Cet article est le cinquante-septième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Dans le cinquante–sixième, j’ai présenté en détails les différences entre les arguments déductifs et les arguments inductifs. Dans cet article, je présenterai la méthode socratique, une méthode de Socrate qui combine déductions et inductions pour parvenir à une conclusion certaine. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre Socratic Logic de Peter Kreeft, pp. 211-214.
Après avoir vu dans l’article précédent les différences entre les arguments déductifs et les arguments inductifs, on peut se demander comment les utiliser en pratique ou comment les deux vont ensemble. C’est ce que nous allons voir avec Socrate, très connu pour sa fameuse méthode appelée méthode socratique. Celle-ci combine les arguments inductifs et les arguments déductifs pour démontrer une conclusion certaine en partant de nos expériences par nos sens. Voici un schéma la résumant et ses cinq étapes.
Les cinq étapes de la méthode socratique
- On se pose une question.
- On observe des cas concrets à l’aide de nos sens.
- À l’aide de ces cas concrets, on fait une généralisation par induction : on parvient à un universal (une propriété universelle). C’est ici qu’intervient le raisonnement par induction.
- On cherche à comprendre en quoi cet universal est nécessaire grâce à une raison nécessaire. Une raison qui fait que cet universal est nécessaire.
- Maintenant qu’on connaît notre principe général avec certitude, on peut l’appliquer au cas spécifique qui nous intéresse. C’est ici qu’intervient le raisonnement par déduction.
Un exemple d’application de la méthode socratique
Voilà un cas concret pour comprendre. Imaginons que je veuille prouver que je suis mortel avec cet argument : « Tous les hommes sont mortels, or je suis un homme, donc je suis mortel. » Il est évident que je suis un homme, donc la seule prémisse à prouver est « Tous les hommes sont mortels » (le principe général). Les étapes 1 à 4 permettent de prouver le principe général et la 5 de l’appliquer à mon cas. Cela donne :
- Est-ce que je suis mortel ? On va essayer de montrer que « Tous les hommes sont mortels. »
- Je vois des gens décéder autour de moi : des membres de ma famille âgés, d’anciens professeurs, des personnalités connues, etc. De plus, je vois bien que tous les hommes avant moi sont morts (livres d’histoire, cimetières, etc.).
- Au vu de tous les décès que j’ai observés ou dont j’ai entendu parler, il semble probable que tous les hommes finissent un jour par mourir. Ici, on parvient jusqu’à l’universal qu’est la mort.
- Le but ici et atteint est de ne plus connaître que « Tous les hommes sont mortels » de manière probable, mais avec certitude. Par exemple, en y réfléchissant, on remarque que la mort est une propriété essentielle de l’homme et pas seulement un accident : l’homme est mortel par nature. En effet, comme l’homme est corporel, qu’il a un corps composé d’organes interdépendants essentiels à sa survie, les détruire ou les endommager considérablement entraîne inévitablement la mort.
- On applique maintenant par un raisonnement déductif le principe général « Tous les hommes sont mortels » qu’on a prouvé et qu’on connaît avec certitude à mon cas (« Je suis un homme »). Il s’ensuit alors avec certitude que je suis mortel.
La méthode signature de Socrate
Quand on lit les dialogues de Platon où Socrate est le protagoniste, on relève des éléments de méthode qui reviennent souvent :
- Au lieu de faire un long discours sur ce qu’il pense, Socrate pose des questions à son interlocuteur. La plupart étant des questions fermées auxquelles on peut répondre soit oui soit non.
- Il fait cela de façon dialectique en mettant en évidence des dilemmes.
- Par un raisonnement par l’absurde, il montre l’impossibilité d’un des côtés du dilemme et le réfute donc. Ce qui prouve que l’autre est vrai.
Quel lien avec ce que j’ai présenté comme étant la « méthode socratique » ? Ces trois étapes s’inscrivent dans un contexte global que forment les cinq que j’ai présentées juste avant.
Les erreurs épistémologiques à éviter
Quand on rejette une ou plusieurs étapes ou qu’on s’y arrête, on tombe dans l’une des erreurs suivantes suivant laquelle (ou lesquelles) dont il s’agit :
- Le dogmatisme (dans son sens courant) : le refus de reconnaître qu’un avis est discutable, de remettre ses convictions en question.
- Le scepticisme (les sophistes, Sextus Empiricus) : refuser d’aller plus loin que l’étape 1 (« On ne peut rien savoir, pas même avec nos sens, on ne peut que douter. »).
- L’empirisme radical : refuser d’aller plus loin que l’étape 2 (« Notre connaissance se limite uniquement à des cas concret qu’on observe par nos sens. »).
- L’empirisme modéré : refuser d’aller plus loin que l’étape 3 (« On ne peut rien connaître de mieux que des généralisations probables qu’on obtient grâce à nos expériences par nos sens. »).
- Le rationalisme extrême (Platon) : affirmer que l’étape 4, la compréhension des essences se fait de manière innée et non pas à partir de nos expériences.
- Le rationalisme moderne (Descartes, Spinoza, Leibniz) : affirmer que l’étape 5, le raisonnement par déduction peut aboutir à une connaissance certaine sans la perception par les sens.
- L’idéalisme de Kant : accepter toutes les étapes mais les ordonner dans le mauvais ordre (à l’envers) en affirmant que ce n’est pas la réalité objective et extérieure à nous qui impose les essences sur nos expériences mais que c’est nous qui imposons nos essences (des catégories purement subjectives) à nos expériences.
Illustration : Charles Laplante, Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure, 1866.
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