La raison est pour Dieu – résumé (8/12) : Le plus grand problème de l’homme, le péché
16 juin 2021

Cette série d’articles propose un résumé des arguments donnés par Timothy Keller en faveur du christianisme et contre les objections courantes contre la foi chrétienne dans son livre La raison est pour Dieu. C’est un très bon livre, assez généraliste dans ses réponses, dans le sens où il n’entre pas dans les détails philosophiquement et ne se base pas sur une tradition philosophique particulière (thomiste par exemple).

Mais il reste très bon comme première lecture d’apologétique et ouvrage de référence accessible à tous (croyants et non-croyants). Keller sait attirer l’attention du lecteur, présenter des arguments, tout en restant toujours humble et sympathique. Il est agréable à lire et très bien traduit.

Le but de cet article est de résumer et regrouper les arguments de Keller, mais aussi de les rendre plus compréhensibles. C’est pour ça que je les complèterai ou les expliquerai parfois un peu plus en détails. De plus, il est question de rendre accessible gratuitement ce que présente Keller, mais aussi de vous donner envie de le lire quand vous en aurez les moyens.


Parler de manière rigoureuse et approfondie du péché est important. Les gens réagissent souvent de deux manières lorsqu’ils pensent au péché. D’abord, ils le limitent souvent à des actions criminelles graves ou clairement aberrantes comme le meurtre, l’adultère, l’infidélité, le viol, les agressions, la corruption etc. Mais du moment que l’on n’a commis rien de tel, alors il n’y a aucune raison de dire qu’on est pécheur. Nous verrons que le péché tel que le définit la Bible est bien plus large et nous concerne tous.

Ensuite, l’idée du péché pousse beaucoup de gens à voir le christianisme comme une religion austère, lugubre, trop sérieux, exagéré, triste, sans vie, contre le plaisir etc. Cette vision est encore plus répandue chez les jeunes. Très concrètement, il n’y a qu’à voir les anime qui popularisent cette caricature du christianisme en le présentant comme quelque chose de macabre, sombre, noir, triste, repoussant. Par exemple : Shingeki no Kyojin, D.Gray-man, Sword Art Online, Fate/Zero, Vinland Saga, etc.

I. Le péché et l’espérance de l’homme

Ce que dit Keller ici va sûrement vous choquer. Affirmer que le problème de l’homme, c’est qu’il est pécheur, est déjà en soi une bonne nouvelle. Être pécheur (mauvais) suppose être responsable, capable de faire des actions volontairement et d’assumer leurs conséquences. Ainsi, quand on dit que l’homme est pécheur, on reconnaît que le problème vient de lui et qu’il peut le résoudre s’il est capable de changer. Nous verrons peu après qu’il est incapable de se délivrer de son péché et que seul Dieu peut le changer.

L’être-humain n’est donc pas juste une victime qui ne contrôle rien et qui subit tout. De même, le péché ne se réduit pas juste à des comportements psychologiques ou comportementaux, ou à des phénomènes sociaux, naturels ou biologiques issus de l’évolution. C’est quelque chose au plus profond de chaque individu.

Keller raconte l’histoire d’un jeune homme vivant dans le désespoir qui a donné un discours chez les Alcooliques anonymes. Il prétendait être victime de tout (du système, des blessures des autres), irréprochable mais jamais coupable de quoi que ce soit. C’est là qu’un homme lui a dit qu’il ne pouvait sortir de son désespoir qu’en reconnaissant qu’il est mauvais.

[Cet homme] voulait dire qu’il serait « perdu en lui-même » tant qu’il n’admettait pas sa condition humaine d’être-humain plein de défauts, son état de pécheur. Il ne connaîtrait pas la libération qui lui permettrait de voir ses propres manquements sous leur vrai jour, de pardonner à ceux qui l’avaient blessé et de rechercher humblement le pardon des autres. La doctrine du péché correctement comprise, peut être un moyen précieux pour amener l’homme à espérer.

La raison est pour Dieu, p. 192

II. La signification du péché

Voici la définition que le philosophe danois Søren Kierkegaard donne au péché dans La maladie à la mort : « Le péché c’est, par désespoir, ne pas vouloir être soi-même devant Dieu. » Keller la reformule avec ses propres mots : « Le péché est le refus désespérant de trouver son identité la plus profonde dans une relation avec Dieu et à son service. Pécher c’est chercher à devenir soi-même, à acquérir une identité en dehors de Dieu. » (La raison est pour Dieu, p. 192)

Le péché, c’est donc chercher à définir son identité en dehors de Dieu, pas seulement faire de mauvaises actions mais transformer de bonnes choses (la famille, le travail, les études, les relations amoureuses) en idoles, en « dieux » et les adorer au lieu d’adorer le seul vrai Dieu.

C’est donc essentiellement un acte religieux. Nous sommes habités par des passions et vouons littéralement un culte aux choses auxquelles nous rattachons notre identité sans même nous en rendre compte. Chacun essaye de trouver quelque chose capable de lui donner sa valeur personnelle, recherche la « signification cosmique » (Ernest Becker, The Denial of Death, p. 3, cité par Keller). Kierkegaard le rejoint aussi : tout le monde cherche un moyen de « justifier son existence » et de ne plus être un « bon à rien ».

A. Quelques exemples de substituts à Dieu

Le péché, par exemple, c’est chercher le sens de sa vie dans le sport. Par exemple, dans le film Les chariots de feu, un protagoniste qui s’entraîne en athlétisme pour les Jeux olympiques déclare :

À chaque fois qu’une épreuve commence, il n’a que dix secondes pour justifier son existence. Dans un autre film, Rocky, un boxeur explique à sa petite amie pourquoi il fait autant d’effort : « Je saurai alors que je ne suis pas un bon à rien. »

La raison est pour Dieu, p. 193

Le péché, c’est aussi définir sa vie par ses divertissements (Netflix, les jeux vidéos, la musique), ses richesses (son compte bancaire), ses possessions matérielles (sa maison, sa voiture, ses consoles, son smartphone), son travail, sa carrière, son conjoint, sa famille, ses enfants et/ou ses relations amoureuses, bref n’importe quoi d’autre que Dieu. Tout ça, ce sont les « dieux » classiques de nos sociétés modernes centrées sur individualisme (le bien-être de l’individu).

Du côté des sociétés traditionnelles (bien qu’il n’y en ait de moins en moins), les « dieux » deviennent l’importance et les services accordés à la famille et à la société, des pratiques et des traditions culturelles, le regard et l’approbation des autres (il ne faut surtout pas perdre la face ou au moins le montrer). Je pense notamment à la culture chinoise, même si les choses ont beaucoup changé.

B. L’échec de ces substituts

Malheureusement, tous ces substituts à Dieu finissent toujours par nous décevoir. Quand on choisit de dépendre totalement d’un substitut que l’on peut perdre ou qui peut arrêter de nous satisfaire à n’importe quel moment, il y a toujours un risque d’être déçus et la peur, l’anxiété que cela arrive. On peut aussi tomber dans une dépendance sévère qui nous rend esclave de cette chose : on devient littéralement « contrôlé » par celle-ci. Nous n’avons plus de volonté et de liberté, tous nos choix sont guidés par notre « dieu ».

Prenons comme exemple le plaisir et les relations amoureuses. Keller nous explique :

Si vous axez fondé votre vie et votre identité sur le plaisir, la satisfaction narcissique et le confort, vous finirez par devenir dépendant de quelque chose. Vous vous retrouverez enchaîné aux « stratégies d’évasion » qui vous permettent d’échapper aux duretés de la vie. ; [si vous l’avez fondée] sur votre conjoint ou votre partenaire, vous serez dépendant émotionnellement, jaloux et autoritaire. En outre, vous vous sentirez accablé par les problèmes de l’autre.

La raison est pour Dieu, pp. 309-310

Vous trouverez dans ces mêmes pages les points faibles d’autres substituts possibles comme la famille et les enfants, le travail et la carrière, l’argent et les possessions, les relations et l’approbation des autres, une « noble cause », la religion et la moralité.

III. Les conséquences du péché

A. Les conséquences personnelles du péché

Comme tout substitut à Dieu pour fonder son identité est instable, tous nous rendront anxieux et créeront une crainte constante de perdre son identité. Ils conduisent aussi à l’addiction (on devient esclave), une sorte de toxicomanie dans laquelle on finit par adorer quelque chose qui ne nous satisfait pas et ne nous satisfera jamais. On a bien là une religion :

Nous n’avons le choix qu’entre Dieu et l’idolâtrie. Si nous refusions Dieu… nous adorons des choses de ce monde en croyant que nous les voyons telles qu’elles sont, alors qu’en réalité, sans le savoir, nous imaginons les attributs de la divinité en elles.

Darcey Steinke, Easter Everywhere: A Memoir

Enfin, nous finirons par faire face au vide, à une insatisfaction profonde et au désespoir. Peu de gens le savent car peu ont les moyens d’obtenir tout ce qu’ils veulent. Mais même les gens qui ont réussi leur vie demeurent avec un vide qu’ils n’arrivent pas à combler. C’est comme s’ils se réveillaient d’un bon rêve qu’ils croyaient être réel.

1. L’exemple de milliardaires

Par exemple, Adolf Merckle, le PDG de Volkswagen, milliardaire et 94e homme le plus riche du monde, s’est suicidé en 2009. Pourquoi ? Parce que son entreprise était menacée par la crise financière. Comme quoi, même un homme qui a tout réussi, qui est devenu riche et a atteint les sommets de la classe sociale peut perdre sa fortune. Même si un homme riche ne risque pas de tout perdre, étant devenu dépendant des possessions matérielles, perdre de l’argent équivaudra au drame et le conduira au désespoir.

2. Le roi Salomon, un milliardaire !

Keller n’en parle pas, mais on a un exemple parfait dans la Bible elle-même : Salomon, le roi d’Israël, lorsque le royaume était le plus prospère et le plus puissant au Proche-Orient. Ni la richesse, ni les plaisirs, ni son harem de mille femmes (je n’exagère pas !), ni la sagesse et la connaissance n’ont comblé son vide.

Lui-même le dit :

Je me suis lancé dans de grandes entreprises : je me suis construit des maisons, je me suis planté des vignes, je me suis fait des jardins et des vergers et j’y ai planté toutes sortes d’arbres fruitiers. Je me suis fait des réservoirs pour arroser des pépinières. J’ai acheté des serviteurs et des servantes ; j’en ai eu d’autres, nés chez moi. J’ai aussi possédé des troupeaux de bœufs et de brebis, plus que n’importe qui avant moi à Jérusalem.
J’ai même amassé de l’argent et de l’or, les richesses des rois et des provinces. Je me suis procuré des chanteurs et des chanteuses et ce qui fait le plaisir des hommes : des concubines en quantité. Je suis devenu grand, plus grand que n’importe qui avant moi à Jérusalem, sans rien perdre de ma sagesse. Je n’ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu’ils réclamaient, je n’ai privé mon cœur d’aucune joie.
En effet, mon cœur était réjoui par tout mon travail, et c’est toute la part que j’en ai retirée. Puis j’ai réfléchi à tout ce que mes mains avaient entrepris, à la peine que j’avais eue pour le faire, et j’ai constaté que tout n’est que fumée et revient à poursuivre le vent. Il n’y a aucun avantage à retirer de ce qu’on fait sous le soleil. »

Ecclésiaste 2,8-11

En une phrase : « Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité » (Ecclésiaste 1,2). 

3. La solution : « bâtir sur » Dieu

Au contraire, en construisant notre identité en Dieu, nous la bâtissons sur un fondement solide que rien ne pourra ébranler car par définition Dieu est immuable, fidèle, parfaite et tout-puissant. La solution, Salomon nous la donne :

Crains Dieu et respecte ses commandements car c’est ce que doit faire tout homme.

Ecclésiaste 12,13

B. Les conséquences sociales du péché

1. Doit-on être surpris ?

Le péché n’affecte pas que nos vies personnelles mais toute la société. Ce qui donne des aberrations : des génocides commis par des états totalitaires, les inégalités entre les riches et les pauvres, la corruption etc. Tout cela peut ébranler ceux qui avaient au moins un petit espoir dans la bonté de l’homme. Cependant, cela n’étonne pas du tout le chrétien qui croit que depuis un événement historique (qu’on appelle le péché originel et la Chute), tout homme naît mauvais de nature et tend sans cesse naturellement à faire le mal.

2. Comment le péché détruit les relations sociales

Le choix que nous faisons d’aimer certaines personnes en particulier dépend de notre « but ultime ». Si nous mettons tout notre amour dans quelque chose d’autre que Dieu, c’est-à-dire quelque chose de limité et de fini, notre amour sera limité à une catégorie restreinte de personnes et nous mépriserons toutes celles qui ne rentrent pas dans cette case.

En résumé, dès qu’on fonde notre identité sur une cause que nous défendons (le féminisme, la tolérance, une ethnie, une classe socio-économique etc), nous serons amenés à mépriser la partie adverse. Plus nous attachons à une cause, plus nous serons tentés de rejeter ceux qui ne la partagent pas. Sur ce point, Keller reprend les propos de Jonathan Edwards dans un traité sur l’éthique sociale (The Nature of True Virtue, in The Works of Jonathan Edwards: Ethical Writings, vol. 8, Yale University Press).

Cela rejoint ce que Foucault et d’autres contemporains ont montré : l’exclusion et la discrimination (sexisme, racisme etc) ne proviennent pas de l’ignorance ou d’un manque d’éducation, mais de notre manière de définir notre identité.

Par exemple, si nous accordons toute notre attention sur notre pays ou nos origines, nous finirons par mépriser les étrangers. Si notre objectif numéro un est notre bonheur, notre épanouissement personnel, nous rejetterons les autres dès lors qu’ils constitueront un obstacle pour nous.

Au contraire, si nous faisons de Dieu notre but ultime, nous serons capables d’aimer tout le monde sans mépriser qui que ce soit.

C. Les conséquences cosmiques du péché

Pour finir, le péché a aussi un impact sur l’univers dans son ensemble et pas juste l’homme. Selon la Bible, l’univers n’est pas le fruit d’une bataille de dieux (comme chez les Babyloniens et les Cananéens) ni de forces impersonnelles et violentes (comme chez le naturalisme et certains panthéismes). Il n’est pas le fruit du hasard. Il est le résultat d’une action libre et volontaire du Créateur dans lequel il exprime sa joie et son amour. Cet univers créé par Dieu est un ensemble de choses qui forme un tout harmonieux.

En particulier, Dieu crée le jardin d’Éden exprès pour que l’homme puisse s’amuser. Le mot hébreu qui résumé cette harmonie de toute la création, c’est le shalom (שָׁלוֹם). Il est souvent traduit par paix mais il signifie bien plus que cela ; c’est « la plénitude absolue : une vie remplie, harmonieuse, joyeuse, florissante » (La raison est pour Dieu, p. 201). C’est justement ce shalom qui a disparu à la Chute lorsque les hommes ont commencé à se révolter contre Dieu. Le péché perturbe le shalom. Comme l’homme est lié au reste de la création, son péché a eu un impact sur celui-ci :

La maladie, les désordres génétiques, la famine, les catastrophes naturelles, le vieillissement et la mort elle-même sont tout autant le résultat du péché que l’oppression, la guerre, les crimes et la violence. Nous avons perdu le shalom de Dieu : physiquement, spirituellement, socialement, psychologiquement et culturellement.

La raison est pour Dieu, p. 201

IV. Y a-t-il une solution au péché ?

Il est clair que nous avons raison d’être dégoûtés et découragés après cette analyse « glauque » du péché que nous venons de faire. Y a-t-il un espoir pour l’homme de s’en sortir ? Est-ce qu’il existe un moyen pour nous de trouver une identité sans écraser les autres, tomber dans l’insatisfaction et l’esclavage des choses auxquelles nous nous attachons ?

A. Essayer de faire le bien ?

Nous pourrions essayer de devenir de meilleures personnes, de changer nos mauvaises habitudes, de faire le bien. Mais nous venons de voir que le problème est plus profond que cela. Le péché, ce n’est pas juste faire de mauvaises choses, c’est aller jusqu’à remplacer Dieu par de bonnes choses (la famille, les relations amoureuses, la nourriture, les divertissements, le travail etc) qui lui sont inférieures. C’est choisir de nous attacher à des choses autres que Dieu, les adorer en quelque sorte et construire notre identité dessus. Et dès que cela ne marche pas, nous perdons toute notre valeur et nous nous sentons coupables d’avoir fait des choix stupides, d’être des « bons à rien ».

B. La solution : Jésus-Christ

Comme le problème est profond, il faut aussi une solution profonde. La vraie solution, c’est « réorienter et recentrer sa vie et son cœur tout entiers sur Dieu » (La raison est pour Dieu, p. 202). Comme nous avons offensé Dieu en le remplaçant par d’autres « dieux », il faut quelqu’un qui prenne notre punition pour que puissions être pardonnés gratuitement. Ce quelqu’un, c’est Jésus-Christ, « le seul Seigneur qui, si vous le recevez, vous comblera totalement et qui, si vous le décevez, vous pardonnera éternellement » (La raison est pour Dieu, p. 203). Je donnerai plus de détails sur cette solution dans les deux prochains articles.


Illustration de couverture : Claude Monet, Nymphéas, huile sur toile, 1897-1898 (musée d’art du comté de Los Angeles).

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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