La prédestination des anges — Turretin (4.8)
22 mai 2023

Considérant que le sujet est évoqué dans les Écritures, Turretin y consacre quelques pages. Il affirme que les anges aussi ont eu une prédestination :

  • 1 Timothée 5,21 : Je te conjure devant Dieu, devant Jésus-Christ, et devant les anges élus.
  • 2 Pierre 2,4 : Car, si Dieu n’a pas épargné les anges qui ont péché, mais s’il les a précipités dans les abîmes de ténèbres et les réserve pour le jugement
  • Jude 6 : il a réservé pour le jugement du grand jour, enchaînés éternellement par les ténèbres, les anges qui n’ont pas gardé leur dignité, mais qui ont abandonné leur propre demeure

Reste à savoir comment, car il n’est pas encore acquis qu’ils ont été prédestinés de la même façon que les hommes.

L’objet de la prédestination des anges

Quels anges ont été prédestinés ? Certains proposaient que les anges auxquels s’applique le décret de prédestination étaient tous purs, et que Dieu avait en quelque sorte décidé de faire pécher des anges purs, puis d’appliquer la sentence. Mais cela pose problème :

  • Être capable de pécher, ce n’est pas encore pécher. L’on ne peut être condamné que pour des péchés en acte.
  • La réprobation relève de la justice de Dieu, tandis que la prédestination relève du bon plaisir de Dieu. Il ne peut donc pas directement prédestiner à la réprobation des anges purs, car ce ne sont pas les mêmes attributs.
  • Chez les hommes, on le verra après, ce ne sont pas des hommes purs qui sont prédestinés à la vie ou la mort éternelle, mais des hommes pécheurs1. Il en va donc de même pour les anges.

Du point de vue de l’Écriture, on prouve la même chose ainsi : en 2 Pierre 2,4 et Jude 6 cités plus haut, les anges qui vont être jugés ne sont pas des anges purs, mais des anges qui ont déjà péché, et qui sont déjà déchus. L’objet de la prédestination des anges sont donc des anges déchus, et non des anges purs que Dieu aurait décidé de damner.

Première différence entre la prédestination des hommes et des anges : Tous les hommes sont également soumis à la prédestination de Dieu, en tant que pécheurs. Chez les anges, il n’y a pas cette égalité entre anges purs et anges déchus : les premiers n’ont jamais chuté ni péché, les seconds n’auront jamais de salut, ils sont réservés pour le jugement dernier.

L’élection des anges

Pour ce qui concerne les anges purs, ce n’est pas par leur propre force qu’ils sont sauvés, mais par la grâce de Dieu aussi : certes, c’est par leur propre force naturelle qu’ils ont résisté à la tentation, comme cela aurait pu être si Adam avait dit « non » au serpent. Mais une fois passé l’épreuve initiale, c’est la grâce de Dieu qui les scelle et les garde dans le salut éternel. Ils sont passés du statut « pur mais peut chuter » au statut « pur et ne chutera jamais » par la grâce de Dieu.

On voit là une deuxième différence entre la prédestination humaine et la prédestination angélique : chez les hommes, le salut est gratuit dans le sens où Dieu décide librement de leur accorder et de les maintenir dans le salut. Chez les anges, le salut est aussi gratuit, mais uniquement dans le sens où Dieu les maintient dans le salut. C’est par leur propre nature qu’ils y sont entrés.

L’élection des anges en Christ

Mais alors, une question : si les anges sont élus et sauvés, le sont-ils par l’intermédiaire de Christ ? Christ est-il le médiateur des anges comme celui des hommes ? C’est l’opinion de Bernard de Clairvaux par exemple :

De quel manière dites vous que le Seigneur Jésus Christ fut le rédempteur des anges ? Celui qui a restauré l’homme déchu a donné à l’ange debout la puissance de ne pas chuter, le secourant ainsi de la captivité, et le défendant ainsi de lui-même, et ainsi la rédemption est égale [entre les anges et les hommes] : priant pour cet homme, préservant cet ange.

Bernard de Clairvaux, Sermon 22 sur le Cantique des cantiques.

Turretin vient nuancer cette idée ; certes, la grâce qu’ont reçue les anges vient de Dieu le Fils, puisque le Père agit tout le temps par le Fils (Jean 5,17). Mais les anges ne tiennent pas leur salut du Fils en tant que Dieu incarné, Jésus-Christ le Dieu homme et médiateur.

  • L’Écriture appelle Christ le médiateur entre Dieu et les hommes, mais jamais des anges. Mieux même : en Hébreux 2,16, l’auteur rejette l’idée que Christ ait pris la nature des anges, et dit qu’il a au contraire pris celle de la semence d’Abraham : Car assurément ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide, mais c’est à la postérité d’Abraham. Donc Christ n’est pas le médiateur des anges.
  • Un médiateur implique qu’il y a deux camps en désaccord, c’est le principe même d’un médiateur. Mais il n’y a pas de désaccord entre les anges purs et Dieu.
  • Parce qu’un médiateur doit être des deux parties, or Christ n’est pas un ange, il n’a pas la nature d’un ange en plus de la nature humaine et la nature divine.
  • Parce que Jésus est venu pour sauver des pécheurs, et que les anges purs ne sont pas pécheurs.

Troisième différence entre la prédestination des hommes et celle des anges : les hommes sont sauvés à travers la médiation de Jésus-Christ. Les anges n’ont pas cet intermédiaire, tout en étant soumis à Dieu le Fils.

Réponse aux objections

Considérant que le débat est totalement inconnu de nos jours, je ne vais pas agiter davantage la question, l’argumentation suffira. Je me contenterai de citer le dernier paragraphe :

De là, il est évident que les anges déchus sont maintenant constitués dans leur état pénal, que leur réprobation est connue d’eux et qu’ils savent (pour augmenter leur désespoir) qu’il n’y a pas une étincelle d’espoir pour eux. Ici aussi il y a une différence avec les hommes réprouvés dont la réprobation (bien qu’elle soit sûre de toute éternité et immuable) n’est infailliblement connue de personne ici-bas. Ainsi les diables portent la punition de leur damnation en sachant qu’ils n’ont pas d’espoir de pardon. Ainsi souhaiter les consoler de leur misère, aussi dérisoire que d’espérer avec Origène leur restitution après plusieurs cycles de création, est un espoir ridicule.

  1. Infralapsarianisme, défendu plus tard[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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