Il y a une providence — Turretin (6.1)
12 octobre 2024

Y a-t-il une providence ? Nous l’affirmons.

Les oeuvres naturelles de Dieu comprennent deux parties : la Création (sujet du locus 5) et la conduite de la Création, ou Providence, qui est le sujet d’un tout nouveau locus.

Quelle est la définition de ce mot ? Providence (providentia en latin) vient du grec προνοία [pronoia] qui comprend trois choses :

  • προ·γιγνώσκω (progignosko), ce que Dieu sait à l’avance.
  • προθεσμεύω (prothesmeuo), ce que Dieu prévoit de faire.
  • διοίκησις (dioikesis), l’adminstration efficace de Dieu.

La Providence peut donc être le décret antécédent ou son exécution subséquente.

La thèse de Turretin est la suivante :

[Cette question] ne devrait pas exister parmi les chrétiens, mais il y a plus que quelques athées qui peuvent être trouvés parmi eux, professant le nom de Christ, et qui pourtant nient la vérité de Christ, à la fois dans leur bouche et dans leur vie, et non seulement questionnent la doctrine salutaire, comme les anciens épicuriens, mais osent la nier toute entière, attribuant toutes choses à la fortune ou la chance, ou essayant d’arracher à Dieu le contrôle du monde, ou tâchant de le rendre imprévoyant.
Contre de tels monstres humains, la vérité orthodoxe doit être confirmée.

Argumentation (§§ 4-8)

Premier argument : les témoignages des anciens païens, qui sont un témoignage naturel de cette doctrine. Turretin cite en rafale Platon 1, Aristote 2, les stoïciens et Sénèque en particulier 3, Cicéron 4, et enfin le fait que l’on rendait un culte à la déesse Latona, qui désignait la Providence, à Délos.

Deuxième argument : à partir des Écritures.

Il n’y a pas besoin de compiler les passages de l’Écriture qui prouvent ce point. Ils sont presque aussi nombreux que les pages de la Bible, puisque rien n’est inculqué plus fréquemment ni plus clairement dans la parole de Dieu. Vous pouvez consulter Job 12,8-41 ; Psaumes 19, 91, 104, 107, 136 ; Proverbes 16,20 ; Jérémie 10 ; Matthieu 6,10 ; Actes 14,17.

Ce qui ne l’empêche pas d’en accumuler :

  • Jean 5,17 : Mais Jésus leur répondit: Mon Père agit jusqu’à présent; moi aussi, j’agis.
  • Luc 12,6-7 : Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux sous? Cependant, aucun d’eux n’est oublié devant Dieu. Et même vos cheveux sont tous comptés. Ne craignez donc point: vous valez plus que beaucoup de passereaux.
  • Actes 14,17 : il n’ait cessé de rendre témoignage de ce qu’il est, en faisant du bien, en vous dispensant du ciel les pluies et les saisons fertiles, en vous donnant la nourriture avec abondance et en remplissant vos cœurs de joie.
  • Actes 17,25 et 28 : lui qui donne à tous la vie, la respiration, et toutes choses […] en lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être.
  • Éphésiens 1,11 : le plan de celui qui opère toutes choses d’après le conseil de sa volonté
  • Hébreux 1,3 : il soutient toutes choses par sa parole puissante.
  • Colossiens 1,17 : toutes choses subsistent en lui.

Turretin y rajoute aussi quelques symboles allégoriques que Dieu utilise dans la Bible :

  • Le nom divin de יְהוָ֖הּ־יֵרָאֶֽה [YHWH-Yiré] (Genèse 22,14) qui signifie Le Seigneur voit, ou bien plutôt le Seigneur pourvoit (cf Genèse 22,8).
  • L’échelle de Jacob (Genèse 28,12-13) est interprétée depuis Philon d’Alexandrie 5 comme ayant Dieu tout en haut, et un symbole de son gouvernement.
  • Le chariot d’Ézéchiel 1, dont les « roues avec des yeux » avec l’esprit de vie en elles, par lequelles elles sont mues, indiquent non seulement une intime providence qui a à la fois un oeil éternel et très perçant, comme il est décrit par ailleurs en Zacharie 4,10, et une puissance très efficace par laquelle elle est mue ; mais cette roue est aussi placée dans une roue, pour montrer la concaténation et la dépendance des causes secondes dans les premières.

Notez le bon usage de l’allégorie biblique, conformément à ce que Maxime Georgel décrivait dans son article sur les quatre sens de l’Écriture.

Troisième argument : à partir de la doctrine de Dieu.

  • La nature même du Dieu créateur, qui prouve qu’il est celui qui dispose de la Création.
  • Son indépendance et son pouvoir causal, dans le sens où lui seul peut faire venir à l’existence et maintenir les causes secondes, qui sont toutes contingentes et donc dépendantes d’un être nécessaire.
  • À partir de sa bonté, de sa puissance et de sa sagesse. Si en effet Dieu ne s’occupait pas de la Création, ce serait soit par manque de bonté (il n’en a rien à faire) ou par manque de puissance (il voudrait bien mais c’est trop fort pour lui) ou par manque de sagesse (il ne sait pas quoi en faire). Chacune de ces options est incompatible avec la doctrine biblique de Dieu.

Quatrième argument : Turretin raisonne a posteriori, c’est-à-dire qu’il regarde dans la Création les signes qui prouvent « après coup » qu’elle suit une providence.

  • La nature même des choses créées : elles ne possèdent pas en elle-même leur propre principe de subsistance ; c’est donc qu’elles le tirent d’un autre.
  • L’ordre et l’harmonie du monde : si les choses brutes sont intelligemment ordonnées, c’est qu’il y a une intelligence supérieure qui les ordonne.
  • Si Dieu peut prophétiser justement à l’avance, c’est parce qu’il maîtrise le futur.
  • L’ordre politique : vu notre tendance à la fraude, la violence et à la méchanceté, la meilleure explication pour justifier l’existence de nos régimes politiques stables, c’est la providence divine qui les maintient.
  • Les jugements de Dieu rendus aux bons commes aux mauvais, et qui ne suivent pas un ordre naturel.
  • Notre conscience : pourquoi s’accuser et se sentir coupable si Dieu n’est pas capable ou ne dirige pas le monde?

Enfin, dernier argument : tout ce qui prouve l’existence de Dieu prouve aussi que Dieu pourvoit, car si le Dieu suprême existe, son excellence consiste aussi à maintenir la Création. C’est pour cela que la providence de Dieu sert de critère pour distinguer Dieu des autres dieux en Ésaïe 41,22 ; 23 ; 42,8-9 ; Job 12,7-9.

Réponses aux objections (§§ 9-12)

  • « Si Dieu pourvoit, alors il n’y a plus de contingence, tout est nécessaire. »
    → Ce n’est nécessaire que du point de vue de la cause première. La cause seconde, elle, est toujours contingente.
  • « Si Dieu pourvoit, il n’y a plus de libre arbitre. »
    → Dieu est assez puissant pour déterminer les causes tout en conservant leur intégrité. Bien que la pluie soit sous le pouvoir de Dieu, elle reste pleinement un mécanisme physique. De même, bien que la volonté soit libre, elle reste sous le pouvoir de Dieu.
  • « Si Dieu détermine, alors il n’y a plus de cause seconde: c’est Dieu qui fait directement. »
    → Dieu décrète non seulement la fin, mais aussi les moyens pour y parvenir, c’est à dire les causes secondes.
  • « Comment peut-on condamner quelqu’un alors qu’il était nécessaire qu’il agisse ainsi ? »
    → La nécessité que Judas trahisse Jésus n’est pas absolue et contraignante, mais relative (l’homme reste libre et rationnel en prenant ses décisions, mais par l’immuabilité de la décision, il se trouve que cela n’arrive pas).

La détermination du péché sera traitée plus tard.

  • « Le monde est bien trop chaotique et désordonné pour être guidé par la Providence. »
    → Il n’est désordonné que pour nous, qui avons une vision bien trop partielle des choses.
  • « Comment peut-on croire en la Providence quand on voit les innocents et les justes souffrir, et les méchants prospérer? »
    → La providence de Dieu n’exige pas que les châtiments et les récompenses soient distribués de ce côté-ci de l’histoire. Il faut aussi tenir compte du Jugement dernier. Ensuite, les peines des justes servent à les renforcer.
  1. Épinomis 980d[]
  2. Du Ciel, 6[]
  3. De la providence, 1.1-2[]
  4. De la nature des dieux, 2[]
  5. Des rêves, 1,3[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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