Des contradictions de l’Écriture — Turretin (2.5)
20 avril 2021

Y a-t-il de vraies contradictions dans l’Écriture ? Existe-t-il des passages irréconciliables ? Nous le nions.

On le sait bien : les contradictions dans la Bible sont une friandise pour les athées, les musulmans, et les libéraux. Ces derniers devraient d’ailleurs s’inquiéter d’être dans cette liste. Généralement, notre approche est d’expliquer chacune de ces apparentes contradictions et montrer qu’elles sont sans objet, que tous ces passages peuvent être réconciliés. Le souci de se contenter de cette approche, c’est que les athées amènent des passages contradictoires non pas suite à une lecture honnête, mais parce qu’ils ont décidé dès le départ que les Écritures ne sont pas la parole de Dieu, et qu’il y a donc forcément des contradictions dans un corpus aussi gros que celui de la Bible.

Contre cette position, Turretin attaque d’abord l’idée même qu’il y ait des contradictions dans la Bible. La question est une des plus longues de l’Institution de théologie élenctique. Alors que la réponse théorique comporte onze sections, Turretin consacre vingt-quatre sections à réfuter des contradictions avancées à son époque. Je vous préviens tout de suite : je ne vais pas détailler ces réfutations particulières, surtout parce qu’il y a des ouvrages plus récents et plus à jour. Je vous renvoie vers l’Encyclopédie des difficultés bibliques qui en fait bien plus que Turretin. En libre accès, mais en anglais, nous avons le site Defending Inerrancy qui est très utile de ce point de vue, avec en plus des ressources théoriques de bonne qualité que je recommande.

Contexte et formulation de la question (§§ 3-5)

Au XVIIe siècle, face à Turretin, il n’y avait pas encore vraiment de musulmans, mais des catholiques et des libéraux. C’est presque pareil. Turretin fait la liste suivante de ceux qui utilisaient les contradictions pour renverser l’Écriture :

  • Certains défendaient qu’on pouvait résoudre toutes les difficultés de l’Écriture en disant simplement que les auteurs bibliques pouvaient se tromper. C’est le cas de Fausto Socin et de Sébastien Castellion (deux figures revendiquées par les libéraux d’aujourd’hui).
  • Certains défendaient qu’effectivement les originaux avaient été irrémédiablement corrompus par les juifs et par des hérétiques, mais que tout allait bien parce qu’on avait la Vulgate qui était parfaite et infaillible. C’était l’opinion majoritaire des catholiques de l’époque, et une question sera consacrée à cette opinion.
  • Certains admettaient qu’il y avait effectivement de vraies erreurs et contradictions dans les manuscrits originaux, que même la critique textuelle ne pouvait pas prétendre réparer. Mais cela ne remettait pas en cause l’autorité des Écritures parce que ce n’était pas sur des sujets importants. C’était l’opinion de savants comme Joseph Scaliger, Louis Cappel, Gérard Jean Voss et autres.

Enfin, d’autres défendent l’intégrité des Écritures et disent que ces différentes contradictions sont seulement apparentes, et non réelles ; ces passages sont difficiles à comprendre, mais pas impossibles à expliquer. C’est l’opinion la plus commune des orthodoxes, que nous suivons comme étant la plus sûre et la plus vraie.

François Turretin, ITE, 2.5.3

Précision : nous parlons ici des erreurs qui restent après l’examen de la critique textuelle ; celles qui peuvent raisonnablement être attribuée aux manuscrits originaux.

Argumentation (§§ 6-8)

Selon les mots de Turretin, il faut défendre l’inerrance parce que « les Écritures sont inspirées de Dieu (2 Timothée 3,16). La parole de Dieu ne peut pas mentir (Psaume 198,9 ; Hébreux 6,18) elle ne peut pas passer ni être détruite (Matthieu 5,18) ; elle demeure à toujours (1 Pierre 2,25) ; elle est la vérité même (Jean 17,17). » Bref. C’est là un argument de poids pour Turretin.

Contre ceux qui voulaient transiger un peu à la marge, en disant qu’il y avait des erreurs sur des détails sans importance, les mots de Turretin sont là aussi irremplaçables : « Si les Écritures ne sont pas parfaitement intègres, elles ne peuvent pas être considérées comme la seule règle en matière de foi et moeurs, et la porte est grande ouverte à tous les athées, libertins, enthousiastes et autres profanes pour qu’ils détruisent son authenticité et renversent la fondation de notre salut. » On ne peut pas admettre qu’à la marge il y ait quelques petites erreurs sans conséquences, ou parler « d’inerrance limitée » sans admettre le principe même de leur corruption. Il n’y a tout simplement aucune distinction qui nous permette de contenir la critique, une fois qu’on admet le principe de corruption des Écritures. C’est d’ailleurs ainsi que la doctrine libérale des Écritures avance, par petits pas :
1. Ils demandent d’abord à ce que l’on reconnaisse que ce passage là est corrompu ;
2. puis qu’il y a en principe des passages corrompus dans des détails sans importance ;
3. puis que même des passages important peuvent être corrompus ;
4. puis qu’ils sont effectivement corrompus ;
5. puis ils abandonnent complètement la Bible.

Il faut donc défendre l’intégrité et la pureté des manuscrits originaux :

  1. D’abord à cause de la providence de Dieu, qui défend les Écritures contre tous ceux qui veulent l’attaquer et la détruire ;
  2. Ensuite, parce que les juifs ont toujours été extrêmement pointilleux sur la préservation de leurs textes, jusqu’à la superstition ;
  3. Mais aussi parce que les scribes massorètes ont été si rigoureux dans leur travail de copiste qu’on peut imaginer que même leurs points-voyelles n’ont pas pu changer depuis le début (Cette question sera traitée à part plus tard.) ;
  4. Le nombre de manuscrits est si grand que même si certains manuscrits sont corrompus, tous ne peuvent pas l’être.

Conseils de Pierre Martyr Vermigli et François Turretin face aux contradictions bibliques

Pierre Martyr Vermigli (1499-1562)

Nous avons déjà écrit sur la vie de Pierre Martyr Vermigli, un des plus grands réformateurs, que même Calvin estimait supérieur à lui (et qui ne voyageait jamais sans ses livres d’Aristote). François Turretin le cite au paragraphe 11, où il fait référence au commentaire de Vermigli sur 2 Rois 8,17:

Bien qu’il y ait des choses obscures sur la chronologie, nous ne devons pas les abandonner en disant que le texte sacré est faux. Car Dieu, qui a selon sa propre miséricorde souhaité que les saintes lettres fussent préservées pour nous, nous les a données entières et sans corruption. Là donc où nous ne pouvons pas expliquer le nombre d’années nous devons confesser notre ignorance et nous souvenir que le texte saint parle si peu du point de départ des calculs qu’il n’y apparaît pas. Ainsi donc, les Écritures restent sans corruption, car si elles sont affaiblies en un point ou en un autre, elles sont affaiblies en tous.

Turretin, quant à lui, déclare :

Même si nous ne pouvons pas trouver tout de suite une pleine réconcilaition et nous libérer de toute difficulté dans des passages de Écritures, il ne faut pas les mettre au rang des choses inexplicables. Si elles sont inexplicables, ce n’est que pour dire que ce sont nos capacités qui manquent à les expliquer, elles ne le sont pas en elles-mêmes. Il est plus sage de reconnaître notre propre ignorance plutôt que de supposer une quelconque contradiction.

Op. cit., 2.5.11

On dira ce qu’on veut, mais les théologiens italiens (Thomas d’Aquin, Pierre Vermgili, François Turretin) sont parmi les meilleurs du monde.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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