Dieu veut-il certaines choses nécessairement et d’autres librement ? Nous l’affirmons.
La question 14 est courte, et sera traitée rapidement ici. Turretin reprend les idées scolastiques classiques concernant la volonté de Dieu en général:
- Dieu se veut lui-même de façon absolument nécessaire. Il ne peut pas ne pas se désirer lui-même.
- Mais pour ce qui est des choses créées, sa volonté est tout à fait libre : il peut décider d’un Paul sauvé, comme d’un Paul rétrograde. C’est une chose indifférente pour lui.
- Une fois que sa volonté est fixée sur un objet particulier (« Paul est sauvé ») alors les événements arrivent de façon nécessaire. Mais cette nécessité n’est qu’hypothétique. Une nécessité hypothétique, c’est celle qui consiste à dire « si l’eau coule sur mes vêtements, alors ils seront mouillés ». Il y a bien une nécessité à ce que les vêtements soient mouillés si on fait couler de l’eau dessus. Mais il n’y a pas de nécessité à ce que de l’eau coule dans un premier temps. C’est une nécessité hypothétique.
Peut-on distinguer entre volonté de décret et de précepte, de bon plaisir, entre volonté secrète et révélée ? Nous l’affirmons.
En lui-même, Dieu n’a qu’une seule volonté, sans parties. Mais il est tout de même possible de faire plusieurs distinctions virtuelles pour mieux étudier ce sujet, et comprendre certains passages bibliques. Je rappelle qu’une distinction virtuelle s’oppose à distinction réelle, et consiste à dire que c’est une distinction qui est dans notre tête, mais pas dans l’objet lui-même, comme par exemple la distinction entre David-roi d’Israël et David-père de Salomon. Même objet, mais différente façon de le considérer.
1. Volonté décrétive/préceptive
La volonté de Dieu peut donc se distinguer:
- Volonté décrétive : C’est la décision directe de Dieu réglant ce qui va arriver dans le futur. On ne peut pas lui résister, elle s’accomplit toujours. C’est celle dont parle Romains 9,19 qui est-ce qui résiste à sa volonté ?
- Volonté préceptive : C’est ce que Dieu nous donne comme préceptes à suivre. Elle ne s’agit pas ici de réguler le futur, mais plutôt du schéma de nos bonnes actions. On peut résister à celle-ci, et on le fait souvent, comme en témoigne Matthieu 23,37 : combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu !
Dans certains versets, ce sont les deux volontés qui sont entendues à la fois. Par exemple, lorsque Jésus dit je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé (Jean 6,38), cela désigne à la fois ce que Dieu a décrété qu’il allait se passer, mais aussi les préceptes de Dieu auxquels Christ obéit. De même, quand nous prions que ta volonté soit faite, nous prions à la fois pour la volonté décrétive (ce que Dieu a prévu qu’il se réaliserait) et pour la volonté préceptive (qu’il nous soit donné d’obéir à sa volonté).
Il s’agit bien d’une seule et même volonté, car la volonté préceptive n’est rien d’autre que la volonté décrétive auquel il manque le décret d’exécution. Pendant que nous y sommes, j’introduis aussi ce que l’on appelle la volonté permissive de Dieu, et qui explique comment Dieu est souverain sur le mal, sans causer le mal. En effet, la volonté décrétive se décline en deux versions, positive et négative :
- La volonté décrétive « positive » est ce que l’on appelle la volonté efficace. Dieu veut que Paul soit sauvé, il rend efficaces les événements qui vont l’amener à la foi et au salut.
- La volonté décrétive « négative » est ce que l’on appelle la volonté permissive. Dieu veut envoyer les dix plaies d’Égypte, il permet au Pharaon de s’endurcir, c’est-à-dire qu’il lui retire la grâce d’obéir à sa volonté, et le laisse à ses propres faiblesses et corruptions. C’est tout autant une volonté décrétive, mais elle fonctionne en retenant une chose, plutôt qu’en l’accomplissant.
Ainsi, Dieu est bien souverain en tout événement, sans forcément y être positivement associé. Mais nous aurons l’occasion de traiter de cette question en détail.
2. Volonté de bon plaisir/complaisance
Pour une fois, cette distinction scolastique utilise du vocabulaire biblique :
- La volonté de bon plaisir vient d’Éphésiens 1,5 : il nous a prédestinés dans son amour à être ses enfants d’adoption par Jésus-Christ, selon le bon plaisir de sa volonté. Ainsi que le dit Turretin, l’εὐδοκία [bon plaisir] indique la volonté décrétive par laquelle Dieu atteste son bon plaisir au sujet des choses qu’il va accomplir.
- La volonté de complaisance vient de Colossiens 3,20 : Enfants, obéissez en toutes choses à vos parents, car cela est agréable au Seigneur. Turretin définit l’εὐαρεστία : elle indique la volonté préceptive et approbatrice par laquelle Dieu déclare ce qui lui est agréable selon lui et ce qu’il veut que les hommes fassent.
À quoi bon cette distinction ? Parce qu’il existe des situations où Dieu décrète une chose qui est selon son bon plaisir, mais qui ne lui est pas agréable, comme par exemple la désobéissance du méchant.
3. Volonté de signe/de beneplacit
Turretin revendique ici l’usage d’une distinction effectuée par Hugues de Saint-Victor, popularisée par Pierre Lombard, et utilisée par Thomas d’Aquin et, lorsqu’elle est proprement expliquée, retenue par nos théologiens. La Réforme n’est pas aussi anti-scolastique qu’on ne le croit.
Ce couple fait référence au moyen de révélation de la volonté de Dieu : le signe est la volonté de Dieu rendue explicite par un avertissement, une promesse, une prophétie etc. Le beneplacit1 est la volonté de Dieu qui n’est distinguée qu’une fois réalisée.
Exemple d’utilisation de ce couple : lorsque Dieu a demandé à Abraham de tuer Isaac, c’est par une volonté de signe. Cependant, ce sur quoi Abraham comptait, c’est sur le beneplacit de Dieu pour ressusciter Isaac ensuite ou quelque chose. Cela ne veut pas dire que Dieu a changé d’avis comme une adolescente pubère, ou qu’il ne sait pas ce qu’il veut. Chaque chose est proprement distinguée, et plus facile à étudier.
4. Volonté secrète/révélée
C’est la distinction qui est exprimée dans Deutéronome 29,29 : Les choses cachées sont à l’Éternel, notre Dieu ; les choses révélées sont à nous et à nos enfants, à perpétuité, afin que nous mettions en pratique toutes les paroles de cette loi. On retrouve un peu la distinction volontée de décret/de précepte décrite en premier.
- Litt. « bon plaisir ». À ne pas confondre avec le couple précédent, qui correspond au terme grec εὐδοκία, signifiant la même chose[↩]
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