Sur ce site, nous avons déjà développé plusieurs arguments historiques en faveur du pédobaptême. En voici un très bref résumé :
- L’argument d’une origine apostolique vraisemblable. Cet argument repose sur la considération que nous avons des preuves très anciennes que les chrétiens baptisaient les enfants. Par ailleurs, cette pratique n’est pas limitée à une région mais concerne tout le monde chrétien. Plus encore, elle ne semble pas faire l’objet d’un débat. Nous proposons que la meilleure explication au fait que le pédobaptême soit présent si tôt, si universellement et de manière si incontestée soit son origine apostolique1.
- L’argument d’une continuité théologique. Cet argument prétend que la doctrine réformée du baptême est l’héritière non seulement d’une pratique aussi vieille que le christianisme mais d’une théologie patristique du baptême. On le constate notamment par le parallèle entre la circoncision et le baptême, bien établi et fréquent dans les textes des pères2. Le langage autour de la régénération baptismale se comprend aisément lorsque les distinctions entre signe et grâce sont questionnées3, lorsqu’il est mis en dialogue avec la compréhension légale et forensique de la régénération chez les pères apostoliques4 et dans les liturgiques antiques5.
Nous avons par ailleurs répondu à la prétendue « lignée rouge » des baptistes qui traverserait l’histoire6.
Le présent article propose un argument d’une nature différente, qui tend à mettre en lumière l’incohérence entre la théologie baptiste et l’histoire du christianisme telle qu’elle s’est déroulée. Sans plus tarder, le voici :
- Une personne qui n’est pas baptisée (de manière valide), ne peut pas en baptiser une autre. Autrement, le baptême de la seconde sera lui aussi invalide.
- Toutes les personnes baptisées qui sont en vie de nos jours ont soit été baptisée par une personne qui a été baptisée étant enfant, soit par une personne baptisée adulte.
- Toutes les personnes baptisées adultes ont été baptisées par une personne qui a été baptisée par une personne qui a été baptisée… étant enfant. En effet, les premiers baptistes ont été baptisés par des personnes baptisées enfant. Que ces mêmes personnes aient été rebaptisées n’y change rien : elle ont encore été rebaptisées par des personnes qui ont été baptisées enfants.
- En fin de compte, il n’existe de pas de lignée ininterrompue de personnes qui, depuis les apôtres, auraient été baptisées adultes. Tout le monde a, pour ainsi dire, dans sa « lignée baptismale » au moins une (et en fait beaucoup plus d’une !) personne baptisée enfant.
- Or, les baptistes prétendent que les baptêmes d’enfants sont invalides.
- Donc, tous les baptêmes actuels et depuis plusieurs siècles sont invalides.
Il y aurait plusieurs manières pour les baptistes de se sortir d’impasse :
- Prétendre qu’une personne qui n’est pas baptisée (de manière valide) peut baptiser. Cette option est particulièrement dangereuse. Pourtant, plusieurs baptistes que j’ai mis devant ce dilemme semblent l’adopter en invoquant la situation exceptionnelle. Le vrai baptême se serait perdu, il faudrait le rétablir. Même en admettant la situation exceptionnelle, cette conception donne au mouvement baptiste une couleur restaurationniste et lui ôte toute catholicité. Le baptême aurait cessé et aurait été établi, par une entreprise presque apostolique des baptistes.
- Admettre qu’un baptême d’enfant est valide. Attention, cette admission n’implique pas de devenir pédobaptiste. Les baptistes reconnaissent généralement que les baptêmes administrés dans une Église luthérienne suite à une profession de foi sont valides, bien que la théologie baptismale de cette Église ne soit pas reconnue par eux. On touche ici à la distinction entre validité et régularité : le fils de Moïse n’a pas été circoncis le huitième jour, pas par son père, même pas par un homme et pas non plus par un descendant d’Abraham. Mais cette circoncision irrégulière a tout de même été jugée valide. De même, les baptistes pourraient continuer à dire qu’on ne devrait pas baptiser les enfants mais reconnaître la validité de ces baptêmes. Plusieurs Églises baptistes le font déjà. Cette admission implique nécessairement l’abandon du rebaptême : on ne répète pas un baptême valide.
- Trouver une lignée, depuis les apôtres, de personnes baptisées adultes par des personnes baptisées adultes. Cette lignée n’existe pas, tout le monde en conviendra. Puisque cette lignée est rompue, le baptême valide a cessé à un moment et on doit reconsidérer les options une ou deux.
La teneur de cet article pourrait prêter à sourire et sembler une gymnastique mentale, mais c’est une question qui s’est posée de manière très pratique aux premiers baptistes et au commencement de plusieurs œuvres baptistes. L’œuvre missionnaire à l’origine de l’Église dans laquelle j’ai grandi, par exemple, débute par trois frères issus des Églises réformées allemandes et ayant été baptisés enfants. Un des trois frères a alors baptisé les deux autres qui l’ont ensuite baptisé à leur tour. Il en fut de même pour les premiers baptistes où l’on voit des personnes baptiser puis se faire baptiser. John Smyth, l’un des premiers baptistes, s’est même baptisé lui-même. Ils reconnaissent, en se faisant rebaptiser, qu’ils ne l’étaient pas. Pourtant, tout en ne l’étant pas, ils ont baptisé d’autres personnes. Le mouvement baptiste s’est donc construit sur la base de l’option 1 : prétendre qu’une personne non baptisée peut baptiser, le caractère exceptionnel de la situation justifiant l’irrégularité du procédé ! Il a donc assumé, à ses débuts, sa non-catholicité et son caractère restaurationniste.
Illustration : François-Louis Dejuinne, Le baptême de Clovis, 1871.
- Voir notamment cet article.[↩]
- Voir cet article.[↩]
- Voir cet article.[↩]
- Voir cet article.[↩]
- Voir cet article et celui-ci.[↩]
- Voir cet article sur les vaudois.[↩]
Bonjour,
J’ai deux remarques:
– Comme l’admet la solution n°2, cet argument n’est pas un argument contre le baptisme en soi mais plutôt contre la pratique (courante chez beaucoup de baptistes) du re-baptême. Le prémisse 4 n’est pas vraiment exact.
– Concernant le prémisse 1, qu’en est-il des premières personnes à être baptisées ? L’idée d’une « lignée baptismale » implique qu’il y a eu une première personne à être baptisée et donc que la personne a été baptisée de manière valide sans que la personne que l’a baptisée soit elle-même baptisée. De plus, quels arguments peuvent être données en faveur de cette option ? Le fait de dire qu’elle comporte une coloration « restaurationniste » n’est pas une argument en faveur du prémisse n°1 de manière générale (imaginons le cas d’une personne qui pense avoir été baptisé enfant mais en réalité ne l’est pas, affirmer que d’éventuelles personnes qu’il viendrait à baptiser soient réellement baptisées n’a rien de restaurationiste, ce baptême est plus irrégulier qu’invalide).
Bonjour,
En effet ça ne devient un argument contre le baptisme que si l’une des deux solutions est refusée.
Pour le restaurationnisme, il ne s’agit pas de dire que dire « certains baptêmes sont invalides et il faut donc rebaptiser » est du restaurationnisme. C’est plutôt faire remarquer aux baptistes que, si le baptême d’enfant est invalide, alors le vrai baptême s’est totalement perdu dans l’histoire de l’Église et il a alors fallu le restaurer.
Bien entendu qu’il y a eu des premiers baptisés : ils l’ont été par les apôtres. Et c’est justement là mon point, les baptistes, en restaurant le vrai baptême, ont une entreprise apostolique. Mais seuls les apôtres sont mandatés par le Christ pour initier la lignée du baptême chrétien, nous n’avons aucune autorité pour établir un nouveau baptême de zéro.
Autre remarque, pourquoi considérer que le baptême par une personne non-baptisée est invalide et pas simplement irrégulière ? En tant que baptiste je trouve qu’une des forces des pédobaptismes est d’admettre cette distinction entre validité et régularité, ce qui permet une plus grande catholicité (et je pense que les baptistes pourrait apprendre de ça en acceptant que le baptême de quelqu’un qui ne professe pas la foi est valide mais irrégulier), et je vois plusieurs problèmes potentiels au fait de dire que les baptêmes par des non baptisés sont invalides:
-Dans l’absolu plus personne aujourd’hui ne peut savoir s’il est baptisé. Comment être sur que dans toute sa lignée baptismale il n’y a pas eu de problème ? Il suffirait qu’a un endroit donné quelqu’un baptise avant d’être lui-même baptisé, ou pense avoir été baptisé enfant alors qu’il ne l’avait pas été et toute la suite de la « lignée » n’est pas validement baptisée. En 2000 ans il y a beaucoup de temps pour avoir un problème et on est incapables d’aller vérifier et donc de savoir si nous sommes réellement baptisés. Par exemple, est-ce que l’on peut prouver que ceux qui se convertissaient de l’arianisme étaient systématiquement rebaptisées ?
-Une difficulté, qui n’est pas forcément rédhibitoire, c’est de savoir exactement quels baptêmes sont valides, en fonction des « églises » qui les administrent. Une personne baptisée chez des témoins de Jéhovah, des mormons ou des unitariens n’est pas validement baptisée. Mais qu’en est-il du baptême chez les catholiques ? Quelque soit notre opinion là-dessus je ne pense pas que la question soit simple et même si on accepte sa validité on doit aussi reconnaître que si l’on se trompe, beaucoup de baptêmes qu’on pensaient valides sont en fait invalides (dans le cas ou l’ancien qui baptise avait été baptisé catholique).
-Est-ce qu’on ne devraient pas faire un parallèle entre la question de la continuité du baptême depuis les apôtres et celle de la continuité de l’ordination (tout en admettant que l’un est un sacrement et pas l’autre) ? Les réformateurs ont défendu l’idée qu’ils avaient le droit d’ordonner des ministres sans qu’il y ait une « lignée » apostolique puisque l’apostolicité de l’Église n’est pas une affaire de lignée mais d’enseignement. Pourquoi ne pas penser la même chose du baptême ? Bien entendu cette question est hypothétique, les réformateurs ayant bien été baptisés.
1. Remarque très pertinente. Il me semble toutefois que la situation est différente. Dans un cas il est admis que les baptêmes de l’eglise médiévale et antique étaient valides. Pour les baptistes ça n’est pas le cas. Mais je note la remarque pour y réfléchir.
2. Les réformés ont de manière unanime reconnu le baptême des catholiques et autres églises trinitaires. 3. Pour la question de la succession, c’est encore une très bonne remarque. En réalité, les réformés ont été plus nuancé que simplement « cette succession n’est pas nécessaire ». Je pense aussi que les catégories valide/régulier sont pertinentes dans cette situation, mais leurs contours sont peut-être quelque peu différents, notamment parce qu’il ne s’agit pas d’un sacrement.
A ce sujet, voir : https://parlafoi.fr/2018/07/12/de-quel-droit-les-reformateurs-pouvaient-ils-reformer-leglise-francois-turretin-1623-87/
Le propos de mon article, tu l’auras compris, est historique : les fondateurs du baptisme ont été rebaptisé par des personnes qu’ils ont eux-mêmes baptisés. C’est en cela que la tension apparait. Si le premier est validement baptisé pour pouvoir baptiser les seconds, à quoi bon se faire rebaptiser ensuite ? Autrement dit, la position presbytérienne n’implique pas ce genre de manoeuvre, même dans les situations où il pourrait subsister un doute sur la lignée en question, puisque dans ces situations, si l’on applique la distinction régulier/valide, on considère donc que le baptême est valide bien qu’irrégulier et il n’est pas nécessaire alors de le répéter. La tension propre aux baptistes tient dans le fait que le fait qu’ils rebaptisent manifeste qu’ils refusent de considérer comme valide (même valide irrégulier). Je pense que l’option 2 que je suggère réglerait le problème pour eux (et, au passage, rendrait les relations baptistes/réformés bien plus apaisées, puisque ceux-ci n’exigeraient plus notre rebaptême).
L’autre différence fondamentale, par rapport à ce que tu soulèves, c’est que si nous admettions que certaines lignées baptismales ont été « corrompue » par l’arianisme, par exemple, ça ne concerne pas TOUTES les lignées. Autrement dit, même dans cette situation hypothétique, le vrai baptême n’aurait pas disparu. Je pense que nous avons de bonnes raisons de penser que malgré tout cette situation n’est qu’hypothétique.
Philippe qui baptise l’eunuque était il baptisé enfant ?
Non, et alors ? Les baptêmes d’adultes sont valides.
L’argument de la stricte légitimité baptismale de celui qui administre le baptême suit une logique donatiste; je suis étonné de lire une telle chose sur ce site généralement plus rigoureux. Exigé la foi du baptisé ce n’est pas exigé la foi de toute sa lignée baptismale.
L’argument d’une origine apostolique vraisemblable est au pire fallacieux ou mieux grossièrement incomplet. S’il est vrai que les traces du pédobaptême sont très anciennes, les traces de sa non-universalité le sont également. Que ce soit l’argumentation anti-pédobaptiste de Tertullien dans son traité sur le baptême ou encore le fait que Chrysostome, Ambroise, Augustin ou Jérôme (pour ne nommer que ceux-ci) ne furent pas baptisés enfants, mais après leur conversion, et ce au 4e siècle et malgré qu’ils fussent nés de parents chrétiens.
À vouloir s’opposer au baptisme à tout prix, on finit par prendre de gros raccourcis!
1. L’argument n’est pas comparable à celui des donatistes. Ni de près ni de loin. Il ne s’agit pas de pureté morale mais de validité des sacrements. S’il faut rapprocher mon argument d’un autre pour tenter comme tu le fais, une culpabilité par association, il faudrait le rapprocher de l’argument papiste de la succession apostolique. Je n’exige pas la foi du baptisé, j’exige la validité du baptême… Au lieu donc de tenter une telle accusation, répond à la question « un non-baptisé peut-il baptiser ? ». Je note simplement que les *opposants* aux donatistes étaient d’accord avec moi sur le fait qu’il faut être baptisé… pour baptiser !
2. Eh bien que t’en dire si ce n’est que tous ceux que tu nommes non seulement témoignent que le pédobaptême était pratiqué à leur époque et qu’aucun ne défend le credobapteme, pas même Tertullien ? L’ordonnance a été négligée, certes. Mais les circonstances l’expliquent fréquemment : le père d’Augustin n’était pas chrétien et n’aurait donc pas baptisé son fils… Oui, on trouve des gens baptisés adultes, même des gens ayant grandi dans l’église, à cette période. Mais ils ont pour point commun d’être tous pedobaptistes et de dire qu’ils tiennent cette pratique des apôtres, ce qu’ils ne diraient pas si la position était nouvelle de leur temps.
Mon point tient donc toujours : pourquoi trouve t on si tôt des pedobaptistes en Afrique du Nord, en Gaule, en Italie, en Asie sans jamais un seul père qui ne s’élève contre la validité d’un tel baptême ? Tertullien en effet ne conteste pas la validité, car c’est précisément le fait qu’on ne puisse pas rebaptiser qui le pousse à s’inquiéter du fait qu’on baptise si tôt !
Tu dis que les traces de sa non universalité sont flagrantes mais tu commets une erreur d’analyse : le pédobaptême était universel non pas parce que tous étaient baptisés enfants mais parce que c’était pratiqué dans tout le monde chrétien. Que l’ordonnance soit négligée parfois jusqu’au lit de mort n’y change rien. Cela militerait même contre le credobaptisme, à ce compte, car ils ne baptisaient pas suite à la profession de foi ceux qui baptisaient tardivement mais pour effacer les péchés passés…
A vouloir défendre le baptisme, on se méprend sur la nature de mon argument et on commet de grossiers raccourcis ! Je t’invite sincèrement à relire mon article parce que j’ai l’impression que tu réponds à autre que ce que j’ai écrit, d’où ma reformulation. Peut-être que le cas concret de la première génération de baptistes aiderait à clarifier le propos : s’ils ne sont pas baptisés, peuvent-ils baptiser ? Si oui, en quoi n’est-ce pas du restaurationnisme ?