé finalement de l’inclure et de l’apprendre à mes fils.

      Les réformés jusqu’au 18e siècle connaissaient cette objection, mais ne voyaient pas de bonnes raisons de s’opposer à la tradition de 650 jusqu’à nos jours. Simplement ils l’interprétaient non pas comme une descente “locale” aux enfers (et ils ont noirci plusieurs dizaines de pages à ce sujet). Ils l’interprétaient comme le degré ultime d’humiliation de Christ sous la souffrance et la colère de Dieu (“Mon Dieu mon Dieu pourquoi m’as tu abandonné?). Avec cette interprétation, je ne vois du coup aucune bonne objection à l’inclusion de cette phrase, et je me range à la tradition globale du christianisme^^

      Réponse
    • Maxime N. Georgel

      Je rejoins l’analyse d’Etienne. Grudem a raison sur les faits mais cela ne justifie pas nécessairement de retirer cette phrase.

      Réponse

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