En disant de quelqu’un qu’il est libre, nous disons quelque chose de cette personne même, et non des circonstances qui l’entourent. La liberté relève de la « puissance » plus que de la « possibilité ».
Des contraintes extérieures peuvent limiter considérablement ce qui est nous est possible — mais elles n’affectent pas notre « liberté », ainsi conçue. Rien n’induit plus en erreur, sur ce point, que la philosophie populaire selon laquelle la liberté consiste en absence de limites. Son intention est bien sûr de reconnaître une vérité : la « puissance » qu’est la liberté exige d’avoir la « possibilité » comme objet. La liberté s’exerce en effet dans une situation donnée par la décision d’actualiser un possible et d’annuler tous les autres ; s’il n’y avait pas des possibilités, la liberté n’aurait pas de champs où s’exercer. Les possibles n’ont pourtant pas à être nombreux. Même lorsque nous n’avons pas plus à décider que d’accepter une situation inévitable de bon coeur ou non, nous exerçons une liberté de choisir entre possibilités alternatives de conduite. La philosophie populaire est particulièrement fausse, toutefois, en suggérant que nous pouvons maximiser notre liberté en multipliant les possibilités qui nous sont offertes. Car si le possible doit avoir un sens par rapport au choix libre, il doit être défini : et sa définition lui vient de structures comportant des limites. La multiplication indéfinie des options ne peut avoir qu’un effet : rendre le choix incompétent à déterminer l’avenir, et empêcher que cette détermination soit une possibilité censé offerte à la liberté. La décision de se marier, par exemple, dépend de la possibilité de se marier, et celle-ci ne peut naître que du champ limité des relations que nous entretenons. Si les limites propres à ce champ disparaissaient, et que tous les partenaires concevables nous étaient immédiatement disponibles, nous ne pourrions choisir librement d’épouser l’un d’entre eux : l’espace vide laissé à la liberté doit être définie, si nous devons en prendre possession. De plus, la décision même de se marier ôte à la foi au mariage et au célibat le statut de possibles en actualisant un possible, le mariage, et en faisant de lui une nouvelle limite que l’on s’impose. L’espace vide laissé à la liberté doit être annulé lorsqu’on en prend possession. La décision dépend de limites existantes, et impose de nouvelles limites. Et quand l’Esprit libère une personne, cette liberté prouve immédiatement son existence en ce lien au service des autres : « vous avez été appelé à la liberté… par la charité, mettez-vous au service les uns des autres » (Galates 5, 13)1.
- O’DONOVAN, Oliver, Résurrection et expérience morale: esquisse d’une éthique théologique, LACOSTE, Jean-Yves, Paris : Presses Universitaires de France, 1992, pp. 131-132.[↩]
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