Contre les sceptiques catholiques — Turretin (1.12)
13 mars 2021

Les doctrines de foi et de mœurs doivent-elles être prouvées uniquement à partir des mots explicites de l’Écriture ? Ou peuvent-elles être légitimement déduits en conséquence de l’Écriture ? Nous affirmons la deuxième proposition.

Nous avons déjà documenté dans un article la stratégie apologétique romaine qui a accidentellement renforcé l’athéisme en France, à travers l’œuvre funeste du cardinal Perron et de François Véron. La stratégie consistait à réfuter le sola scriptura par une réduction à l’absurde, et exiger des protestants qu’ils n’acceptassent rien d’autre que ce qui était explicitement dit dans l’Écriture, et qu’ils rejetassent tout usage de la raison humaine par un scepticisme de type pyrrhonien. Selon les apologètes catholiques, la raison humaine était si indigne de foi qu’il fallait se rabattre sur le magistère romain comme seule source capable de nous fournir une doctrine chrétienne. Ils sont donc les ancêtres des apologètes catholiques actuels, qui visent à réduire le sola scriptura en un nuda scriptura, qui malheureusement a trop souvent cours dans les milieux évangéliques.

Mgr Jacques Davy du Perron (1556-1618), auquel s’oppose Turretin ici.

Turretin réfute ici cette approche :

Le cinquième article de la confession de foi française [de La Rochelle] (d’où semble venir la phrase qu’ils nous attribuent) affirme en effet la perfection de l’Écriture en disant : « Cette Parole est la règle de toute vérité et contient tout ce qui est nécessaire au service de Dieu et à notre salut; il n’est donc pas permis aux hommes, ni même aux anges, d’y rien ajouter, retrancher ou changer. » Mais elle ne dit pas que rien ne doive être ajouté de ce que nous trouvons en bien des mots de l’Écriture. Je dirais même plus, en mentionnant à la fin de l’article cinq les trois symboles reçus par nous (Apôtres, Nicée et Athanase) il montre suffisament que nous ne recherchons pas seulement la lettre, mais la vérité même des doctrines et du culte. Il signifie donc que la parole de Dieu seule mérite l’adhésion au lieu de toutes les traditions, mais que nous ne sommes pas retreints à ses mots en excluant ce que l’on peut déduire des mots.

Turretin, ITE, I.12.2

Formulation de la question (§§ 3-8)

De quel genre de déduction (il préfère parler de conséquences) François Turretin parle-t-il ? En résumé :

  • Les déductions implicites, qui sont faites à partir du sens des mots, et non de leur lettre seule. Par exemple, lorsque nous identifions le « Fils de l’Homme » à la figure messianique de Daniel, même si selon la lettre c’est seulement Jésus dans l’Évangile.
  • Les déductions matérielles, qui viennent de l’Écriture. Il n’est pas question par exemple de déduire que Jésus reviendra au temps de la télévision parce que « tout œil le verra ». Bref, les déductions de l’exégèse et non de l’eiségèse (quand on rajoute des choses à nous dans le texte).

Il écarte tout de suite les gamineries véronistes qui disaient : « Vous ne pouvez pas rejeter le purgatoire parce qu’il n’est écrit nulle part dans la Bible : En vérité je vous le dis, il n’y a point de purgatoire. » Il suffit qu’il y ait des principes qui s’y opposent dans l’Écriture (par exemple : la grâce de Christ seule suffit pour être sauvé) pour rejeter (il n’y a pas de…) cette doctrine. En sens inverse, toute affirmation doctrinale doit être traçable dans l’Écriture.

Il est à noter que plusieurs auteurs catholiques s’opposaient aux scepticisme de Véron : Turretin cite Bellarmin, Canon, Salmeron, Torquemada. Ceux-là acceptaient que les déductions faites à partir des Écritures soient considérées comme des doctrines prouvées.

La question est donc de savoir si, au delà des mots explicites de l’Écriture, les conséquences évidentes et nécessaires sont admissibles dans la théologie ; ou si les doctrines de foi et de moeurs peuvent être légitimement prouvées à partir [de ces déductions]. Cela nous l’affirmons ; nos opposants le réfutent.

ITE, I.12.8

Argumentation (§ 9)

  1. En 2 Timothée 3,16 et Romains 15,4 il est écrit que les Écritures servent à la doctrine, la réprimane, la correction, l’instruction et le confort, ce qui n’est possible que si la déduction normative est possible.
  2. La nature de l’homme est à la fois religieuse et rationnelle, et pour cette raison il peut utiliser sa raison pour aller au-delà des simples lettres, jusqu’au sens du texte.
  3. Si on peut partir des mots d’un sage humain pour comprendre ensuite le sens plus complet, alors à combien plus forte raison peut-on partir des mots du Dieu infiniment sage pour en déduire des conséquences fiables.
  4. Ce sont des pratiques d’hérétiques que de refuser les déductions et d’exiger seulement une citation verbatim. C’est ce que faisait déjà Arius et les Macédoniens (qui niaient la personnalité du Saint-Esprit) en leur temps.
  5. Les catholiques eux-mêmes utilisent des déductions pour prouver leurs doctrines.
  6. Christ lui-même a utilisé la déduction pour prouver une doctrine. Dans son échange avec les saduccéens en Matthieu 22,32, il part d’un verset qui dit que Dieu est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob pour en déduire que les patriarches sont vivants et ressuscités, puisque Dieu est le Dieu des vivants et non des morts. Et sa conclusion a fait autorité contre les saducéens.

Objections (§§ 10-35)

Cette question est très intéressante, mais je n’ai pas le temps de détailler vingt-cinq objections ! Je me contente donc de retenir celles qui sont toujours utilisées aujourd’hui.

§13
Objection : La raison humaine est faillible, elle a donc besoin du magistère pour savoir ce qui est vrai.
Réponse : Ce n’est pas parce que la raison peut se tromper que cela arrive tout le temps. Sinon, absolument toutes les connaissances sont renversées, et on pourrait même douter que le monde extérieur existe parce que le témoignage de nos sens est faillible après tout.

§18
Objection : Si on suit la logique réformée, alors il faudrait que tous les croyants aient un doctorat en théologie et soient de gros intellectuels pour connaître la doctrine chrétienne.
Réponse : Il suffit qu’ils la connaissent selon leur capacité : la lumière naturelle suffit, il n’y a pas besoin d’un doctorat en logique formelle pour déduire des choses à partir des Écritures.

§20
Objection : Les protestants font exactement comme les hérétiques qui réduisaient les sources de théologie à l’Écriture seule, à l’exclusion de la Tradition.
Réponse : L’abus ne supprime pas le juste usage. C’est d’ailleurs par l’Écriture que les raisonnements des hérétiques sont renversés.

§21
Objection : Les croyants sont appelés à être comme des petits enfants, pas comme des académiciens.
Réponse: Les croyants ne sont pas non plus appelés à être des ânes. Aussi longtemps que nous cherchons la voix de Christ dans nos raisonnements et déductions directe, que nous ne nous éloignons pas trop des Écritures, il n’y a pas de raison de craindre cela.

§22
Objection : L’Écriture est parfaite, il n’y a donc pas besoin d’y rajouter de raisonnements.
Réponse: Et bien si, pour expliquer et appliquer cette règle parfaite, justement.

§30
Objection : En 2 Pierre 1,20, il est écrit « qu’aucune prophétie de l’Écriture ne peut être un objet d’interprétation particulière ».
Réponse : Et pourtant il est aussi écrit de sonder les Écritures (1 Corinthiens 2,13), de les utiliser pour corriger et redresser (2 Timothée 3,16). Il s’agit ici de dénoncer l’eiségèse qui consiste à lire dans les Écritures ce que j’ai dans ma propre tête, plutôt que de chercher ce que dit le texte en lui-même.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *