Ma critique
Avant de commencer, je tiens d’abord à préciser que je suis ouvert à toute correction comme la révolution sexuelle et l’idéologie LGBTQ+ sont des sujets qui à la base ne m’intéressent pas du tout et que je considère me faire perdre la plus grande partie de mon temps.
Décadanse1 est le dernier livre de Patrick Buisson (1949-2023), auteur conservateur sur les sujets sociétaux et politiques. Mais il semble souvent surtout connu pour avoir été ancien conseiller du président de la République Nicolas Sarkozy, et pour l’avoir enregistré à son insu durant son mandat. Par pur hasard, le soir où j’ai commencé à le lire, son décès fut malheureusement annoncée à la télé sur TF1. La veille, alors qu’il se rendait à la messe de minuit, il annonçait dans un message avoir rendez-vous avec son Rédempteur (sous-entendu Jésus-Christ). J’espère donc qu’en catholique, il est vraiment à son rendez-vous. Voilà pour l’anecdote.
Dans son livre, Buisson raconte comment nous en sommes arrivés en France à une société qui tolère et même qui promeut de nombreuses pratiques sexuelles ou des positions sur le sexe et la famille que la majorité des Français rejetaient pourtant auparavant. Par exemple, une vision plutôt négative de la maternité et de la femme au foyer (le rôle traditionnel de mère), l’antinatalisme, la contraception (artificielle) comme la pilule, l’avortement, la pédophilie, la disparition de la pudeur (généralisation des vêtements très courts et même de la nudité), la pornographie, une nouvelle vision du mariage et de l’amour (basé avant tout sur les émotions), le divorce (généralisé, même sans violences ou fautes). C’est en gros ce qu’on appelle la révolution sexuelle : les changements radicaux de la vision de la sexualité dans les pays occidentaux depuis la seconde moitié du XXe siècle. En France, la fameuse date de mai 68 (des manifestations publiques importantes pour le droit des femmes) est le point de bascule qui la déclenche (je remercie ma mère pour l’information que j’ignorais jusqu’alors). Il explique aussi la naissance de l’individualisme, de l’égocentrisme et de la société de consommation. Ce dernier phénomène qui va bien sûr de pair avec le sexe : c’est la marchandisation du corps, faire du sexe un business qui permet de se faire plein d’argent. Il s’arrête à la loi Giscard qui facilite le divorce, donc vers la fin du XXe siècle.
Personnellement, j’aurais aimé qu’il abordât également des sujets plus récents et qui poussent encore plus en avant la révolution sexuelle. Par exemple la légalisation du mariage homosexuel, le mouvement LGBTQ+, l’idéologie transgenre, les queer, les drag queen, les nouvelles lois sur l’avortement (par exemple celles sur le délit d’entrave numérique à l’IVG), l’euthanasie, la légalisation de la GPA (gestation pour autrui), etc. Peut être qu’il les réservait malheureusement pour un prochain livre sans prévoir sa mort ou qu’il n’a pas eu assez de temps, je ne sais pas.
L’avantage ou, vu autrement, la différence de ce livre par rapport à des livres anglais plus généraux comme Strange New World (2022) ou The Modern Self (2019) de Carl Trueman, c’est qu’il est plus historique (plus de faits concrets et de chiffres) que philosophique (même si Buisson ne manque pas d’émettre des critiques), qu’il se concentre sur notre pays et sur notre époque à partir du XXe siècle (la révolution sexuelle stricto sensu) alors que Trueman prend surtout des exemples américains et couvre une période beaucoup plus longue comme il part de la Renaissance avec Descartes et Rousseau. Buisson est aussi plus complet puisque Trueman se limite seulement en gros principalement aux LGBTQ+ en mentionnant de temps en temps l’avortement et l’euthanasie. Malgré ces différences de formes, Buisson et Trueman partagent en gros la même analyse : l’homme à partir du XXe siècle fonde désormais son identité et sa valeur, et pense trouver son bonheur ultime dans le sexe.
Enfin, comme Buisson écrit pour les Français en général et qu’il est catholique, son livre parlera moins directement aux protestants. Mais malgré cela, c’est un bon livre pour les francophones évangéliques qui souhaitent juste mieux comprendre pourquoi beaucoup de leurs compatriotes ont désormais une vision du sexe et de la famille très éloignée de la Bible. Plus encore, étant catholique, Buisson a sûrement des positions beaucoup plus conservatrices et bibliques sur le plan de l’éthique sexuelle que la plupart des évangéliques (surtout en France). Par exemple, il défend la maternité, la natalité (ou natalisme), c’est-à-dire de faire des enfants (beaucoup d’enfants), critique sans ambiguïté la contraception artificielle, l’avortement, le manque de pudeur, une vision romantique du mariagen etc. Le lire nous permet donc paradoxalement, en tant qu’évangéliques, de retrouver une vision beaucoup plus biblique du sexe et de la famille.
Buisson est cultivé. Il connaît bien sûr l’histoire, les dates, les partis politiques français et la société française de l’époque, etc. Mais ce qui m’a étonné, c’est qu’il est bien renseigné non seulement sur l’Église catholique (les conciles, les encycliques, etc.) et la tradition chrétienne général (Augustin, les pères de l’Église, les conciles oecuméniques) mais aussi sur les protestants quand il parle au passage correctement de la doctrine du salut par la grâce des réformés et quand il cite des gens comme Jacques Ellul et Pierre Chaunu ! Il a de bonnes connaissances aussi en philosophie, il cite plein de noms comme Herbert Marcuse, Wilhelm Reich, Jean Baudrillard, Jacques Ellul, des thomistes comme Jacques Maritain et connaît la théorie en philosophie morale de la loi naturelle.
Le livre est agréable à lire comme une histoire ou un roman même s’il est très long avec ses 500 pages environ (les caractères sont gros donc faciles à lire) ! Il est assez accessible même s’il faut se concentrer aux mots, expressions et tournures complexes pour les non habitués. Les chapitres sont courts, ce qui permet de lire le livre à différents moments sans oublier où on en était la dernière fois. Il y a des phrases ironiques amusantes à lire. Toutes les affirmations et les données statistiques sont documentées avec des notes de bas de page renvoyées à la fin du livre.
En résumé, à la fin, on en ressort en tant que lecteur avec une bonne connaissance de la révolution sexuelle en France même si l’on y connaissait pas grand-chose (mon cas). Et en tant que lecteur évangélique avec une vision plus biblique du sexe et de la famille.
Comme le livre pourra sembler peut être trop compliqué pour certains, voici dans ce qui suit, un résumé et mes notes plus faciles à lire de chaque chapitre du livre pour qu’un maximum puisse quand même en profiter. Je donne pour chaque son chapitre son numéro (1, 2, 3, etc.), son nom puis entre parenthèses mon propre résumé en quelques mots. Enfin, mes notes n’étant que des notes, je vous renvoie au livre pour y retrouver toutes les références précises.
Ecce homo œconomicus
Chapitre 1 : Le grand bazar
Tout d’abord, Buisson raconte les débuts de la société de consommation en France pendant les Trente Glorieuses, dont le but était de mettre en place le culte du nouveau dieu Mammon.
Buisson raconte aussi que c’est la création de toute une armée de consommateurs. C’est pour cela que la société a fait plein d’efforts pour conditionner, « préparer » les nouvelles générations. La société (entreprises, médias) a entrepris de remplacer la destinée surnaturelle de l’homme qu’est Dieu par la jouissance immédiate de biens matériels. Faire croire que l’homme peut déjà dans sa vie sur terre être entièrement satisfait sans Dieu par des choses matérielles. La publicité devient présente partout, le but est de déculpabiliser la jouissance de biens terrestres que le christianisme soi-disant interdit. En particulier, le droit de s’engager dans de gros prêts qui étaient pourtant mal vus avant. Cette déculpabilisation passe même carrément par l’utilisation de la sexualité dans les publicités (femmes dans les publicités pour les automobiles, allusion à l’orgasme, au plaisir, allusion aux organes sexuels comme le phallus dans la forme des objets affichés).
C’est aussi le début de l’obsolescence programmée ; si on a les moyens d’acheter beaucoup pourquoi s’embêter à acheter seulement une chose durable alors qu’on peut en acheter plein à la suite sans problèmes ? L’image de soi devient aussi très importante, on achète et consomme des biens non seulement pour en profiter mais aussi et surtout pour s’identifier à une classe sociale pour être « à la mode » et bien vu des autres. Par exemple la voiture, les objets pour faire le ménage, etc. Les penseurs communistes de l’époque voient donc naître une nouvelle forme d’oppression par des forces économiques qui incitent sans cesse à la consommation.
Chapitre 2 : Le temps des copains
Deuxièmement, Buisson raconte le remplacement de la musique française par le rock (la musique américaine). Les rockeurs français sont obligés de respecter des règles précises qui viennent des États-Unis s’ils veulent « survivre » et être connus. Par exemple, il faut changer son nom français pour prendre à la place un nom anglais « plus cool », copier un style musical précis, etc. Le rock, c’est aussi une musique qui prétend être universelle et dépasser les cultures avec la musique de chaque pays, pour arrêter d’être raciste, xénophobe, etc. Par exemple, il remplace largement le jazz (musique du prolétariat des noirs) et la variété française (musique du prolétariat des Blancs). Cette nouvelle mode qu’est le rock passe très mal chez les élites, certains le voient comme un jazz maltraité. Fait amusant : Buisson compare le rock aux danses et rites des anciens païens qui adoraient Dionysos. Du côté des hommes politiques français (comme de Gaulle), ils n’ont fait aucun effort pour empêcher ou ralentir cette « invasion » par la culture alors que sur un plan géopolitique plus direct, ils souhaitaient rester une puissance indépendante (non soumise aux États-Unis).
Chapitre 3 : Le travail est l’avenir de la femme
Troisièmement, Buisson traite du sujet très polémique dans le débat du féminisme du travail des femmes en tant que salariés à partir du XXe siècle.
Il raconte qu’au départ, il était normal et même tout à fait respectable d’être femme au foyer, d’élever des enfants à la maison et de veiller sur leur éducation. Le travail des femmes s’imposait seulement en cas d’extrême nécessité. L’État reconnaissait même leur rôle important dans la natalité et l’enfantement de citoyens, et exprimait sa reconnaissance par des aides importantes pour les familles avec des enfants où seul le père travaillait.
Puis les choses ont changé petit à petit : le travail des femmes à plein temps en entreprise comme des salariés est devenu la nouvelle norme et y déroger est devenu étrange et revenait désormais à se soumettre à et à accepter l’oppression du système patriarcal et sexiste (oppression de la femme par le mari). Les femmes qui ne travaillent pas sont peu à peu considérées comme des parasites qui ne produisent rien et qui profitent de la société sans rien donner en retour.
Malgré la résistance au début en France, l’État par ses politiques et les médias par leur influence ont réussi à imposer cette vision féministe de la femme. Un obstacle de taille est le travail des femmes issues des familles ouvrières. Pour elles, le travail est très négatif car fatigant et difficile à supporter. Rester à la maison représente donc plutôt une chance pour éviter le travail qui est comme un supplice. Elles se moquent des femmes bourgeoises qui pour elles ont eu le bonheur de naître « le cul dans la dentelle » (sic). Le communisme se fiche de cette oppression des femmes au travail car la principale oppression reste celle subie par la classe ouvrière. Mettre en avant toute autre type d’oppressions, c’est faire diversion.
On observe aussi que le lieu du sexisme s’est déplacé de la lutte des classes du marxisme où la femme est maltraitée par des forces économiques (c’était une forme d’oppression parmi beaucoup d’autres, comme le reste du prolétariat) vers la famille où elle est maintenant maltraitée par son mari qui l’empêche de s’épanouir.
Malgré tous ces efforts du féminisme, il rencontre de l’opposition. Des intellectuels comme Jacques Ellul n’hésitent pas à démasquer l’alliance entre les féministes (au plan idéologique) et les entreprises qui y gagnent une main-d’œuvre bon marché et docile. Mais d’après eux, il y a une grosse arnaque : si les hommes ne sont pas très heureux ou si heureux que ça au travail, pourquoi les femmes le seraient plus ? Finalement, passer du patriarcat à l’entreprise, c’est juste changer d’oppresseur : remplacer l’oppression par le mari à la maison par l’oppression par le patron à l’entreprise. Mais pour les féministes, ce n’est pas grave, mieux vaut un oppresseur anonyme.
Faire travailler la femme à plein temps permet aussi aux entreprises de gagner plus d’argent. Les études de l’époque montrent que les femmes en entreprise dépensent plus que celles au foyer. Donc si (beaucoup) plus de femmes travaillent, cela permet d’augmenter leur business. C’est d’ailleurs aussi un argument de la propagande : cela permet à la femme de ne plus être dépendante de son mari, comme elle peut maintenant avoir son propre argent et le dépenser comme elle veut.
De la société contraceptive…
Dans cette partie, Buisson raconte comment le nombre de naissances a énormément baissé en France à partir de la fin du XXe siècle à suite à la généralisation des moyens de contraception (artificiels) comme la pilule, le stérilet, etc.
Chapitre 4 : Avis de tempête sur la mère
Tout d’abord, à la période de l’après-guerre, avant cette chute, la France avait un taux de natalité incroyablement élevé : le plus grand en Europe. Il y a eu un grand redécollage après la guerre. Dans les photos de famille de l’époque, on voit des familles nombreuses avec beaucoup d’enfants. Une femme qui a des enfants est bien vue et la Nation lui est reconnaissante pour son rôle irremplaçable. C’est la création de la fête des Mères. On remet des prix ou médailles, etc. La maternité (le fait pour une femme d’avoir des enfants) est investie positivement et les femmes acceptent ce rôle avec joie. Même les catholiques et les communistes sont d’accord sur ce point : les catholiques car la maternité est le rôle sacré et naturel de la femme, et les communistes car c’est une mission indispensable des femmes pour faire avancer la cause du prolétariat.
Puis des gens ont commencé à remettre en cause ce fonctionnement. Des célébrités comme Brigitte Bardot, des écrivains comme Simone de Beauvoir qui a une influence croissante (à commencer aux États-Unis) et Jean-Paul Sartre qui décrivait le fœtus comme quelque chose de visqueux. Même le clergé a fait une concession importante : supprimer la cérémonie des relevailles où une mère remerciait Dieu devant tous pour son nouvel enfant et où le prêtre officialisait son retour dans la communauté après sa pause de premiers jours de mère. Le clergé a remplacé ce rite traditionnel par une simple bénédiction des parents envers leur enfant.
Un médecin connu du nom de Fernand Lamaze a trouvé des moyens médicaux pour soulager les douleurs des femmes lorsqu’elles accouchaient. Ces découvertes ont eu un fort impact idéologique : l’accouchement n’était plus qu’un phénomène purement naturel sans aucun autre sens profond. L’enfantement n’était désormais plus vu ni comme la malédiction prononcée par Dieu sur la femme dans Genèse 3 à cause du péché, ni comme une bénédiction ou quelque chose de positif intrinsèquement sacré. À la surprise de tous, l’Église catholique a accepté à travers le pape Pie XII ces découvertes avec des réserves sur leur matérialisme sous-jacent. On interprète désormais l’instinct maternel et l’amour maternel non plus comme des choses naturelles, normales et bonnes mais comme le résultat d’un conditionnement culturel et de conventions humaines. Ce sont des états d’esprit que les hommes ont mis en place pour mieux soumettre les femmes. Elles les ont acceptés et ont fini par les intérioriser comme des nécessités pour être bien vues des autres. Avoir beaucoup d’enfants (ou des enfants tout court sans bonne raison) est mal vu car c’est ce qui permet de générer plein d’esclaves pour l’État et les entreprises. Il vaut mieux ne pas faire ou faire peu d’enfants au risque qu’ils soient exploités et aient donc une vie misérable. On voit aussi la maternité comme une forme d’esclavage. Pour cela, on pointe du doigt toutes les douleurs lors de l’accouchement. Et aussi les conséquences comme les marques à vie, l’importante prise de poids qu’elles risquent, etc. On les a imposées aux femmes et elles ont fini par accepter cette maltraitance. Donc pour qu’elles soient libérées, elles doivent absolument retrouver le contrôle de leur corps, ce qui implique alors le choix de ne pas faire d’enfants tout court. Pour faire passer ce message, on donne aux petites filles non plus des poupées bébés dont elles s’occupent comme leur maman mais des poupées barbies célibataires sans défaut (avec un physique avant que la femme ait d’enfants) qu’il faut rendre le plus joli possible. Pour résumer le changement radical, le but ultime du corps de la femme n’est plus d’avoir des enfants (la procréation) mais d’être joli et obtenir du plaisir sexuel.
Enfin, il fallait trouver un remplaçant symbolique pour remplacer Ève dans le récit de la Genèse 2 de la création de la femme avec Adam et Ève. Ce fut Lillith, une femme qu’on trouve dans la littérature juive ancienne : elle formée comme Adam directement à partir de la poussière et non pas de sa côte. Elle est donc son égale et non sa soumise. Le message de propagande finit par passer. Certains disent desormais que l’accouchement et élever des enfants est encore plus traumatique que l’avortement. On peut parler en faveur de cette nouvelle vision des choses et se moquer de ceux qui ne sont plus « à jour ».
Chapitre 5 : Si je veux, quand je veux
Le contrôle des naissances était un « sport » déjà connu des français avant la contraception artificielle avec les méthodes du coït interrompu, du retrait, etc. Le slogan initial pour « faire passer la pilule » était de passer à l’enfant issu du hasard à l’enfant désiré pour ne pas choquer inutilement. Puis par implication logique, on va de la contraception à l’avortement. Les partisans de cela assument totalement cette stratégie de dissimulation. Les réformés ont joué un rôle important dans ce tournant à travers le mouvement Jeunes Femmes, probablement issu des milieux libéraux.
À l’époque, on peut avoir de la contraception en allant chez le bon médecin : c’est interdit officiellement mais tout de même toléré implicitement. On assiste aux premières campagnes du Planning familial qui se présente au début comme une association lucrative offrant des services aux femmes volontaires (l’aspect « volontaire » permet de justifier la légalisation du mouvement) et leur donnant les bonnes adresses de médecins complices pour contourner les lois en vigueur.
Les médias diffusent une propagande importante avec un message progressivement de plus en plus radical. Ils se servent de personnes connues pour porter leur voix, par exemple Marcelle Auchair, une catholique bien aimé et Ménie Grégoire, au contraire non croyante.
Les francs-maçons jouent aussi un rôle important dans la promotion de la contraception. En particulier, Pierre Simon, médecin gynécologue franc-maçon haut placé chez les franc-maçons à la Grande Loge de France a été un fort influenceur politique en tant que conseiller des ministres de la santé et influenceur commercial auprès des entreprises pharmaceutiques. Par son intermédiaire, les francs-maçons œuvrent donc de concert avec le Planning familial qui finit par limoger Simon pour abus de pouvoir.
Les gens commencent à voir la vie différemment. On considère la vie non plus comme un don gratuit de Dieu envers les créatures mais comme un simple matériau entièrement manipulable par l’homme. L’homme peut désormais grâce à la contraception s’opposer aux lois de la nature, détruire ce qui est naturel puis reconstruire les choses à sa guise.
C’est aussi une grande affaire de business. Les entreprises pharmaceutiques profitent de l’idée de la contraception du Planning pour vendre de nouveaux produits chers (et non plus gratuits comme les méthodes de contraceptions naturelles) et plus efficaces (et non plus contraignants comme la contraception naturelle qui demande maîtrise de soi), ce qui leur permet ainsi de faire d’énormes profits. Il y a même des conflits d’intérêts au sein du Planning : sa fondatrice est en même temps patronne d’un groupe pharmaceutique. Pierre Simon qui soutient le Planning travaille et fait beaucoup de publicité pour ces entreprises.
Du côté des « résistants », le Dr Lagroua dénonce certaines méthodes de contraceptions comme la pilule qui selon elle, rendent irresponsables les couples. Elle subit donc une grande répression médiatique. L’influence du business sur le Planning devient toujours plus grande, à un tel point que celui-ci en devient dépendant.
Chapitre 6 : La mère de toutes les batailles
Dans ce chapitre, Buisson raconte la bataille « finale » entre l’Église catholique et le progressisme libertin qui promeut la contraception. Le clergé ressent une pression de plus en plus forte non seulement de la part de la société, mais aussi de la part de ses propres fidèles. Les mentalités changent progressivement, les langues se délient et des croyants racontent en public (par exemple dans des journaux) leurs difficultés à vivre l’éthique traditionnelle (soit la continence, soit l’abstinence temporaire basée sur le cycle menstruel) dans leur vie quotidienne. Par exemple, des mères qui regrettent d’avoir trop d’enfants, qui auraient préféré en avoir moins et mieux s’en occuper, qui se sentent exploités par la société, maltraitées par le clergé et leur mari, qui considère que l’éthique traditionnelle des méthodes de contraceptions naturelles leur impose un dilemme qui est soit l’infidélité du mari soit trop d’enfants etc. Par conséquent, la grosse question, c’est de savoir si l’Église catholique va changer d’avis sur la contraception et être plus ouverte.
Les gens voient de plus en plus différemment le mariage. Le but principal n’est plus la procréation mais le plaisir, ni l’indissolubilité mais le droit à l’erreur et une importance accordée d’abord aux désirs sur le champ. Ils accusent l’Eglise catholique d’avoir pendant longtemps inventé et propagé une vision négative du sexe, d’avoir été contre le plaisir, etc par exemple en accusant saint Augustin. Et cela même si Michel Foucault dans son livre Histoire de la sexualité montrera que toutes ces contraintes sociales existaient déjà dans l’Antiquité chez les païens bien avant la naissance et l’avènement du christianisme dans l’Occident.
La position de l’Église catholique a toujours été l’interdiction de la contraception (artificielle) et l’existence de deux buts du sexe : le principal qui est la procréation et le second qui l’accompagne, le plaisir, le rapport d’amour au sein du couple. Bien sûr, l’Église a précisé au fur et à mesure du contexte de l’histoire son avis. On notera aussi (note personnelle) que c’est aussi la position des Protestants jusqu’à très récemment. L’Église condamne aussi la contraception pour l’idéologie qu’elle transporte avec, un matérialisme qui met tout le bonheur dans les biens terrestres.
Letaspis, un jésuite écrit un livre détaillé contre la contraception intitulé La limitation des naissances où il assimile la société progressiste de son temps (qui est d’ailleurs toujours la nôtre, maintenant en pire) non pas au succès de la Renaissance qui promeut la maîtrise de la nature par la science, mais à un retour à Babylone-Babel, la ville maudite de l’Ancien Testament. La contraception gomme toute différence entre le sexe du couple hétérosexuel et les autres activités sexuelles illicites comme l’homosexualité, c’est ça le problème. Elle centre aussi tout sur le plaisir, c’est un humanisme qui promeut l’hédonisme.
Pour contrer cette offensive catholique, les progressistes vont jouer sur la peur des gens : le risque grave d’une surpopulation, si on fait trop d’enfants, il y aura trop de gens à nourrir car plus assez de nourriture. Il faut donc contrôler les naissances : c’est une nouvelle forme de malthusianisme (Malthus qui voulait limiter les naissances). Ils répandent aussi cette idéologie dans les pays du tiers-monde. L’Église catholique par Pie XII condamna clairement cet argument comme une manière pour les peuples riches d’opprimer les plus pauvres, les empêcher de développer et pour ne pas avoir à partager leurs richesses. Cela révéla les contradictions flagrantes des progressistes.
Lestapis commença à avoir une position plus modérée ou au moins à parler bien plus timidement que dans son livre sur les plateaux télés. Ce qui lui valut des condamnations et de l’indignation à la fois de la part des autres responsables catholiques et des fidèles. Avec toute cette pression à la fois des fidèles et du clergé influencé par eux et chargé de remonter leurs plaintes et leurs inquiétudes, l’Église doit donner un avis clair et surtout accepter de s’adapter à son temps.
Cela donna lieu à une longue réflexion de l’Église pour se prononcer à nouveau sur ce sujet. De nombreux responsables plaidèrent très largement pour un changement d’éthique dans l’Église, avec les arguments classiques des progressistes. Malgré les arguments et l’avis très libéral de la commission pontificale, Paul VI fut très influencé par Jean Paul II (aussi aidé par Jacques Maritain qui répondit aux contestataires) et sous cette influence, se prononça explicitement contre l’avortement dans son encyclique Humanae vitae. Cela choqua bien sûr l’opinion publique et déçut une partie du clergé. D’autres le saluent comme un prophète, pour son courage. Ce n’est pas vraiment une victoire de l’Église sur la modernité car les croyants vont quand même finir par adopter la contraception en masse.
En France, on assiste à une sorte de « rébellion » du clergé : faute de pouvoir contester explicitement la position officielle, ils se rabattent sur un argument qui minimise implicitement sa portée. Rejeter la contraception et la procréation, c’est l’idéal (bien sûr bon) à atteindre. Mais en pratique pratique, au vu des circonstances actuelles qui rendent très difficile son application, chacun peut agir selon ce que lui dicte sa conscience. En gros, il est donc possible de faire (certes malheureusement) le mal (rejeter la finalité de la procréation par la contraception) pour qu’il en arrive du bien (renforcer le lien conjugal et l’amour de son couple). Mais cela est une position très bizarre qui contredit aussi – remarque personnelle – clairement l’énoncé de Paul en Romains 3 :
Et pourquoi ne ferions-nous pas le mal afin qu’il en arrive du bien comme quelques uns qui nous calomnient prétendent que nous le disons ? La condamnation de ces gens est juste.
Romains 3,8.
Chapitre 7 : Prises de corps
Ce chapitre décrit l’avancée de la contraception dans la politique et dans la société françaises. François Mitterrand, fait sa première campagne en partie sur ce thème-là : abroger la loi de 1920 (qui sur le papier interdit la contraception) pour libérer les femmes. Les communistes trahissent leur engagement de renverser cette loi et font volte face. Ils défendent une politique de natalité car ils voient la contraception comme une manière pour la bourgeoisie d’opprimer le prolétariat en l’empêchant de faire de nombreux enfants de peur d’être submergés et vaincus en nombre par lui. À l’inverse, les catholiques en France se libéralisent malgré la position officielle de l’Eglise de Jean Paul II qui condamne pourtant sans ambiguïté la contraception sur la base de la loi naturelle comme les chrétiens l’ont toujours fait.
À l’époque, la bataille politique donc n’est pas du tout gagnée d’avance. De Gaulle défend vigoureusement une politique nataliste et peut particulièrement compter sur son premier ministre Michel Debré, un homme plein d’éloquence et convaincant. Malgré cette opposition initiale, les gaullistes finissent par accepter une première loi en faveur de la contraception, la loi Neuwirth qui doit son nom au sénateur Lucien Neuwirth. Elle l’autorise alors qu’elle était interdite jusqu’à maintenant mais l’encadre avec des limites strictes : supervision d’un médecin avec un carnet pour noter toutes les prises, nécessité de l’accord parental pour les moins de 21 ans, pas de remboursement par la sécurité sociale etc. Ce qui rend possible ce vote positif sur ce sujet pourtant controversé, c’est que les députés n’ont pas procédé à un vote nominatif où on sait quel nom a voté pour, contre ou s’est abstenu mais par un vote anonyme. Le grand argument, c’est que la contraception permettrait d’empêcher le gros crime de l’avortement : si on empêche des naissances non désirées, il n’y a rien qu’on a besoin d’avorter. La loi Neuwirth, c’est aussi un changement majeur : c’est désormais la femme et non plus son mari qui contrôle elle-même sa fécondité, qui prend les rênes. Comme « limite » importante, il est censé y avoir un rapport annuel par le gouvernement sur les résultats liés à la loi Neuwirth, mais dans les faits il aura fallu attendre beaucoup de temps pour n’avoir que le premier rapport. Suite à cela, les gaullistes se retrouvèrent grâce aux élections législatives en grand nombre au Parlement et purent mener une opposition face à cette loi. Mais les gouvernements successifs (Valérie Giscard d’Estaing, Jacques Chirac) font chacun de la contraception quelque chose de plus en plus normal dans la vie quotidienne. La contraception finit par être remboursée par la sécu : une première car c’est le premier traitement qui ne soigne pas une maladie remboursé par l’État. Georges Pompidou par contre ne souhaitait pas revenir sur la loi de 1920.
Le premier principal moyen de contraception fut la pilule qui modifie le cycle menstruel de la femme pour éviter une grossesse non désirée. On vante tous ses mérites, son efficacité : juste une pilule pour se libérer. Grâce à elle, fini l’oppression de la femme par son mari, elle peut avoir des règles plus courtes, avoir une carrière, etc.
Mais on découvre ses effets secondaires graves et le dérèglement radical du cycle menstruel qu’elle entraîne. Malgré cela, les médias et les médecins continuent leur propagande en relativisant ces dangers (« le risque est en-dessous du bénéfice sous le respect de certaines conditions ») et avec la technique habituelle de traiter les opposants d’obscurantistes, d’anti-science et d’être réfractaires au progrès. Elle ne marche pas tant que ça car seulement une femme sur cinq prend la pilule et surtout les femmes des milieux aisés, peu de femmes des catégories populaires. Non pas parce que ces dernières sont moins éduquées et donc moins intelligentes (ce que rabâchent les pro-contraception de l’époque) mais parce qu’elles gardent leur instinct. Finalement, même des médecins au début favorables finissent par reconnaître ses effets dangereux.
On alerte aussi (beaucoup de féministes inclus) sur le fait que la pilule dénature la femme, gomme son identité en perturbant son cycle. C’est aussi ironique car pour éviter les effets secondaires douloureux de la grossesse, on se retrouve avec de nouvelles douleurs similaires avec la pilule.
Les féministes (le Mouvement pour la libération des femmes, MLF) se rendirent compte que c’était une arnaque car une nouvelle forme d’oppression des femmes. Comme le contrôle des naissances par la contraception passe maintenant du contrôle par le mari à celui par le médecin, il y a une nouvelle oppression, celle par les médecins. C’est pour cette raison que même le Planning familial opéra une réforme en démettant de leurs fonctions Pierre Simon et le conseil de médecins qu’il y préside (majoritairement composé d’hommes).
Le stérilet en tant qu’objet étranger dans une partie intime de la femme ne passe pas beaucoup mieux.
… à la société abortive
Chapitre 8 : Histoires d’A
De nombreuses célébrités (dont des acteurs) signent un manifeste pour réclamer la légalisation de l’avortement. Ils ne sont pas punis même s’ils peuvent l’être en théorie par la loi.
À l’époque, l’avortement est encore considéré comme le meurtre d’un innocent. C’est justement pour l’éviter qu’on prétendait que la loi Neuwirth est nécessaire, pour éviter les avortements clandestins. Mais dans les faits, autoriser la contraception pour éviter l’avortement ne marche pas du tout. Il y a de nombreux contre-exemples comme le Japon et des pays de l’Union soviétique (exemple de la Yougoslavie) où le nombre d’avortements est corrélé au nombre d’utilisations dans le même tendance. Ou pire comme en Yougoslavie où le taux de contraception chute et le taux d’avortement augmente drastiquement.
Pour améliorer leur argumentation, les partisans de la contraception ont gonflé le nombre annuel d’avortements (tous illégaux en théorie par la loi de 1920) par an ( million puis 850 000 soi-disant) en avoisinant le nombre de naissances annuel (850 000). Cela permet de montrer que l’avortement clandestin est un sujet important car concernant beaucoup de femmes qui le font du coup dans de mauvaises conditions. Tous ces chiffres ont été démentis par les statistiques officielles, et pourtant ils sont utilisés à tort lors des débats politiques, notamment lors de la discussion de la loi de Simone Veil.
La stratégie pour faire passer l’avortement est de victimiser les femmes qui étaient malheureuses car il était interdit. Cela passa par des témoignages écrits (des femmes qui approuvent l’avortement, une femme qui s’est suicidé car on lui a refusé l’avortement comme interdit l’époque), puis par des interviews oraux dans les médias et même par des films au cinéma. On assiste aussi à un fameux procès à Bobigny où une femme victime d’un viol est condamnée pour avoir avorté. Comment rester insensible devant toutes ces histoires tristes et ces victimes innocentes ? De cette façon, cela permet aux pro-avortement de taxer tous les opposants de méchants insensibles sans pitié.
La stratégie vise aussi à révéler une prétendue maltraitance des femmes des classes populaires car elles n’ont pas comme les femmes riches la chance d’avorter dans des conditions saines. Ce qui est totalement décalé car elles sont peu nombreuses (elles qui ont souvent plus d’enfants que les riches) en réalité à avorter. Il y a une sorte de mépris envers elles car elles font trop d’enfants. On pointe du doigt leur maltraitance car on dit qu’elles sont comme des esclaves qui sont forcées de produire toujours plus de nouveaux esclaves.
Peu à peu, les progressistes testent à quel point ils peuvent franchir les interdictions de la loi sans être punis. Ils partagent en particulier un film, Histoires d’A qui présente en écran les différentes étapes d’un avortement par aspiration. François Mitterand assiste lui-même à une projection au Sénat, salle Pierre Mendès-France. Presque aucune de ces infractions à la loi de 1920 n’est punie. Cela reflète la complicité et/ou la faiblesse des dirigeants.
Chapitre 9 : Une loi révolutionnaire de compromis
Le débat fait rage dans le pays. Les féministes interrompent des conférences de anti avortement comme Jérôme Lejeune, un généticien. Les anti-avortement diffusent à l’Assemblée des enregistrements de fœtus pour prouver qu’ils sont déjà vivants.
On assiste à une suite de compromis de la droite gaulliste qui est déchirée entre conservateurs et « moins conservateurs ». Ils finissent eux-mêmes par être à l’origine de la loi légalisant l’avortement. Ils autorisent l’avortement seulement sous certaines conditions précises :
- Danger grave physique ou psychique pour la mère ;
- Malformation grave de l’enfant (trisomie par exemple) ;
- Grossesse due à un viol ou à un inceste.
La vie dans la mort. L’argument des progressistes cette fois-ci est d’invoquer la pitié des gens en montrant que la vie des enfants à problèmes psychologiques comme les enfants trisomiques est malheureuse et qu’il vaut mieux leur épargner leurs souffrances par une mort précoce. Beaucoup de gens connus défendent cette cause, par exemple Jean-Paul Sartre. On diffuse encore une fois des témoignages pour mettre l’accent sur les émotions au détriment de la raison.
Tout ceci n’est en réalité rien d’autre qu’une forme d’eugénisme, sur le principe exactement la même chose que celui sous-jacent des nazis qui tuaient les handicapés mentaux car ils les estimaient être des hommes inférieurs. On retrouve même des paroles assez ressemblantes. Le médecin Jérôme Lejeune sera le principal représentant des anti-avortement, il use à la fois de réponses rationnelles et de formules parlantes. Par exemple, il dénonce la « blanchisation » de l’avortement par l’acronyme IVG pour faire oublier que dans les faits, c’est l’action de tuer un être humain en remplaçant son sens original, « Interruption volontaire de grossesse » par « Interruption de vie gênante ». Il convainc les députés gaullistes venus le consulter de ne pas se laisser désabuser car les nouvelles lois ne visent pas seulement la protection de la mère mais autorisent un massacre des bébés malformés. Ils rejetteront donc le loi du ministre de la Justice, Jean Taittinger malgré l’influence des féministes et le débauchage de Valéry Giscard d’Estaing.
Valéry Giscard d’Estaing choisit Simone Veil comme ministre de la santé dans le gouvernement de Jacques Chirac (à l’époque premier ministre) avec pour premier but d’accomplir une de ses promesses lors de sa campagne : la légalisation de l’avortement. C’est un très bon choix car elle est juive et donc immunisée contre les critiques des catholiques pétainistes, c’est une figure « modérée » qui contraste avec les extrémistes féministes et de l’extrême gauche, et elle est une figure importante dans les mouvements féministes, a des contacts étroits avec différents responsables et donc une influence importante sur les médias et donc sur l’opinion publique. Elle a des engagements concrets depuis longtemps dans la politique, par exemple elle est intervenue dans l’administration pénitentiaire pour permettre éviter la peine de mort à d’anciens combattants algériens du FLN et pour les faire considérer plutôt comme des prisonniers de guerre.
Du côté des députés, il n’y a pas de problème. Veil peut compter sur le soutien de toute l’aile gauche, de la gauche à l’extrême gauche. Il ne lui reste qu’à récupérer quelques voix du centre et de la droite.
L’opposition de l’Église catholique à l’avortement est un obstacle important, même malgré le clergé plutôt progressiste de la France. Veil a permis de le surmonter, et y a réussi. Premièrement grâce à son statut de juive comme expliqué avant et deuxièmement par son dialogue avec l’Église, qui donne son feu vert en échange d’une clause de conscience pour permettre aux soignants de refuser de commettre un avortement. Un évêque connu va jusqu’à donner une conférence à la Grande Loge de France chez les francs-maçons où il est très bien accueilli, et l’Église ne se prononce contre la loi sur l’avortement qu’après sa promulgation.
Le débat porte beaucoup aussi sur le statut du fœtus : est-il une personne ou juste seulement un amas de cellules, etc. ? On rencontre la diffusion de la doctrine de « l’humanisation » du fœtus qui devient petit à petit réellement un être humain graduellement sans qu’il n’y ait de passage discret du statut de non humain à humain. C’est une opinion largement réfutée par la science qui voit le passage discret (en termes mathématiques) de la non-vie à la vie lors de la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde.
Veil réussit par faire passer sa loi grâce à au soutien d’un tiers de la majorité du centre droit, car elle a fait des concessions et fait siennes des paroles auxquelles elle n’adhère pourtant pas du tout. Par exemple : elle a abandonné le remboursement de l’avortement par la Sécurité sociale pour souligner la gravité de l’acte, il y a une semaine de réflexion avant le passage à l’acte, une rencontre avec un médecin pour l’avertir des effets secondaires indésirables à la fois physiques et psychiques, et dissuader la femme, des signaux rhétoriques comme au début du texte de loi une reconnaissance que la vie est sacrée dès son commencement (même s’il n’est pas marqué à quel moment se situe ce commencement, ce qui laisse un flou). Enfin, la loi est votée ad experimentum, c’est-à-dire au titre purement expérimental pour cinq ans, après quoi on étudiera ses conséquences en fonction desquelles on la validera ou l’annulera.
Elle ne cède par contre pas sur l’idée que c’est la femme seule qui a le dernier mot sur son avortement, sans demander le consentement du mari. C’est une véritable révolution : c’est l’étape finale du transfert du pouvoir de contrôle de la fécondité de l’homme vers la femme après la contraception (« pré-abortive » si l’on décrit l’avortement comme une contraception post-natale), la première étape.
En réalité, toutes ces limites autour de la loi seront soit annulées par de futures lois, soit en pratique très peu ou jamais appliquées (délai de réflexion, tentative de dissuasion par un soignant, avertissement des effets secondaires, etc.).
Chapitre 10 : La peste blanche (sur la chute drastique du nombre annuel de naissances en France)
Ce chapitre explique la chute drastique de la natalité (nombre de naissances) en France en recherchant ses différentes causes.
Il y avait jusqu’à récemment (milieu des années soixante) un consensus sur l’importance d’une politique de natalité efficace, tous bords politiques confondus : gaullistes, communistes, démocrates-chrétiens, etc. Même lorsque Simone Veil présente sa loi sur l’avortement et essaye de convaincre les députés bien qu’il ne soit plus aussi partagé qu’avant. C’est ce qui la pousse elle et son gouvernement à persuader les gens que l’avortement n’entraînera pas une baisse de la natalité, car l’avortement public ne fera que remplacer l’avortement clandestin, qui lui, ne faisait rien. Cela se révéla faux. Dans d’autres pays, il y a bien une corrélation entre augmentation du nombre d’avortements et la baisse des naissances, et inversement (en Hongrie par exemple lorsque le gouvernement y mit fin). L’explication logique, c’est que l’avortement pousse à l’individualisme (le plaisir seulement pour soi, pour son couple, délié de la famille avec des enfants et de la nation constituée de citoyens), et donc à vouloir et à faire moins d’enfants.
Dans les parties suivantes, Buisson donne de nombreuses causes à la chute drastique du nombre de naissances.
Premièrement, ce qui vient d’être dit, l’avènement d’une culture d’égoïsme, centrée sur soi et sur le plaisir instantané plutôt que sur le bien de la famille (perpétuer sa lignée) et de la nation (l’enfant comme quelqu’un qui contribuera au bien commun), et donc sur une vision à long terme. La fonction du plaisir du sexe est coupée de sa fonction procréatrice (grâce aux moyens de contraception artificiels, on passe du « glaive » au « missile balistique » en termes d’efficacité), et le plaisir sexuel devient le principal critère d’une « vie réussie ». La contraception permet de n’avoir que des enfants désirés et d’éviter tout enfant non désiré (plus besoin d’en accepter à contre-cœur). Avoir des enfants et en prendre soin pour une femme n’est désormais plus qu’un élément secondaire à côté d’autres buts comme la carrière professionnelle qui eux avant étaient secondaires. Ce qui donne lieu à un malthusianisme (contrôle de la population) bien différent de celui d’avant qui gardait quand même en tête le bien commun.
Deuxièmement, le recul de l’âge de la mort qui pousse les jeunes à penser que la mort est loin devant et qu’ils ont donc encore beaucoup de temps pour profiter de la vie, des plaisirs, etc. Et donc avant de faire des enfants.
Troisièmement, la sécularisation ou « déchristianisation » qui fait que de moins en moins de gens croient à la vie après la mort dans l’au-delà. Par conséquent, il n’y a aucune espérance, pas de but en dehors de cette vie présente, la chose à faire donc, c’est profiter de l’instant présent sans se soucier de l’avenir, et donc non plus du futur même dans cette vie (les générations futures de sa propre famille). Il n’y a donc plus cette vision à long terme qui motive à faire des enfants. On fait donc moins d’enfants.
Quatrièmement, il y a la peur d’un monde surpeuplé, avec une population mondiale trop importante et donc des catastrophes qui s’ensuivent, la famine par manque de nourriture, etc. Ces scénarios catastrophiques sont véhiculés par les médias et la culture populaire comme par des « marchands de peur ». Cela démotive donc les gens à faire des enfants, et les encourage par la suite à utiliser des moyens de contraception, et plus tard l’avortement, qui permettent d’éviter les enfants. Faire un enfant de trop est carrément vu pour certains comme un crime.
On assiste à une première grosse chute de la natalité en 1964-1965. Pour le célèbre historien réformé Pierre Chanu, c’est ce qu’il appelle « la peste blanche » et Buisson le « grand détournement ».
Puis Buisson passe à la thèse du « grand remplacement », souvent taxée de « complotisme » et d’extrémisme de droite. Comme les français font moins d’enfants et qu’ils choisissent d’engager des « mercenaires » (des gens d’autre origine) pour faire les enfants (beaucoup plus qu’ils n’en font désormais) qu’eux préfèrent tuer dans « l’œuf » par l’avortement ou éviter par la contraception, la population française finira par être « remplacée ».
Il montre qu’en réalité, on la trouve pas seulement chez des gens qualifiés d’extrême comme bien sûr Jean-Marie le Pen au Front National mais également chez des gens à l’époque tout à fait respectés. Par exemple chez Alfred Sauvy, conseiller du gouvernement de Pierre Mendès-France, chez Michel Debré encore une fois premier ministre gaulliste et même chez … de Gaulle, en parlant d’une situation hypothétique si on intégrait tous les Algériens !
Petit bilan sur la loi Veil : les mesures préventives ne sont que très peu appliquées et les arguments pour l’avortement démentis par la réalité. Permettant l’égalité de tous, femmes des milieux populaires ouvriers y compris dans l’accès à l’avortement, peu d’entre elles en réalité le pratiquent, ce sont surtout des femmes de la classe moyenne. L’argument que la contraception permet d’éviter l’avortement s’effondre également : l’avortement est pratqiué en masse malgré l’accès facile à la contraception. La contraception n’est donc pas un moyen d’éviter l’avortement, l’avortement est fait souvent dès que la contraception n’a pas marché. Pour éviter les controverses et le chaos, Giscard fait un coup de pression pour accélérer l’application de la loi. Enfin, les pro-avortement disent de ne pas s’inquiéter sur une grosse baisse de la natalité à cause de l’avortement légal, car il ne ferait que remplacer l’avortement clandestin qui ne change pas grand chose. Mais, au contraire, on observe une baisse de la natalité dans la même période que l’adoption de l’avortement tellement le nombre d’avortements légaux est grand. Et ce malgré les paroles floues et ambiguës de Giscard. Veil, qui prétendait accorder de l’importance à la famille, ne proposera aucune loi sur la famille et les propositions des gaullistes seront rejetées : salaire pour les mères d’au moins trois enfants, mise en place d’un service de soutien aux femmes enceintes en difficulté, etc.
Chapitre 11 : Ceci est ton corps
Ici, Buisson raconte la naissance de l’obsession de la société pour le corps, et donc les plaisirs physiques/charnels, et parallèlement l’abandon de tout ce qui est immatériel, de l’âme. Avec leurs conséquences radicales : la naissance de la mode, de la cosmétique pour toutes (maintenant même tous !) et de la chirurgie esthétique.
La société (médias de masse, journaux, célébrités, mannequins) met un fort accent sur le soin du corps, sur l’image de soi, etc. par les moyens de la cosmétique et de la chirurgie esthétique. Dégrader la vision traditionnelle de la femme mère permet de casser les barrières qui l’empêchent de dépenser plein d’argent et de consommer plus. Cela profite évidemment aux entreprises de cosmétique et de la beauté car ils ont maintenant une nouvelle demande infinie et insatiable. Les femmes essayent de ressembler au modèle parfait dépeint dans la pop culture et chez les stars. On a comme une uniformisation, un modèle uniforme que beaucoup essayent de recopier.
Tous les produits cosmétiques et autres ont pourtant des points négatifs, font du mal au corps, etc. Pourtant cela n’empêche pas les femmes de se résigner à y avoir recours, ce qui est ironique car on retrouve une nouvelle forme d’ascèse, d’« auto-flagellation » semblable à celles des mystiques de chrétiens du Moyen Âge à une époque où l’on a peur du moindre effort, de freiner ses désirs.
Les hommes aussi se mettent à la mode et à soigner leur apparence avec des produits, quand ils le font, ils ne sont plus considérés comme des efféminés. La femme non plus n’est plus mal vue pour se rendre plus attirante, pour potentiellement séduire d’autres hommes que son mari. C’est devenu la norme, il n’y a plus de beauté fixe dans la nature, toute femme peut devenir belle. La cosmétique n’est plus seulement réservée et accessible aux femmes aisées mais peu à peu devient moins cher. Soigner son apparence, c’est même une obligation pour les femmes, pour respecter son bien-être et faire plaisir aux autres (en montrant une belle apparence). Les femmes qui ne le font pas sont « des paresseuses ». Tout cela crée une pression sur les femmes et donc un profond malaise chez les pauvres femmes qui se sentent « inférieures » et qui se tuent à la tâche pour améliorer leurs apparences, des symptômes comme l’anorexie.
Des féministes voient en l’avènement de la mode une nouvelle forme d’oppression des femmes par les hommes. Ils se servent de la mode pour culpabiliser les femmes, réduire leur confiance en soi et pour mieux les contrôler. D’autant plus que les entreprises de cosmétique ont souvent pour dirigeants… des hommes.
La chirurgie esthétique est un changement majeur, c’est la première fois qu’on cherche non pas à soigner ou réparer le corps mais à le transformer pour qu’il devienne chose de différent de ce qu’il est naturellement (exemple : changer la forme naturelle de son nez).
Chapitre 12 : Exhibitions ou les aventures du moi-peau
Dans ce chapitre, Buisson raconte les débuts et la normalisation de l’exhibitionnisme, la perte de pudeur dans la société française (les femmes qui mettent en avant et montrent leurs seins, leurs fesses, etc.). Les styles vestimentaires, la mode en général n’est plus le symbole d’une lutte des classes (riches contre pauvres) mais désormais d’une lutte intergénérationnelle où les jeunes veulent se démarquer des vieux, qui se retrouvent vite dépassés par la mode. Ainsi, ce ne sont pas tant les riches qui influencent la mode que la moyenne classe de la bourgeoisie. Les vacances à la plage influencent la mouvance vers l’abandon de la pudeur. La pratique du bronzage de répand, le but est désormais d’être le plus bronzé possible.
Les vêtements sont de plus en plus légers : bikinis , collants qui montrent les formes explicitement, bikinis qui ne couvrent que peu ou plus les seins. Puis place carrément à la nudité. Le tournant se fait entre autres par le film de Raoul Lévy, Et Dieu créa la femme où Juliette Hardy incarnée par Brigitte Bardot est une femme qui enchaîne les compagnons et s’épanouit de cette manière à un moment figure nue sur une plage. La plage est justement le lieu où les femmes peuvent faire ce qu’elles n’osaient pas faire avant pour se montrer aux hommes.
Buisson s’attaque ensuite à l’influence du cinéma : les femmes sont de plus en plus représentées en tenues légères, dos nu, bikini puis tout simplement toutes nues. Les hommes aussi sont peu à peu concernés par le manque de pudeur.
Chapitre 13 : Le corps comme marchandise
Dans ce chapitre, Buisson décrit la naissance et la montée au pouvoir de la pornographie dans la société. La pornographie se diffuse très largement à la fois grâce à la libéralisation des mœurs par le féminisme et les lois favorables à la liberté d’expression des gouvernements, basées sur le libéralisme (accorder une importance fondamentale à la liberté des indivdidus quelque soient la nature de leurs désirs), en particulier celui de Giscard.
On rencontre bien sûr une opposition de la part des catholiques traditionnels comme Jean Royer, qui devient à la fois le meilleur défenseur des conservateurs et le plus méprisé et moqué par les féministes. Il chute en ayant un score très bas (environ 3 %), très loin derrière Giscard d’Estaing, le candidat très libéral. L’ancien maire de Tours a essayé de mener un mouvement de censure de ces films au cinéma, certains le furent effectivement, mais sur le long terme, il n’y a plus du tout de censure, à quelques exceptions près (des films vraiment « trop violents », trop crus).
La pornographie est un paradoxe. C’est à la fois un (soi-disant) symbole de libération pour la femme, car elle a le droit de faire ce qu’elle veut avec son corps, etc., mais aussi une nouvelle forme d’oppression des femmes par les hommes qui les réduisent à des animaux, des corps, de simples bouts de chair pour les soumettre à eux et satisfaire leurs désirs pervers sans limites. On retrouve ces deux pans contradictoires chez les féministes.
Les films de ce type profitent beaucoup au monde du cinéma : ils coûtent très peu d’argent pour être produits que les films d’actions et rapportent beaucoup plus. L’exploitation de la femme par la pornographie permet de rapporter beaucoup de sous.
Bien sûr, les actrices connues du monde de la pornographie sont souvent au profond d’elles bien malheureuses, et reconnaissent qu’on les réduit vraiment seulement à leur corps.
Les politiques sont dans l’hypocrisie, ils publient une loi qui fait payer de l’argent par les réalisateurs de films pornographique mais en même temps ne les censure pas. Cela leur permet de faire semblant d’y mettre des limites. Certains font même la distinction entre la pornographie raffinée, acceptable, et la pornographie crue, bien sûr condamnable.
Ecco Homo Eroticus
Dans cette section, Buisson raconte comment on en est venu en France à considérer le sexe quasiment uniquement comme un objet de consommation qui donne du plaisir. Comment on est devenu en gros obsédé par le plaisir sexuel.
Chapitre 14 : Je t’aime, moi non plus
Buisson évoque l’énorme influence des penseurs et philosophes Wilhelm Reich et Herbert Marcuse sur la vision de la sexualité en France. L’émission radio animée par Ménie Grégoire qui permet à de nombreuses femmes de faire des confidences, de donner des conseils sur la sexualité et les sujets tabous jusqu’alors (orgasme, etc.) connaît un grand succès.
La virginité devient démodée alors qu’elle restait dans les milieux ruraux dans les années 1960 encore une vertu. C’est une des valeurs qui est la plus dure à renverser, mais à l’inverse, on comprend que les hommes puissent avoir des relations avant le mariage pour pouvoir exprimer leurs pulsions. La virginité est considérée comme non importante pour les progressistes car il est important de se connaître à la fois sentimentalement mais aussi physiquement avant de s’engager.
Chapitre 15 : Sexpol ou le désir attrapé par la queue
La libération sexuelle a une ambivalence, deux côtés contradictoires : d’un côté, c’est la liberté de s’affranchir d’anciennes normes pour obtenir du plaisir, et de l’autre, les communistes considèrent qu’il ne faut pas trop s’investir dans le sexe car c’est une activité caractéristique des bourgeois, il faut sacrifier ses plaisirs individuels pour se consacrer au maximum au Parti et à la Nation (cf. Marx, Lénine). On trouve non seulement ces deux directions contradictoires dans le mouvement en général mais aussi chez les mêmes individus.
Buisson rapporte l’histoire « tragique » et inconvenante de Gabrielle Russier, une enseignante très à gauche, mariée et mère de deux jumeaux (dont un appelé Joël) qui est tombée amoureux et entrée dans une relation romantique avec son amant élève Rossi, qu’elle admire par son fort engagement politique à gauche aussi. Ils rencontrent une farouche opposition de la part de ses parents Mario et Marguerite Rossi (également très engagés à gauche) qui l’accusent d’abus sur mineur. Également de la part de Gilles Deleuze, un philosophe pourtant très à gauche.
Chapitre 16 : Le grand dérèglement des sens
Dans ce chapitre, Buisson raconte les débuts de la normalisation de la pédophilie. Un des objectifs liés à la liberté sexuelle, c’est accorder le droit aux enfants et aux adolescents d’avoir les relations sexuelles qu’ils veulent, même avec des adultes s’ils y consentent. La pédophilie n’aurait donc rien de choquant ou de répréhensible dès le moment où le mineur ou même l’enfant est consentent. Pour résumer, le seul critère pour décider si une pratique ou relation sexuelle est bonne ou mauvaise, c’est le consentement.
Plusieurs auteurs auront beaucoup participé à répandre cela. Il y a bien bien sûr encore une Reich qui préconisait de laisser les enfants se développer sexuellement comme ils veulent pour leur permettre de pleinement et véritablement s’épanouir. Il y en a aussi d’autres comme Tony Duvert, René Schérer, Guy Hocquenghem et Gabriel Matzneff.
Chapitre 17 : Le matin des sexologues
Dans ce chapitre, Buisson raconte le début de la mise en place de normes et règles qui dictent ce qu’est une vie sexuelle réussie, et les débuts de la déculpabilisation de la masturbation.
La libération sexuelle dit deux choses contradictoires : on a la liberté de faire les actes sexuels qu’on veut (peu importe qu’ils soient plus hétérosexuels et détournés du but de la procréation) mais il y a des règles, une vie de sexe réussie et plein de recettes payantes pour la réussir (le sexe devient un produit autour duquel tout un marché se met en place, les profiteurs sont les « sexologues »).
C’est pour cela que des féministes ont reconnu la supercherie : on prétend abolir une oppression des normes patriarcales et hétérosexuelles sur le sexe, mais en réalité, on la remplace par une nouvelle forme d’oppression de normativité où on impose la même vision d’une vie de sexe réussie à tous, ceux qui ne la réussissent pas comme le grand récit le prétend sont donc anormaux. Par exemple, il faut absolument que l’orgasme de la femme se fasse en même temps que l’homme, sinon, c’est raté, ce qui culpabilise beaucoup les hommes et accroît le pouvoir et les « prétentions » de la femme. Des féministes se ligueront donc avec les conservateurs pour dénoncer cette oppression.
Nous ne vieillirons pas ensemble (Section sur le mariage, le concubinage, l’adultère et le divorce)
Dans cette section, Buisson raconte comment se sont répandus en France une nouvelle vision du mariage (le mariage comme un lien temporaire qu’on peut rompre dès qu’on n’a plus de sentiments envers l’autre), le concubinage (avoir des relations avant le mariage), l’adultère (plus aussi choquant qu’avant) et le divorce.
Chapitre 18 : Les nouveaux feux de l’amour
Dans ce chapitre, Buisson raconte comment la vision du couple sur le long terme, une relation indissoluble et fidèle jusqu’à la vieillesse malgré toutes les épreuves, avec la petite touche romantique pour la femme d’attendre si nécessaire longtemps jusqu’à rencontrer le prince charmant qui fera son bonheur, a disparu en France. Jusqu’aux années 70, tout le monde partageait cette vision du couple ; pas seulement l’Église catholique dans sa conception du mariage comme un sacrement, mais aussi la société en général, notamment dans la « presse de l’amour » comme le journal hebdomadaire Nous deux qui publiait des histoires d’amour sur le long terme où étaient promues les valeurs traditionnelles de fidélité, de pardon, de sacrifices de soi en particulier de pudeur de douceur et de modestie pour les femmes, de courage pour les hommes etc. Il y avait beaucoup d’éléments de la culture populaire : les contes des frères Grimm et de Charles Perrault (La belle au bois dormant, Cendrillon), des films (même des nouveaux au cinéma).
C’est cette vision des choses que les progressistes et les féministes ont cherché à détruire : même les récits populaires dans les médias « non-religieux » leur sont insupportables. Pour eux, cette vision populaire est une manière pour les hommes de contrôler et de dominer les femmes en les rendant dociles et obéissantes. Leur but est de remplacer ce joug patriarcal par la liberté et le bonheur et plaisir immédiats, c’est la mise en place d’une nouvelle religion séculaire, celle du « couplisme » où tout est centré sur le bonheur sexuel du couple.
Chapitre 19 : Gai, gai, démarions-nous
Dans ce chapitre, Buisson raconte les débuts de la généralisation massive du divorce. Auparavant, il était difficile de divorcer, la seule raison était une faute et les divorcés étaient mal vus. La facilitation du divorce est une promesse de Giscard le libéral en campagne, à la fois pour des raisons idéologiques et électorales. C’est la libéralisation du sexe et la transformation de celui-ci en un bien de consommation qui a fait disparaître le « mariage pour la vie » et l’a remplacé par le mariage temporaire, le mariage seulement pour une période temporaire. Ou alors tout simplement la « cohabitation prémaritale », maintenant appelée concubinage. Le sexe n’a plus de valeur sentimentale mais c’est juste un produit à consommer donc on peut changer comme on veut. Le mariage n’est plus un lien indissoluble comme le montrait la seule possibilité de divorce en cas de faute ; comme on peut divorcer désormais par consentement mutuel, le mariage n’est qu’un contrat qu’on peut annuler à tout moment. Il y a depuis la Révolution française un antagonisme de l’État envers la famille. La famille est vue avec mépris.
Deux facteurs expliquent l’avancée du divorce. Premièrement, il y a une nouvelle conception égalitaire et démocratique de la famille comme épanouissement de chacun de ses individus sans désormais aucune hiérarchie (plus de rôle de dirigeant du père, le traditionnel pater familias). Deuxièmement, il y a l’arrivée en masse du salariat féminin, l’entrée en masse des femmes et mères sur le marché du travail. Cela augmente beaucoup leur indépendance et leur permet donc de divorcer plus facilement car elles sont indépendantes financièrement. La corrélation entre travail féminin et divorce est très bien avérée par les statistiques : il y a beaucoup plus de divorces pour les femmes qui travaillent que pour celles qui ne « travaillent » pas.
L’idée d’un « bon divorce » apparaît : un divorce qui se fait sur la base d’un accord commun et dans la paix, et qui préserve le bien-être des enfants. Ainsi, le divorce n’est plus forcément une chose négative. Une chanson connue a popularisé cette vision où un homme dit qu’il n’en veut plus à son ex et qu’il lui souhaite du bonheur, même de faire un demi-frère à leur fille.
La nouvelle loi sur le divorce de Giscard confiée au garde des sceaux Jean Lecanuet (ancien opposant à de Gaulle) prétend donner divers avantages sans augmenter le nombre de divorces : création désormais de mariages plus « authentiques », fin de l’hypocrisie généralisée, accessibilité du divorce pour les classes populaires et non plus seulement pour la bourgeoisie, etc.
Mais comme d’habitude, ce fut une grosse arnaque : le taux de divortialité double, le nombre de femmes et d’enfants des milieux populaires dans la précarité augmente beaucoup (les législateurs n’avaient dans leurs pensées que les classes moyennes en ascension et la bourgeoisie). C’est la féminisation de la pauvreté. Les mères des milieux populaires qui se retrouvent seules avec leurs enfants en sont réduites soit à avoir un travail de misère pour pouvoir quand même s’occuper simultanément d’eux, soit travaillent beaucoup et ont peu de temps à leur consacrer. C’est une réalité inévitable et indéniable que pourtant les progressistes persisteront à ignorer, alors qu’ils beaucoup plus clairvoyants dès qu’il s’agit de dénoncer les inégalités dans différents milieux sociaux et ethniques.
Comme le père pourvoyeur disparaît de la famille, c’est l’État qui prend sa place en tant qu’« État-papa » avec ses aides d’État (par exemple l’allocation de parent isolé, API). Finalement, les progressistes ont réalisé une nouvelle arnaque : ils ne veulent pas du patriarcat sous domination du père dans le foyer, mais ils l’ont remplacé par le patriarcat de l’État. Même si la domination est plus éloignée, elle est toujours là.
Chapitre 20 : Un monde délié
Dans ce dernier chapitre, Buisson finit sur la « désocialisation » en France en général, il n’y a plus de beaucoup liens entre les citoyens et de contacts entre chacun comme avant. Et ce même au sein de la famille.
Il y a un phénomène de désocialisation en France comme on peut le voir avec la création d’espaces impersonnels comme les HLM, les barres d’immeubles, les centres commerciaux à la place des épiceries conviviales et des brasseries, etc.
Il y avait auparavant un consensus entre tous les partis politiques, même communistes sur le bien fondé d’une politique nataliste. Pour les gauchistes, c’est ce qui permet de faire rayonner l’universalisme de la France dans le monde entier. Mais bien sûr, ce n’est plus le cas. Je rajouterai à titre personnel que même la droite ne parle quasiment plus de natalité.
Le seul gain en matière d’autonomie pour les femmes, et plus généralement pour les opprimés avec la révolution sexuelle, c’est juste changer de domination et de maître : on passe du patriarcat ou de la famille à l’État (« l’État-papa ») qui dispense les nombreux chèques, et les nombreuses subventions et allocations.
Il y a une détérioration des relations familiales qui dépassent l’échelle de la famille nucléaire. Dans la famille élargie (les grands-parents, les oncles et tantes, les cousins et cousines, les neveux et nièces, etc.), chaque famille nucléaire (père, mère et leurs enfants) n’a plus vraiment de relations et d’activités avec les autres familles nucléaires ou seulement à de rares occasions. Il demeure cependant quand même des liens forts dans les milieux populaires.
Pour finir, il y a un mépris des personnes âgées (les seniors) : on les envoie désormais en maison de retraite au lieu de s’occuper d’eux, parfois sous prétexte hypocrite de les contaminer si on tombe malade. Les jeunes couples n’ont maintenant plus envie comme avant de vivre avec leurs parents sous prétexte de disputes et de conflits inévitables.
Chant funèbre pour une génération maudite
Dans ce chant qui s’apparente, je trouve, aux complaintes du prophète Jérémie, Buisson résume tout ce qu’il a écrit. J’en profite pour conclure avec un long extrait mais qui résume très bien la thèse de son livre. Que toutes ces lois censées donner beaucoup plus de liberté aux femmes (la loi Neuwirth pour le droit à la contraception, la loi Veil pour le droit à l’avortement, la loi Giscard d’Estaing pour le droit au divorce pour des raisons autre que l’infidélité, les lois sur le travail des femmes en tant que salariés) tout en réduisant la domination sur elles des hommes, ont en réalité donné beaucoup plus de pouvoir aux hommes pour maltraiter les femmes :
Longtemps, il a été entendu que la révolution sexuelle, en bousculant toutes les lignes et en inversant les valeurs à partir des années soixante, n’avait fait que des heureux. Les bénéfices si apparents pour les hommes suffirent à évacuer tout débat sur ce qu’il avait pu en coûter aux femmes. Et si les grandes lois émancipatrices n’avaient été qu’un marché de dupes, marquant à la fois l’abolition du patriarcat et l’avènement de la phallocratie ? Et si les femmes avaient été les grandes perdantes de la dérégulation des mœurs et de l’introduction de la logique libérale dans la sphère privée ? Et si l’histoire du premier féminisme et de ses conquêtes ne devait finalement avoir pour épigraphe que l’explicit fameux de La Force de l’âge de Simone de Beauvoir : « Je mesure avec stupeur à quel point j’ai été flouée » ? La dénonciation hystérique, chez les néo-féministes, d’un fétiche appelé « patriarcat », responsable de tous les crimes, qui tient la place qui était autrefois celle du « capital » dans le discours des gauchistes, inhibe toute réflexion et les empêche de s’apercevoir quelle protection ledit patriarcat a longtemps représenté pour les femmes. Car enfin, que signifiait la loi Neuwirth sinon le renoncement des hommes à exercer tout contrôle sur la fécondité en échange d’une disponibilité permanente, totale et sans risque du corps féminin au désir des mâles ? Pas de mariage et pas d’enfant, faire l’amour sans jamais faire connaissance, s’accoupler en esquivant la mise en couple, consommer le plus grand nombre de femmes sans devoir en assumer l’entretien économique et sentimental, les assigner dans l’horizontalité du sexe rendu infécond, tels avaient été, au cours des siècles, les constants mots d’ordre de la phallocratie quand le patriarcat enjoignanit aux hommes d’endosser leur responsabilité, de ne pas chercher à échapper à leurs « devoirs » et, en cas d’« accident », de réparer leur « faute » par le mariage, vieil idéal régulateur des rapports entre les sexes. Ce ne fut donc pas l’abolition de leurs privilèges de mâles que votèrent les législateurs, mais bien la consolidation de ceux-ci. Ils y gagnèrent une sorte de droit de cuissage permanent enfin exonéré d’une fidélité encombrante et d’une paternité menaçante en même temps que la couronne civique, les lauriers que l’histoire accorde aux émancipateurs, aux bienfaiteurs de l’humanité souffrante.
Dans l’euphorie de la victoire, la presse progressiste expliqua aux femmes qu’elles étaient, au contraire, les grandes gagnantes puisque la loi leur offrait, grâce aux nouvelles technologies contraceptives, la possibilité d’aligner leur sexualité sur celles des hommes et la faculté de jouir sans entraves en les libérant des angoisses d’une maternité non souhaitée. En réalité, la dérégulation qui s’ensuivit eut pour résultat d’ouvrir la voie à l’exploitation sexuelle massive des femmes et à un effondrement du prix social du coït avec le déclin du mariage au profit de l’union libre. Loin de l’Eldorado promis au « deuxième sexe », la pilule, en augmentant l’offre sexuelle tout en en diminuant les coûts, fit évoluer le marché de l’accouplement dans un sens très favorable aux intérêts masculins. La consommation de la femme à travers la libération sexuelle et inversement, selon la formule de Baudrillard, la consommation de la libération sexuelle à travers la femme entraînèrent la chute des amours durables.
pp. 481-482.
Illustration : Thomas Couture, Les Romains de la décadence, huile sur toile, 1847 (Paris, musée d’Orsay).
- Décadanse : De l’Homo œconomicus à l’Homo eroticus, Paris : Albin Michel, 528 pp., 2023.[↩]
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