Cet article est le cinquante-deuxième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Dans le cinquante-et-unième, j’ai expliqué la différence entre argument et explication. Dans cet article, je présenterai quelques points en rapport avec la vérité des propositions et la validité des arguments. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre Socratic Logic de Peter Kreeft, pp. 194-199.
Nous approfondirons ici quelques points en rapport avec la vérité des propositions et la validité des arguments. Voici d’abord des rappels.
Les termes sont soit clairs soit ambigus, les propositions sont soit vraies soit fausses alors que les arguments sont soit valides soit invalides. On dit qu’un argument déductif est valide si sa conclusion suit nécessairement ses prémisses, et invalide si ce n’est pas le cas.
Un argument déductif prouve efficacement que sa conclusion est vraie si et seulement s’il remplit trois conditions. Il y a trois tests qu’on doit faire passer à chaque argument déductif.
(1) Premièrement, tous les termes doivent être clairs et sans ambiguïté. Si un terme est ambigu, il faut alors le définir. Si on ne le fait pas, les deux parties du débat croiront parler de la même chose, alors qu’elles parlent en fait de choses différentes.
(2) Deuxièmement, toutes les prémisses doivent être vraies. On peut (faire semblant de) « prouver » n’importe quoi à partir de fausses prémisses : e.g. « Tous les martiens sont infaillibles, or je suis un martien, donc je suis infaillible. »
(3) Troisièmement, l’argument doit être logiquement valide. Cela veut dire que la conclusion doit être la conséquence nécessaire des prémisses de telle sorte que si les prémisses sont vraies, alors la conclusion l’est aussi.
cf. Apprendre à raisonner (3) : L’essentiel de la logique en seul un article
Un argument (déductif) valide nous fait connaître des connaissances avec certitude
Une caractéristique importante des arguments déductifs, c’est qu’ils sont capables de nous faire connaître des conclusions avec certitude. Ce qui n’est pas le cas des arguments inductifs. La certitude en question n’est pas absolue (indépendante de tout) mais relative ou hypothétique. On peut savoir avec certitude que la conclusion d’un argument déductif est vraie uniquement si les prémisses le sont.
Prenons par exemple l’argument « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel. » Pour être sûr que « Socrate est mortel », je dois d’abord m’assurer que les phrases « tous les hommes sont mortels » et « Socrate est un homme » sont bien vraies.
Que peut-on apprendre de nouveau si un argument est valide ?
Il existe seulement deux situations possibles où l’on peut apprendre quelque chose de nouveau grâce à un argument valide. Supposons que les termes soient tous clairs (non ambigus). Ces deux situations correspondent à deux façons d’argumenter :
- Cas 1 : Si on sait en plus que les prémisses sont vraies (argumenter en allant vers l’avant) :
Si un argument est valide et que les prémisses sont vraies, alors la conclusion est vraie.
Exemple : On sait que l’argument « tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel » est valide et que ses prémisses « tous les hommes sont mortels » et « Socrate est un homme » sont vraies. Donc sa conclusion « Socrate est mortel » est bien vraie. - Cas 2 : Si on sait en plus que la conclusion est fausse (argumenter en allant vers l’arrière) :
Si un argument est valide et que la conclusion est fausse, alors au moins une des prémisses est fausse.
Exemple : On sait que l’argument « aucun Chinois n’aime le fromage, or Laurent est chinois, donc Laurent n’aime pas le fromage » est valide et que sa conclusion « Laurent n’aime pas le fromage » est fausse. Donc il y a forcément au moins une prémisse qui est fausse. Ici il s’agit de « aucun Chinois n’aime le fromage. ».
Dans tous les autres cas, on ne peut rien savoir. Par exemple, si un argument est valide et que ses prémisses sont fausses, on ne peut pas savoir si sa conclusion est vraie ou fausse. Pour illustrer cela, on voit bien que dans l’argument « tous les démons sont des oiseaux. Or, tous les corbeaux sont des démons. Donc tous les corbeaux des sont oiseaux », la conclusion « tous les corbeaux sont des oiseaux. » est vraie alors que les prémisses « tous les démons sont des oiseaux. Or, tous les corbeaux sont des démons » sont fausses. Et cela même si on a naturellement l’impression que quand des prémisses sont fausses, alors forcément la conclusion l’est aussi.
De même si un argument est valide et que sa conclusion est vraie, on ne peut rien savoir sur ses prémisses. Si on reprend l’exemple précédent, on voit bien que les prémisses « tous les démons sont des oiseaux. Or, tous les corbeaux sont des démons » sont fausses même si on sait que la conclusion « tous les corbeaux sont des oiseaux » est vraie. Cela même si on a naturellement l’impression que quand la conclusion est fausse, alors les prémisses aussi forcément.
Des règles à suivre pour bien argumenter
Voici quelques règles à suivre pour bien argumenter qui sont les conséquences des principes que nous venons de voir.
- Il ne faut pas prouver qu’une prémisse est vraie en montrant qu’elle implique logiquement une conclusion vraie.
- Il ne faut pas prouver qu’une conclusion est fausse en montrant qu’elle suit logiquement une fausse prémisse.
- Pour prouver qu’une prémisse est fausse, il faut montrer qu’elle implique une conclusion fausse.
- Pour prouver qu’une conclusion est vraie, il faut montrer qu’elle suit logiquement de vraies prémisses.
- Pour prouver qu’une conclusion est fausse, il ne faut pas montrer que l’argument est invalide.
- Pour prouver qu’un argument est invalide, il ne faut pas montrer que sa conclusion est fausse.
- Pour prouver qu’un argument est vrai, il ne faut pas montrer que l’argument est invalide.
- Pour prouver qu’un argument est faux, il ne faut pas montrer que l’argument est invalide.
Illustration : Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure de Charles Laplante, publiée dans le livre de Louis Figuier, Vie des savants illustres – Savants de l’antiquité (tome 1), Paris, 1866, pages 134-135.
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