La souveraineté de Dieu — Turretin (3.22)
14 décembre 2022

Qu’est ce que la souveraineté de Dieu, et combien y en a-t-il de sortes ? Peut on distinguer un droit absolu et ordonné ?

Dans cette question, non polémique, Turretin présente quelques distinctions qu’il utilisera plus tard, au moment de parler de la souveraineté de Dieu.

Souveraineté naturelle et souveraineté économique (§§ 3-4)

Cette dichotomie établit une distinction entre la souveraineté naturelle de Dieu, et la souveraineté économique de Christ, à plusieurs égards :

  • Principe et origine : la souveraineté naturelle de Dieu n’a pas d’origine autre que sa propre nature ; il commande à tous parce qu’il est le plus excellent de tous les êtres, l’être suprême. La souveraineté de Christ lui vient du Père. (Matthieu 28,18)
  • Fondation : la souveraineté naturelle de Dieu vient des décrets de sa Providence, par lesquels il détermine tous les événements. La souveraineté économique de Christ vient des décrets de prédestination, qui nous intègrent à l’Église.
  • Objet : le domaine de la nature inclut toutes les créatures ; le domaine de la grâce inclut uniquement l’Église.
  • Effets : la souveraineté naturelle est commune et diffusée à toutes les créatures, pour leurs actes ordinaires. La souveraineté économique ne s’applique qu’aux élus et ne comprend que les dons spirituels qui mènent au salut.
  • Administration : la souveraineté naturelle est exercée par la nature divine ; elle est donc commune au Père, au Fils, au Saint-Esprit. La souveraineté économique n’est exercée que par la personne du Christ.
  • Durée : la souveraineté naturelle de Dieu est éternelle. (Psaume 145,13) La souveraineté économique du Christ aura une fin : Ensuite viendra la fin, quand il remettra le royaume à celui qui est Dieu et Père, 1 Corinthiens 15,24.

Cette distinction est utile en théologie politique : j’ai souvent vu la souveraineté de Christ sur l’Église être opposée à celle des souverains du monde, particulièrement chez des auteurs comme Hauerwas qui est relayé en France par Florent Varak (heuresement moins libéral qu’Hauerwas). L’auteur de Pep’s café avec qui j’ai échangé par le passé est encore plus déterminé sur cette séparation entre souveraineté de Christ et souveraineté politique, au point où soutenir un candidat particulier à une élection est avoir “un autre Seigneur” que Jésus–Christ (surtout si le candidat est de droite).

Nous voyons ici que cette séparation est vaine : oui, Jésus est seigneur de l’Église, et à ce titre sa souveraineté exclut le “peuple du dehors”. Oui, si nous nous donnions un chef de l’Église différent de Jésus–Christ (au hasard : l’évêque de Rome), alors nous trahirions notre Seigneur.

Mais Jésus est aussi Seigneur de la Création, qu’il administre en partie à travers l’appareil politique humain (Psaume 82). À ce titre, soutenir un candidat ou une force politique particulière n’est pas une violation de la souveraineté de Christ : c’est même une participation plutôt saine à sa providence selon, bien sûr, la conformité du candidat à la loi divine. Il y a deux souverainetés différentes, comme nous l’avons expliqué.

Je finis cette section en citant le paragraphe 4, très beau et très clair :

La principale propriété du domaine de Dieu est qu’il n’est pas seulement universel, mais aussi absolu et illimité. Car comme Dieu est indépendant et qu’il tire sa puissance de lui-même seulement, il est évidemment irresponsable, soumis à aucune censure ou jugement (Job 9,12 ; Daniel 4,25) qui peut faire ce qu’il veut (Matthieu 20,15) et à qui personne ne peut dire ou contester : “pourquoi as-tu fait cela ?” bien que les raisons de ses œuvres et de son jugement nous soient cachées (Job 33,13) “Ô homme, toi plutôt, qui es-tu pour contester avec Dieu  ? Le vase d’argile dira-t-il à celui qui l’a formé : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Le potier n’est-il pas maître de l’argile, pour faire avec la même masse un vase d’honneur et un vase d’un usage vil ?” (Romains 9,20-21)

François Turretin, Instituts de théologie élenctique, 3.22.4.

Droit absolu et droit ordonné

  • Le droit absolu de Dieu est la souveraineté totale que Dieu a sur ses créatures, sans aucune limite ni contrainte d’aucune sorte.
  • Le droit ordonné est la souveraineté que Dieu exerce dans le cadre des promesses et alliances qu’il fait, ou de l’ordre normal de la création qu’il a lui-même établi. (Actes 17,25) Dans ce droit-là, il est “contraint” en quelque sorte par l’ordre qu’il s’est lui-même imposé.

On retrouve les deux dans la prédestination :

  • Par son droit absolu, il élit telle personne plutôt que celle-là, Jacob plutôt qu’Ésaü, etc. C’est selon ce droit absolu que Dieu déclare : Je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde et j’aurai compassion de qui j’ai compassion. (Romains 9,15)
  • Par son droit ordonné, il ne sauve pas une seule personne sans la faire passer par la satisfaction de Christ (Romains 3,25) et c’est ce droit qui est mentionné ici : il est de la justice de Dieu de rendre l’affliction à ceux qui vous affligent, et de vous donner, à vous qui êtes affligés, du repos avec nous. (2 Thessaloniciens 1,6-7)

Le droit absolu n’est pas opposé au droit ordonné. Il est plutôt au-delà, au-dessus du droit ordonné. “Je ferai ce que je veux, mais je le ferai toujours de telle façon.”

Droit naturel et droit libre

Il correspond au couple précédent :

  • Le droit naturel est celui qui dépend de la nature de Dieu, et correspond à son droit absolu.
  • Le droit libre est celui qui dépend de la libre volonté de Dieu, et correspond à son droit ordonné, par lequel il établi telle alliance et telle promesse pour faire telle chose, etc.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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