Comment utiliser la plasticité de l’Eglise à notre avantage ?
1 février 2021

Dans un précédent article, je développais le concept de plasticité de l’Église. Je reprends la définition complète que j’avais déjà écrite :

La plasticité de l’Église est la propriété qu’à l’Église d’être influencée et de s’adapter à la culture de son époque, même sur des doctrines importantes. Elle est le contraire de l’isolation, où l’on considère que l’Église est la même à toutes les époques, qu’elle n’est pas influencée par le monde, et que sa doctrine est hors de portée de tout biais environnemental.

Ainsi, l’Église soutient l’esclavage dans les périodes esclavagistes, puis son abolition quand se répand la philosophie libérale abolitionniste. Elle rejette les syndicats aussi longtemps qu’elle est encore soumise à l’influence de l’Ancien Régime, puis elle adhère aux syndicats quand les régimes libéraux triomphent. Elle ignore l’écologie quand la nation ignore l’écologie, puis elle en fait une grande cause quand la nation en fait une grande cause. Tout cela sont des manifestations de la plasticité de l’Église.

  • La cause formelle de cette plasticité est dans la définition ci-dessus, mais nous devrons en définir la nature exacte.
  • La cause matérielle est la tradition de l’Église, qu’il s’agisse de sa tradition doctrinale, ou pratique.
  • Les causes efficaces sont les différentes factions intellectuelles et philosophiques qui agitent une société. Je précise bien : les courants de la société.
  • La cause finale sera détaillée après. En apparence, il s’agit d’une corruption de la tradition de l’Église, qui à ce titre ne devrait être définie que comme une « privation de vérité ». Je pense plutôt que la plasticité de l’Église est conçue par Dieu pour lui permettre de remplir son rôle de matrice d’une société chrétienne. Si l’Église était totalement hors d’atteinte des flux culturels de son temps, elle ne pourrait pas former un peuple au sein des nations.

De là, on m’avait posé la question suivante en commentaire, que je cite :

Lorsque l’Église cède à un environnement proposant — le plus souvent de manière insidieuse — une philosophie (voire même une politique) qui finalement cherche à annihiler (directement ou indirectement) le christianisme, n’y a-t-il pas nécessité d’identifier ce risque et d’affirmer notre identité chrétienne ?

Plus concrètement, quelles sont les limites à cette « plasticité » ?

Dans cet article, je vais donc préciser quelles sont les limites, et comment placer les limites.

Détecter quand ça ne va pas

Dans l’Église où j’ai grandi, on avait à cœur d’avoir un christianisme biblique et non simplement culturel. Si la plasticité de l’Église existe vraiment, alors cette distinction est floue : tous les christianismes sont culturels. Mais l’instinct de base reste bon : nous voulons une culture qui soit soumise à la volonté de Christ, une culture conforme aux Écritures.

Sur ce sujet classique du discernement, beaucoup de choses ont déjà été écrites : la chose la plus urgente à faire est de lire et connaître les Écritures de la façon la plus approfondie possible. Le témoignage de la Bible est suffisant et efficace pour identifier « ce qui ne va pas » dans notre christianisme, ce qui est étranger à la volonté de Christ.

Mais je profite de cet article pour défendre aussi l’intérêt de la tradition, et particulièrement de la tradition confessionnelle. En effet, la Bible seule n’est pas suffisante pour résoudre les problèmes d’interprétation, et il y a parfois besoin d’un autre témoignage que notre seule compréhension de la Bible. Après tout, notre interprétation même est teintée par notre environnement. Par exemple, l’arminianisme a vraiment prospéré dans des époques où l’on avait particulièrement confiance dans le libre-arbitre de l’homme (fin XIXe – début XXe siècle en particulier). Ou bien encore, on remarquera que le pessimisme prémillénariste prospère dans des époques pessimistes, et que l’optimisme postmillénariste prospère dans des époques optimistes. La Bible n’est pas toujours suffisante, il nous faut aussi une interprétation normative capable de cribler notre propre interprétation.

C’est le rôle des confessions de foi, et des traditions théologiques. En s’inscrivant dans une tradition ancrée dans le temps, vous « lissez » les déformations dues à votre propre époque. Ce n’est pas une protection absolue. J’ai été surpris d’apprendre récemment que ce que je croyais être l’eschatologie réformée classique était en fait un développement plus récent datant de ce dernier siècle. Mais la différence n’est pas énorme : grâce à mon ancrage dans mon héritage réformé, je ne suis pas qu’une girouette emportée à tout vent de doctrine, et toute mode intellectuelle.

Lisez la Bible, adhérez à une confession de foi, connaissez votre propre tradition : à partir de là, les « défauts » vous apparaîtront clairement et très facilement.

Comment corriger notre culture

Le sujet est vaste et intimidant, et je ne vais faire qu’effleurer la question. Puisque la plasticité de l’Église s’impose à nous comme un habitus, c’est donc qu’il nous faut changer d’habitude culturelle. Cela demande d’être intentionnel, et d’identifier clairement ce que nous voulons changer. Et pour acquérir une culture vertueuse, je vais me baser sur Aristote, et les conseils qu’il donne pour acquérir les bons habitus dans l’Éthique à Nicomaque (II,9) :

  • Il faut commencer par s’éloigner de ce qui est le plus contraire au juste milieu : par exemple sur les relations entre les genres, une fois que vous avez identifié un excès de féminisme dans votre doctrine de l’homme, alors vous devez travailler à vous en débarasser, purement et simplement. Vous devez décider de vous garder de toute erreur et de vous en éloigner.
  • Ensuite, il conseille de s’éloigner le plus possible du vice qui est présent en nous. Si vous êtes trop patriarcal, alors visez le féminisme et vous obtiendrez une position à peu près juste. Si vous êtes trop féministe, alors visez le patriarcat, et il y a de bonnes chances que vous arriviez à un comportement modéré.
  • Enfin, il faut se méfier des modes d’action trop plaisants et confortables. Le plaisir nous fait faire de mauvais jugements. En se méfiant voire en rejetant le plaisir, nous verrons de façon plus claire ce qui est vertueux. Appliqué à notre doctrine et notre culture, cela signifie surtout que nous ne devons pas nous fier à nos sentiments d’être justes et orthodoxes : c’est devant la Bible seule, aidés de la Tradition que nous pourrons atteindre la justice et l’orthodoxie. Du moins, si nous voulons vraiment être honnête plutôt que dans le confort.

Bien entendu ce n’est pas tout ce qui est à faire, mais c’est un bon début. Agir de façon volontaire, déterminée, et musclée au début nous permettra de changer nos habitus, même les mieux acquis. C’est ainsi que nous pourrons chaque jour être plus conforme à la volonté de Dieu.


Illustration : Hippolyte Camille Delpy Le Pont neuf et le Quai des Orfèvres, Paris, huile sur toile, 1875.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

sur le même sujet

Du mariage – Discipline des Églises réformées de France

Du mariage – Discipline des Églises réformées de France

Les promesses de mariage se feront devant témoin (parents, amis, voisins), en invoquant le nom de Dieu. Les promesses satisfaisant les conditions d’âge, de compétence et de publicité sont indissolubles. La présence des pasteurs est facultative, ce qui est cohérent avec le fait que le mariage n’est pas un sacrement chez les réformés.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *