Apprendre à raisonner (53) : Les différents sens possibles de parce que
19 janvier 2023

Cet article est le cinquante-troisième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Dans le cinquante-deuxième, j’ai donné des remarques sur la vérité des raisonnements et la vérité des propositions. Dans cet article, je présenterai les trois différents sens que peut prendre la locution conjonctive parce que. Comme d’habitude, je reprendrai étroitement le contenu du livre Socratic Logic de Peter Kreeft, pp. 200-202.


Nous avons vu dans un article précédent comment détecter des arguments. Un indicateur qui montre qu’il y a un argument quelque part dans un texte est la présence de mots de liaison comme donc, du coup ou parce que. Je souhaite revenir ici sur parce que car il indique qu’on est en présence d’un argument mais pas toujours. En effet, il y a trois types de parce que qui manifestent chacun une relation particulière.

Les trois parce que

1. Le parce que physique (une relation physique de cause à effet)

Dans ce cas de figure, parce que révèle la présence de causes physiques. On a affaire à une chose (une cause au sens de cause efficiente) qui en produit une autre (l’effet), qui explique la deuxième. Il s’agit d’une explication ou raison de l’être ou l’existence d’une chose réelle. Ces explications sont objectives, matérielles et des causes efficientes. Donc des causes de l’être (et non de la pensée) : des causes de phénomènes ou choses extérieures à nous.

Par exemple, un virus qui tue des gens : le virus est la cause et la mort des gens est l’effet réel. Des gens sont vraiment morts dans le monde réel à cause du virus : on n’est pas dans un film ou un livre (un monde fictif ou hypothétique).

Kreeft appelle ce parce que physique car il se limite ici aux choses sensibles. Mais l’on pourrait l’étendre pour englober aussi des causes invisibles comme Dieu, les anges, l’âme humain. Bien sûr, seulement si l’on n’est pas matérialiste / physicaliste : si l’on ne réduit pas l’âme humaine à quelque chose de physique ou matériel.

2. Le parce que logique (une relation logique entre des prémisses et une conclusion, entre des raisons logiques et une croyance)

À l’aide de ce parce que, on donne ici des raisons de croire (causes logiques). Des raisons logiques pour adopter un avis ou une croyance. Ils sont objectifs, immatériels et les causes formelles de nos croyances. Donc seulement des causes de la pensée : ce qu’il y a dans nos pensées et non pas de ce qui est extérieur à nous.

Par exemple, parce que indique ici que « je vais mourir parce que tous les hommes meurent et que je suis moi-même un homme » est une relation logique. J’explique que j’adhère à la croyance que « je vais mourir » parce que je pense que les prémisses « tous les hommes meurent » et « je suis moi-même un homme » sont toutes deux vraies.

3. Le parce que psychologique (une relation psychologique entre des motivations et une croyance)

Dans ce cas, on donne avec ce « parce que » des motivations de croire, les origines psychologiques de nos croyances (des causes psychologies). Des avis personnels pour justifier nos croyances. Ils sont subjectifs, immatériels et les causes efficientes de nos croyances. Donc comme avant, seulement des causes de la pensée. C’est ce que Frédéric Guillaud appelle des « causes morales, sociologiques, psychologiques, biologiques ou neurologiques, […], des explications généalogiques » des croyances ou encore leurs « origines et motifs extrinsèques1».

Par exemple, parce que indique que « Je pense que je vais avoir une mauvaise note parce que je suis pessimiste » est une relation psychologique où « je pense que je vais avoir une mauvaise note » est la croyance personnelle expliquée et « je suis pessimiste » le motif subjectif. Un autre exemple, ce sont « les motifs qui portent les hommes à affirmer l’existence d’un Dieu : le ressentiment contre l’existence terrestre, le besoin d’être consolé de la vie, le désir de voir réalisé l’idéal de justice que le monde nous refuse, la nostalgie du ventre maternel et bien d’autres encore2».

L’ordre de découverte de ces parce que par l’enfant

D’après Kreeft, il y a un ordre dans lequel on découvre chacun de ces parce que :

Le parce que psychologique est la première raison qu’un enfant donne aux choses. Cela est naturel étant donné que nous les êtres-humains, nous connaissons plutôt aisément nos émotions subjectives. Le parce que causal est le prochain type de raisons que l’on donne vu que nous faisons rapidement l’expérience de la sensation des choses physiques. Le parce que logique quant à lui, est le dernier type de raisons et le plus abstrait. Le premier parce que est subjectif et immatériel, le second, objectif et matériel, le troisième objectif et immatériel.

Peter Kreeft, Socratic logic, South Bend, Indiana : St. Augustine’s Press, 2014, [1re éd. 2004], p. 201 (traduction personnelle).

Une erreur à éviter

Attention à ne pas confondre les causes psychologiques (du parce que psychologique) avec les causes logiques (du parce que logique). Cela est crucial car elle conduit à une erreur de raisonnement très courante appelée le sophisme génétique :

Le sophisme génétique consiste à établir la vérité ou la fausseté d’une proposition par seule référence à ses origines et motifs extrinsèques et, en l’occurrence, à disqualifier le contenu d’une affirmation par l’évocation de ses conditions d’énonciation. Que certaines personnes aient de mauvaises raisons, ou des raisons insuffisantes de croire en la vérité d’une proposition, ne permet pas de conclure quoi que ce soit sur la vérité ou la fausseté de cette proposition. Si vous dites : « Il va pleuvoir cet après-midi », et que votre père vous répond : « Tu dis cela parce que tu es pantouflard et que tu n’as pas envie de sortir », que peut-on conclure sur la vérité de votre prédiction ? Rien. Votre père a peut-être raison, mais on ne saurait en déduire quoi que ce soit sur le temps qu’il va faire. Il faut consulter les prévisions météorologiques.

Frédéric Guillaud, Dieu existe. Arguments philosophiques, Paris : éd. du Cerf, 2013, p. 10.

Résumé

Voici un schéma qui résume toutes ces distinctions :


Illustration : Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure de Charles Laplante, publiée dans le livre de Louis Figuier, Vie des savants illustres – Savants de l’antiquité (tome 1), Paris, 1866, pp. 134-135.

  1. Frédéric Guillaud, Dieu existe. Arguments philosophiques, Paris : éd. du Cerf, 2013, pp. 9-10.[]
  2. Ibid.[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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