Quel était le canon de l'Église au Moyen-Âge ?
21 juin 2018

Pour être clair : le but de cet article est de montrer que la pratique de l’Église occidentale jusqu’à la Réforme a été de suivre le jugement de Jérôme quant aux apocryphes, c’est-à-dire de les placer dans une catégorie autre que les 66 livres inspirés du canon. Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous vous invitons à consulter nos autres articles sur la question :

Que sont les livres apocryphes et pourquoi ne sont-ils pas dans le canon ? – François Turretin (1623-87)
Les pères de l’Église et le Canon – François Turretin (1623-87)
Les pères, la Septante et le canon.
Le problème protestant (3) : la question du canon.
Dieu est-il resté silencieux entre les deux Testaments ? – Silentium Deo.
L’Église a-t-elle autorité sur les Écritures ?


Les réformés ont toujours soutenu que, bien que les pères et les médiévaux aient pu citer les apocryphes, les lister dans le canon des lectures, les appeler Écritures ou prophétie, ils les ont toujours placés dans une catégorie à part, en particulier quand il s’agissait de régler une controverse théologique.

Certains, à la suite de Jérôme, réservait le terme canon aux 66 livres des “bibles protestantes”, d’autres, à la suite d’Augustin, distinguait le canon ecclésiastique des livres inspirés. Augustin dira par exemple qu’ils sont utiles à condition qu’on les lise avec prudence.

Par ailleurs, les protestants ont toujours soutenu que les conciles de Hippone et Carthage n’étaient pas des conciles universels, et qu’ils ne pouvaient pas être invoqué pour défendre un canon large. De plus, ces conciles, comme le dit Turretin, étaient préoccupé par le canon au sens Augustinien, c’est-à-dire ce qu’il était permis de lire dans l’Église.

Nous donnerons ici 3 principales raisons montrant que l’opinion de Jérôme était majoritaire jusqu’à la Réforme où le Concile de Trente a réellement innové en plaçant les apocryphes au même niveau que les autres écrits du canon. Ces 3 raisons sont : (1) les déclarations explicites de la Glossa Ordinaria, le commentaire officiel de la Bible durant le Moyen-Âge, (2) L’opinion des principaux théologiens de cette période qui citent Jérôme comme autorité à ce sujet, (3) Les traductions et commentaires bibliques précédant la Réforme.

La Glossa Ordinaria

La Glossa Ordinaria (ou Glose Ordinaire) était le commentaire standard de la Bible en occident pendant des siècles et était utilisée pour enseigner dans les écoles de théologie. C’était en fait une compilation de citations des pères, censée représenter leur avis et être revêtue de leur autorité. Son importance quant au débat se concentre en particulier dans les déclarations de sa Préface. En effet, elle dit qu’il y a 22 livres de l’Ancien Testament, citant Origène, Jérome et Rufin pour appuyer sa déclaration (les hébreux avaient le même Ancien Testament que nos bibles protestantes mais regroupaient les 12 petits prophètes et d’autres livres entre eux, d’où le nombre 22). Par ailleurs, elle répète l’avis de Jérôme sans cesse en disant que les apocryphes sont utiles pour l’édification et l’instruction mais ne peuvent pas être utilisés dans les controverses autour de la foi. De plus, quand un commentaire sur un apocryphe commence, il est toujours précédé de “Ici commence le livre de Judith qui n’est pas dans le canon”, et ainsi pour chaque livre apocryphe. (Cf. Webster, The Old Testament Canon and the Apocrypha, 58.)

Voici, par exemple, ce que le Prologue de la Glossa Ordinaria de 1498 dit sur la distinction entre les livres canoniques et les autres :

Beaucoup de gens, qui ne donnent que peu d’attention à la sainte Écriture, pensent que tous les livres qui sont contenus dans la Bible doivent être honorés et vénérés avec une admiration égale, ne sachant pas comment distinguer entre les livres canoniques et les non-canoniques, ces derniers étant comptés comme apocryphes par les Juifs. Ainsi, ces gens paraissent souvent ridicules face aux instruits ; et ils sont perturbés et scandalisés quand ils entendent quelqu’un ne pas honorer avec la même admiration une chose lue dans la Bible par rapport au reste (de ce qui se trouve dans la Bible). Ainsi, nous distinguons et listons ici de façon distincte tout d’abord les livres canoniques puis les non-canoniques, parmi lesquels nous distinguons de plus ceux qui sont certains et ceux qui sont douteux.

Les livres canoniques ont été écrit sous la dictée du Saint-Esprit. Pour ce qui est des non-canoniques, il n’est pas connu à quelle époque et par quels auteurs ils ont été produit. Mais puisque, néanmoins, ils sont très utiles et très bons, et ne contredisent jamais les livres canoniques, l’Église les lit et permet au fidèle de les lire pour son édification et ses dévotions. Leur autorité, toutefois, n’est pas considéré comme adéquate pour prouver une chose qui est l’objet de doute ou de débat, ou pour confirmer l’autorité d’un dogme ecclésiastique, comme le dit Jérôme dans son prologue à Judith et dans les livres de Salomon. Mais les livres canoniques sont d’une telle autorité que ce qui est dit en eux doit être tenu comme fermement et indiscutablement vrai. Il en est de même pour ce qui est clairement démontré à partir d’eux.

(Biblia cum glosa ordinaria et exposition Lyre litterali et morali (Basil: Petri & Froben, 1498), British Museum IB.37895, Vol. 1, On the canonical and non-canonical books of the Bible. Translation by Dr. Michael Woodward. Traduit en français par moi-même.)

Si l’on suit ce que dit la Glossa Ordinaria, les théologiens catholiques d’aujourd’hui passeraient pour des gens qui “ne donnent que peu d’attention à la sainte Écriture” et qui “paraissent souvent ridicules face aux instruits”. On constate que celle-ci reprend l’avis de Jérome, rappelons-nous le rôle qu’elle avait dans l’instruction théologique au Moyen-Âge.

L’enseignement des théologiens

L’enseignement des théologiens principaux suit l’avis de Jérôme et de la Glossa Ordinaria, en considérant les apocryphes comme ayant une autorité moindre. Ici, il manquerait de place pour tous les citer, William Webster a produit une compilation exhaustive à ce sujet (Cf. The Old Testament Canon and the Apocrypha, 62-80). Nous citerons simplement 3 théologiens représentatifs de l’ensemble des théologiens médiévaux : Grégoire le Grand, Hugues de Saint-Victor et le Cardinal Cajetan.

Commençons par Cajetan, qui est une personne importante puisqu’il était un des opposants principaux à Martin Luther lors de la Réforme. Il écrivit un commentaire sur chaque livre canonique de l’Ancien Testament et l’a dédié au pape. Mais Cajetan a suivi l’exemple de Jérôme, en le citant même comme autorité quant au canon. Considérons ce qu’il dit :

Ici nous terminons nos commentaires sur les livres historiques de l’Ancien Testament. Pour le reste (c’est-à-dire Judith, Tobie et les livres des Maccabees), ils sont comptés par Saint-Jérôme comme exclus des livres canoniques et placés parmi l’Apocryphe, avec la Sagesse et l’Ecclésiastique, comme cela est clair dans son Prologus Galeatus. Ne soyez pas troublés, comme un élève inexpérimenté, si vous trouvez quelque part, que ce soit dans les conciles sacrés ou chez les docteurs sacrés, ces livres listés comme canoniques. Car les mots des conciles comme ceux des docteurs doivent être accordé à la correction de Jérôme. Ainsi, selon son avis, dans l’épître aux évêques Chromatius et Heliodorus, ces livres (et n’importe quel livre similaire (c’est-à-dire apocryphe) dans le canon de la Bible) ne sont pas canoniques, c’est-à-dire, ne sont pas de nature à être une règle permettant de confirmer les objets de foi. Toutefois, ils peuvent être appelés canoniques, c’est-à-dire, de nature à édifier la foi du fidèle, et reçus et autorisés pour cette raison dans le canon de la Bible. Grâce à cette distinction, vous serez capable de comprendre clairement ce que dit Augustin ainsi que ce que dit le concile provincial de Carthage.

(Cardinal Cajetan (Jacob Thomas de Vio), Commentary on all the Authentic Historical Books of the Old Testament, In ult. Cap., Esther. Traduit en français par moi-même.)

Ce que dit Cajetan est très intéressant. (1) Il confirme l’avis de Turretin cité plus haut, qui distingue canon pour établir les doctrines et canon pour édifier le croyant et utilise cette distinction pour comprendre Augustin et le concile de Carthage. (2) Il considère ce concile comme provincial, ce qui est une évidence, mais qui répond bien aux apologètes romains qui le citent sans veiller à cette distinction des canons et sans rappeler qu’il n’est pas représentatif de toute l’Église. (3) Il est du même avis que la Glossa Ordinaria : ce sont ceux qui sont inexpérimentés qui ne savent pas faire ces distinctions.

Poursuivons par ce que dit Grégoire le Grand, qui fut évêque de rome (pape ?!) de 590 à 604. La citation sera beaucoup plus courte, parce que je pense que le lecteur aura compris, maintenant qu’il a en tête les distinctions précédentes, ce que Grégoire dit :

À partir de ces livres, bien que non-canoniques, mais présents pour édifier l’Église, nous apporterons un témoignage supplémentaire. Ainsi donc, Eléazar, frappa dans la bataille et abattit un éléphant, mais tomba sous la bête même qu’il avait tué (1 Macc. 6:46).

(Commentaire sur le livre de Job).

Notons que cet avis de Grégoire est postérieur aux conciles de Carthage et Hippone. Ces derniers conciles n’ont donc pas, comme le voudraient certains apologètes papistes, tranché en faveur d’un canon romain dans toute l’Église. Je répète ici que ces conciles cherchaient à déterminer, comme le disent Cajetan et Turretin, les livres qui pouvaient  être lus dans l’Église et non pas ceux qui faisaient autorité dans les débats. Grégoire confirme ici l’avis de Jérôme : les apocryphes ne sont pas canoniques mais sont utiles pour l’édification. Ainsi, il est clair que quand l’Eglise dit que les apocryphes sont canoniques, elle le dit dans un sens large signifiant qu’ils sont utiles et reçus pour cette raison dans la Bible tandis que Jérôme est plus précis en signifiant, avec Augustin mais en d’autres mots, qu’ils doivent être lus avec prudence et ne peuvent pas servir dans les controverses.

Poursuivons donc avec notre dernier théologien, Hugues de Saint-Victor (1096-1141), qui suit lui aussi Jérôme en listant 22 livres de l’Ancien Testament. Bref, il reprend le canon Juif que les protestants ont aujourd’hui (l’expression canon Juif a été injustement critiquée, prétextant qu’il y avait plusieurs canons chez les Juifs, nous répondrons à cela dans un autre article). Voici ce qu’il dans un chapitre intitulé Sur le nombre des livres de la Sainte Écriture :

Il y a aussi dans l’Ancien Testament d’autres livres qui sont lus [dans l’Église] mais ne sont pas inscrits dans le corps du texte ou dans le canon d’autorité ; ces livres sont : Tobie, Judith et les Maccabées, la soit-disant Sagesse de Salomon et l’Ecclésiastique.

(Hugh of St. Victor, On the Sacraments, I, Prologue, 7 (PL 176, cols. 185-186D).)

Ici, comme le dit F.F. Bruce, l’influence de Jérôme est palpable : pour l’étudiant médiéval, il n’y avait pas d’égal à Jérôme quand il s’agissait d’étude biblique dans l’Eglise latine. Nous le voyons donc par l’exemple de ces trois théologiens, les apologètes catholiques romains ont tort de soutenir que les conciles de Carthage et Hippone ont clos le débat sur le canon. Premièrement parce que ces conciles ne soutiennent pas que les apocryphes sont au même niveau que les écrits inspirés et deuxièmement parce que nous voyons que l’opinion de Jérôme est réellement l’opinion catholique (c’est-à-dire universelle).

Voici une liste non exhaustive des auteurs médiévaux tenant un discours similaire sur les apocryphes (cliquez sur les noms pour être redirigé vers une notice biographique) :

Pour ce qui est des autres médiévaux, il faut les lire à la lumière de ce consensus, tout comme les canons de Carthage : quand ils incluent des livres dans les Écritures ou le canon, ils ne le font pas sans avoir en tête cette distinction entre apocryphes et livres autoritaires en cas de controverse. C’est ainsi que je comprends Thomas D’Aquin, dans sa Commandatio sacrae Scripturae : il cite les apocryphes dans l’Écriture sainte, mais cite aussi Jérôme, “Jérôme mentionne une quatrième catégorie de livres, c’est-à-dire, les apocryphes” (Ponit tamen Hieronymus quartum librorum ordinem, scilicet, apocryphos), ce qui me laisse penser qu’il admet son autorité ici. Il explique ensuite le sens de “apocryphe” en disant que cryphon veut dire obscur car “il existe des doutes au sujet de leur contenu et de leur auteur” (et dicuntur apocryphi ab apo, quod est valde et cryphon, quod est obscurum, quia de eorum sententiis vel auctoribus dubitatur). Il poursuit en disant que leur autorité ne vient pas de leur auteur (non pas qu’il soit inconnu mais que son autorité ne soit pas reconnue) mais du fait qu’ils soient reçus par l’Église (Non quod nesciatur qui fuerint illorum librorum auctores, sed quia homines illi non fuerunt notae auctoritatis. Unde ex auctoritate auctorum robur non habent, sed magis ex Ecclesiae receptione.). Ici, il me semble donc en accord avec les autres médiévaux, les livres apocryphes sont “ecclésiastiques” et non pas “canoniques” au sens strict du terme. Thomas ne s’arrête pas sur leur statut plus en détail mais le fait (1) qu’il cite Jérôme, (2) qu’il dise que leur contenu est douteux, (3) qu’il distingue leur source d’autorité, (4) qu’il insiste dans l’ensemble de sa Commandatio sur leur rôle moral me laisse penser qu’il avait lui aussi en tête la distinction que les autres médiévaux cités faisaient. Par ailleurs, le fait que le cardinal Cajetan fasse une telle distinction, lui qui se voulait fidèle disciple de Saint Thomas, confirme ma lecture. Dans tous les cas, on ne peut pas s’appuyer sur Thomas D’Aquin et sur le fait qu’il les cite dans sa division de l’Écriture pour en déduire qu’il les considérait comme canoniques au sens strict du terme.

Les Traductions de la Bible

Ici, nous nous arrêterons sur le foisonnement de traductions bibliques qui ont été produites peu de temps avant la Réforme car, bien souvent, les préfaces de ces traductions nous informent de l’opinion du traducteur sur le canon biblique. Nous constaterons qu’une fois encore, toute l’Église occidentale était unanime en distinguant apocryphes des écrits inspirés quant à leur autorité (j’utilise l’expression Église occidentale pour ne rien exagérer, puisque c’est cette Église que je connais le mieux, mais je doute que la situation soit différente en Orient).

Au XVIème siècle, juste avant la Réforme, le Cardinal Ximenes, archevêque de Toledo, en collaboration avec les principaux théologiens de son époque, a produit une édition polyglotte de la Bible intitulée la Biblia Complutensia. Cette Bible, ainsi que sa Préface, ont été publiée sous l’autorité et l’accord du Pape Léon X, auquel le travail fut dédié. Dans cette Préface, il y a un avertissement au sujet des livres de Tobie, Judith, Sagesse, Ecclésiastique, les Maccabés, les additions à Esther et Daniel précisant que ces livres ne sont pas canonique et ne peuvent pas être utilisés pour confirmer les points fondamentaux de la doctrine mais peuvent être lus pour l’édification (Cf. Webster, The Old Testament Canon and the Apocrypha, 80).

Bruce Metzger signale avec justesse que, de l’époque de Jérôme à la Réforme, il y a un consensus des pères et des théologiens occidentaux les plus érudits accordant une autorité unique et distincte aux livres du canon hébreu. En plus de la Biblia Complutensia, il liste une traduction du dominicain Sanctes Pagnini publiée à Lyon en 1528, accompagnée de lettre de recommandation des Papes Adrien VI et Clément VII et une traduction publiée à Nuremberg par Johannes Petreius en 1527 qui réitèrent ces mêmes avertissements. Bref, il semble qu’il s’agisse d’une formalité d’écrire dans les préfaces de la Bible un tel avertissement au lecteur tant la distinction était connue et incontestée.

Bonus : et les vaudois ?

Les vaudois avaient la même attitude que la plupart des médiévaux : grande estime pour les apocryphes, lecture courante mais distinction d’autorité, comme on peut le constater en lisant leur confession de foi.

Résumé des données

Lorsque j’étais, pour reprendre Cajetan et la Glossa Ordinaria, un lecteur inexpérimenté et ignorant, et que je tombais sur des passages où les pères citaient les apocryphes, les listaient dans le canon, les appelaient prophétie ou Écriture, j’étais troublé. Mais une fois que j’ai appris à faire la distinction essentielle, faite par Jérôme, Augustin, les grand théologiens médiévaux et Turretin, entre canon des lectures en Église et canon d’autorité, tout est devenu clair.

Les apologètes catholiques romains sautent sur chaque moment où les pères ou les médiévaux citent les apocryphes, les listent dans le canon ou les appellent Écriture, sans prendre le temps de chercher à comprendre ce qu’ils veulent dire. Cela peut-être troublant pour celui qui n’est pas expérimenté, en particulier quand nous venons d’un milieu où le terme “Écriture” est réservé aux écrits inspirés. L’opinion universelle des docteurs de l’Église a été, au contraire, de distinguer entre les livres inspirés et les livres utiles pour l’édification. La formulation varie entre les auteurs mais ils disent tous la même chose. Je préfère la formulation de Saint-Jérôme, majoritaire, qui réserve le terme canon aux livres inspirés.

Si j’agissais avec une rigueur intellectuelle aussi faible que ces apologètes, je pourrai même faire croire que Jean Calvin recevait les apocryphes, puisqu’il les cite comme “prophétie” dans son Institution :

Jérémie ne fait pas autrement lorsqu’il dit: «Si nos fautes nous accusent, agis à cause de ton nom ô Éternel!» (Jérémie 14.7). De même, ce qui est écrit dans la prophétie qu’on attribue à Baruch, bien que l’auteur soit incertain, est très saintement exprimé : « C’est l’âme affligée à l’extrême, ce qui marche courbé et affaibli, c’est le regard qui vacille, et l’âme affamée qui te rendront gloire et justice, Seigneur! Ainsi, ce n’est pas en nous appuyant sur les œuvres de justice de nos pères et de nos rois que nous déposons notre supplication devant ta face, Seigneur notre Dieu »; mais puisque tu es miséricordieux, «prends pitié, car nous avons péché contre toi!» (Baruch 2.18-19; 3.2).

Institution, Livre III, Chapitre XX, 8.

Alors, est-ce que les protestants ont innové en “rejetant les apocryphes” du canon ou est-ce les catholiques qui ont innové ? La réponse est limpide : Trente a fait quelque chose d’absolument nouveau dans l’Église en rejetant toute distinction d’autorité entre apocryphes et inspirés. Et dire que j’ai déjà lu des catholiques ayant la folie de dire que le canon protestant n’avait jamais existé avant Luther !

Avis aux protestants

Ici, le lecteur protestant pourrait penser bien s’en sortir : les cathos ont tort, alléluia. Mais je pense que les protestants du XIXème au XXIème siècle ont agit en réaction aux catholiques romains au point d’abandonner toute lecture des apocryphes. Quel théologien protestant citerait aujourd’hui Baruch comme le faisait Calvin ou les réformés de son époque ? Si les catholiques ont tort d’accorder un statut autoritaire aux apocryphes, les protestants ont tort d’en délaisser la lecture. Les évangéliques de nos jours seraient étonnés d’apprendre que, par le passé, toutes les Bibles protestantes comportaient les apocryphes en appendice à l’Ancien Testament. Ils y étaient présents pour être lus ! En fait, ils ont été retiré, non pas pour des raisons théologiques, mais en raison d’une stratégie d’impression au XIXème siècle pour rendre les bibles moins chères ! Oui, la Bible de Martin Luther, la Bible protestante la plus célèbre (la King James Bible) ou encore les anciennes traductions françaises comme la Martin comportaient les apocryphes.

J’aimerai donner ici quelques raisons de lire ces livres :

  1. Premièrement, ces livres sont utiles pour comprendre l’Église universelle et les croyants du passé, que ce soit les pères, les médiévaux ou les réformés comme Calvin puisqu’ils les lisaient et les citaient dans leurs écrits.
  2. Deuxièmement, ces livres sont réellement utiles pour l’instruction, comme l’a jugé l’Eglise pendant des siècles ; je pense en particulier à Sagesse et Ecclésiastique qui, à la manière des Proverbes, nous livrent des préceptes bien utiles.
  3. Troisièmement, des livres comme les Maccabées nous expliquent quelle a été l’histoire d’Israël entre l’Ancien Testament et Jean-Baptiste. Les 400 ans de silence prophétique ne sont pas 400 ans de néant historique pour autant.
  4. Quatrièmement, ces livres reflètent la foi de Juifs qui avaient bien souvent compris l’attente d’Israël : je pense en particulier au livre de Sagesse qui, au chapitre 2, reprend Esaie 53, le Psaume 22 et d’autres passages pour réfléchir au sort du juste. Le juste décrit ici parlera particulièrement aux chrétiens puisqu’il est nommé “fils de Dieu” et subit “une mort honteuse” parce que les méchants de sa génération ne supportent pas son enseignement. Sagesse chapitre 2 me remplit de joie en constatant la façon dont les Juifs avaient saisi l’espérance à laquelle pointe l’Ancien Testament. Maccabées aussi proclame l’espérance de la résurrection. Certes, Sagesse 2 parle avant tout du sort du juste de façon générale, mais comment ne pas voir le Christ qui, seul, est vraiment Juste ?
  5. Cinquièmement, d’autres livres comme Tobie et Judith nous livrent des exemples de foi admirables.
  6. Sixièmement, ces livres nous apprendrons à avoir la bonne attitude face aux livres inspirés et infaillibles : la différence immanquable entre les apocryphes et les inspirés nous inspirera un respect d’autant plus grand pour les livres divins.
  7. Finalement, retrouver une lecture courante des apocryphes permettraient d’éviter que des gens peu instruits ne soient, comme je l’ai été, troublés par leur lecture des pères et des médiévaux et tentés de se laisser avoir par les faux raisonnements des apologètes catholiques romains.

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

5 Commentaires

  1. olivier

    Les Eglises byzantines ont les 4 livres de Maccabées

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    • Maxime Georgel

      Je sais, je me questionnais pour la période médiévale.

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      • Olivier Rossi

        Alors là.. j’ignore quand cela a été mis et à quel concile.

        Réponse
  2. Foi et vie réformées

    En ce qui concerne Calvin, on trouve un certain nombre de citations des apocryphes dans le Psychopannychia (rédaction première en 1534 mais publication seulement en 1542): Baruch, 4e livre d’Esdras, Ecclésiastique, Livre de la Sagesse. Le plus souvent ils sont cités pour répondre à une argumentation anabaptiste qui cherche à s’appuyer sur eux, et que Calvin tâche de réfuter en en donnant le sens correct: “Je ne presseroye point nos adversaires par l’authorité de ces autheurs, s’ils ne les nous mettoyent en avant. Lesquels toutesfois nous doyvent estre en quelque reverence, si non comme Canoniques, au moins comme anciens; comme saincts et receus par la voix de plusieurs. Mais encore laissons-les là: retenons ceste image de Dieu en l’homme, laquelle ne peut avoir son siège sinon en l’Esprit”. Autre exemple: ” “Car ils alleguent quelques passages qui ne font rien à propos, et des livres qui n’ont point authorité certaine: comme du quatrieme d’Esdras, et du deuxieme des Machabees. Pour tout cela nous ne voulons respondre autre chose sinon ce que nous avons traitté ci dessus de la resurrection”. Ce qui est aussi intéressant c’est que le passage de Baruch 2, 18-20 qui apparaît dans Instit. 3.20.8 provient de la toute première version latine (1536), très proche chronologiquement de Psychopannychia. Je n’ai en revanche pas remarqué de citations d’apocryphes dans les oeuvres plus tardives de Calvin.

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    • Maxime Georgel

      Intéressant ! C’est appréciable de connaître quelqu’un qui a une vue d’ensemble de l’oeuvre de notre cher Réformateur.

      Réponse

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