De l’origine de l’âme — Turretin (5.13)
19 juillet 2024

Les âmes sont-elles créées par Dieu, ou sont-elle propagées ? Nous affirmons le premier et nions le second.

C’est un débat ancien, et assez intéressant. D’où viennent les âmes humaines? Sont-elles chacune créée par Dieu (créatianisme) ? Ou bien viennent-elles uniquement de l’âme des parents, par je ne sais quel processus de propagation (traducianisme) ?

Tertullien était partisan de la deuxième solution, mais la majorité des théologiens au cours de l’histoire de l’Église ont soutenule créatianisme (Augustin par exemple retenait son jugement sur la question). À l’époque de Turretin, ce sont les luthériens qui ont repris le flambeau du traducianisme. Différentes options étaient sur la table :

  • L’âme de l’enfant émergerait de la semence des parents. Mais c’est une opinion marginale, parce que cela revient à dire que l’âme est corporelle et corruptible comme la semence des parents.
  • Un mécanisme de propagation inconnu.
  • D’autres proposent que la semence des parents va avec une semence incorporelle, qui est la base de l’âme de l’enfant.
  • L’opinion majoritaire des luthériens est que l’âme de l’enfant vient de l’âme des parents, « comme une chandelle allume une chandelle «.

C’était l’opinion que j’avais moi aussi, avant de lire Turretin. Cet article est d’ailleurs le tout premier que j’ai lu de lui, il y a maintenant assez longtemps.

Argumentation (§§ 3-10)

Premier argument : notre âme doit être créée comme celle d’Adam (et donc directement par Dieu) :

  • Parce que nous sommes à l’image d’Adam (1 Corinthiens 15, 45 et 47) ;
  • Parce que la création d’Adam est un exemple de la création de tout homme ;
  • On remarquera d’ailleurs que si le corps d’Ève fut tiré d’Adam, il n’est fait mention nulle part de son âme, qui n’est donc pas tirée de l’âme d’Adam ;
  • Adam dit bien d’Ève qu’elle est os de ses os (Genèse 2,23) mais pas qu’elle est âme de son âme.

Deuxième argument : à partir de l’Écriture :

  • Ecclésiaste 12,7 : avant que la poussière retourne à la terre, selon ce qu’elle était, et que le souffle retourne à Dieu qui l’a donné. Notez comment le corps et l’âme ont deux origines et destins différents, et à qui est attribuée l’origine de l’âme : Dieu.
  • Zacharie 12,1 : Déclaration du Seigneur, qui déploie le ciel et fonde la terre, et qui a façonné le souffle de l’homme au dedans de lui. Notez comment non seulement Dieu revendique la création de l’âme, mais une création de l’âme selon la même manière que le ciel et la terre, soit une création directe et immédiate.
  • Psaumes 33,15 : lui qui façonne leur cœur à tous ; Ésaïe 57,16 car devant moi défaillirait l’esprit, le souffle des êtres que j’ai faits. Dans ces versets, il est intéressant de voir que Dieu revendique la création des âme de tous les hommes. Combiné à Zacharie 12,1, cela revient à dire que Dieu crée toutes les âmes humaines, de façon immédiate : voilà le créatianisme.
  • Hébreux 12,9 : Puisque nous avons tous eu un père de notre chair qui nous corrigeait et que nous respections, ne devons-nous pas à plus forte raison nous soumettre au Père des esprits, pour que nous vivions ?
  • D’autres versets, avec un raisonnement moins direct, sont cités: 1 Pierre 4,19 ; Nombres 16,22.

Troisième argument philosophique : le traducianisme est impossible.

  • L’âme ne pourrait être propagée que par un parent ou les deux. Pas d’autre possibilité, or chacune des deux options est impossible. Pas des deux parents, parce que l’âme n’est pas un fluide pour être mélangée. Pas d’un seul parent, parce qu’il n’y a aucune raison que ce soit l’un plutôt que l’autre.
  • L’âme ne pourrait être propagée qu’en partie ou en totalité. Pas d’autre alternative. Or chacune des deux options est impossible. Si toute l’âme est propagée, ça veut dire que les parents ont donné toute leur âme à leur enfant et n’en ont plus, et donc seraient morts. Pas en partie, parce que l’âme n’est pas un corps que l’on peut couper ou déchirer en plusieurs morceaux.
  • Le recours à l’idée d’une semence immatérielle est ad hoc et non prouvée par ailleurs. Il faut tout de même rappeler que l’âme n’est pas divisible puisqu’elle n’est pas matérielle.
  • Le mécanisme d’une semence immatérielle pose cet autre problème : si elle vient de la semence matérielle, alors elle est corruptible et destructible comme la semence dont elle est issue. Si elle n’en vient pas, c’est du créatianisme.
  • Le mécanisme inconnu n’est pas non plus une explication possible : soit l’âme de l’enfant est produite à partir d’une matière du père, soit il n’y a pas de transmission de matière, mais il n’y a pas de marge ici pour un mystère.
  • Sur le traducianisme par communication (« la chandelle qui allume la chandelle ») :
    • Il n’y a de communication sans altération que dans une essence infinie : si vous prenez un peu d’eau dans une baignoire pour en mettre dans une bassine, il y a moins d’eau dans la baignoire. De même si l’âme des parents se communique à leurs enfants, il y a « moins d’âme » dans les parents, ce qui n’a pas de sens.
    • L’analogie de la flamme ne s’applique pas, car le feu vient d’une potentialité de la matière : la lumière n’est pas produite par la lumière, mais l’incendie de la mèche. C’est donc une mauvaise image de la manière dont l’âme peut fonctionner.

En un mot, le créatianisme (Dieu crée l’âme immédiatement) est plus vrai que le traducianisme (l’âme est propagée par les parents). Turretin enfonce le clou en mentionnant Zoroastre, Aristote (De generatione animalis) et Cicéron, qui, quoique païens, ont mieux discerné la vérité que les luthériens sur ce sujet.

Objections (§§ 11-17)

§11 : Dieu a cessé toute œuvre de création au septième jour, et donc la création des âmes : Le septième jour, Dieu avait achevé tout le travail qu’il avait fait ; le septième jour, il se reposa de tout le travail qu’il avait fait. Genèse 2,2.
→ Il s’est reposé de son travail de création initiale, pas de toute administration de la création. Jean 5,17 Jésus leur répondit : Mon Père est à l’œuvre jusqu’à présent, et moi aussi je suis à l’œuvre. Les âmes que Dieu crée ne sont pas de nouvelles espèces, mais l’agrandissement d’une Création déjà établie.

§16 : Hébreux 7,9-10 : Enfin Lévi, qui reçoit la dîme, l’a pour ainsi dire payée par Abraham : car il était encore dans les reins de son père quand Melchisédek alla à la rencontre d’Abraham
→ Lévi était en Abraham en mode séminal et selon les pouvoirs naturels de son père et sa mère.

§17 : Le traducianisme est l’explication nécessaire pour expliquer le péché originel : il est transmis par propagation des âmes.
→ Nous n’avons pas besoin de ce mécanisme pour fonder le péché originel, il est assez fondé par ailleurs. Il n’y a besoin que l’essence de notre âme vienne de l’essence de nos parents pour hériter de cette culpabilité, mais seulement de leur subsistance. Même sans traducianisme, nous avons bien un lien spirituel avec nos parents qui suffit à la transmission du péché originel.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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