Quel lien entre la justification, les œuvres et le salut ? (3/7)
27 avril 2020

Cet article est la troisième partie d’une série sur le lien entre la justification, les œuvres, et le salut. Cette troisième partie est une traduction d’un article de Mark Jones publié sur son blog Calvinist International.
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Le jugement selon les œuvres dans la théologie réformée

Pendant que je faisais ma thèse de doctorat sur Thomas Goodwin, je tenais un blog pour partager mes idées et mes réflexions sur mes recherches. Je me souviens avoir un jour écrit à propos de la doctrine de Goodwin sur le « jugement selon les œuvres ». Peu de temps après, un ministre de l’URC (United Reformed Church) — un de mes amis — m’a envoyé un courriel pour me dire qu’il avait été contacté par un professeur de séminaire qui l’a incité à se méfier de moi car j’aurais soi-disant des penchants pour la “vision fédérale”. À l’époque, je ne savais même pas ce qu’était la vision fédérale. Je pensais juste que c’étaient des gars qui aimaient la pédocommunion et qui portaient des toges farfelues pour montrer leur fierté liturgique.

Mais plus je lisais les orthodoxes réformés des débuts de la période moderne, plus je me rendais compte que ce qui passait pour de la théologie réformée en Amérique était, en fait, une vision dénaturée de l’orthodoxie réformée. Les slogans, les mots d’épouvante (« proche de la vision Fédérale »), etc. ont été utilisés, mais très peu de gens voulaient réellement se pencher sur les sources premières. J’ai perdu le compte des fois où j’ai entendu « On ne peut plus parler comme ça maintenant à cause de… Shepherd, » « Cela rendrait les brebis confuses. », etc.

Étrangement, je pensais que l’orthodoxie réformée était censée donner des réponses à des questions épineuses et les clarifier, plutôt que de semer la confusion. Toutes ses distinctions m’ont aidé. Je me suis rendu compte que la Bible disait des choses qui semblaient être carrément démenties par certaines personnes qui avaient plus peur de la vision fédérale qu’envie de faire confiance aux clairs enseignements des Écritures. Nous ne devrions pas nous contenter de cette situation.

Les différents sens du mot « justification »

Par exemple, considérez la façon dont la Bible parle d’un jugement à venir selon les œuvres. Comment pouvons-nous nier cette réalité (ce que nous faisons en pratique en n’en parlant jamais) ? Voyez vous-mêmes :

2 Corinthiens 5.10 : En effet, il nous faudra tous comparaître devant le tribunal de Christ afin que chacun reçoive le salaire de ce qu’il aura fait, bien ou mal, alors qu’il était dans son corps.

Matthieu 16.27 : En effet, le Fils de l’homme va venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il traitera chacun conformément à sa manière d’agir.

Jean 5.28-29 : Ne vous en étonnez pas, car l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et en sortiront : ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, mais ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement.

Galates 6.7-9 : Ne vous y trompez pas: on ne se moque pas de Dieu. Ce qu’un homme aura semé, il le récoltera aussi. Celui qui sème pour satisfaire sa nature propre récoltera d’elle la ruine, mais celui qui sème pour l’Esprit récoltera de l’Esprit la vie éternelle. Ne négligeons pas de faire le bien, car nous moissonnerons au moment convenable, si nous ne nous relâchons pas.

Apocalypse 20.13; 22.12 : La mer rendit les morts qu’elle contenait, la mort et le séjour des morts rendirent aussi leurs morts, et chacun fut jugé conformément à sa manière d’agir. Voici, je viens bientôt et j’apporte avec moi ma récompense pour traiter chacun conformément à son œuvre.

La question se pose donc de savoir comment maintenir l’enseignement des passages ci-dessus (auxquels nous pourrions aussi ajouter les symboles œcuméniques, en particulier le symbole d’Athanase) avec l’enseignement tout aussi clair que la justification est “par la foi seule” ?

Notre position ne consiste pas en deux justifications de même nature, séparées seulement par le temps et notre propre progrès dans la sainteté. Ce serait du papisme. Nous nous en tenons plutôt à une seule justification par la foi seule. Mais nous devons aussi nous pencher sur la nature de la foi vraie et salvatrice, et au langage conditionnel assez fréquent dans le Nouveau Testament (cf. Confession de Foi de Westminster [CFW] 13.1, citant Hébreux 12.14 et 2 Corinthiens 7.1). En outre, il convient de noter les diverses distinctions légitimes que les scolastiques réformés et les puritains ont faites en ce qui concerne la justification.

En ce qui concerne la foi, John Owen dit : « Car il y a une foi par laquelle nous sommes justifiés, et les détenteurs de cette foi seront assurément sauvé, puisqu’elle purifie le cœur et agit par amour. Et il y a une foi ou une croyance, qui ne fait rien de tout cela ; et ceux qui ne détiennent que cette foi ne sont ni justifiés, ni sauvés. » (CFW 11.2).

Quant à la justification, les scolastiques réformés notent qu’elle a à la fois un aspect « forensique »1 et un aspect « démonstratif ». Thomas Goodwin souligne que « l'[aspect forensique] est la justification de l’homme coram Deo, devant Dieu, tel qu’il apparait devant lui, ayant affaire à lui seul pour l’obtention du salut; et ainsi est-il justifié par la foi sans œuvres (Rom 4.2-5)2. »

Mais il existe aussi un aspect démonstratif à notre justification. Dieu jugera les hommes au jour du Jugement et « établira une différence entre les hommes sur la base suivante : les uns sont de vrais croyants qui ont été justifiés ; mais d’autres sont des insensés, leur foi même est fausse. » 3. Dieu rendra donc manifeste, pour que tous la voient, la différence entre ceux qu’il a vraiment justifiés et ceux qui sont demeurés sous sa colère, même s’ils ont « professé » la foi. Matthieu 25.31-46 est instructif sur ce point.

Revenons-en à la distinction entre « droit » et « possession, » dont je n’avais pas beaucoup entendu parler jusqu’à il y a quelques années, lorsque j’ai commencé à écrire à propos de cette distinction sur les blogs avec d’autres. Goodwin, qui a affirmé que nous avions droit au salut par la foi seule, énonce un autre principe qui lui est complémentaire : Dieu ne « permettra à personne d’entrer en possession du salut, sans qu’elle n’ait rien à montrer en retour». Ce langage est remarquablement semblable à celui de Petrus van Mastricht : « Dieu ne veut pas accorder la possession de la vie éternelle, à moins qu’il n’y ait, avec la foi, de bonnes œuvres qui précèdent cette possession (Hébreux 12.14; Matthieu 7.21 ; 25.34-36; Romains 2.7, 10. »

L’argument que Goodwin formule se fonde sur la justification de lui-même que Dieu réalise au Jour du Jugement 4. Ce fait semble être oublié lorsque les gens essaient de rejeter légèrement la pertinence d’un jugement en fonction des œuvres.

L’usage pastoral des bonnes œuvres

« Comment donner à nos pauvres fidèles l’assurance au Jour du Jugement ? » dit le pasteur. C’est une question pastorale intéressante. Je me souviens avoir dit plus d’une fois que : « Faites confiance au Christ et vous serez sauvés. Seule la justice de Christ pourra faire face à la sévérité du jugement de Dieu. » Mais cela ne veut pas dire que je n’ai rien à dire sur nos œuvres, puisque la Bible a beaucoup à dire sur le rôle de nos œuvres au jugement final.

Dieu justifie indépendamment des œuvres, mais il « se penchera aussi sur les œuvres en tant que démonstration d’une foi sincère » et distinguera clairement entre un vrai croyant et un faux croyant. Dieu « justifiera ses propres actes de justification ». Ou, pour le dire autrement, Dieu justifiera, déclarera véritable, la foi du croyant qui a été justifié ; le jugement prouvera que nous avons eu une foi vivante qui a oeuvré par amour. Dieu va justifier son peuple.

Le contraste entre Paul et Jacques est alors mis en évidence : « En un mot, la personne d’Abraham, considérée individuellement et seule, comme impie, est l’objet de la justification de Paul indépendamment des œuvres telle qu’on le lit en Romains 4.3-5. Mais Abraham, en affirmant avoir une telle foi qui justifie, en ayant été justifié par elle, et en revendiquant le droit au salut par elle, sera aussi, dans un sens, justifié par les œuvres. » (Goodwin)

Goodwin évoque dans quel sens “on peut dire qu’un homme est jugé par ses œuvres au jour dernier”. Tous ceux qui seront jugés seront justifiés ou condamnés. Il dit :

Il n’y a donc pas plus de danger à dire qu’un homme au dernier jour sera justifié par ses œuvres, en tant qu’elles manifestent son état spirituel et la véracité de sa foi, qu’à dire qu’il sera jugé selon cela.

Il soutient essentiellement que nous serons justifiés par les œuvres, mais seulement de manière démonstrative, comme Dieu justifie son propre acte de justification en chaque croyant. Après tout, Christ parle d’une justification (démonstrative) selon les œuvres en Matthieu 12.36-37,« Car par tes paroles tu seras justifié, et par tes paroles tu seras condamné. » Goodwin ajoute : « Il n’est dit nulle part que Dieu jugera les hommes selon leur foi seulement. »

Comme le dit Calvin, la justification « par la foi seule » est ambiguë ; le sens de « seul » doit être compris de manière adverbiale et non adjectivale (cf. ici l’explication de Richard Gaffin). Goodwin l’exprime ainsi : « Dieu dira : Je te jugerai, afin que chacun puisse juger de ma sentence avec justice : 1 Corinthiens 4.5, le monde entier pourra savoir qu’il a justifié celui qui avait une foi véritable. » Le jugement final porte autant sur la justification du Dieu trinitaire que sur la justification de la vie des vrais croyants.

Le résultat de ceci, pour Goodwin, est que « les passages traitant du jugement selon les oeuvres chez Paul, et la justification selon les œuvres chez Jacques, ne font qu’un, et sont compatibles avec la justification par la foi seule chez Paul. Car, dans la même épître où il plaide avec tant de force en faveur d’une justification par la foi sans les œuvres, en Romains 3 et 4, il déclare aussi, au chapitre 2, qu’il ‘jugera chacun selon ses œuvres’. »

La plupart des premiers réformés ne considéraient pas Romains 2.7-11 comme hypothétique, contrairement à ce que certains dans le monde réformé d’aujourd’hui ont suggéré. J’ai trouvé environ 50 exemples de théologiens réformés classiques prenant Romains 2.7-11 comme indubitable.

Cette vérité doit-elle pour autant troubler nos fidèles ? Seulement s’ils sont hypocrites et non s’ils sont de bonne foi. Christ condamnera à juste titre les hypocrites dans l’Église (Matthieu 25.41-46). Ils sont désignés comme ceux qui n’ont pas fait de bonnes œuvres. Ce sont ceux qui négligent les points les plus importants de la loi (Matthieu 23.23).

Voici la bonne nouvelle pour ceux qui ont une foi vraie et vivante : la résurrection précédera le jugement (Grand Catéchisme de Westminster, 88 ; 2 Corinthiens 5.10). Sur la base de 1 Jean 3.2, nous verrons le Christ et serons immédiatement transformés par sa vue (vision béatifique). Nous apparaîtrons donc, pour ainsi dire, comme déjà justifiés en ce jour. Rappelez-vous que quand nous avons cru pour la première fois, nous avons reçu le « droit à la vie ». C’est la gloire de la justification (Romains 5.1, 8.1). Rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, même et surtout au jour du jugement.

Nous n’avons pas à craindre le jugement dernier si nous sommes enfants de Dieu. Mais, en tant qu’enfants de Dieu, glorifiés en présence de Christ, nous « devons tous comparaître devant le tribunal de Christ, afin que chacun reçoive ce qui lui est dû pour ce qu’il a fait dans le corps, en bien ou en mal » (2 Co 5.10). Et oui, il y aura dans l’Église ceux qui se trouveront dans une mauvaise posture au jugement final parce que leur foi était morte (c’est-à-dire qu’elle n’a pas produit de fruit, Jean 15.2-5, 10, 16).

Un jugement entièrement trinitaire

Une dernière réflexion. Il me vient à l’esprit que certains parlent du jugement final sans considérer son aspect trinitaire. Ils disent qu’il s’agit exclusivement d’une justification déclarative pour certains. Bien entendu, la justification déclarative nous donne le droit à la vie. Seule la justice imputée de Christ peut faire face à la sévérité du jugement de Dieu. Mais la justification démonstrative, comme je l’ai souligné plus haut, est l’approbation par le Père de l’œuvre de l’Esprit — c’est-à-dire l’Esprit du Christ — dans son peuple par notre union avec le Sauveur.

Le Père qui nous a donné deux cadeaux, le Fils et l’Esprit, nous regardera comme justifiés en Christ et sanctifiés en Christ par l’Esprit ; et il sera satisfait de son œuvre. Il nous acceptera par amour pour Christ, nous récompensera et nous donnera raison à cause de l’Esprit de Christ, qui nous a permis de faire de bonnes œuvres, qui ont été préparées à l’avance pour nous (Éphésiens 2.10).

Il me semble donc que nous devons faire un meilleur travail — du moins, d’après ce que j’ai pu lire — pour décrire le jugement final en termes explicitement trinitaires. Je crois que c’est précisément l’objectif du compte-rendu ci-dessus.

Conclusion

S’il existait une meilleure façon de faire le lien entre la gratuité de la justification par la foi, le langage conditionnel des Écritures (Romains 8.13), et le fait que les chrétiens seront jugés selon ce qu’ils ont fait dans le corps (2 Corinthiens 5.10), je serais très intéressé par cette solution. Mais ce que j’ai décrit ci-dessus a un appui solide dans la tradition réformée. Dire que c’est « proche de la vision fédérale » est une paresse intellectuelle et spirituelle, et fait usage de tactiques d’intimidation pour susciter la peur et censurer des aspects légitimes de la tradition réformée. Cela est totalement inapproprié. Certains pourraient même dire injuste.

Comme John Piper voudrait sans doute nous le faire conclure, frères, profitez de cette controverse. C’est l’occasion de vaincre la paresse et la culpabilité théologique. C’est l’occasion de revenir à notre propre tradition sur ce sujet, et de voir comment cela nous aide à embrasser pleinement et sans crainte toute la Parole de Dieu.


  1. NdE : ou déclaratif, judiciaire.[]
  2. Voir GOODWIN Thomas, Works, 7, 181ss)[]
  3. GOODWIN, voir Actes 8.13[]
  4. NdE : C’est-à-dire que Dieu manifeste la justice de son jugement par les oeuvres bonnes de ses élus.[]

Hadrien Ledanseur

Enfant de Dieu, passionné par la théologie et la philosophie. S'il est enfant de Dieu, c'est exclusivement en vertu des mérites de Jésus-Christ et de la grâce de Dieu. Si Dieu le veut, il se fiancera bientôt !

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