Du texte reçu — Turretin (2.12)
1 juillet 2021

Est-ce que le présent texte hébreu est si authentique et inspiré que toutes les traductions doivent y faire référence ? Ou pouvons-nous laisser de côté ses leçons si elles sont jugées moins appropriées, ou les corriger soit par comparaison avec d’anciens traducteurs, ou un jugement équitable et des conjectures, pour suivre une lecture plus convenable ? Nous affirmons la première proposition, rejetons la seconde.

Oui, le latin classique fait des phrases à rallonge. La question que traite Turretin est celle des débuts de la critique textuelle, dont les débats en sont à la première génération. Turretin va défendre le texte reçu [Textus Receptus], à la base de nos traductions Ostervald contre l’entreprise de critique textuelle qui est aujourd’hui la base de toutes nos bibles Segond.

La cible de sa critique est son collègue Louis Cappel qui attaquait l’authenticité des points-voyelles hébraïques 1 Ses arguments étaient les suivants, au sujet du texte hébreu qui précède les traductions en français :

  1. Puisque les points-voyelles sont une invention, on peut proposer d’autres vocalisations de l’hébreu.
  2. Non seulement d’autres vocalisations, mais aussi d’autres leçons, puisqu’après tout c’est ce qu’ont fait les massorètes.
  3. Si l’on peut montrer à partir de traductions anciennes — grecques, latines ou syriaques — qu’il y a d’autres mots plus adaptés, on devrait les préférer.
  4. Au-delà des traductions anciennes, un texte faux ou absurde dans sa présente rédaction peut être corrigé par le critique actuel.
Louis Cappel, professeur à l'académie de Saumur
Louis Cappel, professeur réformé à l’académie de Saumur, et opposant à Turretin sur cette question.

En opposition Turretin affirme :

Cependant l’opinion tenue par toutes nos Églises est très différente, à savoir qu’aucun autre codex [livre] ne doit être tenu pour authentique que le texte hébreu actuel, auquel toutes les versions anciennes et nouvelles doivent se référer comme à une pierre d’angle, et si elles diffèrent, ce sont les traductions qu’il faut corriger plutôt que l’inverse. Cependant, les Églises ne rejettent pas la comparaison entre les différents codices, ni que les erreurs de l’un soient corrigées par l’autre, et n’hésitent pas à dire qu’il est très utile d’acquérir le vrai sens en comparant les versions anciennes ; cependant elles nient que que ces versions soient à égalité, voire supérieures au texte original, si bien qu’il est légitime d’adhérer aux sens qu’elles donnent et qui nous semble plus approprié, et en rejettent un autre qui vient du texte dans son état actuel. –

Turretin, ITE 2.12.4

Turretin est sûr de lui car il a le consensus ancien de tous les auteurs protestants.

Formulation de la question (§ 6)

  • La question n’est pas de savoir si l’on a le droit de comparer les traductions entre elles pour affiner le sens. La question est de savoir si on peut les utiliser pour corriger le texte hébreu massorétique que nous jugeons improbable.
  • La question n’est pas sur la présence de variantes et erreurs de copies. C’est admis. Il s’agit plutôt de savoir si ces variantes sont celles du vrai texte hébreu, si bien qu’il faut reconstruire le texte à partir de tous les manuscrits.
  • La question n’est pas de savoir s’il faut utiliser son jugement personnel pour déterminer la bonne lecture, mais de savoir si l’on a le droit d’appliquer une démarche critique jusqu’à se permettre de changer le texte massorétique.

Turretin dit non à ces trois questions.

Argumentation (§§ 7-12)

  1. Cela revient à abolir l’idée même qu’il existe un texte authentique quelque part : si ce n’est pas le texte massorétique, alors aucun ne peut prendre sa place.
  2. Les erreurs et variantes de copies ne viennent pas du fait qu’il y a avait plusieurs “textes” hébreux, mais ce ne sont que des corruptions du même texte authentique. (1) C’est présupposer qu’il y a différents manuscrits, alors qu’il y a d’autres causes plus probables d’erreurs comme la négligence, chose que Jérôme de Stridon reproche aux scribes juifs de son temps. (2) Les scribes ont souvent préféré faire des traductions libres plutôt que littérales. (3) Les traductions ont eu tendance à se corrompre au fur et à mesure du temps, comme le montre l’exemple de la Septante et de la Vulgate.
  3. Et malgré toutes ces corruptions, on mettrait ces traductions anciennes au même niveau que le texte authentique ? C’est absurde.
  4. Si ce n’est pas le texte actuel qui est déjà déterminé, alors c’est notre raison critique et l’établissement de la base de notre foi n’est plus le Saint-Esprit, mais la raison et volonté humaine. La raison humaine sera placée en citadelle et tenue comme règle et principe de la foi avec les sociniens.
  5. Si les conjectures étaient légitimes, même quand elles sont en désaccord avec le texte reçu, alors aucune conjecture ne pourra jamais être certaine. C’est la recette pour d’interminables querelles d’interprétations qui ne finiront jamais, et l’invitation pour des athées académiciens à se prononcer sur les sujets sacrés.
  6. Admettre la thèse de Louis Cappel, c’est renverser toute l’ancienne défense de l’authenticité de la Bible que les protestants font contre les catholiques depuis la Réforme (et à laquelle Turretin a consacré deux questions).

Conclusion

La contribution de Turretin n’est que la première génération de ce débat. Les Églises réformées sont restées fidèles au texte reçu, à la base des traductions Martin et Ostervald. Puis la popularité massive des bibles Segond au début du XXe siècle a changé le consensus en faveur d’un texte critique. Afin de pouvoir consulter des ressources plus à jour sur chaque camp, je vous renvoie vers la Revue Réformée (numéro 216) : Alain Georges Martin a écrit en faveur du texte critique, et Jean-Marc Berthoud a écrit en faveur du texte reçu.


  1. système de notation massorétique pour marquer les voyelles dans le texte hébreu, qui en temps normal ne marque que les consonnes.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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