C’est l’histoire du frère d’un ami, dans une société musulmane. Récemment converti, il est revenu finalement à la mosquée parce que la mosquée lui proposait les services d’un entremetteur pour trouver une épouse.
C’est l’histoire d’une jeune femme qui aurait bien voulu trouver un mari chrétien, mais n’avait pas de jeune homme de son âge dans sa petite église. Elle s’est mariée avec un athée, puis peu après, nous avons cessé de la voir.
C’est l’histoire d’une petite communauté de mères chrétiennes américaines dans un état profondément républicain et conservateur, qui s’aperçurent un jour que pendant que leurs hommes travaillaient et qu’elles s’occupaient de leur maison, les femmes célibataires libérales avaient pris le contrôle du conseil d’administration de leur école, et introduisaient la littérature « arc-en-ciel » à leurs enfants, en plein pays chrétien.
C’est l’histoire d’une sœur ordinaire, trop vieille pour espérer raisonnablement se marier et procréer, et qui porte la double tristesse de sa solitude et de l’absence de but dans sa vie.
C’est l’histoire de notre Église.
Enjeux
Après avoir connu quelques excès dans sa période juvénile (notamment à cause de l’influence de pères comme saint Jérôme), l’Église d’Occident avait recouvré un certain équilibre sur la question du mariage et du célibat avec la Réforme. Sans mépriser le célibat, les pasteurs réformés ont été assez souvent célibataires eux-mêmes, à l’image de Richard Baxter ou de John Stott. Mais ces dernières décennies, il semblerait que nous ayons perdu de vue que le célibat est un état positivement bon dans la Bible, et pas seulement une étape de préparation avant le mariage. C’est avec ce constat que Barry Danylak a écrit Le célibat réhabilité, qui tâche de redonner de la dignité à un état oublié.
Outre le problème de vision individuelle, le célibat est un problème de politique d’Église : le nombre de personnes vivants seules et célibataires augmente dans notre société, et la composition de notre Église suit la tendance, et nous n’avons rien à dire dessus. Se marier est devenu singulièrement compliqué, ne serait-ce que pour rencontrer quelqu’un à courtiser, et on continue de laisser le hasard se faire, quitte à avoir un grand nombre de « jougs inégaux ».
Le célibat est aussi un enjeu missiologique : une des raisons du succès des progressistes, c’est que le célibat ou l’absence de vie familiale engagée libère énormément de temps et d’énergie chez les disciples des progressistes, un temps qu’ils investissent en infiltrant des conseils d’administrations de différentes associations. Les familles chrétiennes étant généralement trop occupées et épuisées pour investir du temps et de l’énergie dans la vie associative, c’est le monde associatif tout entier qui finit par être dominé par les progressistes, qui en retirent un grand pouvoir. C’est ce qui arrive notamment dans les écoles américaines, où les familles chrétiennes ont tourné le dos aux conseils d’administrations des écoles, un vide qui a été facilement rempli par les quelques militantes féministes locales, qui compensent leur rareté par leur disponibilité et leur engagement. Pour en rester à la stricte évangélisation, il est remarquable aussi de voir qu’un missionnaire célibataire peut assumer bien plus de risques, de privations et de travail que ne pourrait le faire une famille de missionnaires, qui devra toujours s’assurer de la sécurité et du bien-être de la famille avant de pouvoir se consacrer à la mission.
Proposition
Le programme que je propose est le suivant :
- Dans une grande série de visites pastorales, faire un recensement des célibataires dans l’Église locale.
- Séparer ce groupe en deux vocations : ceux qui veulent se marier, et ceux qui envisagent de continuer leur célibat.
- Pour les célibataires désirant se marier : outre des enseignements privés pour se préparer au mariage, le pasteur devrait se faire entremetteur également. Voici comment : que le célibataire désirant se marier fasse une lettre où il se présente, décrit le genre de conjoint qu’il ou elle recherche, et la vision de la famille qu’il défend (s’il a une vocation particulière, qu’il la mentionne). Le pasteur joint à ce courrier une recommandation pastorale. Puis il envoie ses dossiers de célibataires à d’autres Églises sœurs dans différents échanges épistolaires, et ils font suivre les dossiers qu’ils reçoivent aux célibataires de leur assemblée. Ensuite, que chacun se débrouille pour se contacter et faire connaissance.
- Pour les célibataires ne désirant pas se marier : il serait bon de les accompagner afin d’identifier l’engagement social qui leur serait le plus édifiant et utile pour eux et les autres. Si c’est pour l’Église, qu’il serve l’Église (je ne parle pas que des offices de gouvernement). Si c’est pour le diaconat ou le monde associatif, qu’il intègre ces associations, et qu’il aide même à les administrer. Le pasteur doit ici encourager le célibataire, lui faire comprendre qu’on a besoin de lui dans l’engagement public de l’Église et qu’il y serait très précieux.
Des services d’entremetteurs ecclésiaux
La proposition d’entremise vient de l’expérience d’un luthérien américain qui n’avait que des personnes âgées dans son Église, et désirait vivement se marier avec quelqu’un de sa confession. Tout seul, il a alors envoyé une lettre de « candidature au mariage » dans toutes les Églises luthériennes de son état. La démarche fut un succès.
Ce qui a été fait par un homme, peut être fait facilement par un conseil d’anciens. Deux objections pourraient être faite :
Première objection : on peut craindre l’ingérence et l’abus de pasteurs rentrant dans une sphère aussi privée. À ceci je réponds tout d’abord que l’abus ne supprime pas le bon usage. Il vaut mieux punir l’abus qu’empêcher le bienfait, à moins que vous ne soyez dirigés par un consistoire de pervers — auquel cas, que faites-vous dans cette Église ? Si en revanche vous avez confiance en eux, alors cela ne devrait pas poser de problème. Autre réponse : la supervision pastorale privée est un attribut biblique et traditionnel des pasteurs. Ce n’est que très récemment que les visites pastorales sont passées de mode, et encore, seulement dans certaines traditions.
Deuxième objection : il faudrait des Églises soeurs suffisamment proches et nombreuses pour que ça marche. À ceci je réponds que certes, plus les Églises sont proches entre elles, et plus les couples auront de chance de se former. Mais il est très probable en ces jours qu’il existe déjà des Églises qui vous sont proches, soit par proximité géographique (une Église baptiste et pentecôtiste dans la même ville), soit par liens historiques (Église mère/fille), soit par lien institutionnel (même dénomination). Commencez donc par ces Églises-là, même si elles ne sont que cinq ou six. Enfin notez qu’il ne s’agit pas de célébrer un culte en commun, mais d’échanger de la correspondance entre différentes Églises pour faciliter l’existence de familles chrétiennes. Il n’y a pas de raison de se limiter seulement à celles que l’on connaît. On pourrait tout aussi bien prendre l’annuaire des Églises du département ou celle de votre fédération d’Églises. Ce n’est pas un véritable obstacle.
L’émergence d’une culture chrétienne
Toute Église peut le faire, mais il y a de fortes chances que les Églises qui seront les plus intéressées et les plus dynamiques dans ce projet seront des Églises qui n’ont pas peur du mandat culturel, et essaient de dépasser le seul « engagement purement spirituel » qui a longtemps caractérisé la pratique évangélique. Si la vie chrétienne toute entière consiste à l’assistance aux cultes et l’évangélisation, alors mon programme leur est inutile.
Mais si vous êtes une Église qui est convaincue que tout appartient à Christ, qui approuve l’existence d’une culture chrétienne, et qui s’intéresse à l’éducation et l’engagement social des chrétiens, alors ce que je propose sera sûrement approuvé par vous.
Je conclurai mon article par un appel à commentaire : ce que je propose est-il applicable ? Y a-t-il des difficultés que je ne vois pas ? Avez-vous un retour d’expérience ?
Illustration : Julius Schnorr von Carolsfeld, Ruth dans le champ de Boaz, huile sur toile, 1828 (Londres, Galerie nationale).
0 commentaires