7 arguments pour la simplicité de Dieu – Thomas D'Aquin
22 octobre 2018

J’ai défini la simplicité de Dieu ICI.


Voici un extrait commenté de la Somme Contre les Gentils sur la simplicité de Dieu (ou, puisque Thomas raisonne par la négative, contre la multiplicité ou la composition en Dieu), Livre I, chapitre XVIII :

Dieu est acte pur

Tout être composé comporte nécessairement acte et puissance. Plusieurs éléments ne peuvent en effet former un tout si l’un n’y est acte et l’autre puissance. Des êtres en acte ne sont unis que d’une union pour ainsi dire collégiale, comparable à celle d’un rassemblement, ils ne forment pas un tout. Même chez ces êtres, les parties assemblées se tiennent comme en puissance par rapport à l’union ; elles ont été unies en acte après avoir été, en puissance, capables d’union. Or en Dieu il n’y a aucune puissance (note : au sens aristotélicien, évidemment). Il n’y a donc en lui aucune composition.

Un être composé de plusieurs parties ne peut être Dieu nous dit le Docteur, car dans un tel être, chaque partie a d’abord été potentiellement unie (ou, unie en puissance) aux autres. Autrement dit, chaque partie est unie aux autres après avoir été, isolée, capable d’union. Autrement dit, un tel être n’aurait pu ne pas être. Il est fait de puissance et d’acte. Or Dieu ne peut pas ne pas être. Il est acte pur, comme Thomas l’a démontré précédemment.

Dieu est premier, la composition ne l’est pas

Tout être composé est postérieur aux éléments qui le composent. L’être premier, Dieu, n’est donc en rien composé.

Un être fait de plusieurs parties est postérieur, soit logiquement soit chronologiquement, aux parties qui le composent car ces parties peuvent exister seules avant de s’unir pour former ce tout composé. Mais puisque Dieu est le premier, il ne peut être précédé d’aucun élément qui viendrait ensuite le composer. Dieu est donc un (simple).

Dieu est nécessaire

La nature même de la composition veut que les êtres composés soient, en puissance, menacés de dissolution, bien que chez certains d’entre eux d’autres facteurs puissent s’y opposer. Mais ce qui est menacé de dissolution est en puissance de non-être. Ce ne peut être le cas de Dieu, puisqu’il lui est nécessaire d’exister. Il n’y a donc en Dieu aucune composition.

Un être composé peut, en théorie si ce n’est dans les faits, être “dé-composé”. Ainsi, il a en lui le potentiel de ne plus être (“puissance de non-être”), le potentiel de disparaître ou de changer de forme. Or Dieu ne peut ni changer ni ne plus être car il est un être nécessaire (qui ne peut pas ne pas exister). Ainsi, Dieu n’est pas composé.

Dieu est la cause première

Toute composition réclame un agent qui compose ; s’il y a composition, il y a en effet composition de plusieurs éléments : des éléments de soi divers ne sauraient se rencontrer s’il n’y avait pour les unir un agent de composition. Si donc Dieu était composé, il requerrait un agent de composition : il ne pourrait l’être à lui-même, car rien n’est sa propre cause, puisque rien ne peut être antérieur à soi-même. Par ailleurs l’agent de composition est cause efficiente du composé. Dieu aurait donc une cause efficiente. Ainsi il ne serait pas la cause première, à l’encontre de ce que l’on a démontré plus haut.

Les divers éléments qui forment une composition ont du être unis par quelque chose (une “colle”, une force, une attache, etc.). Il faut un agent de composition qui fasse le lien entre ces éléments différents. Mais il ne peut en être ainsi pour Dieu, car Dieu n’est pas causé par quelque chose en dehors de lui. Mais Dieu ne peut pas être non plus sa propre cause, car rien ne peut être sa propre cause. En effet, la cause est antérieure à l’effet. Or, si une chose est sa propre cause, cela revient à dire qu’elle est antérieure à elle-même ou, dit autrement, qu’elle existait avant d’exister. Cela implique qu’une chose existe et n’existe pas (encore) à un moment donné. C’est une violation directe de la loi de non-contradiction selon laquelle rien ne peut être une chose et son contraire en même temps et dans une même relation (loi de base en logique).

Dieu est le plus noble

Ici, Thomas donne un argument, non plus logique, mais de convenance (type d’argument très utilisé par Anselme de Cantorbéry). En effet, puisque la Somme Contre les Gentils était chargée d’équiper les missionnaires auprès des musulmans et autres contestataires de la foi chrétienne, il convenait de donner tous les arguments possibles, les plus forts (logiques) comme les moins forts (de convenance).

En n’importe quel genre, un être est d’autant plus noble qu’il est plus simple : ainsi, dans le genre de la chaleur, le feu, qui ne comporte aucun mélange de froid. Ce qui, dans l’ensemble des êtres, est au sommet de la noblesse, doit donc être aussi au sommet de la simplicité. Or ce qui est au sommet de la noblesse pour l’ensemble des êtres, nous l’appelons Dieu, puisqu’il est la première cause, et que la cause est plus noble que l’effet. Dieu ne peut donc être le sujet d’aucune composition.

Le Docteur remarque que, dans les êtres créés, ceux qui sont les plus “purs” ou “simples” sont les plus nobles. Or, Dieu est le plus noble des êtres, il doit donc être le plus pur et  simple des êtres, d’une pureté inconcevable. Cela n’est pas prouvé, car il ne s’agit pas d’un argument logique, mais cela “convient” à Dieu.

Dieu est bon et parfait

En tout composé, le bien n’est pas le bien de telle ou telle partie, mais le bien du tout ; je dis : bien, par rapport à cette bonté qui est la bonté propre du tout et sa perfection : les parties, en effet, sont imparfaites par rapport au tout. Ainsi, les divers membres de l’homme ne sont pas l’homme ; les parties composantes d’un nombre de six unités n’ont pas la perfection (note : ou totalité) de ce nombre, et de même les sections d’une ligne n’atteignent pas la grandeur totale de la ligne entière. Si donc Dieu est composé, sa perfection et sa bonté propres résident dans le tout, non en quelqu’une de ses parties. Il n’y aura donc pas en lui ce bien absolu qui lui est propre. Il ne sera donc pas le premier et souverain bien.

Le “bien” dont parle Thomas, c’est le but pour lequel existe quelque chose. Par exemple, mon bras existe pour former, avec mes autres membres, un corps. Or, ce bras n’est pas “parfait” (ou bon) en lui-même, c’est-à-dire qu’il ne forme pas à lui seul le corps tout entier. C’est le corps tout entier qui possède le bien (ou la perfection), c’est-à-dire qui forme un corps complet. Mais chaque partie considérée en elle-même n’est pas parfaite quant à ce but (ce bien, ce tout, cette perfection) car en elle ne peut se résumer l’ensemble. Il en est de même des segments d’une droite, aucun segment en lui-même ne contient toute la droite. Si Dieu était composé, aucune de ses parties ne serait complète ou parfaite, mais chacune serait incomplète et la perfection serait dans l’ensemble. Par exemple, si Dieu était coupé en différents attributs, son amour serait incomplet, sa colère serait incomplète, de même sa justice, bonté, éternité, etc. Mais ce serait l’ensemble qui constituerait la perfection. Or Dieu est parfait en chacun de ses attributs. Ses attributs ne sont donc pas des parties en Dieu mais sont différentes “facettes” pour parler humainement, de son être qui est un et simple et parfait. Voilà pourquoi Jean peut dire que Dieu est amour et que Dieu est lumière. Il n’est pas en partie amour et en partie lumière (c’est-à-dire sainteté). Il est tout entier amour et sainteté et bonté et justice, etc. Dieu n’est donc pas composé. Nous pourrions appliquer le même raisonnement pour les Personnes de la Trinité : elles ne sont pas 3 parties de Dieu mais sont chacune pleinement Dieu, sinon aucune d’entre elle ne serait parfaite.

Dieu est premier et l’unité aussi

Ceci est le corollaire du deuxième argument.

Précédant toutes les multiplicités, il y a nécessairement l’unité. Or en tout composé, il y a multiplicité. Dieu, qui est antérieur à tout, doit donc être exempt de toute composition.

L’unité précède toujours la multiplicité. Car la multiplicité elle-même est faite de plusieurs unités. Or Dieu est antérieur à toutes choses, il ne peut donc être multiple car il serait alors précédé d’une unité. Dieu est donc un (simple).

Lisez : Un argument simple…pour la simplicité divine.
Un autre argument pour la simplicité divine

 
 
 
 

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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