Une Défense exégétique de la Loi Naturelle : le Nouveau Testament (4/5)
27 août 2019

Nous poursuivons notre traduction de la série “An exegetical case for natural law” d’Andrew Fulford publiée sur The Calvinist International avec le quatrième article. Vous pouvez retrouver l’ensemble des articles de cette série ici.


Comme nous le verrons, l’enseignement du NT sur la loi naturelle s’inscrit dans la continuité de l’AT et de la plupart de la littérature juive extra-canonique. Tout au long de cette série, j’ai cherché à prouver les trois hypothèses suivantes, qui constituent ce que j’entends par le terme « loi naturelle » :

(N1) il existe un ordre objectif de l’univers du type décrit ci-dessus ;

(N2) cet ordre est objectivement visible, présent pour être observé, que l’on porte ou non les lunettes de l’Écriture ;

(N3) au moins certaines personnes non régénérées perçoivent cet ordre.

Jésus

L’enseignement de notre Seigneur fournit plusieurs exemples de raisonnement fondé sur la loi naturelle. La plupart d’entre eux, en fait, sont parmi ses paroles les plus mémorables. Par exemple :

Matthieu 6:25 C’est pourquoi je vous dis: Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement?26 Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n’amassent rien dans des greniers; et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux?

Jésus fait appel à des faits objectifs du monde naturel, y compris la providence de Dieu pour les animaux, et la supériorité évidente de la valeur des êtres humains par rapport à ces animaux, pour en tirer une conclusion pratique : ne soyez pas inquiets pour votre vie. Ce genre de raisonnement confirme au moins N1. Le fait que Jésus fasse même appel au domaine de la nature, plutôt que de simplement citer des ordres de l’AT ou d’émettre de nouveaux diktats bruts, implique fortement un soutien pour N2.

Un autre exemple de loi naturelle dans l’éthique de Jésus est sa fameuse « règle d’or » :

Matthieu 7:12 Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes.

Comme le note Bockmuehl : « l’hypothèse simple d’une sorte de réciprocité naturelle et d’une communauté de besoins humains suggère l’acceptation d’une catégorie morale qui est générale et évidente, plutôt que révélée positivement dans la Torah. » 1

Cet enseignement mérite davantage de réflexion. Tout d’abord, Jésus enseigne à ses disciples à prendre leurs propres désirs fondamentaux comme étant ceux de tout être humain. Deuxièmement, en leur disant de satisfaire les désirs fondamentaux des autres, il affirme que ces désirs sont bons. L’implication de ces deux prémisses est que Jésus enseigne à tous les gens ce qui est bon pour eux, à un certain niveau, puisqu’ils ont des désirs qu’il faut satisfaire. Ainsi, dans cette brève règle, Jésus affirme N1, N2 et N3. Et, bien entendu, cette règle est connue sous le nom de « règle d’or » en partie parce qu’elle est si fondamentale (Jésus dit qu’elle résume l’enseignement éthique de l’AT tout entier), mais aussi parce que des exemples en sont tirés dans toutes les cultures. Elle fait toujours partie de la philosophia perennis2

Un autre exemple célèbre (noté par Bockmuehl 3) de ce que les gens appellent maintenant l’éthique de la loi naturelle apparaît dans l’enseignement de Jésus sur la sexualité, sur le divorce plus spécifiquement. Dans Marc 10:6-8 et ses parallèles, Jésus corrige les visions pharisiennes de cette pratique en les renvoyant à l’ordre originellement créé par Dieu. Un point particulier de grammaire dans le discours de Jésus le montre clairement :

Marc 10:4 Moïse, dirent-ils, a permis d’écrire une lettre de divorce et de répudier.5 Et Jésus leur dit: C’est à cause de la dureté de votre coeur que Moïse vous a donné ce précepte.6 Mais au commencement de la création, Dieu fit l’homme et la femme; 7 c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme,8 et les deux deviendront une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair.9 Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a joint.

Matthieu 19:4 Il répondit: N’avez-vous pas lu que le créateur, au commencement, fit l’homme et la femme 5 et qu’il dit: C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair?6 Ainsi ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair. Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a joint.

Dans les deux textes, le mot grec απο apparaît, traduit « au commencement ». Ce que les paroles de Jésus communiquent en réalité, c’est que Dieu a fait au commencement, et continue de faire, des personnes, hommes ou femmes. Jésus poursuit en expliquant que cette éternelle réalité naturelle des deux sexes est destinée par Dieu à être unis (Mc 10:7, Mt 19:5 ; ἕνεκα/ἕνεκεν « c’est pourquoi »). Parce que cette union est l’intention de Dieu dans le mariage, dit Jésus, nous ne devons pas nous y opposer en séparant ces deux êtres unis. Ainsi, la logique de l’argument est la suivante :

  1. Dieu a créé l’ordre masculin/féminin de la nature au commencement dans Eden, et il a soutenu cet ordre dans l’être depuis lors
  2. Le but de Dieu dans cet ordre des deux sexes est que les sexes s’unissent dans le mariage
  3. Par conséquent, puisque Dieu désire l’union des sexes dans le mariage, aucun simple être humain ne devrait rompre l’union lorsqu’elle a été conclue ; ce serait s’opposer à l’intention de Dieu dans la nature

Au minimum, cela confirme N1.

Ce ne sont en aucun cas les seuls exemples de raisonnement à partir de la « valeur objective » du cosmos dans l’enseignement de Jésus, mais ils sont suffisants pour ce qui nous intéresse. La mission de Jésus était de restaurer le monde de Dieu suivant les desseins originels du Créateur, et ses conseils pratiques ont constamment invité ses disciples à agir en accord avec cette fin.

Paul

Par-dessus toutes les figures de l’Écriture, les discussions sur la loi naturelle dans la Bible se concentrent à juste titre sur l’enseignement de l’Apôtre Paul. Cela ne devrait pas nous surprendre : de tous les écrivains bibliques, l’Apôtre des païens était celui qui a le plus énergiquement abordé ceux en dehors d’Israël, ceux qui n’avaient pas la Torah, avec les exigences de Dieu, et il était ainsi le plus apte à utiliser des concepts de loi naturelle. Il mentionne le mot « nature » à plusieurs reprises, et s’engage dans la théologie naturelle et l’éthique de la loi naturelle.

Actes 14

Après la guérison d’un homme infirme à Lystre, les habitants de la région furent convaincus que Paul et Barnabas étaient des dieux grecs. En réponse à cette erreur, Paul proclama :

15 […]Ô hommes, pourquoi agissez-vous de la sorte? Nous aussi, nous sommes des hommes de la même nature que vous; et, vous apportant une bonne nouvelle, nous vous exhortons à renoncer à ces choses vaines, pour vous tourner vers le Dieu vivant, qui a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qui s’y trouve.16 Ce Dieu, dans les âges passés, a laissé toutes les nations suivre leurs propres voies, 17 quoiqu’il n’ait cessé de rendre témoignage de ce qu’il est, en faisant du bien, en vous dispensant du ciel les pluies et les saisons fertiles, en vous donnant la nourriture avec abondance et en remplissant vos cœurs de joie.18 À peine purent-ils, par ces paroles, empêcher la foule de leur offrir un sacrifice.

Paul soutient qu’il n’est pas convenable que lui et Barnabas soient adorés puisque leur nature 4 est simplement humaine. Bien entendu, Paul aurait pu citer le Shema, ou le premier et le deuxième des Dix Commandements, mais il a plutôt raisonné avec les citoyens de Lystre en se basant sur ce qui était objectif dans la structure du monde : c’était simplement une question de fait que en tant qu’êtres humains Paul et Barnabas ne méritaient aucunement d’être adorés. Cela suppose N1 clairement et N2, mais aussi peut-être N3, dans la mesure où Paul attend de ses auditeurs qu’ils considèrent son argument comme solide.

L’apôtre proclame le véritable Dieu aux païens, et note que dans le passé ce Dieu a laissé l’histoire se dérouler sans interférence, mais que maintenant les choses seront différentes. Il nuance ensuite cette déclaration en précisant que si « maintenant » Dieu ne laissera pas simplement le paganisme se poursuivre, déjà « avant », Dieu n’était pas totalement non-interventionniste avec les païens. Au contraire, il a toujours rendu témoignage. Le témoignage implicite, étant donné le contexte du verset 15, est qu’ils devraient exclusivement adorer le véritable Dieu. Quel est le contenu de ce témoignage ? Selon le verset 17, c’est l’approvisionnement continu de Dieu en « pluies » et en « saisons fertiles, en vous donnant la nourriture avec abondance et en remplissant vos cœurs de joie ». En d’autres termes, le témoignage est simplement le fait que les processus naturels continuent de viser et d’atteindre les buts qui leur ont été fixés, et que ces buts s’harmonisent avec ce dont les êtres humains ont besoin pour leur propre bonheur. Ce témoignage fait connaître un Créateur bienveillant qui mérite notre entière dévotion. Essentiellement, Paul présente la « Cinquième voie » de Thomas, notée au début de cette série. Ainsi, dans ce texte, Paul affirme clairement N1, N2. En supposant que Dieu est un témoin compétent, nous pouvons en déduire que ce témoignage était suffisant pour être observé par ces païens même dans leur état non régénéré. Cela implique N3. Ne pas faire cette supposition impliquerait que Dieu témoignait de sorte que personne ne puisse le percevoir.

Actes 17

Le plus célèbre des discours de Paul sur la « théologie naturelle » dans les Actes est sans aucun doute son Aréopagitique. La section de ce discours la plus importante pour nos recherches est :

26Il a fait que tous les hommes, sortis d’un seul sang, habitent sur toute la surface de la terre, ayant déterminé la durée des temps et les bornes de leur demeure; 27il a voulu qu’ils cherchent le Seigneur, et qu’ils s’efforcent de le trouver en tâtonnant, bien qu’il ne soit pas loin de chacun de nous, 28car en lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être. C’est ce qu’ont dit aussi quelques-uns de vos poètes: De lui nous sommes la race… 29Ainsi donc, étant la race de Dieu, nous ne devons pas croire que la divinité soit semblable à de l’or, à de l’argent, ou à de la pierre, sculptés par l’art et l’industrie de l’homme. 

Paul cite Épiménide de Crète et Les Phénomènes d’Aratus pour étayer sa théologie juive. Examinons ce que ces citations impliquent. Paul considère que ces écrivains expriment des vérités sur le monde. Cela impliquerait N1, car ce sont des vérités sur le monde, mais aussi N2 et N3, puisque ce sont des poètes païens qui rapportent ces vérités. Paul raisonne ensuite depuis sa théologie naturelle jusqu’à la conclusion sur l’utilisation des images dans le culte (verset 29). Encore une fois, cela doit supposer N1 au minimum, mais puisque l’apôtre donnait un argument à des non non-croyants, cela peut impliquer N3.

Romains 1:17-32

Le locus classicus de la théologie naturelle est sans conteste Romains 1. L’apôtre énonce clairement plusieurs faits à ce stade de sa longue argumentation. Dans le verset précédent, Paul déclare la solution au problème de toute la race humaine. Au verset 17, il commence à énoncer le problème. Plus tard, à partir du chapitre 2, il commencera à décrire le problème juif en particulier. Mais en 17-32, il se concentre sur le problème non-juif. Et ce problème est la colère de Dieu, qui se manifeste à cause d’un péché spécifique commis par les païens. Ce péché est décrit de diverses manières :

  • Retenir captive la vérité (18)
  • Connaître Dieu et pourtant ne pas l’honorer ou lui rendre grâces (21)
  • Changer la gloire de Dieu en images représentant ses créatures (23)

Cette suppression coupable de la révélation de Dieu conduit à davantage de péchés, alors que Dieu retire sa grâce restrictive. D’abord, elle conduit à l’adoration des créatures. Mais elle conduit aussi à des actes tout aussi « contre nature » (παρὰφύσιν) qui défient la structure évidente de la réalité tout autant que le déshonneur du Créateur sur le plan du comportement sexuel (24-27). L’analyse de Robert Gagnon sur la relation de ce texte avec le contexte qui le précède pousse à y souscrire. Dans une partie de cette analyse, il écrit :

L’insertion de 1:25 était la manière pour Paul de rappeler au lecteur les parallèles entre l’idolâtrie et les rapports homosexuels qui rendaient la punition si appropriée au crime. Dans leur relation verticale avec Dieu, les Gentils ignoraient la vérité évidente de Dieu visible dans la création afin de poursuivre une ligne de conduite absurde – une ligne de conduite qu’ils prétendaient être un produit d’une réflexion rationnelle et sage. La réponse de Dieu à leur idolâtrie a été de leur permettre d’avilir leur corps dans leurs relations horizontales les uns avec les autres. Sans aucune retenue divine à leurs passions, ils ont continué d’ignorer la vérité évidente – maintenant au sujet de la complémentarité hétérosexuelle si évidente dans la nature – et ont poursuivi la ligne de conduite absurde des rapports sexuels avec des personnes du même genre. Les correspondances peuvent être présentées comme suit [le parallèle clé étant le déni absurde de la révélation naturelle au sujet du culte de Dieu et les rapports avec les autres humains] :

IdolâtrieRapports sexuels entre personnes de même sexe
relation verticale avec Dieurelations horizontales les uns avec les autres
supprimer les preuves visibles dans la créationcontraire aux preuves visibles dans la nature
dans le domaine de l’espritdans le domaine du corps et des passions
décision humainepassation divine
échange de Dieu contre des idoleséchange de personnes de sexe opposé contre des personnes de même sexe
ne pas glorifier Dieuse déshonorer eux-mêmes
acte insensécomportement autodestructeur 5

Et il en résulte la liste des péchés décrits dans 28-32.

Paul conclut par cette déclaration au verset 32 (Colombe) : « Et bien qu’ils connaissent le décret de Dieu, selon lequel ceux qui pratiquent de telles choses sont dignes de mort, non seulement ils les font, mais encore ils approuvent ceux qui les pratiquent. » À ce stade de son argumentation (qui a commencé au verset 17), Paul n’a pas utilisé le mot « décret ». Pour déterminer l’identité de ce décret, nous devons donc tenir compte des antécédents implicites de Paul. L’interprétation la plus probable est que ce « décret » est précisément ce que nous appelons « loi naturelle ». Tout d’abord, nous devrions considérer que le terme grec utilisé par Paul, δικαίωμα, pourrait être utilisé par quelqu’un comme Josèphe pour se référer à la loi naturelle :

Antiquités judaïques 17.108: Et pourtant il s’étonnait moins de la folie des autres : jeunes et corrompus par de mauvais conseils, ils avaient oublié les lois de la nature dans leur impatience d’obtenir le pouvoir plus vite qu’il ne fallait. 

Deuxièmement, nous devons nous rappeler l’étude des concepts l’AT ci-dessus, et noter que les Écritures décrivent l’ordre présent dans la nature comme étant une expression du décret de Dieu. Par exemple, Psaumes 33:6-9 6:

6Les cieux ont été faits par la parole de l’Eternel, Et toute leur armée par le souffle de sa bouche. 

7Il amoncelle en un tas les eaux de la mer, Il met dans des réservoirs les abîmes.

8Que toute la terre craigne l’Eternel! Que tous les habitants du monde tremblent devant lui! 

9Car il dit, et la chose arrive; Il ordonne, et elle existe. 

L’ordre de la nature, selon la pensée juive, est une manifestation de la volonté de Dieu, du commandement impérial de Dieu. Par la sagesse et la logique, on peut percevoir la volonté du Créateur. C’est cette sagesse, ce décret, que les païens ont défié en bloc.

Romains 1 affirme donc N1, N2 et N3. Mais, avant de poursuivre, nous devrions faire un autre commentaire. Admettons, pour les besoins de l’argumentation, que, comme une petite minorité d’exégètes (surtout barthiens) l’ont soutenu, ce texte se réfère à une révélation spéciale et non à une révélation naturelle. 7Cependant, aucun interprète ne peut raisonnablement nier que Paul attribue la connaissance de l’être et des commandements de Dieu à des gens qui sont encore incrédules. Nous ne pouvons donc pas dire que seuls les gens régénérés possèdent la connaissance de la volonté de Dieu. Même si nous nions que ce texte supporte N1 et N2, il doit quand même supporter une version modifiée de N3 par rapport à la loi divine positive. Et lorsque nous combinons ce point avec les preuves abondantes que nous avons déjà vues pour N1, les motivations théologiques habituelles pour nier que ce texte parle de révélation naturelle semblent être ébranlées.

Romains 2

Si Romains 1 est le locus classicus de la théologie naturelle, Romains 2 en fait autant pour la loi naturelle en particulier. NT Wright 8 et Simon Gathercole fournissent un argument solide pour lire le passage autrement, comme faisant référence aux cœurs des chrétiens régénérés qui font l’expérience de la promesse de la loi de la Nouvelle Alliance écrite sur leur cœur, plutôt qu’aux païens non régénérés qui obéissent à la loi naturelle.  Le débat à ce sujet est ouvert, et pourrait probablement avoir lieu entre les contributeurs de TCI ; dans le cas où la lecture traditionnelle est correcte, il y a encore une autre preuve de la position chrétienne classique sur la loi naturelle. Au lecteur de trancher.

Cependant, il convient de parler de la façon dont Paul utilise le langage de la « nature » dans l’interprétation que je défendrais. Wright soutient que dans Romains 2:14, Paul parle des « païens qui n’ont pas la loi » par nature, par opposition, implicitement, aux juifs qui ont la Torah par « nature ».9 Dans ce cas, le langage de Paul s’inscrit parfaitement dans la catégorie scolastique de la « seconde nature », qui est une sorte d’habitude ou de coutume. La race ou l’origine ethnique, avec son histoire complexe et ses pratiques sociales, est quelque chose dans laquelle on naît 10(comme la vraie nature) et qui façonne puissamment le type de personne que les gens deviennent. Ainsi, les individus de la nation juive, en vertu de leur histoire sociale, possèdent en ce sens leur héritage, en particulier la Torah, par (seconde) nature.

Mais cela n’implique pas que tout ce que Paul, ou la Bible, décrit comme « nature » est socialement construit de la même manière que la race. De toute évidence dans l’esprit de Paul, la nature des sexes est un exemple de ce que Dieu a créé dans Genèse 1 et 2. The Bible and Homosexual Practice de Robert Gagnon montre comment Paul fait allusion au récit de la création alors qu’il parle de l’homosexualité, 11révélant à quel point les intentions créatrices originelles de Dieu et la nature des sexes sont liées ensemble dans l’esprit de l’apôtre. Et de plus, suggérer que, pour Paul, l’ordre de la création dont nous avons discuté tout au long de cet essai est entièrement construit socialement reviendrait à dire qu’il nie l’existence d’un ordre créationnel. De toute évidence, ce ne pas ce que l’apôtre entend.

Éphésiens 2

Au milieu d’une description de l’état de l’humanité déchue, Paul parle de la façon dont nous (vs. 3) « nous étions par nature des enfants de colère, comme les autres ». C’est un autre cas de ce que les scolastiques appellent « seconde nature ».  Cependant, contrairement à la race, Paul parle maintenant d’un autre type de construction : le péché. En fait, il serait plus juste d’appeler cela une destruction, car c’est ce qu’est réellement le péché. Le péché est une habitude que tous les êtres humains possèdent depuis leur naissance et qui les éloigne de leur telos conçu par Dieu, et les entraîne vers la ruine totale.  Cette propension au mal suscite donc la colère de Dieu, et par conséquent, par (seconde) nature, nous sommes soumis à la colère de Dieu.

1 Corinthiens 6

Pour en revenir à la preuve positive de la loi naturelle dans l’éthique paulinienne, 1 Co 6:18 fournit un bon exemple du concept sans le mot. L’apôtre écrit que « celui qui se livre à la débauche pèche contre son propre corps. » En d’autres termes, pécher sexuellement, c’est offenser le bon ordre inscrit par Dieu dans le corps qu’il a créé pour vous. Cela viole la loi naturelle décrétée par Dieu. Cela prouve N1, mais peut-être pas N2 ou N3.

1 Corinthiens 11

L’autre texte paulinien fréquemment discuté sur la loi naturelle se trouve dans les enseignements de l’apôtre sur le voile. Paul écrit :

13Jugez-en vous-mêmes: est-il convenable qu’une femme prie Dieu sans être voilée? 14La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c’est une honte pour l’homme de porter de longs cheveux, 15mais que c’est une gloire pour la femme d’en porter, parce que la chevelure lui a été donnée comme voile? 

Bockmuehl fournit ce qui est probablement l’explication correcte de ce texte :

L’argument particulier de ce passage, cependant, découle du fait que, dans ce contexte, la perversion des coiffures dénote une perversion de l’identité sexuelle. Pour un homme, porter une coiffure féminine était un moyen de communiquer son efféminement et donc son homosexualité.  Il est ainsi probable que, pour Paul, les cheveux longs des hommes ne sont pas ” naturels “, non seulement par convention commune ou par sentiment, mais surtout à cause de leur signification perçue dans le domaine de la morale. Comme nous l’avons vu dans Romains 1, Paul et le judaïsme hellénistique ont tous deux dénoncé les actes homosexuels comme étant intrinsèquement contraires à l’ordre créé.. 12

Essayons de développer : l’ordre créé implique que les actes homosexuels, quels qu’ils soient, ne sont pas naturels. Il ne s’agit pas simplement d’actes sexuels homosexuels, mais de comportements en général que l’on pourrait appeler aujourd’hui « fléchissement du genre » (« gender bending »). Au contraire, selon les juifs et les chrétiens, la nature enseigne que les gens doivent se comporter selon le sexe qu’ils ont. Mais bien sûr, personne ne vit comme un être sexué isolé ; tous les individus doivent participer à des sociétés qui ont des conventions socialement établies pour les sexes. Ainsi, la nature dicte que les gens se comportent en fonction de leur propre sexe par rapport aux autres dans la société, et se comportent donc selon les conventions sociales pour les sexes établies par la société dans laquelle ils se trouvent. 13 Le présent texte traite de l’une de ces conventions, celle de la coiffure. 14

Bien entendu, les conventions sociales peuvent exiger le péché, et Paul ne peut ignorer ce fait. Mais apparemment, il ne considère pas non plus les femmes ayant des coiffures féminines conventionnelles (ni les hommes masculins) et des voiles comme une exigence pécheresse de la part de la culture.

Jude 

Le dernier texte de notre étude sera Jude 7. Le frère de Jacques écrit que les habitants de Sodome et des villes environnantes sont « allées après une autre chair » (FRDBY). La NEG79 paraphrase bien en « vice contre nature », car le péché sexuel que la Genèse a explicitement souligné était leur désir d’avoir des relations homosexuelles, non naturelles. Jude écrit que ces villes sont un exemple de punition pour un tel comportement. Cela implique N1, et en supposant que Dieu ne punit pas les gens pour avoir désobéi à des ordres dont ils étaient invinciblement ignorants, cela semble impliquer N2 et N3 également.


  1. [traduction libre] Bockmuehl, Jewish Law in Gentile Churches, 118-119.  
  2. Pour une discussion sur l’histoire de cette phrase et une définition pratique, voir ici
  3. Bockmuehl, Jewish Law in Gentile Churches, 120.  
  4. Le mot grec signifie « comme des passions », mais la logique de l’argument considère ces passions comme des synecdotes pour toute la nature, puisque le reste des paroles de Paul ne se concentre pas sur les passions humaines par opposition aux autres traits humains. Le contraste est plutôt entre les choses créées et le Créateur. Peut-être Paul parle-t-il de passions parce que cette caractéristique en particulier souligne la similitude de l’être humain avec des animaux encore plus inférieurs, en contraste avec la nature divine. 
  5. [traduction libre] Robert A. J. Gagnon, The Bible and Homosexual Practice: Texts and Hermeneutics, 267-268. 
  6. Cf., p. ex. , Psaume 148. 
  7. Il faut noter que si la traduction correcte en 1:20 (contre la majorité des spécialistes) est « les choses qui ont été faites », l’implication est que les païens ne pouvaient s’empêcher de déduire l’existence de Dieu de ses actes divins au cours de l’histoire. Il convient de méditer un peu plus sur ce fait. Comment les païens ont-ils déduit l’existence de Dieu à partir, disons, des événements de l’Exode ? Eh bien, une partie de la logique du raisonnement était sûrement le but évident derrière les dix plaies. Il ne s’agissait manifestement pas d’événements naturels « aléatoires ». Et pourtant, la création dans son ensemble manifeste un but. Si l’existence de Dieu peut être connue a posterioripar l’observation de ses actes dans l’histoire de la rédemption, il ne devrait y avoir aucune raison de dire que son existence ne pourrait pas être déduite par l’observation de ses actes providentiels normaux. 
  8. Voir le commentaire de Romains de Wright. 
  9. Galates 2:15 utilise probablement φυσιςde la même manière que ce texte.  
  10. Dans ce cas, conformément à la première définition de φυσιςproposée par le BDAG : « état ou circonstance déterminé par la naissance, dotation/condition naturelle. » 
  11. Gagnon fournit un argument décisif démontrant que Paul fait intentionnellement allusion au récit de création de la Genèse dans sa description de l’homosexualité en 1:24-27. Quelques-unes des preuves probantes : (1) Paul retrace le péché jusqu’à la chute, en rappelant Genèse 1 ; (2) il écrit « depuis la création du monde » (1:20) ; (3) il se réfère au « Créateur » (1:25) (4) il désigne les sexes par les termes theleiai et arsenes plutôt que gynaikes et andres ou anthropoi, suivant la LXX de Gen 1:27 ; (5) l’apôtre fournit une triple référence oiseaux/animaux/reptiles qui apparaît dans Genèse 1:30 ; (6) peut-être « le mensonge » (Rom 1:25) fait-il allusion à la fausse insinuation originelle de l’humanité sur Dieu lors de la chute, en accord avec les mensonges du Serpent ; (7) « honte » apparaît dans Genèse (Rom 1:27 BDS, cf. Gn 3:1, 8), (8) de même que la connaissance (Rm 1:19, 28, 32 ; cf. l’arbre de la connaissance), (9) et la sentence de mort (Rm 1:32 ; cf. Gn 2:17 ; 3:4-5 ; 20, 23) (290-291). Gagnon écrit : « Pour Paul, l’idolâtrie et les rapports homosexuels rejettent le verdict de Dieu selon lequel ce qui a été fait et organisé était “très bon” (1:31). » L’humanité a rejeté la bonté de Dieu pour l’idolâtrie, rejeté la domination pour le culte des animaux, et rejeté leur sexualité dimorphe pour des actes homosexuels contraires à la nature (291). « Pour Paul, de même que pour Jésus : l’histoire de la création dans la Genèse ne laisse pas de place à une expression légitime des rapports homosexuels. Même si Rm 1:18-32 parle des événements après la chute, pour Paul, toutes les rébellions humaines sont, d’une manière ou d’une autre, des rébellions contre la volonté de Dieu pour l’humanité mise en mouvement à la création » (291). 
  12. [traduction libre] Bockmuehl, Jewish Law in Gentile Churches, 134.  
  13. Le texte de l’AT évident pour la logique de Paul serait Deutéronome 22:5 : « Une femme ne portera point un habillement d’homme [littéralement, “choses”, pas seulement des vêtements], et un homme ne mettra point des vêtements de femme; car quiconque fait ces choses est en abomination à l’Eternel, ton Dieu. » Le Deutéronome est aussi préoccupé par le fait que les hommes et les femmes se comportent de la manière dont la société a déterminé les choses pour leur propre sexe. 
  14. Pour un exemple d’un adepte païen de la loi naturelle présentant un argument similaire, voir Sénèque, Lettres à Lucilius 122.7.  

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