Les Catéchèses baptismales sont un des principaux écrits de Cyrille de Jérusalem. Dans celles-ci, il instruit notamment le catéchumène sur la place des saintes Écritures, puisque c’est de ces dernières uniquement qu’il entend tirer le dogme chrétien :
Car, concernant les saints et divins mystères de la foi, pas une seule affirmation, même occasionnelle, ne doit être faite sans les saintes Écritures. Nous ne devons pas non plus être égarés par la plausibilité ou les artifices du langage. Même en ce qui me concerne, moi qui vous dis ces choses, ne m’accordez pas absolument votre foi, si ce n’est lorsque vous avez reçu les preuves de ce que je vous annonce par les divines Écritures. Car le salut auquel nous croyons ne repose pas sur un raisonnement ingénieux, mais sur une démonstration des saintes Écritures.
Cyrille de Jérusalem, Catéchèses baptismales, 4.17.
Pour autant, il ne dédaigne pas l’usage des documents symboliques, comme résumé de l’enseignement biblique :
Mais puisque tous ne peuvent pas lire les Écritures, […] et afin qu’ils ne soient pas affamés par l’ignorance, l’Église a jugé bon de condenser tout l’enseignement de la foi en quelques lignes. Ce résumé, j’aimerais le confier à vos mémoires quand je le récite […], le graver dans vos cœurs […]. J’aimerais aussi que vous le gardiez comme provision pour toute votre vie, et que vous ne vous éloigniez pas de son enseignement pour en recevoir un autre, même si nous-même nous contredisions notre enseignement actuel. (Ga 1,6-9)
Cyrille de Jérusalem, Catéchèses baptismales, 5.12.
Mais qu’est-ce qui, à juste titre, constitue les saintes Écritures ?
Lisez les vingt-deux livres, mais ne vous occupez pas des écrits apocryphes. Étudie attentivement les seuls livres que l’on lit ouvertement dans l’Église. Bien plus sages et plus pieux que toi, les Apôtres et les évêques d’autrefois, les présidents de l’Église, ont transmis ces livres. Étant donc un enfant de l’Église, ne t’attaque pas à ses lois. Quant à l’Ancien Testament, comme nous l’avons dit, étudie les vingt-deux livres que, si tu veux t’instruire, tu t’efforceras de retenir par leur nom, comme je le fais. Dans la Loi, les livres de Moïse sont les cinq premiers : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome. Viennent ensuite Josué, fils de Navé, et le livre des Juges, y compris Ruth, qui est le septième. Parmi les autres livres historiques, le premier et le second livre des Rois constituent chez les Hébreux un seul livre, de même que le troisième et le quatrième, un seul livre. De même, le premier et le deuxième livre des Chroniques sont pour eux un seul livre, et le premier et le deuxième livre d’Esdras sont comptés pour un seul livre. Esther est le douzième livre ; ce sont là les écrits historiques. Ceux qui sont écrits en versets sont au nombre de cinq : Job, le livre des Psaumes, les Proverbes, l’Ecclésiaste et le Cantique des Cantiques, qui est le dix-septième livre. Viennent ensuite les cinq livres prophétiques : un livre des Douze Prophètes, un livre d’Isaïe, un livre de Jérémie, y compris Baruch, les Lamentations et l’Épître ; puis Ézéchiel, et le livre de Daniel, le vingt-deuxième de l’Ancien Testament.
Cyrille de Jérusalem, Catéchèses baptismales, 4.35.
Plusieurs remarques intéressantes :
- Bien qu’il mentionne les Septante et la légende de leur traduction au paragraphe précédent, Cyrille n’entend pas par cela inclure Sagesse, les Maccabées, etc. On voit donc combien il est erroné de supposer que l’usage de la Septante chez les Pères va de pair avec l’usage des apocryphes dits chrétiens ;
- Bien qu’il comprenne, dans Jérémie, le livre de Baruch et l’Épître dite de Jérémie, il n’entend pas s’écarter du canon juif (les 22 livres) et n’est induit en erreur que par la recension grecque à laquelle il a accès.
- Les deux livres d’Esdras qu’il liste sont appelés Esdras et Néhémie dans nos Bibles ; de même les quatre livres des Rois correspondent à 1 et 2 Samuel et 1 et 2 Rois.
Il peut être bon de résumer ici ce que nous avons dit ailleurs sur les positions diverses des Pères à ce sujet :
- Rufin d’Aquilée, Jean Damascène, Méliton de Sardes et bien entendu Jérôme, qui a fait référence tout au long du Moyen Âge, listent purement et simplement le canon juif, le canon des protestants ;
- Cyrille de Jérusalem, comme nous venons de le voir, ainsi que Athanase d’Alexandrie entendent suivre le canon juif mais comptent avec Jérémie le livre de Baruch et l’épître dite de Jérémie, n’ayant pas comme Jérôme un accès direct à l’hébreu ;
- Augustin, quant à lui, est averti de la composition du canon juif mais use d’autres livres qu’il sait ne pas s’y trouver. Comme le relève Turretin, il n’entend toutefois pas lister les livres inspirés mais les livres destinés à la lecture publique, ce qui ne se superpose pas nécessairement. En effet, comme le dit Rufin : « Il faut savoir également qu’il existe d’autres livres, appelés par nos ancêtres, non pas canoniques, mais ecclésiastiques, ainsi : la Sagesse, dite de Salomon, et une Sagesse dite de Sira le fils : ce livre chez les Latins est appelé du terme général d’Ecclésiastique, terme qui ne désigne pas l’auteur du livre, mais le genre de l’écrit. Du même ordre les livres de Tobie, de Judith et les livres des Macchabées. Dans le Nouveau Testament, il y a le livre dit du Pasteur ou d’Hermas, celui qui est appelé les Deux Voies, et le Jugement selon Pierre. On a voulu que tous ceux-là fussent lus dans les Églises, sans pourtant établir sur eux l’autorité de la foi. » ; c’est encore ce que dit Jean Damascène : « Le Panaretos (tout vertueux) ou sagesse de Salomon, et la Sagesse de Jésus que le père de Sirach donna en hébreu et que traduisit en grec Jésus, fils de Sirach ; ces livres sont élevés et bons, mais non comptés au canon, ni déposés dans l’arche. » ; les confessions réformées comme les 39 articles de l’Église d’Angleterre disent des choses similaires, voir par exemple la Confessio Belgica : « Nous distinguons ces livres saints des livres apocryphes, à savoir 3 et 4 Esdras, Tobie, Judith, Sagesse, Ecclésiastique, Baruch, les ajouts à Esther, la Prière d’Azarias, le Cantique des trois jeunes gens, le Récit de Suzanne, Bel et le Dragon, la Prière de Manassé ainsi que 1 et 2 Maccabées. L’Église peut bien lire ces écrits et s’en instruire dans la mesure où ils sont en accord avec les livres canoniques. Cependant, ils n’ont ni la force ni l’autorité requises pour confirmer par leur témoignage un point concernant la foi ou la religion chrétienne. Ils peuvent encore moins être utilisés pour diminuer l’autorité des livres saints. » Ainsi, lire Augustin comme faisant référence au canon des lectures publiques et non au canon des livres inspirés permet non seulement de le réconcilier avec les autres pères mais encore de le réconcilier avec lui-même, puisqu’il affirme par ailleurs : « Les Juifs ne considèrent pas l’histoire des Maccabées (un des apocryphes) comme la Loi, les Prophètes et les Psaumes, auxquels le Seigneur rend témoignage comme à ses témoins, disant qu’il fallait que tout ce qui y a été écrit de lui s’accomplît (Luc 24:44). Toutefois, l’Église l’a reçu, non sans utilité, à condition qu’on le lise avec prudence.1» Prudence qu’il ne réclame pas à l’égard des livres à proprement parler canoniques.
- D’autres pères, enfin, sans nous livrer une liste du canon, utilisent les apocryphes dans leurs écrits en les citant comme « Écritures » mais font ponctuellement des remarques qui nous indiquent qu’ils recevaient eux aussi la distinction mentionnée plus haut. Citons par exemple Grégoire le Grand qui en commentant Job dit : « À partir de ces livres, bien que non canoniques, mais présents pour édifier l’Église, nous apporterons un témoignage supplémentaire. Ainsi donc, Eléazar, frappa dans la bataille et abattit un éléphant, mais tomba sous la bête même qu’il avait tuée (1 M 6,46) ».
Si donc il est courant d’entendre que les protestants ont « retiré des livres de la Bible », on voit bien que cette affirmation n’a pas de substance. Certains Pères avaient tout simplement le canon protestant, notamment le plus averti d’entre eux. D’autres entendaient suivre le canon juif (et donc le canon protestant) et incluaient par erreur non pas les apocryphes dans leur ensemble mais Baruch et l’Épître sous le nom de Jérémie. Enfin, même Augustin qui distingue le canon juif de celui qu’il suit, à l’inverse des autres Pères, le fait de telle sorte qu’il peut aisément être réconcilié avec eux. Le canon protestant est donc le canon patristique, certaines précisions étant faites. Il se trouve aussi être le canon médiéval majoritaire et même celui dont usaient certains opposants à la Réforme avant le concile de Trente (à propos de quoi il convient de rappeler aux papistes qu’ils n’ont pas eu de canon défini « infailliblement » avant 1563).
Découvrir les PèresIllustration en couverture : Vincent Van Gogh, Bible ouverte, 1885.
- Augustin, Contre Gaudentius, évêque des donatistes, I, XXXVIII.[↩]
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