Au sujet de la méthode d’interprétation, un sujet que Maxime a abordé dans son très bon article « Devenir un meilleur exégète », Turretin aborde la dispute entre catholiques et protestants au XVIIe siècle:
Les catholiques affirmaient qu’il y avait quatre sens indépendants dans chaque texte de l’Écriture (ici fournis avec des exemples un peu fantaisistes) :
- Le sens littéral, qui enseigne les faits de l’Écriture : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho.
- Le sens allégorique qui enseigne ce qu’il faut croire : Se détourner de l’Église romaine (Jérusalem) pour aller vers Genève (Jéricho) est un danger certain (puisque c’est ce qui arrive dans la parabole du bon samaritain).
- Le sens anagogique qui enseigne ce qu’il va se passer dans le futur : L’Évangile va aller jusqu’en Asie depuis Rome.
- Le sens tropologique, qui enseigne le contenu moral : Nous devons être prêts à faire des voyages dangereux.
Ils étaient résumés dans les vers de Nicolas de Lyre (un franciscain du Moyen Âge) :
Litera gesta docet, qui credas allegoria
Moralis quid agas, quo tendas anagogia
La lettre enseigne les faits, l’allégorique ce qu’il faut croire,
Le moral ce qu’il faut faire, et l’analogique enseigne où l’on va.
Pour les réformés, la position était la suivante : il n’y a qu’un seul sens à l’Écriture, contenant à la fois le sens littéral, mais aussi toute allégorie et sens second conçu par l’Esprit auteur des Écritures. On peut donc tout à fait parler de sens allégorique, qui fait partie du sens littéral. On est donc loin du littéralisme des générations précédentes, qui sont de toute façon une déformation fondamentaliste.
Argumentation (§4)
Il défend très rapidement l’unité du sens des Écritures :
- à cause de l’unité de la vérité : s’il y avait plusieurs sens indépendants, il y aurait plusieurs vérités ;
- à cause de l’unité de forme : il n’y a qu’une seule Écriture, et donc qu’une seule chose exprimée ;
- à cause de la clarté des Écritures, qui est renversée par la multiplicité de sens.
Réponse aux objections (§§6-20)
L’allégorie est soit interne (ou conçue par le Saint-Esprit) ou bien elle est inventée par les hommes. Dans ce dernier sens, elle n’est pas un sens des Écritures, mais une conséquence tirée de l’étude humaine par une sorte d’application. Mais la première est contenue dans le sens complexe si bien qu’il n’est pas possible de douter qu’elle ait été voulue par l’Esprit. Ainsi les deux femmes d’Abraham s’appliquent aux deux alliances (Galates 4,21-29) ce qui se dit du repos s’applique au repos éternel (Hébreux 4,3-11). Ainsi, lorsque nous allons du signe vers la chose signifiée, nous ne rajoutons pas un nouveau sens, mais nous déduisons ce qui était contenu dans le signe, de manière à avoir le sens plein et complet conçu par l’Esprit.
Turretin François, Instituts de Théologie Elenctique, 2.19.8
§8 Dieu étant d’une sagesse infinie, il peut insuffler une infinité de sens à l’Écriture.
→ Ce n’est pas ce qui compte : en effet, Dieu s’est accomodé à la faiblesse de l’homme en inspirant les Écritures en un sens particulier, qu’il s’agit de déterminer, allégorie comprise.
Le sens mystique ne se trouve pas en toutes parties de l’Écriture, mais peut être légitimement admis uniquement là où le Saint-Esprit donne l’opportunité et la fondation pour cela. Ici, nous devons particulièrement être prudents à ne pas aller au-delà de l’intention de l’Esprit.
Ibid., 2.19.16
Et enfin, un paragraphe très utile sur la pertinence de la méthode d’étude pour extraire le sens allégorique.
Pour trouver le vrai sens des Écritures, on a besoin d’interprétation. […] Elle ne doit pas être cherchée d’après le jugement privé de chacun (ce qui est condamné par Pierre) mais doit être trouvée dans les Écritures elles-même, qui sont leur propre interprète, le meilleur et le plus sûr. Mais pour cela, après une prière fervente à Dieu, il faut inspecter les sources, la connaissance des langues anciennes, la distinction entre des mots au sens propre et des sens figurés, faire attention au contexte et l’intention du texte, la connexion entre ce qui précède et suit, la collection de passages, suspendre ses préjugés et la conformité de l’interprétation avec l’analogie de la foi.
Ibid., 2.19.18
Tout cela peut être résumé en trois moyens : analyse, comparaison, analogie. L’analyse est triple : grammaticale, en jugeant les expressions ; rhétorique qui juge les figures ; et logique qui juge contexte, intention et connexions. La comparaison compare les passages de l’Écriture entre eux (Actes 9,22) — le passage obscur avec un autre plus clair. L’analogie de la foi (Romains 12,6) signifie non seulement la mesure de foi accordée à chaque croyant, mais aussi l’harmonie constante montrée dans les expressions plus claires de l’Écriture (à laquelle toute exposition doit être conformée) pour que rien ne soit déterminé de différent d’avec les articles de foi et les préceptes du décalogue.
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