Alors que je relis l’Institut de Théologie Elenctique de Turretin, je me propose de publier mes notes de lectures synthétisant les réponses de Turretin aux différentes questions qu’il aborde. François Turretin était professeur de théologie à Genève de 1653 à 1687, successeur de Calvin à cette charge. Il est un des derniers – et meilleurs – théologiens protestants scolastiques ayant jamais existé. J’espère ainsi encourager le lecteur à découvrir le meilleur de la tradition réformée.
Sujet 1 : La théologie
Question 7 : La théologie est-elle théorique ou pratique?
Contexte (§1-2)
Avant l’époque moderne, les scolastiques s’étaient posé la question de la nature de la théologie : était-elle un savoir pur (théorique ou spéculative) ou bien était-elle en vue d’autre chose (pratique) ?
- Certains défendaient que la théologie était purement spéculative, ne visant aucune application : Henry de Ghent, Durandus, Joannes Rada.
- D’autres défendaient qu’elle était purement pratique, comme Duns Scott.
- Certains voulaient dépasser ce couple et proposaient que la théologie était dilective, c’est-à-dire qu’elle avait l’amour pur comme but : Albert le Grand (professeur de Thomas d’Aquin), Bonaventure (collègue de Thomas d’Aquin), Gilles de Rome.
- Enfin, certains défendaient que la théologie était mixte, pratique et théorique à la fois :
- avec un accent sur la théorie (Thomas d’Aquin),
- avec un accent sur la pratique (Thomas de Argentina).
Outre ces questions anciennes, du temps de Turretin deux autres écoles poussaient pour que la théologie soit considérée comme purement pratique sans élément théorique «pur» : les sociniens (précurseurs des libéraux) et les remontrants (ou arminiens). Ces derniers adhéraient à l’idée d’une religion naturelle suffisante pour le salut, et préféraient évacuer certains articles trop théoriques, comme la Trinité, l’Incarnation, etc., considérés comme inutiles pour le salut. Contre cela, la position orthodoxe est la suivante :
Parmi les orthodoxes, certains tiennent que la théologie est purement pratique, mais la plupart disent qu’elle est mixte : pour certains la théologie est plutôt théorique, et d’autres elle est plutôt pratique. Nous [Turretin] considérons que la théologie n’est ni simplement théorique, ni simplement pratique, mais en partie théorique et en partie pratique, dans le sens où elle connecte en même temps des théories sur ce qui est vrai et la pratique de ce qui est bon. Cela dit, elle est davantage pratique que théorique.
Définitions (§3-5)
Selon les mots de Turretin, un système théorique est préoccupé uniquement par la contemplation et n’a pas d’autre objet que la connaissance. Un système pratique ne consiste pas seulement dans la connaissance de la chose, mais sa nature même est d’être mis en pratique. Une connaissance peut être pratique de deux façons : absolument, ou accidentellement. Ainsi, l’éthique est une science pratique de façon absolue, parce que le principe même de l’éthique c’est de savoir comment agir. Par contre la physique est une science pratique de façon accidentelle, parce qu’à partir des théories physiques, on élabore une technologie qui n’est pas le fruit direct des réflexions des physiciens. La théologie est pratique de façon absolue, et non accidentelle.
Turretin compare alors la théologie à la médecine, dans le sens où la médecine est elle aussi composée d’un gros corpus de connaissances purement théoriques, mais ces connaissances théoriques n’ont pas d’autre but que la mise en application de ces connaissances en un art de la guérison.
Arguments (§6)
On prouve que la théologie est mixte de la façon suivante :
- L’objet de la théologie est Dieu, qui est la plus haute vérité (objet de la théorie) et le plus grand bien (objet de la pratique).
- L’homme a pour but d’être rendu parfait en connaissance de la vérité (théorie) et amour du bien (pratique) dans la foi (doctrine) et l’amour (pratique).
- Le principe est à la fois externe : la Parole de Dieu qui nous enseigne ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire, et interne : l’Esprit de Dieu (qui transforme notre connaissance et nos dispositions à agir).
- Dans la Bible, on lie fortement la connaissance à la pratique (Jean 13.17 ; 1 Jean 2.5) et il n’y a pas de pratique droite sans une connaissance droite (Jean 17.3).
- Le but suprême de l’homme est le bonheur, qui consiste à la fois dans la vision (théorie) et la jouissance (acte, donc pratique) de Dieu, qui viennent de notre assimilation en lui (Jean 13.17).
Cela répond à l’objection de Maximus Georgelus qui, en s’appuyant sur Thomas d’Aquin, maintient que la théologie est mixte mais surtout théorique, parce que son résultat principal est la connaissance de Dieu. À ceci je réponds que son résultat principal est la jouissance de Dieu, qui est un acte. Elle est donc mixte, mais surtout pratique.
0 commentaires