La capacité de créer est-elle communicable aux créatures, que ce soit de façon principale ou instrumentale ?

Ce qui est en jeu dans cette question, c’est de savoir si Dieu est le seul créateur, ou si des créatures peuvent participer avec lui à cette œuvre. Les personnes suivantes pensaient que d’autres créatures pouvaient créer avec Dieu :

• Pierre Lombard, l’auteur du plus célèbre manuel de théologie du Moyen Âge (les Sentences) pensait que les créatures pouvaient créer, mais par un pouvoir emprunté.
• Des catholiques romains comme Suarez, qui s’en servaient pour dire ensuite que le prêtre créait la chair de Christ dans la transsubstantiation.
• Des remontrants et des sociniens, qui récupéraient une vieille argumentation juive affirmant que les anges avaient été des ouvriers de la Création, afin d’affaiblir la divinité de Christ et sa puissance.
• Géraldine de l’EPUdF locale, qui pense « co-créer » son identité avec Dieu.

Mais c’est toujours resté une opinion minoritaire, et contraire à l’orthodoxie :

• Thomas d’Aquin réfute cela dans la Somme contre les Gentils, 2,21 et la Somme théologique, I,45,5.
• Avec lui se trouvent des scolastiques comme Occam, Bonaventure, Cajetan, médiévaux et ultérieurs.

Et donc Turretin aussi : Nous aussi nous tenons que le pouvoir de créer est particulier à Dieu seul et incommunicable à d’autres.

Argumentation (§§ 3-6)

Premièrement, c’est explicitement écrit dans la Bible :

• Ésaïe 44,24 : Moi, l’Éternel, j’ai fait toutes choses, seul j’ai déployé les cieux, seul j’ai étendu la terre.
• Ésaïe 45,12 : C’est moi qui ai fait la terre, et qui sur elle ai créé l’homme ; c’est moi, ce sont mes mains qui ont déployé les cieux, et c’est moi qui ai disposé toute leur armée.
• Ésaïe 45,18 : Car ainsi parle l’Éternel, le créateur des cieux, le seul Dieu, qui a formé la terre, qui l’a faite et qui l’a affermie.
• Esaïe 40,12 : Qui a mesuré les eaux dans le creux de sa main, pris les dimensions des cieux avec la paume, et ramassé la poussière de la terre dans un tiers de mesure ? Qui a pesé les montagnes au crochet, et les collines à la balance ?
• Ésaïe 40,28 : Ne le sais-tu pas ? Ne l’as-tu pas appris ? C’est le Dieu d’éternité, l’Éternel, qui a créé les extrémités de la terre.
• Job 9,8 : Seul, il étend les cieux, il marche sur les hauteurs de la mer.

En plus de ces versets, jamais le mot « créateur » n’est au pluriel.

Deuxièmement, Dieu utilise cet acte pour le distinguer des autres créatures et des faux dieux. L’acte de création est donc spécifique à Dieu seul, sinon, cet argument serait vain :

• Jérémie 10,11-12 : Vous leur parlerez ainsi : Les dieux qui n’ont point fait les cieux et la terre disparaîtront de la terre et de dessous les cieux. Il a créé la terre par sa puissance, il a fondé le monde par sa sagesse, il a étendu les cieux par son intelligence.
• Psaumes 96,5 : Car tous les dieux des peuples sont des idoles, et l’Éternel a fait les cieux.
• Ésaïe 37,16 : Éternel des armées, Dieu d’Israël, assis sur les chérubins ! C’est toi qui es le seul Dieu de tous les royaumes de la terre, c’est toi qui as fait les cieux et la terre.

Troisièmement, la création requiert une puissance infinie, qui n’existe que chez le Tout-Puissant et non dans les créateurs finies, pas même comme instruments. En effet, il ne s’agit pas de façonner quelque chose, mais de faire appeler de la non-existence à l’existence les choses, ce qui est une distance infinie. Cette distance infinie n’est franchie que par la Parole infiniment puissante de Dieu (Jésus-Christ).

Quatrièmement, les créatures ne peuvent pas créer à partir de rien (ex nihilo), elles sont obligées d’agir sur une matière préalable. Donc elles ne peuvent pas aider à créer à partir de rien.

Cinquièmement, lorsque les créatures participent, elles agissent selon un mode conforme à leur nature. Or, la création à partir de rien n’est pas du tout selon leur mode. Donc elles ne peuvent pas créer avec Dieu.

Cette argumentation est suffisante. Pour les quelques objections abordées par Turretin, je vous renvoie vers le texte lui-même, il est inutile que je réveille davantage de vieilles hérésies.