Ce samedi 6 février 2021, le mouvement des Attestants organise son congrès annuel (programme et inscriptions ici). L’an dernier, il avait également organisé un séminaire sur la croissance de l’Église auquel j’avais pu assister avec d’autres contributeurs de ce site. Cette association ayant déjà cinq ans, il est grand temps d’en dresser un premier bilan ; le n°117 de la revue de réflexion théologique Hokhma, consacré aux « mouvements confessants » et paru l’an dernier, y incitait déjà, mais ne présentait que l’opinion des cadres de l’association. Pour notre part, et alors qu’on nous demande parfois quelles sont nos différences avec ce type de mouvements, notre appréciation sera beaucoup plus mitigée. Nous présentons ci-dessous quatre axes critiques, qui entendent expliquer pourquoi nous marchons sur des chemins séparés.
Cet article est le fruit d’une réflexion collective et reflète la position commune des membres de Par la foi.
I. Rappel historique
Jusque dans les années 2000, le protestantisme « historique » luthérien et réformé était organisé autour de sept Églises, issues en ligne plus ou moins directe de la reconstitution de ces deux confessions sous l’Empire (la Révocation et la Révolution faisant qu’aucune Église ne peut se prétendre héritière de manière ininterrompue des Églises de l’Ancien Régime). Il s’agissait d’une part de :
- L’Église réformée de France (ERF), elle-même issue de la réunion de plusieurs dénominations réformées du début du XXe siècle au synode de Lyon en 1938. Nous avons résumé son histoire agitée ici.
- L’Église évangélique luthérienne de France (EELF), présente surtout dans le pays de Montbéliard et en région parisienne, avec quelques autres paroisses sur le reste du territoire (Lyon, Nice).
- L’Église (protestante) de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine (ECAAL puis EPCAAL), luthérienne donc, en Alsace-Moselle.
- L’Église (protestante) réformée d’Alsace et de Lorraine (ERAL puis EPRAL), en Alsace-Moselle également.
Et d’autre part de :
- L’Union des Églises évangéliques libres (UEEL), créée en 1849 pour préserver son indépendance par rapport à la République, et se doter d’une confession de foi (les autres réformés ne le feront qu’au synode de 1872, et à grand-peine). L’identité confessionnelle réformée de ces Églises est aujourd’hui moins affirmée.
- L’Église évangélique luthérienne — Synode de France (EEL-SF), qui fait sécession progressivement à partir de 1869, d’abord en Alsace. Après 1918, elle s’implante également sur le reste du territoire français.
- L’Union nationale des Églises protestantes réformées évangéliques de France, autrefois Églises réformées évangéliques puis Églises réformées évangéliques indépendantes1 (UNEPREF, anciennement UNEREI), fraction minoritaire des Églises réformées évangéliques qui refuse l’union avec les Églises réformées sur des bases libérales.
À quelques nuances près, on peut globalement qualifier les premières Églises comme appartenant à la mouvance « libérale », tandis que les autres s’efforcent, avec un succès variable, de rester fidèles au dépôt de leur foi respective, tel qu’exprimé notamment dans les symboles œcuméniques et les confessions du temps de la Réforme. Il ne faut pas toutefois exagérer ces différences à l’origine : une Église comme l’ERF, à peine constituée, vote par exemple des motions en synode pour interdire aux pasteurs de bénir des remariés sans autorisation expresse (synode de Paris-Luxembourg 1944), s’indigne de la prolifération de la littérature pornographique et de la prostitution, et de l’inertie des pouvoirs publics sur ces sujets, évoque la « puissance de l’influence du Cinéma sur les masses et la nécessité de sauvegarder la famille et la valeur morale et spirituelle contre l’action destructrice des films bas, vulgaires et dégradants » et veut lutter contre « la progression du péché d’intempérance [l’alcoolisme] qui met en péril notre race et menace même de s’introduire dans nos Églises » (synode de Bordeaux 1939)2.
Un point commun des quatre premières union d’Églises est qu’elles se sont engagées dans un processus d’union au début du XXIe siècle. Plutôt que d’abolir les frontières géographiques (entre l’Alsace-Lorraine et la « France de l’intérieur »), l’union s’est faite sur des bases réglementaires (les Églises de droit local d’une part, et celles relevant de la loi de 1905 d’autre part). Entre l’ERF et l’EELF, le mariage s’est conclu en 2013, à Lyon, et la nouvelle dénomination d’origine luthérienne et réformée a pris le nom d’Église protestante unie de France. Communion luthérienne et réformée (EPUdF). Ce changement est toujours présenté comme une union dans les médias, mais il s’agit juridiquement de la dissolution de l’EELF, ses paroisses rejoignant l’ERF qui change de nom à l’occasion. Là où de telles réunions s’étaient parfois faites par la volonté du prince (en Allemagne notamment), il s’agit d’une union volontaire, précédée par celle des Églises alsaciennes et lorraines (UEPAL en 2006). Ce rapprochement avait été préparé de longue date (le mouvement des pasteurs d’une confession à l’autre était déjà possible, la communion d’autel fréquente, etc.) et s’ancre dans une tradition qui remonte au moins à la Concorde de Leuenberg de 19733. La déclaration d’union adoptée en 2013 par la nouvelle Église mentionne la Confession de foi de La Rochelle ; on ne retrouve toutefois pas les confessions ou catéchismes de la Réforme réformée dans ses textes doctrinaux. S’il est fait mention du Dieu trinitaire, on sait toutefois avec quelle autorité est reçu, depuis 1938, ce type de déclarations au sein de l’ERF.
Très vite, il apparaît que cette union ne sera pas purement administrative : d’abord distingués (au sein de régions confessionnelles différentes), luthériens et réformés de l’est de la France décident de fusionner en une seule entité hybride (avec un inspecteur ecclésiastique luthérien). Quant aux paroisses luthériennes de l’inspection de Paris situées hors d’Île-de-France, celle de Nice a rejoint un ensemble paroissial unique (il n’est plus question que de tradition réformée ou luthérienne), celle de Lyon semble être la seule à subsister timidement (mais est incluse dans une unité régionale réformée). À de rares exceptions près, les Églises locales ont changé de nom pour s’appeler Église protestante unie de… : l’identité réformée ou luthérienne est reléguée dans les petites lignes des statuts.
Mais c’est surtout l’adoption de la bénédiction de couples de même sexe, votée à la quasi-unanimité par les délégués du synode national du Lazaret à Sète en 2015, qui a eu un retentissement médiatique et ecclésial. Après la bataille, un petit groupe de pasteurs et de laïcs au départ opposé à cette mesure s’est fédéré, non pas tant pour la remettre en cause que pour « devenir un ferment de renouveau ou de réveil de l’Église ». Le 16 janvier 2016, les Attestants étaient nés (lire ici leur déclaration d’intention).
Dans la presse protestante ou dans leur relation à d’autres Églises4, les Attestants aiment à se présenter comme un pôle « évangélique » ou « confessant » à l’intérieur de l’EPUdF, en contre-poids à un pôle « libéral » dans l’Église (cf. par exemple cet article). Est-ce là vraiment leur positionnement ? C’est d’abord cette ambition que nous examinerons dans cet article.
II. Prétentions confessantes, réalités libérales
En fondant leur mouvement, les Attestants expliquent avoir envisagé se nommer confessants5, mais y avoir renoncé en raison de l’association de ce terme avec l’« Église confessante » dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. C’est donc dans ce sens d’une fraction de « résistance », plus que d’ancrage confessionnel, qu’il faut comprendre la prétention confessante des Attestants. L’imagerie résistante est présente à l’arrière-plan du site internet des Attestants, directement inspiré du célèbre graffiti Résister de Marie Durand à Aigues-Mortes.
Et en effet, l’identité confessionnelle n’est guère plus présente chez les Attestants que dans le reste de l’EPUdF. Ils ne se sont par exemple pas dotés d’une (ou de deux) confession de foi explicite, et le formulaire d’adhésion ne demande que d’adhérer à la déclaration d’intention. Il n’est pas fait référence aux livres symboliques luthériens et réformés. Dans les paroisses où ce mouvement est numériquement bien représenté, les particularités confessionnelles ne nous semblent pas plus présentes qu’ailleurs — et plutôt moins ! Les spécificités de l’ex-EELF par rapport à l’ex-ERF, par exemple, l’obligation que la Cène soit présidée par un pasteur ordonné, sont tantôt mentionnées, tantôt oubliées. Certains pasteurs de l’association servaient d’ailleurs depuis longtemps dans une Église de l’autre confession. La fusion entérinée trois ans plus tôt n’avait, à ma connaissance, engendré aucune opposition de la part des futurs Attestants, alors même que les Églises unies de par le monde s’inscrivent clairement dans un projet libéral.
Le mouvement semble donc s’inscrire pleinement dans la nouvelle foi « luthéro-réformée ». L’« attestation de la foi » appartenait avant la création du mouvement à la rhétorique mainstream de l’Église (cf. aussi la communication sur l’« Église de témoins ») : plus que dans une logique de rupture, elle s’inscrit dans la continuité. Les Attestants sont dans une logique de pleine fidélité aux instances dirigeantes et au projet de la nouvelle Église :
La déclaration d’intention souligne à la fois le désaccord qui est à l’origine du mouvement et son désir d’entrer pleinement dans le projet de l’EPUdF : devenir une « Église de témoins », donc… attestataire (sans être identitaire). Le terme avait été lancé comme mot d’ordre par le pasteur Laurent Schlumberger, président du Conseil national de l’ERF, au synode de Sochaux (qui réunissait pour la première fois réformés et luthériens en 2007).
Christophe Desplanque, « Les Attestants. Naissance et enjeux d’un mouvement confessant au sein de l’Église protestante unie de France », Hokhma 117, 2020, p. 16 (nous soulignons).
S’il est évident qu’il est difficile d’être confessionnel dans une Église qui a formellement renoncé à l’être, il y a néanmoins davantage à dire : les Attestants ont un rapport compliqué avec le pluralisme. On trouve chez eux des appels à la diversité et à la tolérance d’opinions différentes, somme toute assez classiques : « La diversité proclamée par notre Église doit être vécue jusqu’au bout. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : nous voulons une vraie diversité », peut ainsi déclarer Caroline Bretones, pasteure (luthérienne) de l’Église protestante unie (de tradition réformée) du Marais6. Certains des Attestants n’hésitent d’ailleurs pas à se qualifier de plutôt libéraux théologiquement. D’un autre côté, ils s’élèvent occasionnellement contre le pluralisme, comme lorsqu’ils critiquent la première déclaration de foi de l’EPUdF (finalement votée en 2017) :
En 1938, nous avions une Déclaration de foi confessante, profondément marquée par l’influence de Karl Barth. Le préambule laissait cependant une marge considérable d’interprétation à ceux qui avaient une pensée différente en particulier plus libérale. En 1938, la pluralité des approches était clairement garantie par ce préambule. Il ne l’est pas dans la proposition de base de 2016. En ceci, il y a régression. Une Église confessante a su faire de la place pour d’autres options. Une Église animée par une théologie très sécularisée semble aujourd’hui ne pas pouvoir faire une place à d’autres approches par exemple plus confessantes.
La Déclaration de foi de l’ERF en 1938 n’est clairement pas pluraliste, elle est classiquement réformée, confessante et trinitaire. C’est dans l’interprétation libérale de cette Déclaration selon le préambule que le pluralisme était reconnu. Aujourd’hui, le pluralisme est lui-même le sujet de la foi et de la Déclaration de foi proposée. Il est descendu du préambule dans le corps de la Déclaration lui-même. Une Déclaration de foi précise admettait des marges d’approximation, mais quand ce qui était dans les marges approximatives remplit le texte lui-même il n’y a plus aucune place pour une pensée confessante. Une foi trinitaire, classique, confessante n’est pas une variante parmi d’autres d’une théologie dite libérale.
Pascal Geoffroy, « Déni de pluralisme », attester.fr, mai 2016 (nous soulignons).
Le diagnostic est assez correct mais vient beaucoup trop tard. Si la déclaration de 1938 était orthodoxe (ou plutôt néo-orthodoxe ?), c’était parce qu’il fallait préserver les apparences pour garantir le succès de l’union. C’était toute la fonction du préambule que de vider le texte de sa substance et de sa force (et c’est ce qu’avaient compris les réformés évangéliques qui formèrent les EREI) ; le préambule d’un texte normatif est tout sauf accessoire7. Du reste, ce qui semble être par-dessus tout regretté, ce n’est pas tant le libéralisme lui-même, mais que ce libéralisme ne laisse plus de place à d’autres « pensées », « expressions » ou « variantes » d’une foi qui n’est finalement pas perçue comme réellement différente. C’est être bien naïf sur les évolutions de ces Églises entre temps ; on croit voir un vétéran de la Seconde Guerre mondiale sortir tout à coup de son maquis et ne pas s’apercevoir que la guerre est depuis longtemps terminée. Soixante-quinze ans plus tard, il n’y a pas lieu de refaire la bataille. Ne pas avoir saisi que la fusion luthéro-réformée de 2013 faisait du pluralisme le fondement commun et explicite de l’Église (ce qu’il était déjà depuis longtemps implicitement) est une erreur fatale que les Attestants ont commise et dont ils ne semblent pas avoir pris conscience.
Cette injonction à la pluralité, dont on voit mal finalement les différences avec le pluralisme joyeux du reste de l’EPUdF, ne concerne pas seulement le rapport des Attestants au reste de son Église, mais aussi à la conception que le mouvement a de lui-même. Toujours dans la présentation faite pour Hokhma, nous lisons :
Les Attestants présentent une certaine diversité théologique et spirituelle par-delà le respect commun des fondamentaux de la Réforme : l’autorité de l’Écriture n’en est pas la moindre. On trouve parmi eux des sensibilités charismatiques et non-charismatiques, des calvinistes, des piétistes, des néo-luthériens, des tenants du baptême exclusif d’adultes et des pédobaptistes…
Christophe Desplanque, art. cit., p. 21.
Et force est de constater en effet que le mouvement est animé par de nombreuses tendances centripètes. La redécouverte de l’Évangile dont plusieurs pasteurs disent avoir fait l’expérience, semble-t-il, les éloigne de la foi et de la tradition réformées (ou luthériennes) plutôt qu’elle ne les y ramène. Certains pasteurs attestants ont désormais adopté des positions baptistes, alors qu’ils étaient de formation pédobaptiste. Il suffit de consulter ce que présentent les sites internet de paroisses à forte coloration attestante au sujet de ce sacrement pour constater que le baptême des enfants y est totalement ou pratiquement absent. Les membres de l’Église ne sont plus incités à baptiser leurs enfants (un exemple ici, un autre plus explicite encore là). Cette position n’est pas seulement celle de quelques Églises locales, mais de l’association dans son ensemble :
– je préfère le baptême par immersion au baptême par aspersion parce que le grec baptizein veut dire « être plongé entièrement » ; mais j’ai été baptisé par aspersion,
Anonyme, « Faut-il être baptisé pour prendre la Sainte-Cène ? Si oui, de quel baptême (immersion/aspersion) précisément ? », 1001 questions, 2018.
– je préfère avec les chrétiens du premier siècle un baptême en rivière qu’un baptême dans une piscine ou un baptistère, car le premier évoque une eau vive, et le second une eau morte ; mais j’ai été baptisé dans un baptistère,
– je préfère un baptême d’adulte à un baptême d’enfant parce que je ne vois pas comment on peut se repentir en étant bébé, or la repentance me semble être un élément fort du baptême, avec la confession de la foi et l’accueil premier et supérieur de la grâce ; mais j’ai été baptisé bébé.
– je préfère un baptême d’adulte aussi parce que nous ne sommes plus en régime de chrétienté où l’appartenance à l’Eglise serait linéaire. Comme aux temps bibliques, elle redevient un choix personnel et c’est tant mieux !
– je préfère un baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit parce que Jésus le demande en Matthieu 28, mais je ne suis pas choqué qu’on soit baptisé au nom du Seigneur Jésus comme en Actes 2,8 et d’autres références…
Au moins un des pasteurs attestants affirme avoir aussi rebaptisé (ce qu’il appelle pudiquement une « confirmation par immersion » ?!), tout en reconnaissant la validité du baptême précédent, ce qui est un non-sens ecclésiologique (même pour un baptiste !).
Quant aux dons de l’Esprit, il n’y a pas non plus d’unanimité. Un pasteur attestant peut déclarer (à l’occasion du séminaire L’Église qui croît) « assumer la totalité de la théologie réformée » (qu’il a apprise à la faculté de théologie protestante de Paris) tout en pratiquant la délivrance ekbalistique (exorcisme), le parler en langues et la « parole de connaissance ». L’enseignement sur la cessation des dons spirituels ne fait manifestement pas partie du corpus de doctrines luthéro-réformées admis par les Attestants. J’ai moi-même pu assister à la pratique du parler en langues pendant le culte (sans interprétation) dans au moins deux paroisses desservies par des pasteurs attestants. L’une d’entre elles attirait notamment beaucoup de gens qui semblaient, au moins en partie, attirés par cette dimension spectaculaire de la spiritualité chrétienne, et qui n’hésitaient pas à butiner d’Église en Église, y compris vers des mouvements beaucoup plus radicaux. Certains de mes frères d’alors fréquentaient par exemple le mouvement pentecôtiste radical The Last Reformation. La prégnance du mouvement charismatique au sein de cette association permet aussi un œcuménisme très large, y compris avec le mouvement charismatique catholique. Un ancrage plus ferme dans une théologie saine aurait pu prévenir ces différentes dérives.
On peut donc à bon droit douter de la prétention confessante (quel que soit le sens précis qu’on donne à ce mot) des Attestants. Ils sont trop divers pour constituer un pôle uni capable de résister et de proposer une voie alternative vraiment cohérente. Du reste, peut-on vraiment parler d’un pôle libéral au sein de l’EPUdF ? N’y a-t-il pas plutôt diverses nuances de libéralisme qui traversent l’ensemble de l’Église — Attestants compris ? Si les libéraux ont leurs lieux de prédilection — à Paris, l’Oratoire du Louvre, le Foyer de l’âme ou l’Étoile — et leurs plumes emblématiques, ils ne sont pas organisés en tant que tels au sein de l’Église8 ; le fait qu’ils n’en aient pas ressenti le besoin est d’ailleurs symptomatique ! Nous affirmons pour notre part que le libéralisme est constitutif de l’identité et de la vision de l’EPUdF ; à ce titre, les Attestants sont des libéraux moins extrémistes9 et moins cohérents que les autres, mais participent de cette même logique.
Le confessionalisme est donc au mieux perçu comme un état d’esprit pragmatique, non comme un principe fondateur. Il est confondu avec la foi évangélique en général, autour d’un consensus a minima10, voire avec le baptisme ou le pentecôtisme. Quand ils essaient de se définir eux-mêmes, les Attestants insistent d’abord sur leur grande diversité ; loin de se revendiquer d’une ligne anti-libérale, ce qui serait légitime et viable historiquement (cf. les pères synodaux orthodoxes de 1872), ils affirment simplement qu’« on ne peut pas pousser le libéralisme théologique trop loin » : c’est une différence de degré et non de nature.
Maintenant que nous avons précisé notre vision de l’identité de ce mouvement, examinons trois autres difficultés importantes.
III. Modernisme et post-modernisme chez les Attestants
Nous avons traité à de nombreuses reprises (notamment dans des articles d’Étienne Omnès) du modernisme et du post-modernisme dans les Églises protestantes et évangéliques. Disons-le tout de suite : les Attestants n’y échappent pas. Les tendances modernistes se constatent notamment dans le culte : les traditions réformées et luthériennes, même lorsqu’elles n’ont pas d’incidences théologiques directes (port de la robe pastorale, usage de la chaire, etc.) sont rejetées presque systématiquement. Un des pasteurs organisateurs du séminaire L’Église qui croît expliquait s’être d’emblée débarrassé d’un harmonium dans son temple, alors qu’il dit lui-même adorer la musique baroque, dans le but de plaire à une jeune génération… qui ne fréquente pas le culte. Pourtant, il est assez largement reconnu que nombreux sont ceux qui, dans la nouvelle génération de membres et responsables d’Église (celle de nos contributeurs de Par la foi !), recherchent un ancrage identitaire, un recueillement et un soin liturgique plus important que ce qu’affectionnait la génération des boomers.
Cette difficulté à vivre la coexistence des générations (qui découle logiquement de l’abandon de l’identité confessionnelle) est particulièrement sensible dans ce qu’enseignent les Attestants sur la croissance de l’Église — un thème populaire chez eux, qui a été le sujet des séminaires annuels L’Église qui croît, et aussi du congrès de 2018. Le conflit entre générations dans l’Église est déclaré inexorable voire semble encouragé. Certains ministres se félicitent de trouver une Église vide ou presque vide pour ne pas être embarrassés par son héritage. Le modèle exponentiel de croissance proposé (que la stagnation relative des Attestants ne vérifie d’ailleurs pas) ne voit pas de problème à sacrifier et marginaliser des membres actifs de la communauté (John [le vieil organiste dévoué] actually needs to be shot, déclarait ainsi Rick Thorpe, invité au forum des Attestants 2018 ; citation à 48′).
Le culte est centré sur l’évangélisation, sa forme est jugée librement adaptable. La louange prend une place importante en début de culte, sur le modèle des cultes évangéliques habituels. C’est particulièrement dommage, quand on connaît la richesse, la signification et l’ancrage biblique des ordres du culte traditionnels des Églises réformées et luthériennes ; ça l’est d’autant plus que certaines Églises évangéliques semblent y venir et s’en inspirer. On effectue des sondages auprès de non-chrétiens pour savoir ce qu’ils attendent de l’Église, dans la lignée du mouvement de l’Église émergente (Emerging / seeker-sensitive church). Les moyens de grâce habituels — la prédication de la Parole et la pratique des sacrements — sont concurrencés à demi-mot par la quête d’expériences plus ou moins spectaculaires. On le voyait tout à l’heure avec l’exemple du baptême : c’est la volonté du nouveau venu d’être rebaptisé ou non qui semble parfois l’emporter sur les convictions de l’Église ou du célébrant. L’exception au baptême (permettant d’effectuer des présentations d’enfant en lieu et place de baptêmes) avait d’ailleurs été accordée pour la première fois aux pasteurs qui le souhaitaient à la suite de mai 196811.
Plus largement, on sentait lors du séminaire L’Église qui croît un certain discours nihiliste ou révolutionnaire transpirer de certaines interventions : appel à démolir ou à se débarrasser des temples (sûrement renforcé par le contexte d’interdiction ou de sévères restrictions du culte public), Église qualifiée de start-up, critiques convenues de la « tradition » (au point qu’un ancien luthérien devenu baptiste s’est senti obligé de tempérer et de défendre l’héritage huguenot !) et de la « religion », etc. Dans le contexte sanitaire actuel, on a aussi vu une attitude un peu trop optimiste à notre goût face à la technologie (et la suggestion de prendre la Cène à distance, ou en groupes de maison, ou en mangeant) ; quelques nuances ont cependant été apportées, mais parfois pour de mauvaises raisons : crainte de l’« entre-soi » théologique, désir de brassage, etc.
Enfin, le positionnement politique (à gauche) de certains pasteurs est assez net, et les proximités avec la théologie de la libération sont réelles12. Là encore, nous avons assez insisté ici sur les dangers de ce langage de la libération dans l’Église. Quant aux ministères féminins (et à l’égalitarisme), ils ne sont l’objet d’aucune réflexion dans le mouvement, tout comme dans le reste de l’Église.
Pour notre part, l’Église n’est pas et ne devrait jamais être une tabula rasa. Son héritage n’est pas a priori un obstacle, mais plutôt une richesse à découvrir ; les jeunes peuvent comme les autres apprendre à l’apprécier et en bénéficier — peut-être même davantage que la génération qui l’a souvent combattu. L’intérêt pour l’évangélisation et la croissance de l’Église à marche forcée risque de prendre le pas sur l’approfondissement théologique, qualitatif. Les milieux les plus libéraux semblent finalement plus se préoccuper de théologie proprement dite13, quand les autres cèdent à des tendances minimalistes. Les modes de spiritualité, et singulièrement le culte, disent eux aussi quelque chose de la théologie sous-jacente (lex orandi, lex credendi). La situation actuelle de l’Église protestante unie de France (qui n’est pas la seule dans cette situation), avec des paroisses très libérales attachées à la tradition et des paroisses moins libérales aux liturgies désordonnées, très horizontales, est profondément dysfonctionnelle.
IV. Faire Église à tout prix ?
Il y a dans le rapport des Attestants à l’institution ecclésiale une tension constitutive, qui n’a apparemment jamais vraiment été résolue.
Un mois après le Synode, en juin 2015, une cinquantaine de pasteurs de l’EPUdF14 en désaccord avec la décision prise à Sète se réunissent à Paris. Il s’agit pour beaucoup de déposer leur désarroi dans la prière et le dialogue fraternel, et de chercher ensemble comment sortir de ce que le secrétaire général de l’union, le pasteur Didier Crouzet, nommera assez justement un « conflit de loyautés » : entre la loyauté envers l’Église qui les a appelés à servir, où beaucoup d’entre eux ont trouvé la foi, et celle qu’ils doivent à leurs convictions, notamment dans la façon de recevoir la Bible et de l’interpréter. La plupart de ces ministres décideront qu’il convient de créer un mouvement au sein même de l’Église, incluant non seulement les pasteurs, mais aussi tous les membres qui sont eux aussi pris dans ce « conflit de loyautés » et veulent se donner les moyens de faire entendre leur voix. Il offrira une alternative à tous ceux qui envisagent de sortir de leur Église locale pour manifester leur désapprobation vis-à-vis de la décision synodale.
Christophe Desplanque, art. cit., p. 15 (nous soulignons).
D’une part, il y a chez les pasteurs attestants (mais aussi chez des laïcs avec qui j’ai eu l’occasion de m’entretenir) un attachement assez important, souvent sentimental (l’Église qui les a appelés à servir, où beaucoup d’entre eux ont trouvé la foi) à la structure, qui l’emporte sur les convictions.
Il y a sans doute des raisons compréhensibles à cela, et certains de leurs homologues étrangers l’avouent en toute franchise : il y a des avantages logistiques et financiers à rester dans de grandes unions d’Églises. L’association belge Unio Reformata témoigne :
Finalement, un argument extérieur aux considérations de principe, mais un argument de poids, intimement lié à la situation des Églises belges va conduire au ralliement à la seconde perspective. En effet, quand elles sont reconnues par les pouvoirs publics, ces Églises bénéficient de plusieurs avantages financiers. Les Églises qui examinaient la possibilité de revoir leur statut les liant à l’EPUB, pour devenir Église affiliée, indépendante ou rattachée au Synode fédéral […], se rendent vite compte que, pour des raisons juridiques, [elles] perdraient le salaire du pasteur, d’importantes subventions communales et, dans bien des cas, leurs locaux, temple et/ou presbytère. De telles pertes constitueraient non seulement un handicap pour la vie [de] ces paroisses, mais [aussi] dans la plupart des cas une menace directe pour leur survie.
Jean-Claude Thienpont, « L’Unio Reformata — Entre loyauté et résistance. Une mise en perspective », Hokhma 117, 2020, p. 71.
Il ne faut pas s’y tromper : le résultat de ce blocage est qu’un certain nombre — certes limité — de communautés ne se trouve pas dans l’EPUB par conviction ou adhésion de cœur, comme parties prenantes d’un projet global, mais pour des raisons circonstancielles, matérielles, auxquelles elles ne parviennent pas à se soustraire.
Les Belges sont certes dans une position plus dépendante que les Français (hors Alsace-Moselle), mais nul doute que ces arguments ont pu jouer, notamment dans de petites communautés, ou chez les ministres du culte. Malgré tout, les Attestants ont manifesté une volonté de rester coûte que coûte dans l’EPUdF que le Conseil national n’était pas en droit d’espérer — avant comme après le Synode. Ils se disent sidérés et choqués par une décision que tout le monde avait pourtant pressentie dès le début des débats. Cette politique de l’autruche qui a longtemps prévalu a été suivie ensuite d’accents complotistes (invocation d’une majorité silencieuse et d’un vote non représentatif15). Pour manifester cette loyauté à toute épreuve, l’adhésion aux Attestants n’est ouverte qu’aux membres de l’EPUdF, ce que rien ne justifiait (les fidèles de l’UEPAL étant par exemple dans la même situation). Cette inféodation volontaire a une conséquence logique : les Attestants ne sont pas (ou en tout cas plus) perçus comme un danger par les franges plus libérales de l’EPUdF. Ils se sont empressés d’exclure toute sortie de l’union : dès le lendemain du vote synodal, le temple du Marais (vaisseau-amiral des Attestants) exprimait sa volonté de rester par un vœu du conseil à l’unanimité. Au contraire, comme des voix sceptiques l’avaient craint dès 2015, les Attestants risquaient de ne servir que « de caution à la dérive que la décision de Sète révélait, en renforçant l’illusion que la diversité théologique était toujours respectée dans l’Église protestante unie16. »
En même temps qu’ils s’affirmaient liés à l’Église, les Attestants semblaient refuser de jouer le jeu synodal. Leur mobilisation en amont du Synode s’est faite en dehors des règles établies par la Constitution de l’Église, leurs déclarations et propositions alternatives n’ont donc logiquement pas été portées à la connaissance des délégués synodaux. En fédérant des individus plutôt que des Églises locales, l’association se situe là aussi en dehors du système presbytéro-synodal, et ne constitue pas une force aussi visible qu’elle pourrait l’être. Difficile pour qui se situe en dehors du mouvement de savoir qui est qui, et quelles paroisses se reconnaissent dans ce mouvement. Le manque d’engagement dans les instances régionales et nationales continue :
Chaque synode régional (l’EPUdF en compte 9) y envoie les délégués qu’il a élus, et qui disposeront donc de la voix délibérative. Mais il n’est guère possible d’en être que par cooptation préalable. Il appartient en effet à chaque conseil régional de soumettre au synode qui l’a élu une liste de candidats à la délégation au synode national, liste systématiquement retenue dans son intégralité, ce qui tend à réduire le vote du synode régional à une simple formalité. Présenter d’autres noms, en concurrence à ceux proposés, serait perçu comme un comportement diviseur, et à notre connaissance, personne ou presque ne s’y est jamais risqué dans l’histoire récente des synodes luthériens ou réformés.
Christophe Desplanque, art. cit., p. 17 (nous soulignons).
On voit donc que, même solidement ancrés dans leur Église, les Attestants n’entendent exercer aucune réelle opposition par les voies prévues à cet effet. Difficile de se plaindre de la non-représentativité supposée d’instances quand on s’est résigné à la logique du parti unique.
Quels leviers reste-t-il aux Attestants ? Sans doute ceux de la discrétion et du repli sur soi, de type congrégationaliste. Ces tentations sont bien compréhensibles. Que cela soit clair, il y a des chrétiens fidèles dans des paroisses unionistes qui, pour des raisons géographiques ou par inertie, demeurent dans ces communautés. Quelques Églises locales, surtout en région parisienne, ont une majorité ou une forte minorité attestante et collaborent sur des projets ponctuels, avec ou sans l’étiquette attestante17. La communion au niveau national est peu vécue (ce qu’on comprend aisément). Lorsque des projets unissent des Églises très libérales et des Églises de la tendance attestante, c’est surtout la voix libérale qui est audible. Rien ne l’illustre mieux à nos yeux que la salutation pascale publiée par les pasteurs franciliens de l’EPUdF ; la région compte à la fois des pasteurs attestants de premier plan et des pasteurs libéraux extrémistes (bultmanniens, théologiens du process, unitariens plus ou moins avoués…). L’intervention discrète des Attestants côtoie ainsi le bref développement théologique de Louis Pernot niant explicitement la résurrection corporelle du Christ (3’13”). On note d’ailleurs que c’est le seul pasteur à tenir un propos de nature doctrinale : seule la théologie libérale crève l’écran.
Le manque de cohérence théologique, on le devine, se traduit probablement aussi au niveau du sensus communionis, notamment au sein du clergé. Certains collègues sont pour les uns des imposteurs, pour les autres, des arriérés d’un autre temps dont il faudrait surveiller les possibles dérives. À un fidèle qui déménagerait dans une ville où les Attestants sont peu présents, ces derniers recommanderont-ils d’aller fréquenter une Église protestante unie nettement plus libérale ? Et inversement ? La discipline d’Église est elle aussi absente de la réflexion. Le pasteur Pascal Geoffroy en regrette la disparition officielle au profit d’une « constitution » à l’occasion de la création de l’EPUdF en 201318. Mais quel que soit le terme qu’on choisisse, il y a longtemps qu’elle n’est plus une réalité. Le Synode n’a plus aucune ambition doctrinale et toutes les confessions de foi, même les plus hérétiques, sont admises sans même créer de vrais remous.
Quel regard portent alors les Attestants sur les luthériens ou réformés qui ont choisi d’autres options ecclésiales ? L’« irénisme réformé » que nous prônons avec nos frères de même confession n’est pas non plus au rendez-vous. Cette idée est qualifiée de « perspective schismatique » ; la démarche d’indépendance de la Faculté libre de théologie réformée19, aujourd’hui Faculté Jean Calvin, relèverait d’une « stratégie de la rupture20». L’Institut protestant de théologie, très libéral, puis la Commission des ministères, sont le passage quasi-obligé pour la formation des nouveaux pasteurs et ministres (qui sont aujourd’hui très féminisés). Si l’autorité des Écritures est un sujet capital pour les Attestants, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils réagissent aux positions de la faculté de Paris à ce sujet. On aurait pu penser qu’ils auraient voulu œuvrer à mettre en place une formation complémentaire pour les ministres présents et futurs, ou une revue théologique faisant contre-poids à Évangile et liberté, il n’en fut rien. Loin de là, ils ont même pris le soin de démentir officiellement ces possibilités !
Vu la mainmise libérale sur des institutions ou des instances-clés de l’Église, la situation ne semble pas devoir évoluer à court ou moyen terme. Un dernier champ d’action, à vrai dire le plus évident, s’offrait aux Attestants comme un boulevard, et laisse un grand vide dans leur bilan.
V. Un silence éthique assourdissant
Le fait à l’origine de la fondation du mouvement des Attestants est la décision du synode de Sète. Celle-ci est elle-même l’écho dans l’Église d’une décision politique, sur les questions d’éthique sexuelle. On a vu la diversité théologique et la faiblesse ecclésiologique des Attestants ; on aurait donc pu penser que le terrain éthique, a priori le plus petit dénominateur commun, serait le plus propice. Il arrive souvent que des courants théologiquement et traditionnellement assez différents se mettent d’accord ponctuellement pour défendre telle ou telle position éthique.
Le mariage homosexuel était une évolution sociétale majeure, sur une thématique qui en appelait d’autres (percée de l’idéologie du « genre ») et qui continue d’être d’actualité, que ce soit dans le monde ou dans l’Église. Les Attestants ont d’ailleurs bien compris que la question éthique n’était pas à prendre uniquement pour elle-même, mais s’inscrivait dans une problématique plus large, attaquant notamment le statut de l’Écriture.
Et pourtant : rien ! Les questions éthiques sont le grand absent des cinq ans d’activité des Attestants. Présent au forum des Attestants en 2018, j’ai pu moi-même constater que la question qui occupait tous les esprits en 2016 n’était déjà plus du tout abordée, évacuée par la préoccupation pour la croissance de l’Église. De même, les autres questions éthiques d’actualité (avortement et fin de vie, procréation médicalement assistée, féminisme, écologie, condition animale, immigration clandestine, restrictions à la liberté de culte, à la liberté d’instruction… les sujets ne manquaient pas !) n’ont pas fait l’objet de positionnements officiels et clairs de l’association — au-delà de rares commentaires de deux ou trois pasteurs ou de laïcs sur des réseaux sociaux à titre personnel.
Seule la mise en cause à peine voilée des Attestants par la récente mission parlementaire sur les « thérapies de conversion » est à signaler ; l’audition par cette mission, fin 2019, du pasteur Gilles Boucomont, acteur de l’accompagnement spirituel, notamment avec des personnes homosexuelles, semble d’ailleurs avoir révélé un certain fléchissement doctrinal. Il y déclarait accompagner des personnes d’un vécu homosexuel vers un vécu hétérosexuel, mais aussi faire régulièrement l’inverse.
L’idée de l’accompagnement spirituel, c’est la question de la demande de la personne. Si quelqu’un a une demande d’exprimer sa foi tout en ayant un vécu homosexuel, on l’accompagne dans ce cadre-là.
Il déclare également assister au « mariage » civil de paroissiens homosexuels. On note en tout cas dans la pratique pastorale décrite des différences notables avec d’autres associations de sensibilité évangélique, Torrents de vie par exemple (dont les représentants, eux-mêmes auditionnés ensuite, ont exprimé leur étonnement face à ces propos). La légitimité de la bénédiction ecclésiale des couples de même sexe semble aujourd’hui pleinement admise, y compris au sein des Attestants, pour peu que le pluralisme et l’objection de conscience soient respectés. Rien ne dit d’ailleurs que cette dernière ait vocation à durer ; l’Église d’Islande l’a déjà supprimée.
La principale, sinon la seule voix protestante « historique » est donc celle de la Fédération protestante de France, dont on connaît l’agenda progressiste. Peut-on vraiment dire que les Attestants, en tant qu’organisation, assument leur mission prophétique ? Les communiqués de leurs membres, en amont et en aval du synode de Sète, auront sans doute rassuré quelques-unes des brebis. Ceux qui, persuadés par les Attestants, sont demeurés dans l’Église devaient s’attendre à un témoignage éthique fort, à contre-courant : ils n’auront rien eu à se mettre sous la dent. Au niveau institutionnel, les Attestants ne semblent espérer rien de plus que la défense du statu quo (en 2014, ils demandaient déjà un moratoire) ; le libéralisme en matière éthique continue pendant ce temps-là à faire son chemin dans les Églises locales et les facultés.
VI. L’heure du bilan
Présent au congrès des Attestants à leur fondation, j’ai cessé de fréquenter l’association et l’Église à l’issue du congrès de 2018. Plusieurs événements m’ont motivé à faire ce choix : la création de l’EPUdF, d’abord, bien qu’elle n’ait semblé poser problème à personne ou presque ; le synode de Sète, bien sûr ; la déclaration de foi mièvre de 2017, enfin. Je n’ai pas trouvé chez les Attestants la vision confessante (et confessionnelle) que j’y espérais ; je n’ai pas trouvé non plus une volonté d’opposition et de contre-proposition aux positions libérales du Conseil national et des autres instances ecclésiales.
Nous pouvons discerner trois moments assez distincts dans la courte histoire des Attestants :
- Une première phase centrée sur les séquelles du synode de Sète, jusqu’au congrès fondateur de janvier 2016, où la perspective d’un mouvement confessant a permis (pour le meilleur ou pour le pire) d’éviter l’hémorragie d’un départ redouté des paroisses opposées au « mariage pour tous religieux ».
- Après le lancement de l’association, une seconde s’était ouverte — peut-être la plus intéressante — où les membres se mobilisèrent sur l’expression de la foi de la nouvelle Église. La direction de l’Église, en effet, forte du succès de Sète, poursuivait son désir d’aggiornamento en faisant discuter et adopter à marche forcée une nouvelle déclaration de foi. La déclaration a connu trois versions successives, et c’est là peut-être la meilleure réussite dont peuvent se prévaloir les Attestants21, mais ce succès d’estime, comme ils le reconnaissent volontiers, a un arrière-goût amer.
- Enfin, la tendance actuelle chez les Attestants est aussi au modernisme, à la remise en cause générale des modèles d’Église existants (le coronavirus et l’interdiction des cultes étant le catalyseur de cette réflexion), dans une perspective nettement anti-institutionnelle et charismatique. Reconnaissant la tension croissante entre doctrine chrétienne et communion dans l’EPUdF, l’accent semble être mis sur la seconde option, en faisant de l’approfondissement de la communion fraternelle le thème du congrès. Et les Attestants de se décerner un satisfecit :
[René Lo Negro souligne] que, pour autant, le choix n’a pas été fait de se désolidariser de l’institution : « C’était le bon pari car nous avançons dans l’unité du corps du Christ et le fait que nous ayons vécu ces différents événements nous a rendus attentifs au thème qui sera au centre de notre forum : la communion fraternelle, tandis que sévissent des séparatismes22 de tout bord et que la crise sanitaire n’encourage pas la communion fraternelle. » Une communion pourtant essentielle, les Attestants y tiennent, pour faire vivre et partager l’espérance chrétienne.
Réforme du 30 janvier 2021.
Que faut-il penser de ce constat franchement pessimiste ? Les Attestants voulaient rendre à l’Église protestante unie un bon témoignage. Finalement, ils ont rendu au Conseil national un bon service. Dans la pratique, ils ont accepté le consensus large du synode de Sète, qui n’est pas remis en cause. Ils l’ont fait au nom de l’Église et de la tradition luthérienne et réformée, alors qu’on a vu plus haut la méfiance que suscitait ce dernier terme dans d’autres contextes.
On aurait pu espérer qu’un changement de dénomination de davantage d’Églises conduisît à une réforme plus en profondeur des paroisses sécessionistes, voire fît l’effet d’un électrochoc sur d’autres Églises locales et entraînât une recomposition du paysage protestant historique français. Les autres Églises (en particulier l’UEEL, le Synode de France et l’UNEPREF) ont sans doute aussi leur part de responsabilité dans cet échec, et auraient pu faire preuve de plus d’initiative pour accueillir les Églises locales candidates au départ, même en amont du vote ; cela dit, les différences théologiques sont réelles au-delà de la seule question homosexuelle, comme on le voit dans le pluralisme qui caractérise les Attestants eux-mêmes. À ce jour, trois paroisses (Saint-Laurent-du-Pape en Ardèche, Thiers dans le Puy-de-Dôme et Meaux en Seine-et-Marne) ont fait le choix de devenir des paroisses réformées évangéliques. Souhaitons qu’elles y trouvent toute leur place ; il y a là aussi un combat à mener23.
L’Église protestante unie de France, sans arrêter sa décrue régulière, a donc plutôt bien sauvé ses effectifs. Que penser de la préoccupation des Attestants pour la croissance de l’Église, illustrée par les nombreux séminaires sur « l’Église qui croît » ? Voilà qui est juste et bon : le désir ardent d’amener les âmes au salut et à la connaissance de la vérité (1 Timothée 2,4) devrait animer toute Église fidèle, toute vocation pastorale et tout chrétien témoin du Ressuscité. Pour autant, il nous semble légitime d’interroger la pertinence d’une telle croissance dans les conditions actuelles où cette Église comprend et annonce son message. À l’heure actuelle, la croissance de l’Église protestante unie de France ne nous paraît pas une chose désirable pour l’Église universelle. La présence en son sein des Attestants est d’après nous un obstacle à la reconstitution d’une identité réformée (ou luthérienne) authentiquement confessante plutôt qu’un instrument à cette fin. À ce titre, nous ne jugeons pas non plus la communion possible entre nous.
À ceux qui sont nos frères et sœurs qui demeurent dans les paroisses de l’Église protestante unie de France, membres ou non des Attestants, et veulent vivre fidèlement leur foi réformée ou luthérienne, nous voulons demander :
Comment fédérer le peuple de Dieu lorsque les païens reçoivent plus d’attentions que certaines de nos brebis ?
Comment garder la foi transmise une fois pour toutes (Jude 1,3) lorsqu’on pense gérer une start-up et qu’on mise ses deniers sur une hypothétique révolution ?
Comment se prétendre confessant quand les mots mêmes « réformé » ou « luthérien » ont disparu de nos associations cultuelles ?
Comment défendre l’autorité souveraine des Écritures quand on s’est engagé dans le saint ministère « sans s’attacher à la lettre des formules » ?
Comment pratiquer quelque œcuménisme que ce soit lorsqu’un synode régional conclut à une large majorité que le Symbole des apôtres n’exprime pas la foi des ministres de l’Église24?
Comment se glorifier encore du beau nom de chrétien, quand son confrère dans le ministère appelle à créer « une religion nouvelle » et à réécrire les livres sacrés25?
Comment recevoir en Son nom ne serait-ce qu’un seul petit enfant, quand certaines de nos prises de position éthiques sont un scandale permanent ?
Comment redonner vie aux ossements desséchés, quand on est silencieux sur la défense des plus petits des vivants ?
Comment manifester le corps du Christ, quand y cohabitent plusieurs Jésus fort différents ?
Comment évangéliser si même un pasteur attestant est convaincu qu’« on ne peut pas vouloir que les gens deviennent chrétiens » ?
Le nom du séminaire, « l’Église qui croît », jouait sur l’homophonie des verbes croître et croire. À Par la foi, nous aurions sans doute plutôt privilégié la graphie sans accent circonflexe. Nous pensons, et même nous souhaitons, que l’Église ne croisse pas avant qu’elle croie de nouveau ; nous mettons notre confiance pour cela a) dans la sagesse de la Parole de Dieu, b) dans la théologie de nos pères dans la foi, c) dans la prière, la prédication et les sacrements comme moyens de grâce privilégiés dans nos cultes. Prions que ces graines que nous semons, ces rameaux hérités du passé que nous greffons puissent trouver une bonne terre, et que d’autres viennent aussi arroser ce que nous aurons planté.
Ressources documentaires
Les Attestants
- Pages officielles de l’association : https://lesattestants.fr ; https://www.facebook.com/attestants/. Déclaration d’intention fondatrice.
- Réactions du président du Conseil national et d’autres pasteurs (non attestants) à la création du mouvement :
- http://www.benissons.fr/Site/Lettre_ouverte_a_mes_surs_et_freres_Attestants.html ; http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl836.htm
- Le site 1001 questions, dont les réponses sont rédigées par des ministres membres des Attestants. Cette question permet notamment de mieux cerner l’identité du mouvement.
- Bilan d’étape après quatre ans d’existence et réponse du président du Conseil national de l’EPUdF.
- Message de l’EPUdF francilienne pour Pâques 2020 ; article de Christophe Desplanque paru simultanément.
- Portail sélectionnant des ressources numériques conseillées pendant le temps d’interdiction du culte public.
- La revue de théologie évangélique Hokhma a consacré son numéro de 2020 à la question des « mouvements confessants » en Europe. La revue ne présente que les points de vue des membres de ces mouvements, dont deux pasteurs membres des Attestants.
Croissance de l’Église
- Pages officielles du séminaire L’Église qui croît 2020 : http://leglisequicroit.fr.
- Article du portail Regards protestants sur l’édition 202.
- Interventions de Rick Thorpe (Église anglicane) sur la croissance de l’Église au congrès des Attestants 2018 : https://www.youtube.com/watch?v=SCqrfIJKHhE ; https://www.youtube.com/watch?v=R2DkpWKm5OE.
- Sessions précédentes du séminaire « L’Église qui croît » (EPU Paris—Le Marais).
- Article de l’hebdomadaire Réforme sur l’édition 2014.
L’élaboration de la déclaration de foi de l’EPUdF (2016-2017)
- Première version et dossier d’accompagnement.
- Commentaires critiques des Attestants : https://lesattestants.fr/declaration-de-foi-et-unite-de-leglise/ ; https://lesattestants.fr/une-declaration-de-foi-imprecise-et-floue/.
- Deuxième version et dossier d’accompagnement.
- Version définitive adoptée en 2017.
Les Attestants et la question homosexuelle
- Décision du Synode national de l’Église protestante unie de France (Sète, 17 mai 2015).
- Mini-site internet des Attestants contre la bénédiction des unions homosexuelles (site de pasteurs unionistes défendant la position contraire).
- Communiqués de l’Église protestante unie du Marais (Paris) sur la question de la bénédiction des unions homosexuelles et article de Gilles Boucomont (pasteur dans cette Église à l’époque).
- Rapport de la mission parlementaire d’information sur les « thérapies de conversion » (automne 2019), mentionnant les Attestants.
- Audition du pasteur G. Boucomont pour cette mission d’information.
Illustration de couverture : François-Alexandre Pernot, Incendie de la cathédrale de Chartres, huile sur toile, vers 1836.
- À la suite d’un différend juridique avec l’ERF et des pressions de Marc Boegner, qui occupait de manière inédite à la fois la présidence de cette Église et de la Fédération protestante.[↩]
- François Méjan, Discipline de l’Église réformée de France, Paris : Je sers, 1947.[↩]
- Les Églises réformées et luthériennes orthodoxes n’ont généralement pas reçu ce document.[↩]
- Les autres Églises libérales qui ont expérimenté la bénédiction des couples de même sexe ont vu l’apparition de mouvements similaires (Fraternité de l’Ancre dans l’UEPAL, Réseau R3 dans les Églises cantonales romandes, Unio Reformata dans les Églises protestantes unies de Belgique, etc. ; ces associations, aux statuts et objectifs assez semblables, entretiennent des relations informelles les unes avec les autres).[↩]
- Je m’appuie ici sur l’intervention d’un pasteur attestant dans un cours d’histoire de l’Église à la faculté Jean Calvin (cours non public).[↩]
- https://www.europe1.fr/societe/les-attestants-ces-protestants-opposes-a-la-benediction-des-couples-homosexuels-2652521 (janvier 2016).[↩]
- https://books.openedition.org/pusl/23775.[↩]
- Rappelons que la revue Évangile et liberté est indépendante de l’EPUdF.[↩]
- J’ai eu la surprise de constater que le terme de libéraux extrémistes se trouve de manière tout à fait assumée sur le site de l’Oratoire du Louvre.[↩]
- « Baptisme et pédobaptisme peuvent tous deux revendiquer de solides appuis bibliques et théologiques », écrit ainsi Christophe Desplanque p. 20.[↩]
- Notons qu’elle ne concerne que les pasteurs, pas les communautés locales.[↩]
- Le pasteur Bob Ekblad, de la très libérale Presbyterian Church (USA), s’en revendique, et collabore régulièrement avec au moins un des ministres attestants.[↩]
- On semble remarquer toutefois un effort dans ce sens dans la paroisse de Saint-Germain-en-Laye dernièrement.[↩]
- Soit environ 10 % du corps pastoral.[↩]
- La proportion d’Églises locales qui ont quitté l’EPUdF est sensiblement équivalente à celle du vote synodal. Ces Églises ont aujourd’hui rejoint l’UNEPREF.[↩]
- Art. cit., p. 23. Christophe Desplanque motive ainsi sa décision de rester dans l’union : « précisément par fidélité à cette responsabilité […] des pasteurs tentés de démissionner y ont renoncé, pour ne pas abandonner la bergerie au voleur » (ibid.).[↩]
- Le séminaire L’Église qui croît, relayé par les Attestants, était présenté comme une initiative de plusieurs paroisses franciliennes, sans qu’il soit fait mention de l’association.[↩]
- « Retour sur la naissance des Attestants », Hokhma 110, 2020, p. 30.[↩]
- Faculté « désormais dénommée évangélique » selon l’auteur de l’article, alors qu’elle n’a jamais renié son ancrage confessionnel réformé.[↩]
- En réalité, c’est l’ERF qui a fermé la porte à une collaboration suggérée, en faisant de l’IPT un passage obligé pour tous les ministres de l’EPUdF.[↩]
- Il est important de noter toutefois que la première version faisait en fait l’unanimité contre elle, les membres d’Évangile et liberté la trouvant encore trop orthodoxe, et étant inquiets de la possible remise en cause du préambule de 1938.[↩]
- Nous laissons le lecteur juge de la reprise du terme séparatisme dans un contexte politique où il est utilisé contre la liberté religieuse, ce dont même la Fédération protestante s’est insurgée…[↩]
- Nous restons lucides sur les défis liés au libéralisme, théologique et/ou éthique, dans d’autres unions d’Églises, même nettement plus conservatrices. Raison de plus pour les rejoindre et les influencer dans le bon sens.[↩]
- Synode régional de l’ERF de Béziers, 2006 (voir ici p. 32).[↩]
- http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl579.htm[↩]
Bonsoir
Merci Athur pour ce regard éclairant sur ce mouvement des « attestants » que je ne connaissais pas bien du tout.
Je suppose que tu ne vas te faire que des amis … 🙁
Bon courage
Merci 🙂
Merci pour votre retour !
Merci pour cette contribution documentée et utile. Pour ma part, je dis oui à un fondement doctrinal et disciplinaire conséquent, tout en craignant la démarche identitaire qui place à un même niveau des réalités qui n’ont pas la même importance (robe pastorale et harmonium…). Plus le fondement doctrinal est solide, plus la diversité est possible et saine.
Je renvoie à un article que j’ai proposé au site d’Evangile 21, intitulé : L’exclusivisme et l’unité de la foi. Il s’agit principalement de citations du pasteur Adolphe Monod qui prend position contre le pluralisme doctrinal.
https://evangile21.thegospelcoalition.org/article/lexclusivisme-ou-lunite-de-la-foi-levangile-exclut-ce-qui-lui-est-contraire-3/
Merci. Les aspects liturgiques et la communication ne sont pas l’essentiel et nous ne les mettons pas au même niveau, sans nous interdire de réfléchir aussi au message qu’ils renvoient.
Merci aussi pour le lien, nous apprécions Adolphe Monod et en publierons sans doute certains extraits bientôt sur le site.
Arthur oublie de dire qu’il a été plusieurs années membre de l’Eglise protestante unie du Marais où il a trouvé une écoute régulière et pu mûrir dans sa foi chrétienne aussi. Il est quelque peu étrange qu’il ne se soit pas adressé à son pasteur d’alors pour préciser le propos (qui contient plusieurs erreurs). Mais je sens bien qu’il n’est pas tout à fait prêt au dialogue.
Je pense que l’article est suffisamment clair sur la position d’où je parle, en tant qu’ex-membre (repenti) de l’ERF/EPUdF et des Attestants. Pour le reste, j’y ai aussi appris à « couper les liens » toxiques, comme vous dites.
Cher Arthur,
Un grand merci pour cet article bien documenté et assez unique en son genre, qui permet de préciser certaines idées (pas grand chose sur internet sur les Attestants).
J’espère que les Attestants qui le liront ne s’arrêteront pas à son ton un peu incisif, et ne le prendront pas comme une attaque mais au contraire comme une opportunité, comme un outil pour se repenser et pour repenser leur présence dans l’EPUdF (soit en cherchant à y peser vraiment, soit en la quittant).
Que Dieu te bénisse
Merci 🙂 C’est notre souhait également !
Merci de cet article fouillé!
Avez-vous lu le « Manifeste bleu », du Rassemblement pour un Renouveau Réformé (R3), un courant confessant dans les Églises réformées de Suisse romande?
Lisez-le et donnez-moi votre avis! Il enracine la foi en particulier dans les symboles des apôtres et de Nicée-Constantinople. Voir : https://www.ler3.ch/manifeste/
J’ai aussi donné un commentaire de ce manifeste et répondu à quelques objections (que vous soulevez également) par cet article : https://www.ler3.ch/pluralisme-etc/
Meilleures salutations, Martin Hoegger