Y a-t-il une théologie naturelle ? — Turretin (1.3)
11 février 2021

Peut-on connaître des choses sur Dieu à partir de la nature ? À l’époque de Turretin les sociniens (précurseurs des libéraux) disaient que non. Or la théologie réformée adhère à l’existence d’une telle théologie, accessible à tous y compris aux non-croyants. Commençons déjà par délimiter le sujet.

Formulation de la question (sections 1-4)

  • Nous avons dépassé la question de savoir s’il y avait une théologie en général. Ici, on se demande s’il y a une théologie issue du témoignage de la nature.
  • On ne se pose pas la question de la théologie accessible à Adam avant la chute : il est clair qu’à son époque, il n’y avait pas besoin de Bible pour avoir une connaissance correcte de Dieu. Nous parlons de la théologie naturelle de ce côté-ci de la chute.
  • Il ne s’agit pas de savoir si nous avons tous un système théologique développé à la naissance. Turretin admet franchement qu’à notre naissance nous sommes une table rase [tabula rasa] en ce qui concerne les connaissances actuelles sur Dieu. Cependant, il parle ici du principe et de notre capacité à développer une théologie naturelle. Si nous n’avons pas de doctrine de Dieu toute définie à notre naissance, sommes-nous au moins capables d’en avoir une, à  partir de notre seule expérience du monde ? En avons-nous les outils à notre naissance (les premiers principes) ?
  • La question n’est pas encore de savoir si cette théologie suffit au salut : ce sera le sujet de la question suivante. Ici, on se pose la question de la seule possibilité d’une théologie naturelle.

Les adversaires ici ciblés sont les sociniens, une école fondée par Lelio et Fausto Socini, des Italiens exilés en Pologne. Pour simplifier, ils sont des précuseurs du protestantisme libéral, et vous n’avez pas fini de les voir passer comme adversaires de l’orthodoxie. La thèse des sociniens était qu’il n’y avait pas de connaissance naturelle de Dieu : tout ce que nous avions, c’était des enseignements humains et d’antiques traditions, qui suffisaient pour mener à Dieu.

Les orthodoxes au contraire, enseignent uniformément qu’il y a une théologie naturelle, en partie innée (dérivée du livre de la conscience par le moyen des notions communes) et en partie acquise (à partir des études des créatures).

François Turretin, Institution de théologie élenctique, 1.3.7

Preuves de l’existence d’une théologie naturelle (sections 5-8)

a) La théologie naturelle est prouvée par l’Écriture.

Quand les païens, qui n’ont point la loi, font naturellement ce que prescrit la loi, ils sont, eux qui n’ont point la loi, une loi pour eux-mêmes  ; ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leur cœur, leur conscience en rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant ou se défendant tour à tour.

Romains 2,14-15

b) Elle est prouvée par l’expérience universelle. Si tous les hommes n’ont pas reconnu un Dieu unique et transcendant, tous reconnaissent néanmoins que la Création est marquée du divin, et c’est même la raison pour laquelle ils adorent n’importe quoi ou accordent la sacralité divine à des institutions humaines.

c) Elle est prouvée par l’existence des autres religions. Il est indéniable que l’homme est un « animal religieux » comme le disait Platon. Même les plus féroces athées ne peuvent s’empêcher de sanctifier et d’honorer des créatures, et de leur rendre un culte (de même à la science, aux droits de l’homme, etc). Au vu des formes répugnantes et parfois idiotes que prennent les fausses religions, nous sommes amenés à dire que s’il n’y avait pas en l’homme un instinct religieux très fort, justifié par la possibilité de connaître Dieu naturellement, jamais il ne se laisserait aller à de telles bassesses.

Réponse à des objections (sections 9-14)

§9 : Il existe des nations dépourvues de toute idée d’une divinité, comme les religions amérindiennes (que l’on découvrait à l’époque), ou la République française pour des exemples plus récents.
Réponse : Turretin fait appel aux récits d’explorateurs pour montrer que les Amérindiens ont bien une théologie reconnaissant souvent un Dieu suprême d’une part, et a minima une religion organisée avec des prêtres ou des chamans d’autre part. De même on remarquera que pour les nations athées comme la France, il y a tout de même une liturgie comme la fête du 14 juillet qui fête l’Incarnation des valeurs de la République dans la prise de la Bastille, comprend des traditions comme l’interview du 14 juillet où le président de la République endosse le rôle de grand-prêtre de la Nation et ainsi de suite. Toutes les nations ont une religion. Parfois fausse et grossière, mais une religion quand même.

§10 : Le Dieu que l’on connaît par la foi à travers les Écritures ne peut pas être le même Dieu que l’on connaît par notre raison à travers l’étude de la nature. Ce sont deux connaissances différentes, et non une théologie naturelle.
Réponse : Il n’y a aucune incompatibilité ; au contraire la connaissance spéciale et plus claire de la foi présuppose la connaissance générale et plus confuse de la théologie naturelle. On remarquera par exemple que la Bible présuppose l’existence de Dieu, parce que cet article nous vient de la théologie naturelle.

§11 : L’esprit de l’homme est pourtant une table rase quant à la connaissance de Dieu, vous le dites vous-même plus haut.
Réponse : Il est effectivement une table rase en ce qui concerne les connaissances structurées et construites par notre raisonnement logique. Turretin appelle cela : notre connaissance discursive et dianoétique. Mais cela n’est pas vrai de nos connaissances « instinctives »  et intuitives. Nous n’avons pas de codes de loi tout formés dans notre conscience, mais nous avons malgré tout un instinct éthique qui nous amène à ne pas faire aux autres ce que l’on ne voudrait pas qu’on nous fasse. Il en va de même pour notre théologie naturelle.

§12 : Si cette théologie est vraiment naturelle, alors elle devrait être strictement la même pour tout les humains, puisqu’ils partagent la même nature. Or, nous observons qu’ils n’ont pas tous la même conscience religieuse : certains sont très conscients qu’il existe quelque chose de divin, alors que d’autres sont des brutes épaisses.
Réponse : Il y a deux sens à « naturel » :

  • Naturel dans un sens « subjectif et constitutif » : comme par exemple la capacité de vision, qui s’applique à des sujets et fait partie de la constitution de l’homme. Ce « naturel »-là s’applique pareillement à tous les humains.
  • Naturel dans un sens « qualitatif et consécutif » : par exemple, les facilités en mathématiques : l’homme est capable de faire des mathématiques, c’est une qualité de son intelligence, mais tous les humains n’ont pas la même aisance là-dedans. C’est de cette sorte-là de « naturel » dont relève la théologie naturelle. Il n’est donc pas étonnant que tous les humains ne perçoivent pas Dieu avec la même intensité.

§13 : Cette théologie naturelle nous vient des institutions humaines, comme par exemple l’éducation religieuse que nous avons reçu de nos parents. Il n’y a donc pas besoin de rajouter une cause naturelle à l’existence de cette théologie naturelle.
Réponse : Ces institutions n’iraient pas bien loin s’il n’y avait pas dans la nature humaine un instinct religieux fort. C’est cet instinct intellectuel qui se manifeste dans la structuration d’institutions humaines qui existent pour domestiquer et formaliser cet instinct en tradition humaine.

§14 : Si vraiment il y avait une théologie naturelle existait, alors il ne pourrait y avoir d’athées ignorant l’existence de Dieu. Or il y en a. Réponse : Ils ignorent Dieu à cause d’une démarche délibérée et perverse, comme l’enseigne Romains 1,18-19. Ils détruisent cette connaissance naturelle par l’usage de la fausse philosophie. Cela sera le sujet de la question 3.2 (locus 3, question 2).

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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