Au lendemain du vendredi saint, il est une question qui doit tourmenter notre esprit autant que celui des disciples d’alors : comment est-ce possible ? Qui a cloué Jésus-Christ à la croix ?
Dans La Croix de Jésus-Christ, le théologien anglican John Stott nous livre plusieurs réponses. Le Père a donné son Fils pour qu’il meure1. Le Christ s’est donné lui-même2. Les chefs des Juifs ont livré Jésus3. Les Romains l’ont crucifié4. Le peuple a préféré sa mort à celle de Barabbas5. René Girard, dans Le Bouc Émissaire médite sur la façon dont les autorités comme les foules sont liguées contre l’Oint6.
Mais un coupable doit encore paraître à la barre. Pour le découvrir, considérons comment un peintre réformé, Rembrandt a illustré l’Élévation de la Croix (1633).
Parmi les personnes qui élèvent la croix et participent à la crucifixion, vous avez peut-être remarqué celui qui porte un béret bleu. Il ne s’agit de personne d’autre que du peintre lui-même. Le premier à prêter main forte aux assassins du Christ, c’est moi. Nous avons mis le Christ en croix en tant que participants à cette race corrompue d’Adam qui se rebelle contre Dieu. Mais, en tant que croyants qui bénéficions de ce que le Christ a fait à la croix, nous sommes d’une manière particulière liés à cette croix : ce sont nos fautes qu’il a portées. « Maudit soit celui qui est pendu au bois » dit la Loi7. Mais pourquoi Christ serait-il maudit, lui l’Agneau innocent, si ce n’est pour les fautes d’un autre8 ? Oui, nos fautes ont mis Christ en croix. Si aujourd’hui nous pouvons par la foi être identifiés à celui qui est mort et ressuscité pour nous, il nous faut premièrement reconnaître que nous sommes par naissance et par volonté naturelle identifiés à ceux qui l’ont mis en croix.
Car, pour voiler nos péchés, qu’y avait-il d’autre que sa justice ? Par qui était-il possible de nous rendre justes, nous les transgresseurs, les impies, sinon par le seul Fils de Dieu ? Ô le doux échange, l’œuvre insondable, les bienfaits inattendus : la transgression d’un grand nombre est effacée par un seul juste, la justice d’un seul rend justes de nombreux transgresseurs !
Épitre à Diognète par POUDERON, Bernard et alii (dir.), Premiers écrits chrétiens, Paris : Gallimard, 2016, pp. 818-819.
La foi ne fait pas seulement que l’âme, semblable à la Parole divine, soit remplie de toutes les grâces, libre et bienheureuse, mais elle unit de plus l’âme au Christ comme une épouse à son époux. De ces noces s’ensuit comme le dit saint Paul (Ép. 5, 30), que le Christ et l’âme ne font qu’une seule chair, alors les biens des deux, bonheur et malheur, toutes choses leur sont communes : ce qui est au Christ revient à l’âme croyante, ce qui est à l’âme revient au Christ. Ainsi le Christ possède-t-il tout bien et toute béatitude, et ceux-ci reviennent à l’âme ; ainsi l’âme a-t-elle sur elle tous les vices et les péchés, et ceux-ci reviennent au Christ. Alors s’instaurent une querelle et un échange joyeux. Le Christ étant Dieu et en même temps un homme qui n’a encore jamais péché, sa justice étant invincible, éternelle et toute-puissante, s’il fait siens, grâce à l’anneau de l’épouse, c’est-à-dire grâce à la foi, les péchés de l’âme croyante et fait comme s’il les avait lui-même commis, alors les péchés doivent s’engloutir et se noyer en lui. Car son invincible justice est trop forte pour tous les péchés, et l’âme se trouve alors, grâce à sa seule dot, sa foi, débarrassée, libre de tous ses péchés et douée de l’éternelle justice de son époux le Christ. N’est-ce pas là un heureux ménage, quand un riche, noble et juste époux comme le Christ épouse une malheureuse petite putain, mauvaise et méprisée, la débarrasse de tous les maux et la pare de tous les biens ? Il est alors impossible que ses péchés la condamnent, car ils reposent maintenant sur le Christ et sont engloutis en lui ; et elle possède ainsi en son époux une justice si riche qu’elle peut, une fois encore, résister à tous les péchés, quand bien même ils reposeraient sur elle.
LUTHER, Martin, De la Liberté du chrétien – préfaces à la Bible ; la naissance de l’allemand philosophique, Paris : Éd. du Seuil, 1996, pp. 40-41.
Oui, tous les biens du Christ sont à nous désormais. Nous prions en son nom, nous sommes fils par le Fils, baptisés en lui, unis à son corps et son sang par la foi. Et pour mieux contempler ces richesses, il convient de placer ces joyaux sur le noir écrin de ce que nous étions sans le Christ. L’Épitre à Diognète, avant la section citée plus haut, veille à dépeindre cette noirceur :
Lors donc que notre malice fut montée à son comble, qu’il fut démontré que nous n’étions dignes que de châtiment, et que nous n’avions plus que la mort en perspective, arriva le temps que Dieu avait marqué pour signaler tout à la fois sa bonté et sa puissance, et montrer que son immense amour pour l’homme ne laissait aucune place à la haine ; qu’il était loin de nous avoir rejetés ; qu’ils ne se souvenait plus de nos iniquités ; qu’il les avait souffertes et supportées avec patience, alors qu’a-t-il fait ? Il a pris sur lui nos péchés ; il a fait de son propre Fils le prix de notre rançon, substituant le saint, le juste, l’innocent, l’incorruptible, l’immortel, à la place de l’homme pécheur, inique, pervers, sujet à la corruption, dévoué à la mort.
Illustration en couverture : Le Procès du Christ, Duccio di Buoninsegna, 1308/1311.
- Jean 3,16.[↩]
- Jean 10,18.[↩]
- Luc 22,2.[↩]
- Jean 19,18-19.[↩]
- Actes 3,14.[↩]
- Cf. le psaume 2.[↩]
- Galates 3,13.[↩]
- « Or maintenant, il est certain que ce n’a point été pour soi qu’il a enduré ce genre de mort ; il s’ensuit donc : ou qu’il a été crucifié pour rien, ou que notre malédiction a été posée sur lui, afin que nous en fussions délivrés. Il ne dit pas que Christ ait été maudit, mais qu’il a été fait malédiction, ce qui est bien plus, car il déclare que la malédiction de tous les hommes a été enclose en lui. Si quelqu’un trouve ceci dur à dire, qu’il ait aussi honte de la croix de Christ, en la confession de laquelle gît toute notre gloire ! Car Dieu n’ignorait pas quelle devait être la mort de son Fils, quand il disait ceci : Maudit quiconque est pendu au bois. » CALVIN Jean, sur Galates 3,13, dans Commentaires de Jean Calvin sur le Nouveau Testament, Tome VI, Labor et Fide, Genève, 1965, p. 66.[↩]
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