Les écrits des Pères sont-ils la règle de vérité dans les doctrines de la foi et dans l’interprétation des Écritures ? Nous le nions contre les papistes
Turretin clôt le deuxième lieu par une réflexion sur l’usage des pères de l’Église. Par cette expression, il désigne les chrétiens des six premiers siècles de l’histoire de l’Église, jusqu’à Grégoire le Grand environ, après quoi l’Antichrist leva la tête.
À l’époque de François Turretin, les opinions romaines étaient les suivantes :
- Les Pères de l’Église sont aussi normatifs que les Écritures. Les écrits des pères sont authentiques, aussi bien individuellement que collectivement.
- En sens inverse, il y a des catholiques qui soutiennent que les écrits des Pères sont purement humains et aucunement une règle ou un standard. C’est le cas de Cajetan et les papistes plus sages.
- Un troisième groupe qui pense qu’individuellement, aucun père particulier ne fait autorité, mais collectivement, ce sur quoi ils sont d’accord est infaillible et divin. C’est ce que soutient le concile de Trente : les traditions des pères concernant la foi et la pratique doivent être reçues avec une affectueuse piété égale à celle que l’on à pour l’Ancien et le Nouveau Testament, ou bien [Le concile] interdit quiconque d’oser interpréter les Écritures dans un sens contraire à celui que notre mère l’Église tient, ou même contre le consentement unanime des pères. C’est l’opinion majoritaire à l’époque, et Vatican II en a gardé l’essentiel.
La thèse orthodoxe est la suivante:
Les orthodoxes tiennent les pères de l’Église en haute considération, et les trouvent très utiles pour connaître l’histoire ancienne de l’Église et dans les doctrines cardinales, nous pouvons être d’accord avec eux. Mais nous refusons que leur autorité, individuelle ou collective, puisse être normative en doctrine ou interprétation des Écritures, de telle sorte qu’il faille suivre leur jugement. Leur autorité est seulement ecclésiale, et soumise aux Écritures, et elle n’a aucun poids en dehors.
François Turretin, Institus de Theologie Elenctique, 2.21.5
Argumentation principale (§§ 7-10)
- Les pères n’ont pas de charismes d’infaillibilité : de fait, ils ont fait des erreurs, que même les catholiques reconnaissent (même Bellarmin reconnaît qu’ils se contredisent).
- Les écrits des pères sont remplis d’interpolations et de versions non authentiques, d’écrits faussement attribués à tel père.
- Les pères de l’Église reconnaissent eux-mêmes qu’ils ne sont pas une règle.
Turretin cite alors:
- Augustin : Je confesse à ton amour que j’ai appris à donner cette révérence et cet honneur uniquement aux livres de l’Écriture que nous appelons aujourd’hui canonique, celles dont nous devons croire qu’aucun auteur n’a erré en rien… mais lorsque je lis les autres, quelque soit l’excellence de la pureté de la doctrine. Je ne crois pas une chose vraie parce qu’ils le disent ; mais parce qu’ils peuvent me persuader, soit par des auteurs canoniques, ou par raison probable, qu’elle ne diffère pas de la vérité1.
- Augustin : Nous n’offensons pas Cyprien lorsque nous distinguons ses écrits des Saintes Écritures. Car ce n’est pas sans saine raison que le canon ecclésiastique est appointé, auquel appartiennent les prophètes et les apôtres. Ceux-là, nous n’osons pas du tout les juger comme nous le faisons des autres écrits, qu’ils soient des hommes fidèles ou des infidèles2.
- Jérôme de Stridon : Je sais que j’estime les apôtres différement de leurs transmetteurs ; les premiers disent toujours la vérité, les seconds sont des hommes qui font parfois des erreurs3.
- Jérôme de Stridon : Origène doit être lu parfois, comme Tertullien, Novatus et Arnobe, et quelques auteurs ecclésiastiques, de manière à extraire le bon et rejeter le mauvais, selon la parole de l’apôtre: testez toutes choses, retenez ce qui est bon4.
- Ambroise de Milan : Je ne souhaite pas que vous me croyez. Que les Écritures soient récitées. Je ne dis pas de moi-même qu’au commencement était la Parole, mais je l’entends. Je ne m’attache pas, mais je lis5.
- Cyrille de Jérusalem : Ne vous attachez pas à mes commentaires courants de crainte de vous tromper ; mais à moins que vous ne receviez un témoignage des prophètes pour chaque phrase particulière, vous ne devez pas croire mes mots6.
- Les catholiques eux-mêmes font le tri chez les pères entre ce qu’ils approuvent et ce qu’ils rejettent. Turretin cite alors plusieurs catholiques contemporains, comme Cajetan, Melchior Cano, Maldonatus… Je citerai simplement Petavius : Les pères étaient des hommes. Ils ont eu leur échecs et nous ne devons pas malicieusement rechercher leurs erreurs pour les montrer au monde ; mais nous pouvons prendre la liberté de les noter si jamais elles viennent sur notre chemin, afin que personne ne soit trompé par elles ; et nous ne devons pas plus maintenir ou défendre leurs erreurs que nous devons imiter leurs vices, s’ils en ont eu.
Réponse aux Objections (§§11-18)
§12 : Les pères étant les plus proches des apôtres, ils sont forcément les plus purs témoins.
Réponse: Il n’en suit pas qu’ils aient un charisme d’infaillibilité, qui n’appartient qu’aux apôtres.
Bien que nous soyons réticents à reconnaître l’autorité des pères en tant que juges pour la foi, il n’en suit pas que leur autorité est nulle. Ils peuvent être très utiles […] pour obtenir des témoignages sur l’ancienne Église et nous convaincre que les papistes préfèrent se vanter de l’accord des pères plutôt que leur obéir. De plus, les doctrines que les papistes nous opposents à partir de la Tradition qui sont contraire aux Écritures, sont inconnues des premiers siècles. […]
En résumé, les pères ne peuvent ni ne doivent être considérés commes des arbitres dans nos controverses, mais comme des témoins qui par leur merveilleux accord, donne un témoignage à la vérité du christianisme et prouve (par leur silence ou même des arguments directs) la fausseeté des doctrines introduites par les papistes au-delà et et contraires à l’Écriture. Leurs écrits doivent être reçus avec respect, peuvent être lus avec profit. Cependant, ils ne peuvent avoir une autorité qu’une autorité ecclésiale et humaine, c’est-à-dire, soumise et dépendante des Écritures.
Op. cit., 2.21.15 et 18
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