8 mai 2021

Comme je l’ai expliqué dans un récent article, quelqu’un m’a fait parvenir des critiques de la distinction entre livres ecclésiastiques et livres canoniques que je proposais, à la suite de plusieurs docteurs réformés, pour comprendre pourquoi certains Pères incluaient des apocryphes dans leur canon. Pour faire simple, la thèse est que lorsqu’ils listent ces livres dans le canon, ils parlent en fait du canon des livres destinés à être lus publiquement dans l’Église et non du canon des livres inspirés. D’autres utilisent le terme canon d’une manière plus restreinte pour n’englober que les livres inspirés (c’est le cas de Jérôme et de Rufin en Occident, ainsi que de la plupart des Pères orientaux). J’ai d’abord rapporté la façon dont Jean Damascène exclut explicitement les apocryphes du canon et la façon dont Rufin d’Aquilée distingue livres canoniques (inspirés), livres ecclésiastiques (lus publiquement) et livres apocryphes (au sens strict de livres hérétiques). Je compte expliquer dans un article à venir l’opinion d’Augustin, qui nécessite un développement plus conséquent. En attendant, je complète mon argumentation par un nouveau texte d’Athanase d’Alexandrie, issu de sa Lettre festale 39.

Nous avons les saintes Écritures qui nous suffisent à nous instruire complètement. Si nous les lisons avec attention et bonne conscience, nous serons comparables à l’arbre planté sur le cours des eaux, et qui donnera son fruit à son temps, et ses feuilles ne se faneront pas. Mais puisque j’ai dit que les hérétiques sont des sots et que nous avons les Écritures, souffle de Dieu, pour que nous soyons sauvés par elles, et puisque je crains que, à cause de l’astuce des hommes, des gens simples ne s’égarent loin de la simplicité et de la pureté qui mène au Christ, comme Paul l’a écrit aux Corinthiens, et qu’ils ne commencent en outre à lire dans les livres apocryphes, abusés par le nom des livres vrais, comme si ceux-là comptaient parmi ceux-ci, je vous en prie, donc, supportez de voir si les livres que vous connaissez sont ceux que je vais vous écrire par l’amour et le besoin de l’Église.

En décidant de les rappeler, je vais me servir de la formule de l’évangile de Luc en guise de soutien à mon audace et en disant moi aussi ainsi : « Puisque certains ont entrepris d’écrire pour eux-mêmes les livres qui se sont appelés apocryphes et les ont placés avec les Écritures inspirées par Dieu, celles dans lesquelles nous avons foi, comme les ont données à nos pères ceux qui ont vu de leurs yeux depuis le début et qui sont devenus les serviteurs de la parole, il m’a paru bon à moi aussi, qui connais dès le début et qui suis encouragé par des frères sages, de vous montrer les livres canonisés qui nous ont été donnés car ils sont crus d’origine divine, afin que celui qui a été trompé condamne ceux qui l’ont égaré, mais que celui qui est resté sain, se réjouisse quand on lui rappelle les livres canonisés.

Ceux de l’Ancien Testament sont au nombre de vingt-deux : ce sont en effet ceux qui nous ont été transmis comme étant aussi chez les Hébreux. L’ordre de lecture et leurs noms sont : le premier est la Genèse, après elle l’Exode, puis le Lévitique ; après ceux-là, les Nombres et le Deutéronome et encore Jésus de Navé [Josué], les Juges et Ruth ; après cela les quatre livres des Rois, le premier et le second livre comptés pour un, le troisième et le quatrième comptés pour un ; après ceux-là, les deux livres des Paralipomènes, comptés pour un ; après cela Esdras, également encore le premier et le deuxième livre comptés pour un ; après cela le livre des Psaumes et des Proverbes, ensuite l’Ecclésiaste et le Cantique des cantiques ; outre ceux-là Job et puis les prophètes, les Douze prophètes, comptés pour un seul livre ; après ceux-là Ésaïe et Jérémie auxquels se joignent Baruch, les Lamentations et la Lettre ; après celui-ci Ezéchiel et Daniel. Jusqu’ici ce sont les livres de l’Ancien Testament.

Quant à ceux du Nouveau Testament, il ne faut pas hésiter à les nommer. Ce sont les quatre évangiles : selon Matthieu, selon Marc, selon Luc, selon Jean ; ensuite les Actes des apôtres et les sept épîtres dites catholiques ; une de Jacques, deux de Pierre, trois de Jean et une de Jude ; outre ceux-là, les quatorze épîtres de l’apôtre Paul, écrites selon l’ordre que voici : la première aux Romains, puis les deux aux Corinthiens, celle aux Hébreux, puis celle aux Galates et celle aux Éphésiens, ensuite celle aux Philippiens et celle aux Colossiens, après celle-là les deux aux Thessaloniciens : ensuite les deux à Timothée et celle à Tite, ensuite celle à Philémon et après cela l’Apocalypse.

Ce sont les sources du salut de sorte que celui qui est assoiffé jouisse des paroles qui y sont contenues. Car c’est en celles-ci qu’est annoncé l’enseignement de la piété. Que personne n’y ajoute ni y retranche. En effet, c’est à leur sujet que le Seigneur réprimanda les Saducéens en disant : « Vous vous trompez, car vous ne connaissez pas les Écritures ni la puissance de Dieu ». Et encore, il enseigna aux Juifs en disant : « Scrutez les Écritures, car ce sont elles qui me rendent témoignage ».

Pour vous fortifier davantage, je vais ajouter à ce que j’ai dit cet autre mot nécessaire : il y a d’autres livres en dehors de ceux-là, ils n’ont pas été canonisés mais définis par nos pères afin que les lisent ceux qui sont récemment entrés et qui désirent apprendre le discours de la piété : la Sagesse de Salomon, la Sagesse du fils de SirachEsther, JudithTobie, la Didascalie des Apôtres –je ne parle pas de celle dont on dit qu’elle condamne le Deutéronome – et encore le Pasteur.

Toutefois mes biens aimés, lorsque nos pères ont canonisé les premiers livres et ont néanmoins défini ceux destinés à la lecture, ils n’ont fait absolument aucune mention des apocryphes, mais pareille astuce est le fait des hérétiques. En effet, ce sont eux qui les écrivent quand ils veulent et ajoutent une chronologie, afin de les faire passer pour anciens et trouver la manière de tromper les gens simples. C’est une grande dureté de cœur de la part de ceux qui font ces choses-là et c’est ne pas craindre la parole qui est écrite : « N’ajoutez pas à la parole ce que je vous ordonne et n’y retranchez pas ». Qui a fait croire aux simples que ces livres-là sont d’Hénoch, alors qu’il n’existe pas d’Écriture avant Moïse ? D’où diront-ils qu’Ésaïe a des livres apocryphes, lui qui annonçait la bonne nouvelle sur des monts élevés avec franchise et disait : « Je ne parle pas en secret, ni dans un lieu d’une terre ténébreuse ? » Comment Moïse aurait-il écrit des livres apocryphes, lui qui dicta le Deutéronome prenant le ciel et la terre comme témoins ?

in Le canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur l’histoire de sa formation, Le monde de la Bible 54, Genève : Labor et Fides, 2005, pp. 197-219 (traduction : Gabriella Aragione).

Quelques remarques au sujet du canon d’Athanase :

  1. Celui-ci a l’intention de suivre le canon juif. Aussi, bien qu’il en exclue Esther et que, suivant la Septante, il regroupe avec Jérémie le livre de Baruch et la Lettre, il ne s’agit pas chez lui d’une volonté de recevoir autre chose que ce qui est reçu chez les Juifs, mais une confusion induite par la Septante, et le fait qu’il n’ait pas accès aux textes en hébreu1. Pour marquer la volonté de suivre les Juifs au sujet du canon, il était courant de regrouper des livres pour avoir un canon de vingt-deux livres, du nombre des lettres de l’alphabet hébreu.
  2. Il distingue très clairement, comme Rufin, les livres canoniques, les livres recommandés à la lecture (que Rufin appelle ecclésiastiques) et les livres apocryphes (au sens strict de livres pseudépigraphes et hérétiques).
  3. Les livres recommandés à la lecture comportent, comme pour Rufin, des livres juifs intertestamentaires et des écrits des premiers chrétiens.
  4. Ces livres, comme pour Rufin, sont destinés à la lecture en particulier pour instruire les enfants dans la foi.
  5. Comme Rufin, Athanase ne rapporte pas une décision récente ou une innovation mais affirme transmettre ce que « nos pères », ses prédécesseurs, ont enseigné lorsqu’ils ont distingué les écrits du canon et ceux destinés à la lecture.

Cet extrait confirme la thèse que j’ai rapportée sur ce blog : il existait bien chez les Pères une distinction entre ces livres (qui comportent des deutérocanoniques de l’Église romaine mais d’autres livres aussi) et les livres inspirés. Il est dès lors compréhensible que l’on puisse retrouver des listes comportant ces livres lorsqu’il s’agit de distinguer les livres hérétiques de ceux qui sont admis pour la lecture publique. Il serait hasardeux d’en déduire, à la lumière de ces textes, que les Pères incluaient ces livres dans le canon des livres inspirés.

On constate aussi que lorsqu’un père inclut des apocryphes dans le canon restreint (Baruch, la Lettre ou 3 Esdras, ce dernier livre étant apocryphe même encore dans l’Église romaine de nos jours), ce n’est pas par volonté de prendre ses distances avec le canon des Juifs, mais parce que les LXX regroupaient en un livre des textes inspirés et des livres intertestamentaires.

Au passage, remarquons qu’Athanase, dans une lettre qui traite d’une controverse théologique, affirme que les Écritures « suffisent à nous instruire complètement », qu’elles sont le « souffle de Dieu » et que nous sommes « sauvés par elles », qu’elles sont les « sources du salut », qu’elles « contiennent l’enseignement de la piété » et que personne ne doit y ajouter ou en retrancher quoi que ce soit.

Illustration en couverture : Vincent Van Gogh, Nature morte avec une Bible, huile sur toile, 1885.


  1. Il est possible aussi que, pour la même raison, ce qu’il appelle Esdras comporte 3 Esdras.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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