Alors que je relis l’Institution de théologie élenctique de Turretin, je me propose de publier mes notes de lectures synthétisant les réponses de Turretin aux différentes questions qu’il aborde. François Turretin fut professeur de théologie à Genève de 1653 à 1687, successeur de Calvin à cette charge. Il fut un des derniers – et des meilleurs — théologiens protestants scolastiques ayant jamais existé. J’espère ainsi encourager le lecteur à découvrir le meilleur de la tradition réformée.
Question 6 : Quel est le genre de la théologie?
Il faut distinguer entre la théologie objective (telle qu’elle est écrite dans les livres) et la théologie subjective (le système que nous portons dans le coeur). La théologie objective est du genre de l’enseignement ou de la doctrine. Mais qu’en est-il de la théologie subjective ?
Considérant qu’il ne s’agit d’une affection, ni d’un acte, mais d’une disposition, dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote définit cinq dispositions intellectuelles (qui ont rapport au savoir) :
- L’intelligence : disposition à appréhender les premiers principes indémontrables d’une démarche scientifique ;
- La connaissance : disposition à être capable de démontrer des objets universels, que ce soit par induction ou déduction ;
- La sagesse : savoir qui rassemble à la fois les universels et les particuliers, qui est la plus haute des vertus intellectuelles ;
- La prudence : disposition à agir selon une certaine règle ;
- L’art : disposition à produire selon une certaine règle.
Le souci, c’est qu’aucune de ces vertus ne peut correspondre à la théologie subjective, telle qu’elle est présente dans notre coeur:
- Toutes ces vertus sont des vertus intellectuelles, alors que la théologie est une disposition quant au croire.
- Ce sont des habitudes naturelles, inventées et améliorées par des non-croyants, tandis que la théologie est surnaturelle et donnée par Dieu.
- Elles sont soit théoriques (intelligence, connaissance, sagesse), soit pratiques (prudence, art). Or la théologie est les deux à la fois (ce qui sera le sujet de la question suivante).
- La théologie n’est pas une intelligence parce que l’on connaît aussi bien les principes premiers que la conclusion.
- Elle n’est pas une connaissance, parce que les principes de la théologie ne sont pas connus de nous, mais révélés par Dieu.
- Ce n’est pas de la sagesse humaine parce que ni les principes ni les conclusions n’en sont accessibles aux hommes de façon naturelle.
- Ce n’est pas de la prudence, parce que la théologie ne porte pas seulement sur ce qu’il faut faire, mais aussi sur ce qu’il faut croire.
- Ce n’est pas non plus de l’art, parce que la théologie n’est pas une méthode de production.
Mais elle est tout de même analogue à ces vertus, de façon éminente :
- Dans la mesure où elle contient les premiers principes du savoir, la théologie ressemble à l’intelligence. (Psaume 119,34, 73)
- Dans la mesure où elle démontre des conclusions, elle ressemble à la connaissance. (Psaume 119,66 ; Ésaïe 5,13)
- Dans la mesure où elle traite Dieu, l’alpha et l’oméga, la cause première et finale de toute chose, elle ressemble à la sagesse. (1 Corinthiens 2,6)
- Dans la mesure où elle dirige notre action, la théologie est une prudence. (Psaume 119,98)
- Dans la mesure où elle édifie l’Église, la théologie est un art. (Proverbes 1-5 ; 1 Corinthiens 3,11 ; 2 Corinthiens 6,1)
Mais s’il faut se limiter à un seul habitus, alors la théologie est la plus proche de la sagesse, et c’est le nom qu’on lui donne dans les Proverbes. On peut y rajouter les arguments suivants :
- La sagesse est la connaissance des choses les plus hautes. Or Dieu est la chose la plus haute que l’on puisse connaître. Donc la théologie est une sagesse.
- La sagesse est une vertu que l’on dit architectonique, c’est-à-dire qu’elle agit comme un architecte à l’égard des autres vertus, disant à chacune comment elle doit s’articuler à l’autre pour bien agir. Or la théologie est la reine des sciences, et elle articule tous les domaines de savoir humain pour élaborer ensuite une vision du monde chrétienne qui nous permette d’agir bien. Elle est donc une vertu architectonique, comme la sagesse.
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