Y a-t-il une quelconque utilité à la philosophie en théologie ? Nous l’affirmons.
Thèses (§§1-3)
Turretin essaie de défendre un juste milieu dans l’usage de la philosophie entre l’excès et le défaut :
- D’un côté, il y a l’erreur de ceux qui confondent la théologie et la philosophie. Il met dans cette catégorie certains pères comme Justin Martyr et Clément d’Alexandrie, Origène et les scolastiques qui s’appuient davantage sur Aristote que sur les prophètes (rappelons cependant que Turretin est lui-même un pratiquant de la scolastique). De même pour les sociniens comme Ludwig Meyer qui « introduisent la philosophie dans la citadelle comme fondation et interprète des Écritures ».
- De l’autre, l’erreur de ceux qui séparent complètement philosophie et théologie, comme les anabaptistes et les disciples de Valentin Weigel.
Les orthodoxes occupent un juste milieu. Ils ne confondent pas la théologie avec la saine philosophie comme les parties d’un tout ; ni ne l’opposent comme des contraires ; mais elles sont subordonnées, composées de façon à s’assister mutuellement. Philon d’Alexandrie, et après lui les pères de l’Église, l’ont illustré de façon appropriée par l’allégorie de Sarah et Hagar. La Théologie domine sur la Philosophie, et cette dernière agit comme la servante et se soumet à la première. Ils reconnaissent qu’elle a beaucoup d’usages variés qui doivent être distingués de ses nombreux abus.
François Turretin, ITE, I.13.2-3
Bien que toutes les vérités ne puissent pas être démontrées par la raison (les limites de la Vérité étant beaucoup plus larges que celle de la Raison), aucun mensonge ne peut être gardé sous la protection de la vraie raison, ni une vérité détruite par une autre (bien que l’une puisse transcender et surpasser l’autre) parce que quelle que soit une vérité – qu’elle soit inférieure, dans le champ ou supérieure à la raison, ou qu’elle soit appréhendée par les sens, l’intellect ou la foi – cette vérité ne peut pas avoir d’autre source que Dieu, le père de la Vérité. Ainsi, la grâce ne détruit pas la nature, mais la perfectionne. De même, la révélation surnaturelle n’abroge pas la révélation naturelle, mais la rend plus certaine.
Bref, la position réformée est la position très classique de la philosophie comme servante de la théologie.
Définition et limites (§§4-6)
Commençons par faire remarquer qu’il y a deux sens à « philosophie » :
- La collection d’opinions humaines qu’on enseigne dans les cours d’histoire de la philosophie. De celle-ci, Turretin dit : « nous reconnaissons qu’elle contient beaucoup d’erreurs et qu’elle n’a aucune utilité et est d’une grande dangerosité. C’est pourquoi Paul la condamne (Colossiens 2.8). »
- Le sens abstrait et propre du mot : « la connaissance des choses divines et humaines (aussi loin qu’elles peuvent être connues par la lumière naturelle). » C’est cette philosophie qui est utile à la théologie.
La vraie philosophie sert à :
- Convaincre les non-croyants et les préparer à la foi. Ainsi Clément d’Alexandrie « [la philosophie] prépare la voie à la doctrine très royale» (Stromates 1.16). L’efficacité de cette approche fait dire à Julien l’Apostat que « nous sommes rattrapés par nos propres ailes » (Théodoret, Histoire Ecclésiastique, 3.4). Turretin illustre cet usage par l’or égyptien qui a servi pour le tabernacle, ou les architectes phéniciens qui ont aidé pour le temple de Salomon.
- Elle sert comme témoignage de la nature confirmant la révélation surnaturelle.
- Elle nous sert à discerner le vrai du faux.
- Elle prépare l’esprit à recevoir des vérités plus hautes. Il est important dans ce but que l’on ne s’amourrache pas de la philosophie, mais qu’on la confine à un rôle utilitaire.
Il faut se garder des abus suivants :
- Il ne faut pas transférer ce qui est vrai au niveau naturel (et donc du domaine de la philosophie) à ce qui est vrai au niveau surnaturel (du domaine théologique). Par exemple, nier la conception virginale sous prétexte que cela n’arrive pas naturellement. Il ne peut pas y avoir d’argument scientifique ou philosophique contre les évènements miraculeux de la Bible, parce que ces évènements n’arrivent pas à cause de forces naturelles, mais de la toute-puissance de Dieu.
- Embarquer sans critique des dogmes particuliers (par exemple l’éternité du monde d’Aristote) dans un système théologique. Nous visons d’abord la vraie philosophie, plutôt que les sectes particulières.
- Que ce soit la philosophie qui détermine ce qui est vrai, comme le font les rationalistes qui rejettent la Trinité parce que « irrationnel ».
- Les distinctions inutiles, qui sont alors des sources d’erreurs.
Objections (§§ 7-14)
§7
Une chose niée par la philosophie est tout à fait différente d’une chose qui n’est pas enseignée par elle. Nous ne nions pas que différents mystères théologiques ne sont pas enseignés par la philosophie, mais il n’en suit pas qu’elles sont réfutées parce que la limite entre les deux sciences doit être gardée. Le physicien ne s’occupe pas de géométrie, ni le juriste de science naturelle. Ainsi la philosophie doit-elle être gardée dans ses justes limites, et ne pas sonder au dehors.
Ibid, I.13.7
Notez que cette remarque s’applique à toutes sciences humaines, y compris la biologie et la physique.
Objection §8 Paul condamne la philosophie en Colossiens 2.8 : Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie Réponse : On parle ici du sens impropre, la collection d’opinions humaines, et non de la vraie philosophie comme le témoigne la suite du verset : et par une vaine tromperie, s’appuyant sur la tradition des hommes, sur les principes élémentaires du monde, et non sur Christ.
Objection §10 Dieu étant l’auteur de la philosophie, il est normal que la philosophie qui interprète cette révélation générale, interprète aussi la Bible (révélation spéciale). Réponse : C’est une inférence absurde. Dieu est l’auteur de la révélation générale dans la mesure où elle est une lumière naturelle, il n’est pas l’auteur de la philosophie (qui est l’interprétation de cette révélation générale). D’autre part, Dieu est l’auteur de la raison dans la mesure où il est celui qui produit cette lumière naturelle adressée à une raison déchue. Mais en ce qui concerne la Bible, il s’adresse à la raison restaurée par la grâce.
Ces mêmes arguments s’appliquent à ceux qui aujourd’hui veulent lire la Bible à la lumière des sciences naturelles, sous prétexte que Dieu est l’auteur de la Science.
Objection §11 Les pères de l’église condamnent parfois sévèrement la philosophie comme Tertullien : Qu’est ce qu’Athènes a à voir avec Jérusalem? (Contre Hermogène 8). Réponse : C’est la philosophie humaine qui est condamnée, pas la vraie philosophie.
Objection §12: Les apôtres n’ont pas eu besoin de philosophie pour enseigner la doctrine de Christ. Réponse : Cela n’exclut pas que nous l’utilisons, pour atteindre le même objectif par une méthode plus ordinaire et moins immédiate.
Objection §14 Il est sain et raisonnable d’être critique en philosophie et sur les choses naturelles. Donc l’on devrait faire la même chose en théologie. Réponse : Non, pas en théologie et sur les sujets de foi, à moins que tu ne veuilles devenir athée.
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