Certains auteurs protestants, en voyant comment ils étaient persécutés à leur époque, ont commencé à penser que tous les persécutés dans l’histoire étaient eux-aussi dans la vérité. Ils ont ainsi identifié la vraie église avec des groupes dissidents et toutes les sectes du Moyen-Âge.
Ces théories ont pu avoir du crédit par le passé, mais aujourd’hui, maintenant que nous avons leurs écrits, nous savons que ces sectes étaient souvent très hétérodoxes dans leurs doctrines. La seule qui peut prétendre à une foi « évangélique » est celle des vaudois. Après m’être passionné des vaudois et avoir lu tous les écrits vaudois disponibles en ligne en français ainsi que Antoine Monastier, leur historien favoris du XIXèmesiècle et diverses études sur les vaudois, j’en suis arrivé à la conclusion que les vaudois étaient eux-aussi pédobaptistes.
>>Lisez : La catholicité des vaudois
Contrairement aux groupes dissidents anabaptistes du temps de la Réforme (cf. Confession de Schleitheim dont le premier chapitre est dédié, non pas à la doctrine de Dieu ou de l’Écriture mais au rejet du pédobaptême comme « pire invention de l’antichrist »), les vaudois dans leurs traités ne dénoncent pas le pédobaptême alors qu’ils dénoncent l’ajout de 5 sacrements, le culte des saints et de Marie, le purgatoire, etc.
>>Lisez : Confession de Foi des Anciens Vaudois
Par ailleurs, au Synode vaudois de Chanforan, en 1532, dans le Val d’Angrogne du Piémont, des centaines de barbes (pasteurs) vaudois, représentant l’ensemble des vaudois se sont réunis et, en plus de financer la première traduction de la Bible en français pour 500 écus d’or (Bible Olivetan), ils ont décidé de rejoindre l’Église Réformée naissante. Sur les centaines de barbes présents, seuls 2 se sont opposé à cette décision en raison de leur position sur l’invalidité des serments publics. Il serait assez étonnant que des centaines de pasteurs baptistes, aujourd’hui, rejoignent une dénomination presbytérienne et acceptent le pédobaptême sans faire de vague. Il est donc plus que probable qu’ils étaient pédobaptistes.
Un autre fait qui appuie cela est l’appréciation qu’ils ont reçu de Luther, de Bucer, de Calvin, de Farel et des autres Réformateurs : tous leurs rendent bon témoignage comme étant des gardiens fidèles de la doctrine apostolique avant la Réforme alors que ce n’est pas du tout le langage qu’ils tiennent face aux anabaptistes !
>>Lisez : Origine des vaudois : Claude de Turin, un obscur iconoclaste ?
Finalement, les quelques cas dans les documents de l’Inquisition qui parlent de rejet du pédobaptême et attribuent cela aux vaudois peuvent s’expliquer aisément lorsque l’on constate que l’inquisiteur Rainer Sacco désignait par vaudois l’ensemble des hérétiques de son temps. Il désigne, par contre, par léonistes les « vrais » vaudois dont l’origine est piémontaise (je parle de l’origine doctrinale, mais le mouvement a pris une ampleur européenne, comme en témoigne Rainer Sacco lui-même). Il est possible aussi que certains « hérétiques » soient calomniés sur leurs croyances et leurs moeurs, pour inspirer une horreur de leur hérésie quand on considère comment les protestants étaient dépeints dans les documents papistes à la Réforme. Toutefois, il faut admettre que, pour ce que l’on a pu vérifier, l’inquisition au Moyen-Âge a plutôt représenté fidèlement les croyances de ses hérétiques. Par contre, elle s’est laissée aller pour ce qui est des moeurs et les a calomnié plus d’une fois.
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Ces théories sont en fait des théories du complot : très peu d’informations vérifiables, beaucoup de suppositions aujourd’hui facilement réfutables. Non, les vaudois n’étaient pas baptistes, ni anabaptistes, ni catabaptistes. Tout indique qu’ils étaient pédobaptistes. On ne peut donc pas identifier, dans l’histoire, un seul groupe credobaptiste avant les anabaptistes. Les individus condamnés par l’Inquisition sans que l’on possède un seul de leurs écrits ne sont pas des données concluantes. Et les mouvements tels que les Bogomils et les Cathares sont clairement hérétiques (pas sûr qu’ils soient credobaptistes non plus, d’ailleurs), il n’y a plus de doute maintenant que l’on a retrouvé certains de leurs écrits.
>> Lisez : Où était l’Église avant Luther ?
Humm… j’ignore s’il y a *toujours* eu des « groupes baptistes dissidents » dans l’histoire, mais il y avait certainement des (proto-)protestants crédobaptistes en Europe au moins quatre siècles avant que l’anabaptisme n’y surgisse. Au Moyen Âge central, le (pré-)réformateur Pierre de Bruys (†c.1135), l’un des chefs spirituels des vaudois, enseigna amplement le crédobaptisme, et depuis son ministère jusqu’au XVIIe siècle (minimum), des vaudois crédobaptistes coexistèrent avec des vaudois pédobaptistes. (Pour la petite histoire, Napoléon Peyrat a émit l’hypothèse que l’auteur ou l’inspirateur de la fameuse ‹ Noble Leçon › soit nul autre que… Pierre de Bruys !).
En fait, en 1640-1641, les réformés baptistes de Londres, ayant embrassée le principe du crédobaptisme entre 1633 (au plus tôt) et 1638 (au plus tard), envoyèrent une délégation vers des vaudois crédobaptistes aux Pays-Bas pour qu’ils apprennent commet effectuer le baptême *par immersion*. Jusque-là, les crédobaptistes arminiens rebaptisaient incorrectement *par aspersion*, alors les réformés baptistes ne pouvaient pas prendre exemple sur eux. Après leur enrichissant séjour aux Pays-Bas, les délégués réformés baptistes revinrent en Angleterre et baptisèrent – directement ou par personne interposée – l’ensemble de leur église locale, et ainsi de suite. Aujourd’hui, l’ont peut donc dire que baptisme réformé s’enracine donc dans une continuité historique vieille d’au moins neuf siècles. (Et non, ces vaudois crédobaptistes hollandais n’étaient pas des mennonites arminiens ; les fondateurs anglo-puritains du baptisme réformé étaient des hommes instruits et ils savaient parfaitement distinguer entre ces deux courants.)
Pour ce qui est de Pierre de Bruys et des vaudois, je conteste ce que vous rapportez. Nous n’avons pas d’écrits attestés de lui et le terme vaudois était utilisé largement pour désigner tous les hérétiques, y compris les sectateurs de Bruys.
Ce n’est pas parce que les autorités romanistes galvaudaient le qualificatif « vaudois » en l’attribuant à certains hérétiques non-vaudois qu’ont doit automatiquement assumer que tous les vaudois appelés ainsi par les romanistes étaient des hérétiques.
En ce qui concerne spécifiquement Pierre de Bruys, le « Luther du Moyen Âge », voici mes sources :
● Edina Bozoky, « Pierre de Bruys », Encyclopædia Universalis, http://www.universalis.fr/encyclopedie/pierre-de-bruys/
● Jean Léger, Histoire générale des églises évangéliques des vallées du Piémont au vaudoises, Jean le Carpentier, Leyde, 1669, ≈ 700 p.
● Napoléon Peyrat, Les réformateurs de la France et de l’Italie au douzième siècle, Typographie de Charles Meyrueis et Cie, Paris, 1860, 459 p.
Quelles sont les tiennes ?
Pour ce qui est de l’épisode que vous rapportez, le texte original ne mentionne pas que ces hommes sont des vaudois, la continuité est donc, au mieux, supposée, au pire, rêvée 😉