La Sainte Cène a été l’objet de nombreux débats entre les catholiques romains et les protestants, mais aussi entre les protestants eux-mêmes. Une question en particulier a déchainé les passions : Comment Christ est-il présent dans la Cène ? Par la transformation des éléments ? Par une sorte d’incarnation ? Nous présenterons ici quelle réponse l’Église réformée a finalement atteint et nous le ferons en discutant de deux textes principalement. Le premier nous vient de la Bible, le second de Jean Calvin et résume les controverses qui ont eu lieu de son temps.
Sans tarder, reproduisons ici ces deux textes[1] :
La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas la communion au corps du Christ ?
(Paul, 1 Corinthiens 10 :16)
Finalement, il est temps d’en venir au dernier point, le principal. Il s’agit de la controverse qui eut lieu de notre temps, touchant ce sujet. Or, elle a été bien malheureuse car le diable, sans doute, l’a suscitée pour empêcher voire rompre le cours de l’Évangile. Je désirerai que l’on ne se souvienne plus du tout de cela, je n’en ferais donc pas un récit étendu. Néanmoins, parce que je vois beaucoup de bonnes consciences troublées parce qu’elles ne savent pas quel parti prendre, je dirai, brièvement, ce qui me semble nécessaire pour leur permettre de résoudre cela. Premièrement, je prie au nom de Dieu tous les fidèles de ne pas être excessivement scandalisé qu’un si grand désaccord se trouve entre ceux qui doivent être comme des capitaines pour remettre en lumière la vérité. Car, ce n’est pas une chose nouvelle que le Seigneur permette que ses serviteurs soient dans l’ignorance et aient entre eux des débats, non pas pour nous abandonner à cette situation, mais temporairement, pour nous humilier. (…) Ainsi, le Seigneur a voulu ôter tout sujet de se glorifier aux hommes, afin d’en retirer lui Seul de la gloire. Bien plus, si nous considérons dans quelle profondeur de ténèbres le monde était, quand ceux qui ont ainsi débattu ont commencé à nous enseigner la vérité, nous ne serons pas étonnés de ce qu’ils n’avaient pas tout découvert dès le début. Au contraire, il nous semblera miraculeux que le Seigneur, en si peu de temps les ait tellement illuminés qu’ils ont pu sortir de cette fange d’erreurs et en retirer ainsi les autres qui s’y étaient trouvé si longtemps. Mais il n’est rien de meilleur que de rappeler comment les choses se sont produites, afin que l’on voit qu’il n’y a pas sujet de tant se scandaliser sur cette affaire que l’on ne le pense souvent.
Quand Luther commença à enseigner, il enseignait au sujet de la Cène, que touchant la présence corporelle du Christ, il semblait d’avis de ne pas toucher à l’enseignement reçu alors, car, bien qu’il condamnât la transsubstantiation, il disait que le pain était le corps de Christ, en plus d’être uni à lui. De plus, il ajoutait des illustrations, un peu difficiles et rudes, mais il le faisait par contrainte car il est difficile d’expliquer son opinion sur un sujet si élevé sans en parler de façon quelque peu impropre.
D’autres part, s’élevèrent Zwingli et Œcolampade, qui, considérant l’abus et la tromperie que le diable avait mis en établissant une telle présence charnelle du Christ, qu’on avait enseigné durant plus de six cents ans, pensèrent qu’il ne fallait pas laisser cet enseignement courir puisque cela conduisait à une idolâtrie : le Christ était adoré comme s’il était enfermé dans le pain. Or, puisqu’il était fort difficile d’ôter cette opinion enracinée depuis si longtemps dans le cœur des hommes, ils appliquèrent tous leurs efforts à réfuter cet enseignement. Ils avançaient combien c’était une grande faute que de ne pas reconnaître ce qui est si clairement affirmé dans l’Écriture au sujet de l’ascension de Jésus-Christ. Il a été reçu en son humanité au ciel, et il y demeurera jusqu’à ce qu’il descende pour juger le monde. Pendant qu’ils étaient occupés à cela, ils oublièrent de montrer comment Christ est présent dans la Cène, et comment est-on en communion avec son corps et son sang par celle-ci. Au point que Luther pensait que ceux-ci n’y voyaient qu’un signe nu, sans substance spirituelle[2]. Ainsi, Luther leur résista fermement et les appela même hérétiques. Depuis que cette controverse a commencé, elle ne fit que s’enflammer avec le temps et s’en est allé ainsi en l’espace de quinze ans environ, sans que jamais ils ne se soient écouté les uns les autres avec un cœur paisible. Car, bien qu’ils aient une fois discuté ensemble[3], c’était avec une telle aliénation qu’ils ne trouvèrent aucun accord. Pire, au lieu d’approcher un quelconque consensus, ils s’en sont éloignés de plus en plus, en ne cherchant qu’à défendre leur point de vue, et réfuter celui de l’autre. Nous voyons donc comment Luther a échoué de son côté, et comment Zwingli et Œcolampade ont échoué du leur. C’était, dès le début, le rôle de Luther que d’affirmer qu’il n’entendait pas une présence locale comme celle des papistes, de même, (c’était son rôle) de protester qu’il ne voulait pas qu’on adore le sacrement comme Dieu et troisièmement, de s’abstenir d’utiliser des illustrations si rudes et difficiles à comprendre, ou d’en user avec modération, en les interprétant pour qu’elles ne soient pas l’occasion de débats. Mais depuis que le débat a commencé, il a dépassé toute mesure, tant en déclarant son opinion qu’en blâmant celui des autres avec une amertume trop rigoureuse dans ses mots. Car, au lieu de s’expliquer de telle manière que son opinion soit acceptée, selon sa véhémence habituelle pour répondre aux contredisants, il a usé d’hyperboles bien dures à recevoir par ceux qui n’étaient pas déjà en accord avec lui. Les autres aussi ont abusé, en ce qu’ils se sont tellement acharné à crier contre la superstition et imagination des papistes, au sujet de la présence locale du corps de Jésus-Christ dans le sacrement, et l’adoration perverse qui s’ensuit ; qu’ils se sont plus efforcé de ruiner le mal que d’édifier le bien. Car, bien qu’ils n’aient pas nié la vérité, ils ne l’ont toutefois pas enseigné aussi clairement qu’ils le devaient. Je veux dire, qu’en s’efforçant de montrer que le pain et le vin sont appelés corps et sang car ils en sont signes, ils ont oublié d’ajouter que ceux-ci sont tellement signes que la réalité est conjointe avec eux. Ainsi, ils auraient pu protester qu’ils n’obscurcissaient pas du tout la vraie communion que nous donne le Seigneur en son corps et son sang par ce sacrement.
Les deux côtés ont échoué en n’ayant pas la patience de s’écouter, afin de trouver la vérité sans affection, là où elle pouvait être trouvée. Toutefois, nous ne ferions pas notre devoir si nous ne mentionnions pas quelles grâces le Seigneur leur a fait, et les biens qu’il nous a distribué par leurs mains et leur travail. Car, si nous ne sommes pas ingrats au sujet de tout ce que nous leur devons, nous pouvons leur pardonner ceci et même bien plus, sans les blâmer ni les diffamer. Bref, puisque nous voyons qu’ils ont été et sont encore saints de vie et excellent dans leur savoir, zélés pour édifier l’Église, nous devons parler d’eux avec modestie et révérence. Surtout qu’il a plus à notre bon Dieu, après les avoir ainsi humilié, de mettre fin à cette malheureuse dispute, ou plutôt de l’apaiser, en attendant qu’elle soit totalement résolue. Je dis cela car il n’y a pas encore de document publié, déclarant quel consensus est atteint, comme il le faudrait. Mais cela se fera quand il plaira à Dieu d’assembler en un lieu tous ceux qui doivent le composer. Cependant, contentons-nous de la fraternité et de la communion entre les Églises, et que tous s’accordent à suivre ensemble le commandement de Dieu. Nous confessons donc tous d’une seule bouche qu’en recevant avec foi le sacrement, selon l’ordonnance du Seigneur, nous sommes vraiment faits participants de la propre substance du corps et du sang de Jésus-Christ. Comment cela se fait ? Les uns l’expliquent mieux et plus clairement que d’autres. Il nous faut d’une part rejeter toutes les fantaisies charnelles (celles des papistes), élever les cœurs en haut vers le ciel, ne pensant pas que le Seigneur descende jusqu’au point d’être enfermé dans un élément corruptible. D’autre part, pour ne pas amoindrir l’efficacité de ce saint mystère, nous devons penser que cela se fait par la vertu secrète et miraculeuse de Dieu, et que l’Esprit de Dieu est le lien de cette participation (au corps et au sang) et que c’est pour cela que celle-ci (la participation) est appelée spirituelle.
(Jean Calvin, Petite Traité de la Sainte Cène.)
La doctrine de Calvin
Ainsi, après avoir résumé le désaccord entre Zwingli et Luther, Calvin cherche à prendre du recul, à analyser avec plus de calme qu’eux la question et développe une compréhension de la Cène qui sera adoptée par l’ensemble des réformés puis par les Zwingliens et certains Luthériens. C’est avec tristesse que je constate qu’aujourd’hui, la plupart des Églises évangéliques, fêtant la Réforme de Luther et de Calvin, ont pourtant rejeté leur souci principal au sujet de la Cène. En effet, beaucoup pensent que la Cène n’est qu’un simple mémorial, ils la rendent inefficace et finalement presque inutile : en effet, s’il s’agit simplement de se souvenir de la mort de Christ pourquoi avons-nous besoin de pain et de vin ? Ouvrons la Bible, lisons les Évangiles et nous aurons un souvenir encore plus vivant de la mort du Christ ! Bien-sûr, la Cène est un mémorial, personne ne le nie, mais elle est plus que cela. La coupe bénie est une communion au sang de Christ, dit Paul.
La compréhension réformée est le mieux résumée en 1 Cor 10 :16, que j’ai reproduit en début d’article : la Cène est une communion au sang et au corps de Christ. Et Calvin expose brièvement à la fin de l’extrait reproduit ci-dessus comment cela s’opère.
Pour lui, nous ne sommes pas en communion avec le sang du Christ par la transformation du pain (position romaine) car le pain est réellement présent, ni par la venue du corps du Christ avec le pain (position luthérienne) car le Christ demeure dans le ciel jusqu’à son retour. Le pain et le vin ne sont pas transformés en sang et corps mais sont mystérieusement unis avec le corps et le sang du Christ qui, eux, restent dans les cieux. Quand nous prenons la Cène, nous recevons réellement, par la foi et la puissance de l’Esprit, le corps et le sang du Christ. Nous sommes uni avec ce corps assis à la droite de Dieu, ce qui nous certifie qu’un jour nous serons en sa présence. Nous qui sommes maintenant unis à son corps par la foi, par le moyen de ce sacrement, nous pouvons savoir que notre corps sera un jour vivifié par cette union et ressuscité par la puissance qui a ressuscité le Christ. Et, dès aujourd’hui, notre âme est nourrie lors de la Cène par ces vérités. Plus que jamais, nous sommes « ressuscités avec le Christ » (Col 3 :1) et portons les regards vers les choses célestes (Col 3 :2). Plus que jamais, nous sommes assis avec Christ dans les lieux célestes (Eph 2 :6).
Le pain et le vin sont donc réellement unis au corps et au sang du Christ, qui restent dans les cieux, mais sont néanmoins mystérieusement unis par l’Esprit. En prenant les éléments avec foi, je communie réellement avec le corps et le sang de Christ. Cette découverte, pour moi qui croyais pendant longtemps que ce sacrement était un simple mémorial, a transformé ma conception de l’importance de ce signe.
Un véritable réalisme
Nous voyons donc que la question qui divise les catholiques romains et les réformés n’est pas « le Christ est-il présent ? ». Les deux s’accordent là-dessus. Les vraies questions sont « Comment est-il présent ? » d’un côté et de l’autre « le pain est-il présent ? ». Cette dernière question peut vous paraître étrange, mais si nous considérons la position catholique romaine, cette question se pose vraiment.
En effet, Aristote distingue la substance d’une chose de ses accidents. Par exemple, la chaise sur laquelle je suis assis a une substance de chaise mais ses accidents sont sa couleur, sa masse, le son qu’elle fait si j’y frappe mon poing, etc. En reprenant cette distinction d’Aristote, les romains disent qu’après que le prêtre ait consacré l’hostie, celle-ci garde ses accidents, mais change sa substance. Elle garde la même couleur, le même goût, la même masse mais derrière se « cache » le Christ. Le Christ est donc réellement présent et le pain réellement… absent. Ce changement de substance s’appelle transsubstantiation.
Cela posait divers problèmes aux réformés. Car rendre présent le Christ de telle façon que le pain disparait s’opposait à la façon dont Dieu agit : il utilise la chose créée pour se manifester, il ne détruit pas sa substance. Cela viole le réalisme sur lequel les romains prétendent s’appuyer et cela conduirait aussi à faire Dieu menteur car il nous présente du pain tout en affirmant que celui-ci n’est plus vraiment là. Au passage, pour Calvin, c’est aussi faire Dieu menteur que de dire que la Cène n’est qu’un symbole car c’est comme dire que Celui-ci nous donne le signe sans nous donner la réalité signifiée ! Comme si la Cène était semblable à la Pâque des Israélites, qui n’était que l’ombre des choses à venir.
Rendre Christ présent physiquement conduit aussi à attribuer à la nature humaine de Christ ce qui est propre à la nature divine : l’ubiquité (ou omniprésence) et cela est une confusion entre les natures de Christ qui gardent leurs caractéristiques propres.
Enfin, considérer que le Christ était présent de façon physique dans l’élément conduit à l’adoration de l’hostie plutôt qu’à des cœurs élevés vers le ciel. Cela conduisit aussi à la dénaturation de la Cène en ce que les fidèles en étaient souvent privés. En effet, les romains, pour rajouter à leur erreur, ont dit que les éléments étaient un sacrifice propitiatoire pour le Père. Le prêtre avait donc à offrir cela à Dieu au nom de l’assemblée et les fidèles ne mangeaient même plus les éléments, si ce n’est une fois par an. Ils se contentaient les autres fois, soit d’adorer l’hostie, soit de l’offrande du prêtre. La réalité étant ainsi voilée comme par un retour des cérémonies juives qui n’étaient que l’ombre des choses à venir (Col 1 :17).
Dans la compréhension réformée, la Cène, pour être légitimement célébrée, doit réellement être mangée, et par chacun, non par le prêtre seulement. « Buvez-en tous » dit le Christ, cela doit nous suffire. La compréhension réformée ne fait pas Dieu menteur car elle montre d’un côté que le corps et le sang du Christ sont réellement communiqués par la foi et de l’autre que le pain est réellement présent, Dieu s’en servant pour nous communiquer sa grâce. La compréhension réformée confesse proprement que le Christ est au ciel et qu’il y restera jusqu’à son retour. Et la compréhension réformée ne confond pas les natures du Christ.
Par la foi ?
Mais, puisque, comme nous l’avons dit, c’est par la foi pendant le sacrement que nous recevons le corps et le sang de Christ, est-ce que cela veut dire qu’il ne s’agit d’un évènement subjectif ? C’est-à-dire, est-ce que le pain est véritablement uni au corps ou est-ce seulement ma foi qui rend cette union réelle ?
Non, l’union est objective, selon Calvin. Tout comme une prédication de la Parole de Dieu est réellement revêtue de la puissance de l’Esprit et peut toutefois arriver dans un cœur endurci, de même l’incroyant (le faux-croyant) qui prend la Cène s’expose à un jugement et à l’endurcissement (1 Cor 11 :29-32). Plus encore, le véritable croyant doit aussi s’examiner lui-même afin de prendre dignement ce repas, avec foi et en y discernant le corps et le sang de Christ (1 Cor 11 :27-29). Ce n’est pas ma foi qui uni le pain et le corps de Christ, c’est le Saint-Esprit. Mais cela ne me profitera que si je le prends avec foi. Sinon, je m’expose au jugement. C’est ce que Augustin enseigne aussi, comme nous le verrons.
Jean 6 et la Cène
Conception réformée
Un autre passage souvent débattu quand il s’agit de la Cène est Jean 6. En effet, Jésus y affirme la nécessité de manger sa chair et de boire son sang. Quel lien entre ce passage et la Cène ?
De Jean 6:53-54 (« Je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour »), Calvin déclare:
Il n’est point ici parlé de la cène, mais de la communication perpétuelle de la chair du Christ, que nous avons hors l’usage de la cène… Il est certain qu’il traite de la manière perpétuelle et ordinaire de manger la chair du Christ… qui se fait par la foi seulement.
Il faut prendre le mot chair au sens de Jean 1:14, 17:
Bien que l’évangéliste touche en bref ce secret inénarrable que le Fils de Dieu a vêtu la nature humaine, néanmoins cette brièveté est merveilleusement claire et facile… Le mot « chair » aussi a une plus grande efficacité pour exprimer l’intention de l’évangéliste que s’il eut dit: « La Parole a été faite homme. » Sous ce mot de « chair », tout l’homme est compris. Le propos est donc clair; c’est que la Parole engendrée de Dieu avant les siècles, et qui résidait de tout temps avec le Père, a été faite homme.
(Pierre Marcel, La Parole, le Baptême, la Sainte Cène – le témoignage de la pensée réformée, dans la Revue réformée)
Toutefois, si Jean 6 ne traite pas de la Cène à proprement parler, puisqu’elle n’était pas encore établie, ce chapitre n’est pas sans lien avec le sacrement :
Tout ceci est proposé à la foi. La foi reçoit l’Evangile de Dieu dans sa richesse, sans rien excepter, ainsi que le Christ le prêche en Jean 6; seule, la foi est apte à tout recevoir par une communication quotidienne avec lui. La prédication de Jean 6 précède de beaucoup l’institution de la cène car, dit Calvin: « C’eût été une chose inepte et hors de propos de traiter de la cène lorsqu’il ne l’avait pas encore instituée. » Jean 6 n’est pas un commentaire de la cène. Jésus s’y place beaucoup « plus haut » (nous le verrons) que les récits de l’institution. Jean 6 est la Vérité et la Vie; le sacrement subséquent n’en est que la confirmation. Si Jean 6 traite de la communication perpétuelle et quotidienne « que nous avons hors l’usage de la cène », la doctrine qui y est traitée est scellée et confirmée dans la cène. « Christ a voulu que sa sainte cène fût comme un sceau et confirmation de ce sermon. Et c’est la raison pour laquelle saint Jean ne fait nulle mention de la cène. »
(Pierre Marcel, idem)
Jean 6 traite donc de la communion perpétuelle que les croyants ont avec la chair de Christ par la foi. La Cène vient confirmer et sceller cela comme par un serment (sens étymologique de « sacrement »). Par ce sacrement, nous nous approprions en tant qu’Église, corps du Christ, ce que Jésus a prêché en Jean 6. Si donc Jean 6 n’est pas lié à la Cène comme le sont les discours d’institution de Matthieu 26, Luc 22 et Marc 14, ce sermon est toutefois lié à la Cène en ce que cette dernière en est la confirmation.
Le témoignage d’Augustin
Dans la même ligne, Saint Augustin, dans son commentaire sur Jean 6, nous dit :
Car, le Seigneur, qui allait donner son Esprit Saint, dit qu’il était Lui-même le pain qui est descendu du ciel, nous exhortant à croire en Lui. Car croire en Lui c’est manger le pain vivant. Celui qui croit mange.
Augustin insiste à de nombreuses reprises sur ce fait : c’est par la foi que nous mangeons le pain. Il ira même jusqu’à dire « pourquoi préparez-vous les dents et le ventre ? Croyez et vous mangez. » Cela ne l’empêche toutefois pas, dans la suite de son commentaire, de montrer de quelle manière le sacrement de la Cène est la confirmation en acte, l’accomplissement de cette vérité si l’on approche de la Cène avec paix et en discernant spirituellement le corps de Christ. Il explique alors que les patriarches ont déjà pu manger le corps spirituellement en ne s’arrêtant pas à l’aspect charnel de la manne. Tandis que les pères des Juifs ont péri, ceux qui n’ont pas discerné la réalité spirituelle (Jean 6 :49). Augustin dit alors, comme Calvin, que la bénédiction qui nous vient de la Cène dépend de notre foi et que celui qui la prend incrédule sera jugé :
Car, encore aujourd’hui, nous recevons une nourriture visible : mais le sacrement est une chose, sa vertu en est une autre. Combien reçoivent-ils à l’autel et meurent pourtant, et meurent en recevant ? C’est pourquoi l’apôtre dit : « il mange et boit un jugement contre lui-même » (1 Cor 11 :29) Car ce n’était pas l’aliment donné par le Seigneur qui fut le poison de Judas. Et celui-ci en prit, et quand il le prit, le diable rentra en lui, non parce qu’il avait pris quelque chose de mauvais, mais parce qu’étant mauvais il reçut cela d’une mauvaise façon.
Le témoignage de Jean Chrysostome
Chrysostome aussi, dans son commentaire sur Jean 6, voit Christ comme pain à saisir par la foi. Jean Chrysostome dit que ces paroles de Christ sur son corps sont comme celles que Jésus dit à la Samaritaine en Jean 4. Elle aussi les avait compris de façon charnelle et les Juifs aussi ne comprennent pas qu’il leur parle d’une nourriture spirituelle dit Chrysostome. Il compare aussi ces paroles à celles où Jésus est présenté comme l’Agneau en Jean 1 ou le Temple en Jean 2 ou encore à celles en Jean 3 où il compare l’action de l’Esprit à une naissance. Et, comme Augustin, Chrysostome en vient ensuite à parler de la Cène par laquelle, dit-il, nous sommes nourris du corps de Christ afin d’être « amenés à une amitié plus intime avec lui et afin qu’il nous manifeste son amour pour nous. Et afin, dit Chrysostome, que nous revenions de cette table comme des lions soufflant le feu, devenus terribles aux yeux du malin, les pensées fixées sur notre Tête et sur l’amour qu’il nous a manifesté. » Il discute ensuite, comme Augustin, du jugement que subit celui qui prend ce repas d’une manière indigne.
Il faut donc distinguer la communion perpétuelle que nous avons par la foi avec le Christ et la communion particulière, cette « amitié plus intime », que nous avons pendant la Cène et qui confirme la communion que nous aurons éternellement avec Lui.
Une frustration évangélique
Cet article s’adresse principalement à mes frères et sœurs évangéliques. Non seulement pour les appeler à reconsidérer la façon dont la Bible parle de la Cène, mais aussi pour lui donner la bonne place dans notre culte. En effet, si nous comprenons bien son sens, diverses choses en découlent.
Premièrement, comme le dit Pascal Denault, nous ne devons pas craindre d’utiliser les formulations bibliques telle que « manger le corps de Christ », « communier avec son sang » mais les utiliser tout en enseignant leur sens.
Deuxièmement, comme dit Calvin plus haut dans son Traité, si nous considérons quel bien ce repas procure, nous en userons autant que possible. Si nous considérons quelle grâce Dieu nous fait de fortifier notre foi par un signe visible, nous unissant dès aujourd’hui au Christ en attendant son retour et la résurrection de nos corps mortels, nous chercherons à prendre ce repas autant que possible dans l’Église. Calvin a été empêché tout au long de sa vie d’instituer la Cène tous les dimanches dans son Église à Genève car le conseil de la ville ne lui a pas permis. Aujourd’hui, nous n’avons pas cette contrainte, demandons-nous alors si nous avons une bonne raison de ne pas prendre tous les dimanches la Cène. Car, si celle-ci est un moyen pour notre édification, nous avons une bonne raison de le faire !
Troisièmement, accordons un temps suffisant à ce moment afin que les croyants puissent se remémorer la mort du Christ, se réjouir de leur union avec le corps et le sang de Jésus, s’examiner et prendre avec solennité et joie les éléments. Sinon, le croyant qui comprend l’importance de ce moment sera frustré, comme coupé au milieu d’une conversation, dans un moment pourtant précieux pour lui.
Conclusion
Que dirons-nous alors, si ce n’est que nous prions que les évangéliques retrouvent le vrai sens de la Cène, pour rendre un culte agréable à Dieu et se réjouir de la fermeté de ses promesses qu’il a daigné nous confirmer par un signe réel et visible ? Que Dieu bénisse son Église par sa Parole et ses ordonnances.
[1] Le texte biblique vient de la Segond 1978 ou Segond « à la Colombe » et le texte de Jean Calvin a été transcrit par moi-même en français moderne à partir d’une version de 1844.
[2] Calvin parle ici d’oubli et d’incompréhension, et cela est justifié car, comme le montre Flavien O. C. Pardigon, Ph.D., dans son cours donné au Westminster Theological Seminary sur la doctrine de la Cène selon Calvin, plusieurs textes de Zwingli montrent que celui-ci considérait qu’il y avait plus qu’un symbole en la Cène, sans pour autant préciser comme Calvin comment le Christ est présent.
[3] Référence au Colloque de Marbourg.
Je suis complètement d’accord. Après un zwingliste ou baptiste typique pourrait répondre en utilisant un développement de Calvin : la Sainte-Cène nous rappelle tout particulièrement la mort de Christ parce qu’elle le fait par l’intermédiaire de 4 sens (vue, toucher, odorat, goût), ce que la parole de Dieu (ouïe) ne fait pas (distinction parole audible et parole visible).
1 Corinthiens 10 et Jean 6 sont cruciaux pour montrer que la Sainte-Cène en plus d’être un mémorial, procure aux croyants des bénédictions particulières. Mais je pense que le débat ne s’arrête pas là. Il faut définir correctement les mots « chair et sang », « communier au sang », « communier au corps » car tout le monde n’est pas d’accord avec l’interprétation de Calvin. En effet, celui-ci y voit la nature humaine de Christ avec laquelle nous sommes en communion pour notre salut, d’autres limitent ceux notions aux bénéfices de l’alliance de grâce (sans forcément parler littéralement de corps ou de sang de Christ). Une bonne compréhension de ces notions en théologie johannique s’impose donc (ce qui n’est pas mon cas pour l’instant :)).
Je pense qu’un cadre philosophique sain interdit une compréhension qui ne ferait de la présence de Christ qu’une présence de sa nature divine. Calvin est explicite sur le sujet et 1 Cor clair, s’il est question de communier au corps et au sang, il ne peut s’agir seulement de la nature divine. Cela conduirait à un nestorianisme qui séparent les natures de Christ. Ainsi, les réformés ont traditionnellement compris qu’il y avait une présence réelle du Christ : https://mereorthodoxy.com/real-presence-presence-reality-fresh-look-reformed-sacramentology/
Pour Calvin, si Dieu n’offrait pas réellement le Christ derrière les éléments, il serait menteur.
Je recommande aussi le livre de Bavinck « Calvin’s doctrine of the Lord’s Supper ».
Bien sûr, Christ est présent complètement dans ses deux natures. Mais je ne pense pas qu’il faille adhérer à la position de Calvin (sur la communion au corps et au sang de Christ) pour croire à une présence réelle (physique inclue).
Si donc il faut que Christ soit pleinement présent, je ne vois pas quelle autre option. La consubstantiation et la transsubstantiation posent beaucoup trop de problèmes métaphysiques et christologiques.
Je ne sais pas si elle un nom ou des défenseurs connus mais ça serait un mix de présence réelle (pas catho) + communion sans que le corps et le sang de Christ soient pris littéralement.
Ben c’est ça la position réformée.
La position de Calvin voit une implication physique dans l’union, mystique que tous ne voient pas forcément
Non, certainement pas physique, Calvin rejette cela. Ce que dit Calvin c’est que le Christ reste au ciel, on a donné à cette idée le nom d’extra calvinisticum.
Quant au terme mystique, il doit être compris dans le sens spirituel, c’est à dire « par l’Esprit ».
C’est chaud la consubstantiation, personne est d’accord sur la déf…
Les luthériens rejettent le terme bien souvent.
Merci pour cet article !
Il néanmoins est important de savoir que les luthériens et réformés ont ensemble affirmé dans la concorde de Leuenberg que :
Point 18
« Dans la Cène, Jésus-Christ le ressuscité se donne lui-même en son corps et son sang, livrés à la mort pour tous, par la promesse de sa parole, avec le pain et le vin. De la sorte, il se donne lui-même sans restriction à tous ceux qui reçoivent le pain et le vin ; la foi reçoit la cène pour le salut, l’incrédulité la reçoit pour le jugement.»
Point 19
« Nous ne saurions dissocier la communion avec Jésus-Christ en son corps et en son sang de l’acte de manger et de boire. Toute considération du mode de présence du Christ dans la cène qui serait détachée de cet acte risque d’obscurcir le sens de la cène.«
Pour ceux qui en plus de la théologie réformée (sur la Cène en particulier) aiment le rap chrétien (pas trop hard non plus) : https://www.larebellution.com/2016/02/20/le-bon-samaritain/
Jésus a parlé de manière symbolique ? Non, car l’expression « manger la chair et boire le sang » de quelqu’un a déjà un sens figuratif spécifique en araméen, la langue parlée par Jésus. « Manger la chair » ou « boire le sang » de quelqu’un signifie le persécuter, l’attaquer et le détruire. Cette expression se retrouve dans plusieurs passages de la Bible :
« Quand s’avancent contre moi les méchants pour dévorer ma chair » Ps 27, 2
« A tes oppresseurs je ferai manger leur propre chair, comme de vin nouveau ils s’enivreront de leur sang » Is 49, 26. Voir aussi Is 9, 18-20 ; Mi 3, 3 ; 2 Sam 23, 15-17 ; Ap 17, 6.16.
Si Jésus parle de manger sa chair et boire son sang de façon symbolique, le sens de ses paroles serait alors « qui me persécute, m’attaque et me détruit aura la vie éternelle », ce qui n’a aucun sens…
Jésus n’a pas pu parler symboliquement.
D’autant plus que cette théorie s’oppose au témoignage des Pères de l’Eglise :
http://www.churchfathers.org/category/sacraments/the-real-presence/
https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2014/05/01/leglise-primitive-croyait-en-la-trassubstantiassion/
Oui, c’est exactement ce que je dis dans l’article, la Cène n’est pas un simple symbole, il s’agit d’une réelle communion avec le vrai corps et le vrai sang de Christ qui est présent réellement et c’est ce que les réformés ont soutenu historiquement. Mais si vous aviez pris le temps de lire l’article au lieu de copier-coller le commentaire que vous aviez déjà fait sur un autre article vous vous en seriez rendu compte 🙂
Pour ce qui est de votre remarque sur l’araméen, ce serait faire preuve d’étroitesse que de croire qu’une langue n’a qu’un seul symbolisme possible. Par exemple, dans son commentaire de Jean 6, Augustin reconnait que manger la chair signifie croire. Toutefois, comme je le rappelle, la position que je défends dans cet article que vous n’avez visiblement pas lu est que Christ est présent réellement et corporellement, dans sa divinité et son humanité mais pas de manière locale (ce à quoi même Thomas D’Aquin consent) mais par la vertu de l’Esprit (ce que Calvin a développé).
Quant au site « philosophie du christianisme », il déforme de façon si évidente le protestantisme et les pères qu’il n’est même pas digne d’être cité ici.
Si vous doutez que la présence réelle est la position historique protestante, consultez cet article : https://parlafoiblog.wordpress.com/2018/01/05/la-cene-et-la-tradition-reformee/
Que pensez-vous des miracles eucharistiques?
Pas grand chose ^^
Ben c’est génial !