Cet article est la cinquième partie d’une série sur le lien entre la justification, les œuvres, et le salut. Cette première partie est une traduction d’un article de Brad Mason publié sur son blog Also A Carpenter. Cliquez ici pour retrouver les autres articles de cette série.
Un plaidoyer : soit vous défendez ce que Piper a écrit, soit vous arrêtez de lui sauver la face
Dans le récent article de Mark Jones, « A Brief Wrap-Up » , on peut lire la chose suivante :
« Veuillez noter que je crois fermement, de tout mon cœur, que nous sommes aussi justifiés que nous ne le serons jamais quand nous croyons. Nous ne pouvons jamais perdre notre justification. Quand le Christ reviendra, nous entrerons au ciel en nous basant uniquement sur la justice imputée du Christ. En chemin vers le ciel, nous ferons les bonnes œuvres que Dieu a préparées à l’avance, en vue que nous les fassions. Ces œuvres ne sont pas facultatives (Romains 8:13), mais elles n’ont pas le mérite de nous justifier devant Dieu. Elles sont simplement le chemin sur lequel nous marchons vers la vie éternelle. Je suis entièrement d’accord avec Zacharias Ursinus dans son commentaire sur le Catéchisme de Heidelberg sur les bonnes œuvres1. »
Je suis aussi entièrement d’accord avec Ursinus2et je suis entièrement d’accord avec ce bref résumé. En fait, ce fut ma compréhension à ma première lecture du message controversé de John Piper ; j’étais néanmoins assez préoccupé par celui-ci.
Je n’ai jamais eu aucun problème à reconnaître la nécessité des bonnes œuvres ou à faire remarquer que les fruits de la foi seront présentés au Jugement dernier, ni à me préoccuper de la distinction entre droit et possession (dans la mesure où on la comprend de la même manière que Calvin et Ursinus l’ont comprise). De ce que je peux observer, ce ne sont pas ces choses qui ont posé problème. Bien sûr, j’ai eu des problèmes avec certains propos de Mark Jones, D. Patrick Ramsey, Justin Taylor, etc., qui étaient à mon avis entachés par une lecture douteuse et un choix très sélectif de la tradition — sans parler du traitement vraiment honteux que Rachel Miller a fait de ce sujet. Mais l’aspect le plus déconcertant de leurs réponses est qu’aucun d’entre eux n’a vraiment abordé ce qui était en fait controversé dans la publication de Piper. Tout ce qu’ils ont écrit semble correspondre à une défense de leurs propres vues sur la relation entre les bonnes œuvres et le salut, plutôt qu’une défense de John Piper et de ses déclarations.
Encore une fois : Voici ce que Piper a réellement écrit
Ainsi, je ressens le besoin de répéter encore une fois : dans l’article original de Piper, la question posée était : « Dieu nous sauve-t-il vraiment par la foi seule? »3 et non pas « Les bonnes œuvres sont-elles en quelque sorte nécessaires ? » Et Piper répond en fait à la question posée, et sa réponse est « non ». Les cinq solas ne s’appliquent qu’à la justification, et non au salut au sens large4.
La clause qui permet à ces phrases prépositionnelles modificatives [les Solas] de faire leur merveilleux travail de clarification pour l’essence de l’Évangile et le cœur de la Réforme est la clause : Nous sommes justifiés devant Dieu… ou La justification devant Dieu est…
Ce n’est qu’après justification que les cinq syntagmes prépositionnels5 peuvent suivre et faire leur magnifique travail pour définir et protéger l’Évangile de toute dilution non biblique.
Ils servent tous à modifier l’œuvre de justification de Dieu.
Ils ne s’y substituent pas.
Pourquoi ? Parce que,
lors du salut final au Jugement dernier, la foi est confirmée par le fruit sanctifiant qu’elle a porté, et nous sommes sauvés par ce fruit et cette foi.
Les cinq solas apportent un éclairage merveilleux sur le cœur de la Réforme et le cœur de l’Évangile, si ces solas viennent modifier la phrase La justification devant Dieu est…
Encore une fois, Piper affirme que seule la justification peut être considérée par la foi seule ; le « salut » au sens large n’est pas par la foi seule. Selon les mots de son collègue Greg Morse, auteur pour Desiring God,
Qu’en est-il d’être sauvé par la foi seule ? Vous ne l’êtes pas. Vous êtes justifié par la foi seule. Le salut final vient par la justification et la sanctification — à la fois initiées et soutenues par la grâce de Dieu6.
C’est tout simplement faux et cela contredit complètement l’enseignement de l’Écriture et des confessions et catéchismes réformés, sans parler de la tradition réformée et de ses théologiens. Pourquoi tant de personnes continuent-elles à prétendre que ce n’était pas là le véritable enjeu de la discussion et le point de discorde ? C’est réellement frustrant.
Je suppose que beaucoup ont l’impression que Piper disait en réalité que l’on ne recevra pas le salut sans que Dieu ne l’amène par le chemin des bonnes œuvres, lui accordant non seulement le droit à la récompense mais aussi le faisant entrer en possession réelle au moyen de l’Esprit qui porte du fruit. Les bonnes œuvres font, après tout, partie du salut lui-même. Encore une fois, personne ne nie cela. Mais Piper a dit quelque chose de très différent. Et le débat à l’origine du message incriminé n’est pas né le 25 septembre 2017, mais a été un aspect de son enseignement depuis quelques décennies.
En 2009, Christianity Today a offert un résumé utile du débat alors en cours entre John Piper et N. T. Wright. Sur la question de la « justification à venir », Piper décrit sa propre position comme ceci :
La justification dont nous jouissons actuellement est fondée sur l’œuvre de substitution du Christ seul, en notre union avec lui par la foi seule. La justification future est la confirmation et la déclaration publique qu’en Jésus-Christ, nous sommes parfaitement irréprochables devant Dieu. Ce jugement final est en accord avec nos œuvres. C’est à dire, le fruit du Saint-Esprit dans nos vies sera apporté comme évidence et confirmation de la vraie foi et de l’union avec Christ. Sans cette transformation de validation, il n’y aura pas de salut futur7.
Même si je pourrais émettre de nombreuses critiques sur cette formulation (et je l’ai fait), je veux ici me concentrer sur la dernière phrase.
Je suppose que je pourrais l’entendre comme signifiant simplement qu’il y aura toujours une transformation véritable dans le justifié ; et par conséquent qu’il y aura nécessairement des fruits qui l’accompagneront ; ainsi, il n’y aura personne sauvé de la colère à venir qui n’ait pas aussi produit les fruits de cette transformation. D’où l’affirmation que « sans cette transformation de validation, il n’y aura pas de salut futur. » J’aimerais croire que c’est ce qu’il faut comprendre, mais je pense plutôt qu’il y a autre chose derrière tout cela. Il me semble que le salut futur est conditionné par la transformation de validation, c’est-à-dire les bonnes œuvres.
Le problème théologique sous-jacent
Et il y a une raison à cela. Piper a toujours rejeté la théologie réformée des alliances, en particulier l’alliance des œuvres. Pour lui, ça n’a jamais existé. Il écrit :
Dieu a-t-il déjà ordonné à quelqu’un d’obéir en vue de gagner ou de mériter la vie ? Dieu commanderait-il à une personne de faire une chose qu’il condamne uniformément comme étant arrogante ? […] Vous ne pouvez pas donner à Dieu des choses qui lui appartiennent déjà dans l’espoir de gagner des choses en retour. Vous ne pouvez rien mériter de Dieu en offrant une œuvre que Dieu permet librement (1 Corinthiens 15:10 ; Philippiens 2:12-13). Toute chose vient de Dieu, et donc il n’y a pas de troc, de négociation, ou de gain avec Dieu. Soit on fait confiance en ses soins gratuits, soit on choisit la trahison.
C’est vrai que Dieu a commandé à Adam de lui obéir, et c’est également vrai que le fait de ne pas obéir entraîne la mort. […] Mais la question est la suivante : quel genre d’obéissance est nécessaire pour hériter de la vie — faut-il gagner ou se confier ? La Bible présente deux types d’efforts très différents pour garder les commandements de Dieu. L’un est légaliste ; il dépend de nos propres forces et de notre aspiration à gagner la vie. L’autre manière que nous pourrions qualifier d’évangélique ne dépend que de la puissance de Dieu qui nous rend capables et vise à obtenir la vie par la foi en ses promesses, ce qui se manifeste dans la liberté de l’obéissance.
[…] Il n’y a aucune allusion au fait qu’Adam doive gagner ou mériter quoi que ce soit. L’atmosphère était plutôt celle d’une mise à l’épreuve de la foi à travers une faveur non méritée, et non d’une mise à l’épreuve de la volonté de gagner ou de mériter. Le commandement de Dieu était pour l’obéissance qui vient au moyen de la foi.
Piper continue d’expliquer que, bien qu’Adam ait échoué dans cette foi d’obéissance en entraînant sur lui et sur sa postérité la malédiction, le Christ, lui, est venu pour accomplir cette foi d’obéissance.
Le Christ a restitué à Dieu l’obéissance de la foi qu’Adam avait abandonnée. Il a accompli la loi parfaitement de la manière dont la loi devait être accomplie dès le début, non par les œuvres, mais par la foi (Romains 9:32). Ainsi, il a obtenu la vie pour son peuple, non pas comme un ouvrier méritant son salaire, mais en remplissant les conditions de l’alliance, tel le Fils fidèle qu’il est.
Et finalement, pour en venir à notre point,
Nous sommes appelés à marcher comme Jésus a marché et comme Adam a reçu l’ordre de marcher8.
Voilà le nœud du problème. Les réformés confessants ont toujours cru qu’Adam s’était vu offrir la vie (continuée ou alors eschatologiquement anticipée) par la récompense de l’alliance pour une obéissance parfaite, personnelle et complète. La vie et la mort lui ont été présentées selon la justice simple, avec les récompenses du simple mérite de l’alliance (meritum ex pacto). Il a péché et a échoué dans cette alliance et, par la justice, a reçu la sanction de la mort pour lui et sa postérité. Le Christ est venu en tant que deuxième Adam pour reprendre les termes de cette alliance. Par sa parfaite justice, il a mérité la vie éternelle et, par la valeur infinie de sa souffrance, il a porté la pleine colère de Dieu contre le péché. Tous ceux, qui sont ainsi unis à Christ par la vraie foi, le reçoivent avec tous ses avantages qu’il a mérité dans une parfaite justice.
Il en résulte deux options pour l’humanité devant le Trône du jugement. Puisque Dieu jugera selon une justice stricte, chacun se tiendra à la barre avec ses propres mérites ou avec ceux du Christ. Les premiers sont déjà condamnés par leurs œuvres, les seconds justifiés depuis le moment de leur union avec le Christ. Ainsi, au dernier jour, on recevra sa sentence selon qu’on a la foi salvatrice ou non — la foi étant le seul instrument pour appréhender les mérites du Christ, avec les œuvres comme preuve de sa réalité.
Mais la situation est différente lorsque la doctrine de l’Alliance est abandonnée. À proprement parler, pour Piper, Adam ne devait jamais mériter la vie éternelle, le Christ ne méritait pas la vie éternelle, et la marche du pécheur racheté doit être conforme à la fois à ce qu’Adam était censé faire et à celle que le Christ a en fait marché : l’obéissance évangélique, ou l’obéissance de la foi. Le profond contraste entre les œuvres et la foi que l’on trouve dans la tradition réformée se résout dans son schéma en un contraste entre les œuvres qui recherchent le mérite et les œuvres nées de la foi. Ainsi, lorsque Piper parle des œuvres comme étant les fruits et les preuves de la vraie foi, il ne s’agit pas seulement d’une preuve de mérite réel appréhendant la foi en Christ, mais de la foi-obéissance elle-même. Lorsque Piper dit que « sans cette transformation de validation, il n’y aura pas de salut futur », il y a une conditionnalité réelle implicite.
C’est une chose de dire que les œuvres sont nécessaires au salut parce que la foi comporte toujours des fruits, Dieu ayant ordonné que l’un accompagne toujours l’autre ; c’est une autre chose de dire que personne ne sera sauvé sans les bonnes œuvres. La distinction peut sembler infime, mais elle est en fait assez grande. Il y a une nécessité qui n’est pas une conditionnalité, et il y a une conditionnalité qui n’est pas causale. Dans la tradition réformée, les œuvres sont toujours accompagnées de la justification, car Dieu a ordonné que les moyens ordinaires du chemin vers la gloire les incluent et que la vraie foi les produise nécessairement. Mais ce ne sont donc pas les œuvres qui appréhendent le Christ ; c’est la foi qui reçoit le Christ et ses mérites. Certes, il y a de nombreuses « conditions » à obtenir pour être sauvé, mais nous ne les considérons donc pas comme des causes propres. Être rationnel est certainement une « condition » ordinaire pour être sauvé, mais nous n’appelons pas la rationalité une cause nécessaire de salut. L’envoi d’un prédicateur est une « condition » ordinaire de salut, mais nous n’appelons pas l’instrumentalité humaine d’un tiers une cause nécessaire de Justification. Que le langage existe est également une « condition », mais le langage n’est pas la cause du salut. En fait, même si la foi est la cause instrumentale du salut, la foi elle-même ne peut pas être à proprement parler considérer comme une condition de salut. Selon les paroles d’Herman Witsius :
Je ne pense pas non plus qu’il soit correct de dire que la foi est la condition que l’Évangile exige de nous, pour être jugés justes et sans culpabilité devant Dieu. La condition de la justification, à proprement parler, est uniquement l’obéissance parfaite ; c’est ce que la loi exige, et l’Évangile ne s’y substitue pas ; mais il déclare que la satisfaction de la loi a été faite par le Christ notre garant ; et, en outre, qu’il est du devoir de la foi d’accepter cette satisfaction qui lui est offerte et, en l’acceptant, de se l’approprier9.
Mais lorsque la distinction stricte entre les œuvres et la foi est réduite en une distinction entre des œuvres qui recherchent le mérite et des œuvres accomplies par la foi, une troisième voie est inventée par un fiat extrabiblique, une voie où les bonnes œuvres peuvent être requises pour le salut et le salut lui-même conditionné par les bonnes œuvres, tout en maintenant catégoriquement que les bonnes œuvres ne méritent pas le salut. C’est une question de grâce, n’est-ce pas ? Il n’a jamais été question de mérite, avec Adam, le Christ ou le pécheur racheté.
Piper : une quantité « suffisante » de fruits est nécessaire
Voici ce qu’écrit Piper :
Jésus dit que faire la volonté de Dieu est vraiment nécessaire pour notre entrée finale dans le royaume des cieux. « De ceux qui me disent: ‘Seigneur, Seigneur’ pas tous n’entreront dans le royaume des cieux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Matthieu 7:21). Il dit qu’au jour du jugement, il rejettera vraiment certaines personnes parce qu’elles « commettent l’iniquité ». « Alors je leur dirai ouvertement: Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité » (Matthieu 7:23). Il dit que les gens « s’en iront au châtiment éternel » parce qu’ils n’ont vraiment pas su aimer leurs semblables : « Toutes les fois que vous n’avez pas fait ces choses à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne les avez pas faites » (Matthieu 25:45-46).
Cela ne fait aucun doute que Jésus considérait qu’une certaine mesure d’obéissance à la volonté de Dieu, réelle et vécue, était nécessaire pour le salut final. « Celui qui fait la volonté de Dieu est mon frère, ma sœur et ma mère » (Marc 3:35)10.
Plus loin dans le même texte, Piper fait une distinction entre « position et démonstration ». La justification « positionne » une personne dans le Christ, par la foi, avec Dieu entièrement « pour nous ». Mais les bonnes œuvres sont la démonstration que nous sommes à cette position. La démonstration de cette position est à nouveau nécessaire pour être sauvé. Mais peu importe pour Piper ; tout cela se fait encore par grâce, car le Christ nous donne ce qui est nécessaire, et l’obéissance évangélique n’est de toute façon que partielle, le Christ fournissant ce qui manque.
Dieu établit notre position par la foi seule. Mais il a ordonné comme utile que cette position puisse faire l’objet d’une manifestation dans le monde. C’est la justice qui dépasse celle des scribes et des pharisiens. Elle est nécessaire, et non facultative. C’est-à-dire que Jésus suppose que s’il n’y a pas de démonstration de notre position sous le regard favorable de Dieu, alors cette position n’existe pas. Jésus dit que cette démonstration est nécessaire pour le salut final (comme nous disons, aller au ciel), parce que Dieu veut être glorifié à la fois pour la grâce dont la fait preuve envers nous en établissement notre position dans sa faveur éternelle une fois pour toutes, mais aussi pour la grâce qu’il nous fait en nous apportant de l’aide afin de démontrer la réalité de cette position dans notre conduite. Quiconque est positionné par la foi sous les auspices invincibles de Dieu ne manquera pas d’avoir tout ce qui est nécessaire pour le démontrer dans la vie.
L’assurance que notre démonstration sera infailliblement rendue possible par Dieu repose sur de nombreuses réalités. Par exemple, (1) Jésus promet que rien ne peut nous arracher de sa main (Jean 10:28-29). (2) Il promet qu’un Défenseur viendra et ne nous laissera pas seuls dans cette bataille (Jean 14:16, 26 ; 15:26). (3) Jésus lui-même promet d’être avec nous jusqu’à la fin des temps (Matthieu 28:20). (4) Jésus prie pour que notre foi ne faiblisse pas et que le Père nous garde (Luc 22:32 ; Jean 17:11, 15). (5) Jésus reconnaît nos imperfections et prend des dispositions pour y remédier (Matthieu 6:12). (6) Jésus a enseigné que ce qui nous est demandé, même si c’est impossible de notre côté, n’est pas impossible avec Dieu (Matthieu 19:26). (7) Ce qui est exigé dans notre démonstration, c’est qu’il y ait une preuve de la vie donnée par Dieu, et non de l’imperfection. Ces vérités et d’autres nous donnent l’assurance que l’œuvre de Dieu dans nos vies apportera la démonstration de grâce exaltante requise au dernier jour11.
Ainsi, Piper maintient soi-disant sa bonne foi calviniste. Encore une fois, tout est par la grâce, n’est-ce pas ? Donc pas de problème avec la condition de l’obéissance évangélique, n’est-ce pas ?
Et enfin, après avoir exploré la métaphore biblique des arbres et des fruits, il conclut par ce qui suit :
En d’autres termes, un arbre est coupé non pas pour ses mauvais fruits ici et là. Il est coupé pour avoir produit tellement de mauvais fruits qu’il n’y a aucune preuve que l’arbre est bon. Ce que Dieu exigera lors du jugement, ce n’est pas notre perfection, mais des fruits suffisants pour montrer que l’arbre avait de la vie — dans notre cas, la vie divine12.
Ceci n’est tout simplement pas conforme à la doctrine réformée. Ce n’est pas une doctrine confessionnelle. Ce n’est pas une doctrine biblique. Ce n’est pas la doctrine de Luther, Calvin, Ursinus, Turretin, des théologiens de Westminster, ou même de Twisse (en latin). Dire que la présence de « fruits suffisants » est requise pour le salut, c’est dépasser la distinction réformée entre le droit et la possession et se placer dans une position où le salut est littéralement conditionné par les bonnes œuvres. Et le simple fait de dire que l’obéissance requise n’a pas à être parfaite, et que tout ce qui est nécessaire à cette obéissance sera de toute façon fourni par la grâce, n’apaise pas l’inquiétude.
Conclusion : cessez de sauver les meubles
En conclusion, je suppose que nous pouvons supposer que John Piper ne pensait pas vraiment ce qu’il a écrit. Peut-être qu’il essayait simplement de dire exactement ce que Mark Jones a résumé dans sa brève conclusion (même s’il ne partage pas vraiment les fondements théologiques pour le faire). Peut-être que Piper n’est qu’un théologien incompris qui n’est pas assez précis, ou qui utilise accidentellement des mots et des phrases erronés (qui ont fait l’objet de débats pendant des centaines d’années). Peut-être. Mais le fait est qu’il l’a effectivement dit et écrit, et qu’il l’a fait pendant des décennies. Indépendamment de l’intention, du motif, du cœur ou de quoi que ce soit, il a dit au monde que le salut n’est pas en fait par (ou à travers) la foi seule, mais que la justification l’est.
Et pour être le plus charitable possible : même si Piper ne voulait pas vraiment dire ce qu’il a dit, j’ai néanmoins tendance à être d’accord avec la réponse qu’Ursinus a donné à ceux de son époque qui parlaient des œuvres comme étant nécessaires au salut :
Nous préférerions ne pas utiliser ces formes de discours,
1. Parce qu’elles sont ambiguës.
2. Parce qu’elles engendrent des conflits et donnent à nos ennemis l’occasion d’ergoter.
3. Parce que ces expressions ne sont pas utilisées dans les Écritures, auxquelles nos formes de discours devraient se conformer le plus possible.
Ou mieux encore, les Marrow Men :
Puisque cette façon de parler de la sainteté par rapport au salut, est, nous la concevons, sans mandat dans l’Écriture Sainte, en dissonance avec les normes doctrinales de notre propre Église et des autres Églises réformées, ainsi qu’avec le discours choisi et délibéré des théologiens réformés traitant sur ces sujets — et comme il ne s’agit au mieux que de propositions male sonans13, qui peuvent facilement tromper, et par la suite changer, en une ombre ou un vecteur, pour transmettre des sentiments corrompus, et pour empêcher l’influence des œuvres sur le salut — nous ne pouvons qu’estimer que prêcher la nécessité de la sainteté en de tels termes a une conséquence dangereuse pour la doctrine de la libre grâce.
Un ultime plaidoyer
En fin de compte, je sais que je ne suis personne. Je sais que je ne suis qu’un ébéniste avec une pile de livres et une liseuse. Mais je lance néanmoins cet appel final à tous mes frères presbytériens et réformés qui écouteront : S’il vous plaît, défendez ce que Piper a réellement dit et écrit, ou cessez d’agiter « une ombre… pour transmettre des sentiments corrompus ».
P.S. : Oui, nous savons que Piper ne nie pas la justification par la foi seule. Et non, ce n’est pas un hérétique, bien au contraire.
- https://calvinistinternational.com/2017/10/20/a-brief-wrap-up/[↩]
- Voir ici.[↩]
- https://www.desiringgod.org/articles/does-god-really-save-us-by-faith-alone[↩]
- Toutes les citations de cet article sont des traductions libres.[↩]
- i.e. les cinq solas[↩]
- https://www.desiringgod.org/articles/how-to-train-your-dragons[↩]
- http://www.christianitytoday.com/ct/2009/june/29.34.html?start=1[↩]
- PIPER, John, A Godward Life: Savoring the Supremacy of God in All of Life, Doubleday Religious Publishing Group, 2001, pp. 171-173)[↩]
- WITSIUS, Herman, Economy of the Covenants Between God and Man, éd. Reformation Heritage Books, 2012, 3.8.52[↩]
- PIPER, John, What Jesus Demands From The World, Crossway Books, 2006, p. 160[↩]
- PIPER, John, What Jesus Demands From The World, Crossway Books, 2006, p. 210[↩]
- PIPER, John, What Jesus Demands From The World, Crossway Books, 2006, p. 211[↩]
- Note éditeur : traitant de choses possiblement vraies, mais avec des mots inappropriés.[↩]
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