Ces protestants qui deviennent catholiques romains (3) : la théologie de la conversion – Chris Castaldo
24 février 2020

Cet article est le troisième d’une série sur les défections à Rome de la part de protestants. Traduction avec autorisation du blog de Davenant Institute. Article précédent : la psychologie de la conversion.

Introduction

Dans notre précédent article, nous avons examiné la dimension psychologique à l’œuvre dans la conversion – les motifs psychologiques qui attirent les évangéliques, en particulier les plus jeunes, vers le catholicisme romain. Les aspirations de l’âme attirent le converti vers une nouvelle rencontre du Saint, une nouvelle vision de Dieu et de l’histoire chrétienne. Il ne fait aucun doute qu’un tel mouvement est enveloppé d’un voile de mystère qui ne peut être pleinement pénétré. Comme l’a dit G. K. Chesterton, « L’Église est une maison à cent portes ; et deux hommes n’y entrent pas exactement sous le même angle ».

Mais ce mystère n’est pas complètement enveloppé. Même une conversion religieuse telle que celle d’Augustin – avec son complexe d’amitiés à plusieurs niveaux et ses tournants philosophiques – reposait sur un engagement progressif avec la révélation divine. Oui, les expériences et les attentes personnelles sont importantes, mais, comme tout converti vous le dira, elles ne remplacent pas la réflexion théologique. La tentation contemporaine de mettre entre parenthèses la réalité divine et de se concentrer exclusivement sur la psychologie ou la sociologie des convertis peut rendre compte de détails des chemins de foi personnels, mais elle représente une myopie qui passe à côté de l’ensemble. En d’autres termes, nous avons besoin à la fois de la phénoménologie et de la théologie.

J’examine ci-dessous trois facteurs théologiques qui motivent la conversion.

I. La quête de certitude

Lorsque les pèlerins traversent la Via della Conciliazione (« la rue de la réconciliation ») – la principale voie d’accès au Vatican – ils sont accueillis par les bras enlacés du portique du Bernin, un ensemble de colonnes convexes qui enveloppe les voyageurs dans la Basilique Saint-Pierre. Plus qu’un chef-d’œuvre architectural, la magnifique coupole de Saint-Pierre symbolise l’autorité de l’Église romaine, une grandeur qui confère à la foi catholique confiance et suprématie. Le Centre Billy Graham ne peut pas rivaliser.

L’autorité de Rome est souvent l’une des principales raisons pour lesquelles les convertis quittent le protestantisme. Même pour ceux qui ne visitent jamais le Vatican – dont l’expérience se limite à la vie ordinaire d’une paroisse locale – la quête de certitude et de substance magistrale est citée comme l’une des principales raisons des transitions vers Rome. Cependant, comme nous l’avons suggéré dans notre premier billet, il ne s’agit jamais d’un simple attrait sans rejet correspondant.

Dans le cas présent, l’irrésistible repoussoir est le « biblicisme ». Par exemple, dans son sermon intitulé « Unreal Words » (1840), John Henry Newman exprime sa frustration face au nombre toujours croissant d’interprétations protestantes : « Évitons la discussion, de quelque nature que ce soit », plaidait-il, « qu’il s’agisse de simples paroles vides de sens, ou de paroles critiques, ou de professions oisives, ou d’un discours sur les doctrines de l’Évangile, ou de l’affectation de la philosophie, ou de la prétention à l’éloquence ». Face à cette « interprétation privée », Newman a été attiré par une massive autorité magistrale qui promettait une certitude doctrinale et éthique.

De nos jours, cette caractéristique du protestantisme est appelée « pluralisme herméneutique généralisé » 1, un terme inventé par le sociologue Christian Smith, un converti à Rome qui pense que les herméneutiques protestantes sont discréditées par les « désaccords bien ancrés et omniprésents entre les biblistes sur ce que l’Écriture enseigne sur la plupart des questions ». »2 Si Smith situe la source de ce problème dans la doctrine protestante du Sola Scriptura, il est également clair que les choix incessants de la modernité – allant de la prochaine émission de télévision à regarder jusqu’à la forme de christianisme préférée – aggravent le problème, en déplaçant l’affiliation religieuse d’un héritage reçu au résultat d’une série de décisions personnelles. En effet, comme le suggère Peter Berger, la vie moderne universalise le choix en créant « une nouvelle situation dans laquelle choisir devient un impératif »3.


Mais le récit de Kreeft est trop soigné. Un ami qui a emprunté mon exemplaire du livre de Kreeft griffonné dans les marges : « Et le pape François ? » Remarque un peu effrontée, mais qui fait comprendre le soucis de ce récit. S’il y a une chose que le pontificat de François a démontrée, c’est la nature floue du magistère catholique romain.


Assaillis par le chaos intellectuel, l’incertitude et le choix, les convertis se tournent vers Rome pour résoudre la lutte, une lutte que certains considèrent comme un aboutissement de la Réforme protestante, aussi involontaire soit-elle. Peter Kreeft écrit : « Le protestantisme montre un glissement massif et naturel vers le modernisme et le libéralisme et vers le relativisme et l’historicisme concernant les Écritures ». Contre ce glissement, Kreeft présente le magistère catholique romain comme le rempart qui ne faiblit jamais, « le rocher de Pierre qui se dresse contre les flots de l’histoire ». Encore une fois, « Ce rocher n’existe pas en dehors de Rome. C’est la seule digue contre l’océan du relativisme qui ne faiblit jamais. Elle n’a jamais faibli et ne faiblira jamais. »

Mais le récit de Kreeft est un peu trop lisse. Un ami qui a emprunté mon exemplaire du livre de Kreeft a griffonné dans les marges : « Et le pape François ? » Remarque un peu effrontée, mais qui fait comprendre le souci de ce récit. S’il y a une chose que le pontificat de François a démontrée, c’est la nature floue du magistère catholique romain. Comme Onsi Kamel l’explique dans son récent article paru sur le site First Things, « Catholicism Made Me Protestant« 4, les luttes intestines entre catholiques traditionalistes, conservateurs et libéraux mettent en évidence une brèche importante dans la prétention de Rome à parler avec la voix vivante de l’autorité divine, révélant que la certitude interprétative ne peut pas se trouver dans la position du magistère de Rome seul, pas plus que dans l’interprétation privée. La voie à suivre est plutôt de reconnaître que dans les seules Écritures, nous avons la Parole de Dieu inspirée qui commande notre allégeance au-dessus de toutes les puissances et autorités terrestres (y compris celle des papes et des conciles), une parole qui est bien comprise dans la communauté de foi, l’Église, avec ses jugements théologiques façonnés par la Bible (ou « tradition catholique »), récupérée et renouvelée à partir de siècles d’histoire de l’Église. Selon les mots de Kevin Vanhoozer :

« La norme de la sagesse chrétienne reste la Parole de Dieu (le Sola Scriptura), mais les confessions collectives de l’Église – la somme totale de ses jugements théologiques de foi, conciliaires et confessionnels (catholicité) – ont une autorité testimoniale quant à la signification des Écritures. Par conséquent, aussi contre-intuitive soit-elle, « la catholicité est la seule option pour un protestantisme qui prend le Sola Scriptura au sérieux »5.

La Via della Conciliazione

II. Au contact de l’histoire

Hillsdale College est un lieu extraordinaire. Protestants et catholiques romains lisent Cicéron et Milton ensemble, tombent amoureux et participent parfois à un événement parrainé par l’école et intitulé « Coffee with Castaldo » pour mieux comprendre la dynamique de leur relation œcuménique. « Pourquoi vous êtes-vous converti au catholicisme ? » ai-je demandé à un ancien protestant. Il a regardé dans les yeux bruns d’automne de sa bien-aimée, a pris une profonde respiration, puis, sans en manquer une lettre, a cité Newman : « Approfondir l’histoire, c’est cesser d’être protestant ». Le sourire hésitant sur son visage suggérait qu’elle n’était pas encore si convaincue.

C’est vrai ; l’étude de Newman sur les pères post-Nicéens a provoqué chez lui une incertitude quant à savoir si l’anglicanisme était vraiment « catholique ». Ces doutes ont pris racine en 1839, lorsqu’il a lu un article du cardinal Nicholas Wiseman dans la Dublin Review dans lequel les anglicans étaient comparés aux donatistes africains à l’époque d’Augustin. En réfléchissant à cette question, Newman a commencé à établir une corrélation entre l’Église d’Angleterre et les Ariens hérétiques du quatrième siècle. Dans l’esprit de Newman, l’anglicanisme a échoué au test catholique. L’offre de continuité du catholicisme romain avec le passé et une tradition intellectuelle solide et durable l’ont aidé à donner une réponse à son espoir historique.


« Pourquoi vous êtes-vous converti au catholicisme ? » ai-je demandé à un ancien protestant. Il a regardé dans les yeux bruns d’automne de sa bien-aimée, a pris une profonde respiration, puis, sans en manquer une lettre, a cité Newman : « Approfondir l’histoire, c’est cesser d’être protestant ». Le sourire hésitant sur son visage suggérait qu’elle n’était pas encore si convaincue.


Il y a là une leçon précieuse pour les protestants concernant l’importance de la catholicité. Notre conscience historique de la foi chrétienne doit s’élever au-dessus de la populaire « théorie du fossé »6. Selon cette conception erronée, les Apôtres auraient compris et pratiqué la dévotion au Christ dans toute sa pureté et sa profondeur. Une telle fidélité à la tradition apostolique se serait poursuivie jusqu’à ce que l’empereur Constantin élève le christianisme au rang de religion officielle de l’Empire, l’Église tombant alors rapidement dans le fossé du compromis et de l’hérésie. De Constantin jusqu’au Moyen Âge, l’Évangile n’aurait ensuite subsisté que mêlé à des traditions non bibliques et serait donc resté largement incompris, à l’exception d’un petit reste de croyants qui auraient réussi, d’une manière ou d’une autre, à rester fidèles. Finalement, Dieu aurait donné à Martin Luther le pouvoir d’affronter ces erreurs, ce qu’il aurait commencé de faire en 1517 lorsqu’il cloua ses quatre-vingt-quinze thèses sur la porte de l’Église du château de Wittenberg. Avec Luther et les mouvements de réforme qui suivirent, le christianisme aurait gravi les trois quarts du fossé. Le christianisme biblique aurait ensuite perduré dans cet état presque restauré jusqu’à la fondation de telle ou telle Église ou dénomination, date à laquelle la foi biblique pure serait finalement revenue à son état d’origine. Il faut espérer que l’absurdité de ce point de vue est évidente.

Certes, la théorie des fossés est une caricature ; et pourtant, sa présence est implicite dans une grande partie de l’enseignement protestant. Comme l’écrit Tom Howard, un protestant devenu catholique, « [les évangéliques] parlent de l’ancienne foi comme si la Bible était apparue comme une bouteille à la mer ce matin-même et qu’on s’en approchait simplement pour l’ouvrir, la lire et tout recommencer à zéro. » Plus une Église est indépendante et séparatiste, plus le fossé sera profond, et inversement, plus la revendication catholique d’une Église intacte et historique sera attrayante.

Si la théorie des fossés caractérise une grande partie du protestantisme évangélique depuis le milieu du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, elle ne parvient pas à saisir la sensibilité historique des protestants du XVIe siècle et juqu’à cette époque. Prenons, par exemple, le locus de Pierre Martyr Vermigli sur la justification dans l’épître aux Romains. En plus d’étayer chaque point par l’Écriture, il consacre une attention considérable aux Pères de l’Église et aux conciles, faisant défiler devant le lecteur une grande quantité de voix anciennes en soutien à sa position7.

En d’autres termes, la théorie des fossés n’était absolument pas la théorie des réformateurs magistrériels ou de leurs successeurs. Ken Stewart aborde cette question dans son livre, In Search of Ancient Roots, qui établit un lien entre les réformateurs et ceux qui les ont précédés. Après tout, les ouvrages de Bucer, Vermigli, Calvin, Zanchi et de Bèze regorgent de citations des pères de l’Eglise, de conciles et de penseurs médiévaux. Loin de vouloir rompre avec la tradition, les réformateurs cherchaient à la récupérer, un héritage que nous devons retrouver et imiter à notre époque.

Nous sommes toujours confrontés à la question de savoir si la lecture romaine de l’histoire est la bonne voie pour sortir du fossé et entrer dans la Terre promise de la catholicité. Dans leur livre Roman but Not Catholic, Ken Collins et Jerry Walls proposent un « non » respectueux et catégorique, s’opposant à la revendication auto-référentielle de Rome comme centre exclusif de l’Église catholique. Collins et Walls examinent une série de doctrines spécifiquement catholiques romaines (par exemple, les sacrements, la prêtrise, la papauté, la mariologie et la justification), et concluent que cet enseignement doit plus à un développement interne de la tradition romaine qu’à un christianisme authentiquement catholique.

Ken Stewart adopte une approche similaire, en considérant la cohérence historique du protestantisme, une totalité centrée non pas sur une structure impériale (Rome) mais sur une parole ancienne (l’Écriture). Il est intéressant de noter que ces deux livres abordent l’aphorisme de Newman concernant la nécessité d’aller au fond de l’histoire, et qu’ils arrivent tous deux à la même conclusion : pour aller au fond de l’histoire, les chrétiens doivent aller à l’Église de l’histoire, mais aussi aller au-delà : à Jérusalem, à Haran, au mont Ararat, et même en Éden. Il faut aller dans les lieux où la promesse rédemptrice de Dieu a été proclamée et reçue. Cette catholicité s’étend sous les formes structurelles qui ont tant capté l’imagination de Newman, jusqu’à la substance de notre foi évangélique commune.

John Wesley prêchant en plein air

III. Une grâce tangible

Le troisième facteur motivant les conversions des protestants à Rome est l’impulsion anti-sacramentelle de nombreuses Églises évangéliques. Contre les Églises qui offrent une prédication sans fioritures de la Parole et un moyen de grâce trop cérébral ou subjectif, Christian Smith écrit :

En réalité, le monde mental que vous habitez en tant que protestant est puissamment façonné par une modernité désenchantée. Les monastères ont été dissous et pillés, les saints chassés, et les prières avec les morts abolies. Tout le charabia incarné du monde sacramentel médiéval a été dépouillé. Les statues ont été brisées, les visages des images sacrées ont été gommés. Le monde matériel est maintenant vidé de toute occupation et signification spirituelle. Les substances matérielles n’offrent plus de liens avec la « grande nuée de témoins », avec les réalités célestes, avec le monde inconnu. Vos croyances résident dans votre tête…8

Smith parle au nom de nombreux convertis à Rome qui trouvent quelque chose de contraignant dans les modèles de spiritualité fortement cognitifs que l’on trouve souvent dans le culte et la dévotion protestants. Ces personnes se sont lassées des rencontres divines centrées sur l’enseignement, la prédication et les programmes d’études en petits groupes – des informations qui nourrissent l’esprit mais n’offrent pas grand-chose au reste de l’être. C’est la via pulchritudinis dont parle souvent l’évêque Robert Barron, le « chemin de la beauté », que l’on trouve dans l’hostie consacrée, les cathédrales, l’eau bénite, l’encens, les bougies et divers éléments sacramentaux qui témoignent de la présence mystérieuse du Christ. En bref, il s’agit d’un système sacramentel et d’un ethos incarné qui fait appel à la physicalité de chacun et pas seulement à sa rationalité.


C’est la « via pulchritudinis » dont parle souvent l’évêque Robert Barron, le « chemin de la beauté », que l’on trouve dans l’hostie consacrée, les cathédrales, l’eau bénite, l’encens, les bougies et divers éléments sacramentaux qui témoignent de la présence mystérieuse du Christ. En bref, il s’agit d’un système sacramentel et d’un ethos incarné qui fait appel à la physicalité de chacun et pas seulement à sa rationalité.


Une fois de plus, Newman est un excellent exemple. Comme mentionné précédemment, le désir de faire l’expérience des dimensions incarnées du culte chrétien a été au centre de sa conversion. Contrairement à son frère cadet, François, qui avait fait une expérience de basse Église9, John a été attiré par le système sacramentel de Rome pour son objectivité et sa matérialité. En écrivant à un ami après sa conversion, Newman dit :

C’est une bénédiction tellement incompréhensible d’avoir le Christ en présence corporelle dans sa maison, dans ses murs, qu’elle avale tous les autres privilèges… De savoir que [Jésus] est proche pour pouvoir, encore et toujours, au cours de la journée, aller à Lui…10

Il est important de noter que Newman n’est pas passé d’un seul coup de sa foi centrée sur la Bible à sa théologie sacramentelle. Au début, il a été profondément troublé par la « superstition » infra-biblique du catholicisme romain, les accrétions religieuses telles que la primauté du pape, la dévotion à la Sainte Vierge et aux saints, la vénération des reliques, le Purgatoire, entre autres. Par exemple, il décrit ainsi l’impression que provoque sur lui, un anglican, l’Église catholique lors de sa visite en Italie :

Oh que ton credo était sain !
Car tu apaises le cœur, toi, Église de Rome
Par ta garde inébranlable et ta ronde variée
De service, au saint nom de ton Sauveur

Avec le temps, cependant, Newman se réconciliera avec ces préoccupations, les comprenant à la lumière du développement de la doctrine. Cela a permis à Newman d’embrasser les éléments extérieurs de la tradition catholique qui manquaient de témoignage clair dans la Bible et l’histoire de l’Église. Il en va de même pour de nombreux protestants qui se convertissent à Rome. La matérialité des sacrements et de la liturgie qui les entoure les séduit. Comme le dit Tom Howard, « Être catholique, c’est donc avoir la Messe au centre de toute son existence et de sa conscience. C’est être un homme ou une femme ʻeucharistiqueʼ »11.

Les protestants contemporains y trouveront un éclairage précieux. Dieu rachète toute la personne – le corps et l’âme – et pas seulement l’esprit. En plus de notre rationalité, Dieu prend aussi en captivité notre kardia et nos splanchna (parties intérieures) d’où naissent les saintes affections (Col 3:12 ; Philémon 1:7). Mais en tant que protestants, nous maintenons la conviction que Dieu agit par l’intelligibilité de sa Parole, et nous le faisons sans céder à Rome l' »objectivité » sacramentelle. Après tout, même les sacrements sont des mots : « Nous disons avec Augustin que les symboles sacramentels sont des mots visibles », écrivait Vermigli12. Dans notre célébration de la Sainte Cène, nous nous nourrissons vraiment du Christ, et non seulement nous reconnaissons le baptême comme un signe et un sceau de notre greffe dans le Christ, mais nous croyons, contrairement à Rome, que ses effets durent pour toujours. La Parole et le sacrement sont ensemble les moyens ordonnés par Dieu pour la vie spirituelle, et ils sont nécessaires pour protéger l’Église des accrétions infra-bibliques, qu’elles se soient développées au fil du temps ou qu’elles aient été inventées hier. Ces paroles vivantes devraient animer notre musique, notre poésie, notre confession, notre prédication, nos sacrements et nos prières, des formes qui constituent notre riche patrimoine chrétien « catholique », un patrimoine que nous nous défendons de vendre pour un plat de lentilles fait de machines à brouillard, de chœurs hypnotiques et de faibles sermons bibliques. Que Dieu nous vienne en aide !

Conclusion

La conversion implique toujours une poursuite personnelle du sacré, un désir primordial de transcendance et le désir de trouver son repos dans une relation amoureuse avec le Tout-Puissant. Les expériences personnelles de joie, de douleur, d’espoir et du monde spirituel dans les rythmes de la vie nous amènent à parier sur la foi contre le doute, en levant les yeux au dessus de l’horizon. Plus qu’un catalogue sacré qui offre une pluralité d’options religieuses pour faire face à la douleur et au chaos de la vie, une telle foi est un chemin qui permet de répondre aux aspirations profondes et intérieures du cœur humain, le chemin d’Athènes à Jérusalem, où les pèlerins découvrent que le Dieu d’Israël a roulé la pierre du tombeau vide.

La différence entre catholiques romains et protestants dans cette quête est centrée sur la question de savoir comment nous rencontrons le Christ ressuscité, une leçon qui s’est récemment imposée à moi lors de ma visite en Terre sainte. Au cours d’une excursion, notre guide a mentionné que les visites catholiques et protestantes ne sont jamais combinées. La raison se résume à la façon dont nos traditions respectives comprennent la matérialité. Pour les protestants, les dimensions esthétiques de la foi chrétienne sont secondaires par rapport à la Parole. Pour les catholiques, en revanche, le sacré est principalement lié à la matière – l’huile, l’eau, les sanctuaires, les reliques, les chapelles – une expérience sensorielle qui implique un rituel. Peu de temps après la conversation avec mon guide, j’ai regardé mon ami Michael prêcher un sermon sur la rive de Tabgha. Pendant ce temps, juste à côté de lui, il y avait une messe au cours de laquelle un grand nombre de catholiques philippins étaient agenouillés devant l’autel en adoration eucharistique. J’ai rapidement pris une photo, me rendant compte que j’observais quelque chose de la différence entre catholiques et protestants. Comme l’a dit Pierre Martyr Vermigli,

« Par conséquent, le premier principe selon lequel toutes les vraies vérités théologiques sont déterminées devrait être celui-ci : « Le Seigneur a parlé » [DOMINUS DIXIT]. Cette clarté ne doit pas être recherchée à la lumière de la compréhension humaine ou de notre raison, mais à la lumière de la foi qui doit être la plus persuasive pour nous, et qui est contenue dans les écrits sacrés [de l’Écriture] » 13.

Article suivant (à venir) : La sociologie de la conversion.


  1. NdT : En anglais, pervasive interpretive pluralism[]
  2. SMITH, Christian, The Bible Made Impossible: Why Biblicism Is Not a Truly Evangelical Reading of Scripture.Grand Rapids : Brazos, 2012, p. 67.[]
  3. BERGER, Peter, The Heretical Imperative: Contemporary Possibilities of Religious Affirmation, Garden City, NY : Anchor Books, 1980, pp. 14, 25[]
  4. NdT : « Le catholicisme m’a rendu protestant »[]
  5. VANHOOZER, Kevin J., Biblical Authority After Babel: Retrieving the Solas in the Spirit of Mere Christianity, Grand Rapids, Brazos, 2017, p. 146. Vanhoozer cite ici l’article de Peter Leithart paru sur le site First Things , “Sola Scriptura, Una Ecclesia”, 1er Mai, 2014.[]
  6. Je tiens cette expression du professeur Greg Quiggle.[]
  7. VERMIGLI, Pietro Martire, In epistolam S. Pauli apostoli ad Romanos, Bâle : Apud Petrum Perna, 1560, pp. 1236-1252, 1296-1311, 1323-1324.[]
  8. SMITH, Christian, How to Go from Being a Good Evangelical to a Committed Catholic in Ninety-Five Difficult Steps, Eugene : Cascade Books, 2001, p. 35.[]
  9. NdT : Low-church en anglais. On désigne par cette expression les Églises dont la liturgie, l’architecture et les éléments du culte sont pauvres et peu nombreux.[]
  10. The Letters and Diaries of John Henry Newman, (éd.) STEPHEN DESSAIN, Charles et alibi, Londres : Nelson, 1961-72; Oxford : Clarendon Press, 1973, xi, p. 129.[]
  11. HOWARD, Thomas, On Being Catholic, San Francisco : Ignatius Press, 1997, p. 89[]
  12. MCLELLAND, Joseph, The Visible Words of God: An Exposition of the Sacramental Theology of Peter Martyr Vermigli, A.D. 1500–1562. Édimbourg : Oliver & Boyd, 1957, x.[]
  13. VERMIGLI Pierre Martyr, The Peter Martyr Reader, édité par John Patrick Donnelly, Frank A. James III, et Joseph C. McLelland, Kirksville : Truman State University Press, 1999, 70.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

13 Commentaires

  1. Steven

    Beaucoup d’orgueuil et de fierté chez les proties,
    Ça aime les longs sermons profonds et intellectuels,
    Ça discute et ça débat sur tout, ça veut sans cesse refaire le monde.
    Chez les cathos, c’est plus simple, plus humain, plus calme et reposé, contemplatif et retiré de ce monde désordonné et brouillant.
    Je parle de mon expérience.
    On est toujours attiré par ce qui nous manque et par ce qu’on a pas.

    Réponse
    • Alfred

      « Chez les cathos, c’est plus simple, plus humain, plus calme et reposé, contemplatif …  » … Excellent !
      Tu ne manques pas d’humour Steven !!! MDR !!!

      Réponse
      • Steven

        M. Georgel je suis d’accord sur beaucoup de choses que vous dites sauf sur la présence réelle. C’est la raison pour laquelle je me suis penché vers le Catholicisme.
        Ce que j’ai dit dans mon premier commentaire, c’est un constat personnel.
        Je ne démens pas ce qui est dit dans l’article.

        Réponse
        • Maxime N. Georgel

          Bonjour,

          Les protestants réformés aussi croient à la présence réelle, ainsi que les anglicans et les luthériens. Mais, contrairement aux catholiques, nous croyons aussi à la présence réelle du pain. C’est-à-dire que nous pensons que Dieu ne détruit pas la substance de sa propre création pour en faire le véhicule de sa grâce mais qu’il unit sa grâce à celle-ci.

          Réponse
          • Steven

            Oui je le sais. Qui a parlé de destruction ?
            Je crois en la présence locale du corps eucharistique du Christ et pas juste en une présence réelle.

          • Maxime N. Georgel

            J’ai parlé de destruction, car prétendre que la substance du pain disparait pour être remplacée par la substance du Christ, c’est bien une destruction de la nature.

            Sinon, peut-être l’ignoriez vous mais en théologie catholique romaine on refuse le terme « local » pour qualifier la présence du Christ. Thomas D’Aquin aborde ça en détail dans sa Summa. « Je crois en la présence locale » n’est donc pas une formulation conforme à la doctrine du magistère romain.

    • Maxime N. Georgel

      Je trouve cela un peu orgueilleux comme jugement, non ?

      Les facteurs psychologiques identifiés dans cette série ainsi que les témoignages de conversion à Rome, en particulier dans la jeunesse, montrent au contraire une soif intellectuelle qui pousse vers Rome. C’était aussi mon ressenti lorsque je réfléchissais à la conversion à Rome. Comme quoi, les expériences divergent et c’est bien pour cela que les raisons théologiques ont plus de pertinence que ces remarques toutes subjectives et limitées.

      Réponse
  2. Steven

    Je crois en la présence locale car elle est dévoilée par les miracles eucharistiques laissant apparaître la chair et le sang du Seigneur. La présence par mode de substance empêche la chair et sang de se manifester réellement.

    Peut-on parler de destruction lorsque la nature du pain laisse place à la nature de notre Seigneur pour lui donner une finalité plus excellente celle du pain sur-essentiel remède d’immortalité à nos pauvres corps mortels ?

    Ce ne sont là que mon point de vue.

    Réponse
    • Maxime N. Georgel

      Ah je croyais que vous étiez catholique romain !

      Quelle église enseigne la présence locale ? Vous parlez des miracles eucharistiques (dont aucun à ma connaissance n’a pu être vérifié, tous ceux sur lesquels j’ai pu me pencher mentionner des noms de médecine dont on ne retrouve pas la trace ou même des instances de l’ONU qui n’existent pas !) mais ces pseudo-miracles ont lieu dans l’Église romaine. Or, celle-ci nie que la présence du Christ soit locale mais uniquement substantielle. Si donc vous êtes catholique romain, vous croyez l’inverse de ce qu’enseigne le magistère ? A moins que vous ayez trouvé une autre Eglise ?

      Réponse
  3. Steven

    Laissez le magistère tranquille, il enseigne ce qu’il faut croire et je suis d’accord avec lui. Je n’oppose tout simplement pas présence locale et présence réelle, je ne vois pas de contradiction entre les 2 voilà.
    Mais s’il faut croire fidèlement et fermement de foi catholique en la présence réelle seulement pour être sauvé alors je n’hésiterai pas à me soumettre à la loi de l’Église.
    Non pour l’instant je suis bien là où je suis je n’ai pas l’intention d’aller voir ailleurs.
    Je ne suis pas esprit scientifique du tout et bien tant pis si il n’y a pas de véritables preuves scientifiques.

    Réponse
    • Maxime N. Georgel

      En fait, il n’y a aucune preuve du tout. Par contre, l’eucharistie rougie bien célèbre en Hongrie a été analysée et c’est un champignon rouge qui est la cause du changement de coloration et de texture.

      Pour le reste, je tenais simplement à vous informer que la notion de présence locale est condamnée par le magistère romain, mais libre à vous de le contredire !

      Réponse
    • Maxime N. Georgel

      Si vous voulez consulter une source catholique qui exprime cela simplement :

      https://croire.la-croix.com/Definitions/Sacrements/Eucharistie/La-presence-reelle-dans-l-eucharistie

      Comme quoi, mon impression semblait juste : la plupart des catholiques ne croient pas à la transsubstantiation dans les termes dans lesquels elle est professée mais croient plutôt que, d’une manière mystérieuse, le Christ serait physiquement contenu dans le pain. Mais ils se raviseront, face aux textes du Magistère, en disant que « de toute façon ils croient ce que l’Eglise dit, même s’ils ne l’ont pas bien compris » (foi implicite). Ce n’est pas ainsi que parlaient les apôtres : nous ne voulons pas que vous ignoriez, frères, disait Paul. La foi implicite, lorsqu’il s’agit de la doctrine (notitia) et de l’accord avec cette doctrine (assensus) n’a pas de valeur. Et, sans cela, je doute même qu’une foi implicite de confiance (fiducia) puisse exister : pourquoi se confier en quelque chose qu’on n’a pas compris ? N’est-ce pas là l’essence d’une confiance trompeuse ?

      Réponse
      • Steven

        Non j’ai très bien compris la transsubstantiaton, et je crois en la présence réelle telle qu’elle est enseignée par le Catéchisme et le Magistère, j’ai parlé de présence locale car c’est bien ce qu’on constate par nos yeux à Lanciano depuis le Moyen-âge ou à Buenos Aires depuis 1996 mais ce sont là des faits tout à fait extraordinaires qui échappent à notre raison et aux normes de la foi enseignées par l’Église.

        Je crois en l’Institution romaine car à mon sens elle est fidèle à ses racines juives et à la compréhension juive des paroles de Jésus et des Apôtres dans leur époque.

        Tous ces parallèles qu’apporte l’Institution romaine entre le Nouveau Testament et l’Ancien pour établir le bon fondement de sa doctrine est fidèle à l’esprit juif et à ce qu’on retrouve dans la Mishna en référence à l’Institution centrale du Temple avec la figure du grand prêtre, au Roi David et à ses intendants, au pouvoir des clés, à la pierre de fondation qui se trouve au cœur du Temple sur laquelle les clés sont déposées et de laquelle la prêtrise lévitique tire son autorité.

        On retrouve tout cela dans le Nouveau Testament avec Jésus et Pierre et avec les Pharisiens à cette époque dépositaires de cette autorité qu’ils exercent sur la Chaire de Moïse, qu’il n’est pas besoin d’en développer la compréhension dans les Évangiles car les Juifs comprenaient parfaitement le sens de ces choses.

        Il y bien d’autres trouvailles encore, la Mishna et toute la Torah orale rapportent beaucoup d’éléments sur ce qui se faisait à l’époque du Temple, sur la doctrine et sur la liturgie, qu’on retrouve aisément dans la doctrine et la liturgie de l’Église catholique.

        Voilà la raison de mon attachement à l’Église romaine en dépit des Pères et de l’Histoire.

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