Les vertus des païens sont-elles des bonnes œuvres par lesquelles on peut inférer le libre arbitre capable de salut ?
Nous avons déjà vu que la tradition réformée nie toute qualité salvifique aux bonnes œuvres des non-croyants. Quelle que soit la bonté et les prodiges des savants, humanitaires et « grandes âmes » non chrétiennes, cela ne compte pour rien dans leur salut. Avant que le concile Vatican II n’affirmât la possibilité pour les non-chrétiens d’être sauvés par leurs bonnes œuvres, le concile de Trente nous condamnait déjà dans la session 6, canon 7 :
Quiconque dit que toutes les œuvres accomplies avant la justification, de quelque manière qu’elles soient faites, sont véritablement des péchés, ou méritent la haine de Dieu, ou que plus on s’efforce sérieusement de se disposer à la grâce, plus gravement on pèche, qu’il soit anathème. — Concile de Trente, session 6, canon 7.
Cependant, comprenons-nous bien : nous ne nions pas qu’un bien soit fait par des non-croyants, seulement il est purement extérieur et civil. Ce sont, selon les termes d’Augustin, de « splendides péchés ». Ensuite, le peu de bien qu’ils ont fait vient tout de même de Dieu et non de leurs propres forces.
Argumentation (§§ 3-4)
Pour qu’une œuvre soit entièrement bonne, il faut trois conditions :
- Elle doit venir d’un cœur purifié par la foi (Actes 15,9) puisque tout ce qui n’est pas fait par foi est péché (Romains 14,23) et déplaît à Dieu (Hébreux 11,6, cf. aussi Tite 1,15).
- Elle doit être conforme à la volonté de Dieu jusque dans les inclinations intérieures (Romains 7,14).
- Elle doit être faite pour la gloire de Dieu (1 Corinthiens 10,31).
Or les vertus des païens manquent chacune de ces conditions.
Réponse aux objections
Objection 1 : Les Athéniens sont dits adorer le Dieu inconnu (Actes 17,23), ce qui pourrait suggérer qu’ils rendaient un culte véritable au vrai Dieu, même sans le connaître.
→ Réponse : Paul ne dit pas qu’ils adoraient véritablement Dieu, mais qu’ils le faisaient selon leur opinion, croyant offrir un culte légitime. Par une accommodation habile, il les loue avec nuance pour les amener à Christ, tout en soulignant l’ignorance et la vanité de leur culte, évitant ainsi toute flatterie.
Objection 2 : Les actions morales des païens ne sont pas des péchés en soi (quant à leur substance), mais seulement par accident (quant à leur mode, à cause de défauts). On pourrait donc penser qu’il vaut mieux s’abstenir de les accomplir pour éviter de pécher.
→ Réponse : Les actions qui sont des péchés en soi, interdits par Dieu, doivent être évitées. Mais celles qui ne sont péchés que par des défauts accidentels ne doivent pas être omises ; leurs défauts doivent être corrigés et complétés.
Objection 3 : Les récompenses terrestres accordées aux païens pourraient indiquer que leurs actions sont de véritables vertus ou de bonnes œuvres.
→ Réponse : Les récompenses temporelles, données indistinctement aux élus et aux réprouvés, ne prouvent pas une vraie vertu. Elles reflètent la justice divine, qui récompense même les apparences de vertu par des bénédictions temporelles, non pour leur corruption inhérente, mais pour leur bien extérieur apparent, afin que les incroyants n’aient rien à reprocher à la justice de Dieu.
Objection 4 : L’humiliation d’Achab (1 Rois 21,27-28) semble plaire à Dieu, et le repentir des Ninivites (Jonas 3,5 ; Matthieu 12,41) pourrait être compté parmi les œuvres des païens, suggérant que leurs actions ont une valeur spirituelle.
→ Réponse : L’humiliation d’Achab était hypocrite, motivée par la peur du châtiment, non par l’amour de la vertu ; elle n’était pas agréable à Dieu en soi. Dieu n’a accordé qu’un sursis, non un pardon, pour montrer ce qu’un repentir sincère peut obtenir. Le repentir des Ninivites n’est pas une œuvre païenne, car il découlait de la foi en Dieu et de sa Parole, contrairement aux actions des païens.
Objection 5 : Certaines vertus des païens (justice d’Aristide, continence de Scipion, sagesse de Socrate, bravoure d’Alexandre) pourraient indiquer une capacité résiduelle de leur libre arbitre à accomplir le bien.
→ Réponse : Ces vertus apparentes ne prouvent pas une force innée pour le bien dans le libre arbitre, car même ces actions nécessitent l’aide spéciale de Dieu. Les différences de moralité ou de talent chez les païens ne viennent pas d’eux-mêmes, mais de l’assistance divine.


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