Le monde est-il éternel ? — Turretin (5.3)
12 janvier 2024

Le monde est-il éternel, ou aurait-il pu l’être ? Nous le nions.

Il y a ici deux questions : la première est de savoir si le monde est réellement éternel dans le passé. C’était l’opinion de beaucoup de philosophes anciens : les stoïciens, Aristote, et plus récemment les athées du XVIIe siècle. Thomas d’Aquin (avec un trop grand amour pour son professeur) a cherché à l’excuser, comme si [Aristote] ne croyait pas que le monde fût absolument éternel, mais niait seulement que la première matière ou les cieux fussent produits par génération1

La deuxième est plus partagée : certes, le monde n’est pas éternel, mais aurait-il pu l’être ?

  • Ceux qui pensent que le monde aurait pu être éternel : Thomas d’Aquin, Cajetan, Guillaume d’Ockham.
  • Ceux qui pensent que le monde n’aurait jamais pu être éternel : Bonaventure, Albert le Grand (professeur de Thomas d’Aquin), et Turretin.

Le monde n’est ni éternel, et n’aurait pas pu être éternel. Traitons chaque question à part.

Le monde n’est pas éternel (§§ 3-7)

Premièrement, c’est très explicite dès le premier verset des Écritures : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. (Genèse 1,1) Ce commencement est ici un commencement absolu. Turretin traite d’objections techniques très pointu à la traduction que nous avons, mais je vous l’épargne.

Deuxièmement, tous les passages qui affirment que le monde a été produit affirment par conséquent que le monde a un début à son existence, qu’il n’est pas éternel : Psaumes 33,6 ; Jean 1,3 ; Hébreux 1,10 ; Jérémie 10,11-12. On a aussi les passages qui opposent l’éternité de Dieu au monde qui a un début dans le temps : Psaumes 90,2 ; Proverbes 8,22-23 ; Ephésiens 1,4 ; Matthieu 25,34 ; 2 Timothée 1,9).

Turretin ajoute quatre arguments plus philosophiques, puisqu’après tout ce sont des philosophes qui le mettent au défi.

  • Une chaîne de causes ne peut pas remonter à l’infini, sinon les événements actuels n’existeraient pas (puisqu’il faudrait parcourir une infinité de causes pour aboutir à l’effet final). Donc un univers éternellement passé est impossible.
  • Le mouvement et le temps ont nécessairement un début dans le temps, sinon nous arrivons à des absurdités comme par exemple, dire que la moitié du temps écoulé depuis le début de l’univers est strictement égal au temps écoulé depuis le début de l’univers. Pour plus de détails, je vous renvoie vers l’article synthétisant la question 3.1 sur l’existence de Dieu.
  • Nous n’avons aucune trace d’histoire qui précède les six mille ans (oui, Turretin est « terre jeune »). Si l’homme est présent depuis des millions, des milliards d’années, où sont les civilisations qui devraient se voir ? Ainsi que le disait Macrobe : Qui peut douter que le monde est récent et neuf, puisque l’histoire grecque contient à peine deux mille ans d’histoire ?
  • Le témoignage universel des païens, qui n’ont jamais douté que le monde avait un début dans le temps. Turretin renvoit à un ouvrage de Plessaeus et Jérôme Zanchi.

Le monde n’aurait pas pu être éternel (§§ 8-10)

C’est impossible du point de vue de Dieu, du point de vue de la création et de la créature. Du point de vue de Dieu, deux arguments :

  • Dieu ne peut pas produire quelque chose d’éternel, sinon on aurait deux éternels, ce qui est métaphysiquement impossible. L’éternité est propre à Dieu.
  • Un effet doit être précédé de sa cause, il ne peut pas exister en même temps. Donc l’univers ne peut pas être aussi éternel que son créateur.

Du point de vue de la création : si elle est crée hors de rien, alors c’est qu’il y a bien un temps où il n’y avait « rien » et donc un début à l’univers.

Du point de vue de la créature, trois arguments :

  • L’éternité ne convient pas aux créatures finies.
  • Si les créatures étaient éternelles, elles vivraient dans l’éternité de Dieu ou la leur. Si c’est la dernière proposition, cela veut dire qu’il y a deux éternels distincts, ce qui est un problème. Si c’est la première, alors l’existence des créatures est la même que celle de Dieu, ce qui est encore pire.
  • C’est le principe même d’une créature que de dépendre de Dieu pour passer de la non-existence à l’existence, et donc d’exclure l’éternité. Ainsi que le dit Lactance : Quand vous maintenez qu’une chose a un début à son être, vous niez par le fait même qu’il est éternel.

Objections (§§ 11-20)

Sur l’âge de l’univers :

Puisqu’avant le commencement du temps où le monde fut créé, il n’y avait rien d’autre que l’éternité, on ne peut pas vraiment dire que Dieu aurait pu créer le monde plus tôt. « Plus tôt » et « plus tard » sont des marques de temps qui n’ont aucun sens dans l’éternité. Mais si « plus tôt et plus tard » font référence à la durée du monde elle-même, alors c’est possible de vérifier. Ainsi, la durée du monde peut être bien supérieure à celle que nous avons réellement : si bien que depuis le début du monde jusqu’à nos jours, il s’est passé non seulement 5 ou 6 millions d’années, mais 7 ou 9.

Il est intéressant de voir que d’un côté il n’exclut pas une terre « vieille », mais que de l’autre, son âge est vraiment moindre que ce que nous sommes usuellement prêts à admettre.

  1. Cf. Somme Théologique I, q. 45, art. 1.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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