Le décret de réprobation est-il absolu, dépendant uniquement du bon plaisir de Dieu, ou bien le péché est-il sa cause propre ? Nous distinguons.
Le décret de réprobation, en miroir de celui d’élection est :
Le décret sanctionné de toute éternité et décrit comme le dessein éternel, inchangeable et parfaitement libre de Dieu par lequel il décrète de ne pas avoir miséricorde de certains hommes gisant dans une corruption et culpabilité exactement égale aux autres, mais de damner éternellement ceux qui restent dans leur péché (à cause de ce péché) pour démontrer sa glorieuse justice, sa liberté et sa puissance.
François Turretin, Instituts de théologie élenctique, 4.14.1.
À moins d’être universaliste comme beaucoup de catholiques romains actuels, à partir du moment où vous admettez que tous ne sont pas sauvés, vous impliquez nécessairement que certains sont réprouvés. Et si cela ne suffisait pas, voici des passages bibliques qui établissent le fait de la réprobation :
- Malachie 1,2-3 : J’ai aimé Jacob, et j’ai eu de la haine pour Ésaü.
- Romains 9,18 : Il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut.
- Romains 9,21-2 : Le potier n’est-il pas maître de l’argile, pour faire avec la même masse un vase d’honneur et un vase d’un usage vil ? Et que dire, si Dieu, voulant montrer sa colère et faire connaître sa puissance, a supporté avec une grande patience des vases de colère prêts pour la perdition.
- 1 Thessaloniciens 5,9 : Dieu ne nous a pas destinés à la colère. (Donc, par implication, d’autres le sont.)
- 1 Pierre 2,8 : Ils s’y heurtent pour n’avoir pas cru à la parole, et c’est à cela qu’ils sont destinés.
- Jude 4 : Certains hommes dont la condamnation est écrite depuis longtemps…
- Matthieu 7,23 : Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité.
- Matthieu 25,41 : Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits ; allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges.
Distinctions préalables (§§ 4-13)
Reste à comprendre la nature de la prédestination. Et pour cela, il faut d’abord expliquer certaines distinctions utilisées après.
La réprobation est un acte unique de la part de Dieu, mais pour mieux le comprendre dans notre pensée humaine, il faut virtuellement le distinguer en deux : une réprobation positive où Dieu fait quelque chose ; une réprobation négative où Dieu retient quelque chose.
- La réprobation en son sens positif est lorsque Dieu précondamne les réprouvés, qu’il s’agisse de leur châtiment éternel (Matthieu 25,41) ou d’un châtiment temporel comme l’endurcissement en Romains 9,18.
- La réprobation en son sens négatif est le fait que Dieu ne donne pas à telle personne comme en Matthieu 11,25 : Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents. Attention à deux points : (1) Dieu ne retire pas sa providence commune, mais uniquement sa miséricorde: ce n’est pas qu’il retire des choses communes à tous les hommes, mais qu’il n’accorde pas de grâce surnaturelle ; (2) Les péchés suivent de cet abandon, non par faute de Dieu, mais par la libre volonté de la nature humaine déchue et c’est ce péché, causé par l’homme lui-même, qui est la base de la condamnation.
Cela ne rend pas Dieu cause du péché :
- Dieu est juste quand il retient sa miséricorde : nous méritons de mourir et non d’être sauvés.
- Notre tendance au péché ne vient pas du fait que Dieu retient sa miséricorde : elle vient de nous-mêmes, et précède toute grâce et toute réprobation.
- Les réprouvés ne recherchent ni ne désirent la grâce de Dieu. Au contraire, ils la méprisent.
- La conséquence de cette retenue de grâce n’est pas le péché, mais la punition qui tombe sur un péché déjà présent.
Deuxième distinction : la relation de Dieu au réprouvé se fait selon deux titres. En tant que Seigneur du réprouvé, Dieu n’a pas d’autre règle que sa propre volonté. C’est en tant que Seigneur que Dieu retient sa miséricorde comme il le souhaite (réprobation négative). En tant que juge du réprouvé, Dieu lui applique ce que mérite son péché, soit la précondamnation ou réprovation positive.
Troisième distinction : réprobation absolue et réprobation relative. La réprobation absolue est le sujet de la question « Pourquoi y-a-t-il une punition ? » La cause de la réprobation absolue est uniquement le péché de l’homme, qui rend nécessaire la punition. La réprobation relative [en lien avec] pose la question : « Pourquoi celui-là est puni et pas celui-ci ? » La cause de la réprobation relative est le bon plaisir de Dieu qui sauve Paul et condamne Judas selon son dessein.
Nous réutiliserons plus tard ces distinctions, par ailleurs résumées dans la carte mentale plus haut.
Positions (§§ 14-16)
Maintenant on peut définir au juste la question sur la réprobation :
- La réprobation de Dieu consiste-t-elle en une punition active ou une retenue de miséricorde ? Positive ou négative ?
- La réprobation de Dieu consiste-t-elle en la punition en général, due au péché de l’homme, ou bien est-elle surtout le choix libre de Dieu de ne pas sauver celui-là ? Absolue ou relative ?
Faisons le tour des positions du XVIIe siècle:
- Les arminiens considèrent que tout comme l’homme est sauvé en prévision de sa foi, il est condamné en prévision de son péché actuel. Ainsi, c’est l’homme seul qui est la cause de sa réprobation. La réprobation est en l’homme, de façon relative.
- Les réformés considèrent que c’est le seul bon plaisir de Dieu qui fait la différence entre le réprouvé et l’élu, car les deux sont faits de la même corruption. Elle est donc une réprobation absolue.
Argumentation (§§ 17-22)
Premier argument : dans les Écritures, la réprobation est tout autant faite selon le bon plaisir de Dieu que l’élection ; Romains 9,18 : Il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut.
Si la miséricorde est la cause du salut et l’endurcissement la cause de la réprobation, alors on comprend que ce qui meut l’élection au salut [le seul bon plaisir de Dieu] est le même moteur que la réprobation. Au sein même de ce chapitre de Romains 9, l’argument est renforcé par les deux exemples que Paul prend : Dieu a aimé Jacob et haï Ésaü, tout en précisant bien que c’était avant qu’ils eussent fait quoi que ce fût (et donc avant tout péché actuel) ; et aussi la ressemblance avec le potier, qui tire d’une même matière l’honneur ou le déshonneur. Au final, les mots de Paul sont encore plus convaincants que les miens : la réprobation dépend de Dieu seul.
Ainsi donc, cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde.
Romains 9,18.
Objection : en Romains 9, il ne s’agit pas du salut mais de la promesse de la terre de Canaan. Ce texte ne peut donc pas être invoqué au sujet de la réprobation.
→ Maxime Georgel a fait un traitement plus complet dans son article. Voici ce que Turretin dit, quant à lui : certes, l’élection de Jacob a d’abord été à la promesse d’Abraham d’hériter de la terre de Canaan. Mais ce sens littéral est lié à un sens allégorique, qui est bien celui du salut et de la réprobation.
Deuxième argument : On sait que la réprobation finale est dû au bon plaisir de Dieu parce que la réprobation temporelle est aussi dû au bon plaisir de Dieu ; Matthieu 11,26 : Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents. Oui, Père, je te loue de ce que tu l’as voulu ainsi.
Troisième argument : Vu que le manque de foi est une conséquence de la réprobation, il ne peut en être la cause. On voit que le manque de foi est une conséquence par les versets suivants :
- Jean 8,47 : Vous n’écoutez pas, parce que vous n’êtes pas de Dieu.
- Jean 10,26 : Mais vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis.
- Jean 12,39-40 : Aussi ne pouvaient-ils croire, parce qu’Ésaïe a dit encore : Il a aveuglé leurs yeux ; et il a endurci leur cœur, de peur qu’ils ne voient des yeux, qu’ils ne comprennent du cœur, qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse.
- 1 Pierre 2,8 : Ils s’y heurtent pour n’avoir pas cru à la parole, et c’est à cela qu’ils sont destinés.
Quatrième argument : Si la réprobation était causée par l’homme, elle ne serait pas décrite par l’apôtre Paul comme un mystère opaque. Romains 11,33-34 : Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables, et ses voies incompréhensibles ! Car qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller ?
Objections (§§ 23-34)
§ 24 : Mais c’est injuste !
→ En quoi ? Dieu ne condamne pas des innocents, mais des pécheurs. À tout prendre, c’est l’élection qui est imméritée et non le châtiment.
§ 25 : Si Dieu décide de la réprobation, alors son offre du salut n’est pas sincère.
→ Il n’y a aucune raison qu’elle ne le soit pas : Dieu proclame qu’il existe un salut et qu’il s’obtient au moyen de la foi. C’est une offre ouverte et conditionnelle tout à fait compatible avec une prédestination fermée et inconditionnelle, puisque ceux qui sont sauvés sont prédestinés à satisfaire cette condition ; ceux qui sont réprouvés sont prédestinés à ne pas satisfaire cette condition. L’offre est sincère, surtout quand on rappelle que les réprouvés ne sont pas forcés à ignorer l’Évangile, mais qu’ils le rejettent volontairement.
§ 26 : La réprobation est incompatible avec l’idée d’un Dieu miséricordieux et qui fait grâce. S’il est miséricordieux, il doit l’être avec tout le monde.
→ Pour montrer qu’il est miséricordieux, il suffit qu’il fasse grâce à quelques-uns. C’est un choix libre, et il n’y a aucune nécessité à sauver tout le monde.
§ 29 : Si nous acceptons cette doctrine, alors cela veut dire que Dieu est un juge partial, permettant à certains d’échapper à la sanction et pas à d’autres.
→ Ce n’est pas en tant que juge que Dieu exerce sa miséricorde à qui il veut, mais en tant que Seigneur. Turretin cite Augustin :
Ils ne font pas attention au fait que c’est une punition méritée qui tombe sur le condamné et une grâce imméritée à l’affranchi, si bien que le premier ne peut pas dire ne pas avoir mérité d’être condamné, et le second se glorifier d’avoir mérité d’être sauvé ; il n’y a en fait aucune considération de personne ici, puisqu’elles sont impliquées dans une seule et même masse d’offenses et de damnation, si bien que l’affranchi apprend du non-affranchi que la punition serait aussi tombée sur lui, sans l’intervention de la grâce. […] Mais c’est injuste diront-ils, de libérer ici et punir là ce qui est coupable de la même chose. Qui le niera ? Rendons plutôt grâce au Seigneur que nous voyons la condamnation qui tombe sur nos semblables ne pas tomber sur nous tout en reconnaissant qu’elle nous est due.
Augustin, Lettre 194, À Sixte.
§ 30 : Il est écrit que Dieu veut le salut de tous (1 Timothée 2,4) et n’a aucun plaisir à la mort du méchant (Ézéchiel 18,23).
→ Il ne faut pas oublier le fait basique et indéniable que tous ne sont pas sauvés. Le plaisir à ne pas faire mourir le méchant est une volonté de complaisance (εὐαρεστία) tandis que le bon plaisir qui motive la réprobation correspond au mot εὐδοκία.
§ 32 : Dieu est donc le destructeur de l’homme.
→ Même si la destruction de l’homme est une conséquence nécessaire de la réprobation, l’homme seul est la cause de sa destruction. Osée 13,9 : Ce qui cause ta ruine, Israël, c’est que tu as été contre moi, contre celui qui pouvait te secourir.
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