Mauvaises notions sur la volonté de Dieu — Turretin (3.16)
24 octobre 2022

Est-il juste de distinguer entre volonté antécédente et conséquente, efficace et inefficace, conditionnelle et absolue ? Nous le nions.

Dans la question précédente, nous avons vu une petite liste de distinctions scolastiques utiles pour traiter de la volonté de Dieu. Dans cette question, on voit les distinctions scolastiques que Turretin rejette.

Volonté antécédente/conséquente

À l’époque de Turretin, ce couple était utilisé de la façon suivante :

  • La volonté antécédente, c’est ce que Dieu veut avant (ante) l’action humaine. Dieu veut donner une terre à Israël.
  • La volonté conséquente, c’est ce que Dieu veut après l’action humaine1. Suite à l’apostasie d’Israël, Dieu veut leur retirer leur terre.

C’était très pratique pour les remontrants/arminiens, parce qu’ils pouvaient dire qu’on ne pouvait pas résister à la volonté conséquente de Dieu, mais qu’on pouvait résister à sa volonté antécédente. On ne peut pas résister à la volonté de Dieu de damner les endurcis, car c’est sa volonté conséquente à leur endurcissement. Mais on peut résister à sa volonté antécédente de sauver tous les hommes. Très pratique pour les remontrants.

Turretin argumente contre cette distinction:

  1. Elle rend la volonté de Dieu contradictoire. Dieu n’est pas un homme comme ce capitaine qui, de façon antécédente veut garder toute sa cargaison, mais en conséquence d’une tempête est prêt à la jeter pour sauver sa vie. Il n’est pas comme ce père qui veut que son fils obéisse tout en voulant le punir s’il ne veut pas obéir. Dieu est tout-puissant pour faire obéir le fils, ou calmer la tempête, ou disposer toutes choses selon sa volonté. Dès lors, affirmer qu’il existe en lui une volonté antécédente qui va dans un sens et une volonté conséquente qui va dans l’autre est juste affirmer une contradiction.
  2. Non seulement elle lui retire sa toute-puissance, mais elle lui retire aussi son immuabilité, puisqu’elle présuppose que Dieu veut ceci, puis change d’avis devant la réponse humaine et veut cela.
  3. Cela fait de Dieu un pauvre mortel dont les plans sont contrecarrés par la créature, et qui doit monter ou préparer un plan B.
  4. Cela fait dépendre Dieu de l’homme, puisque sa volonté conséquente dépend de la réponse humaine.
  5. L’Évangile affirme que ce n’est pas tout le monde, mais seulement les élus qui sont sauvés, et l’on perd l’assurance du salut, puisqu’il dépend de l’homme.

Réponse aux objections

§11 : Il est écrit en 1 Samuel 13,13-14 : Samuel dit à Saül : Tu as agi en insensé, tu n’as pas observé le commandement que l’Éternel, ton Dieu, t’avait donné. L’Éternel aurait affermi pour toujours ton règne sur Israël ; et maintenant ton règne ne durera point. L’Éternel s’est choisi un homme selon son cœur, et l’Éternel l’a destiné à être le chef de son peuple, parce que tu n’as pas observé ce que l’Éternel t’avait commandé. Nous voyons ici une volonté antécédente: celle d’affermir le règne de Saül, et une volonté conséquente: suite à sa désobéissance, il est déposé et remplacé.
Réponse : Non, le verset 13 ne désigne pas une volonté antécédente, car comment aurait-il pu vouloir de toute éternité affermir le trône de Saül alors qu’il savait très bien qu’il désobéirait ? En réalité, Samuel ne dit rien d’autre que la cause de la chute de Saül est son péché. 1 Samuel 13,13-14 ne dit pas que Dieu a changé d’avis sur Saül, mais que la chute de Saül est due à son péché.

§12 : Il est écrit en Matthieu 23,37 : combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! La volonté antécédente de Jésus est de rassembler les juifs, mais on peut y résister.
Réponse : Jésus ne s’adresse pas à tout le peuple, mais aux cadres et élites de Jérusalem, qui font obstacle à son ministère. D’ailleurs, il n’est pas dit que Jésus a manqué son but, mais uniquement que les élites de Jérusalem se sont opposés à lui vous ne l’avez pas voulu. Enfin, on a parlé à la question précédente de la distinction entre volonté décrétive et volonté préceptive. Matthieu 23,37 n’est pas un exemple de volonté antécédente, mais de volonté préceptive.

Volonté efficace/inefficace

Turretin dit qu’il pourrait tolérer un tel vocabulaire, s’il se confond avec le couple volonté décrétive/préceptive, car on l’a vu : la volonté de précepte n’a pas de “décret d’exécution”en un sens, c’est la simple déclaration de ce qu’il est bon pour l’homme de faire.

Mais ce n’était pas ainsi que l’utilisaient les remontrants : ils disaient réellement que Dieu suspendait l’efficacité de certaines de ses volontés, les rendant inefficace, afin d’y insérer l’efficacité autonome des actions humaines.

Turretin argumente ainsi :

  1. L’Écriture prouve que la volonté de Dieu s’accomplit toujours. Je dis : mes arrêts subsisteront, et j’exécuterai toute ma volonté. Ésaïe 46,10 ; qui est-ce qui résiste à sa volonté ? Romains 9,19.
  2. On ne peut pas attribuer à Dieu de volonté inefficace sans dire qu’il est ignorant (comme s’il ne savait pas que telle chose aller arriver) ou impotent (il n’est pas capable d’agir efficacement). Si l’on dit qu’une chose ne se réalise pas parce que tel était son bon plaisir, alors pourquoi inventer une “volonté inefficace” ?
  3. Les mêmes arguments que contre la distinction antécédente / conséquente s’appliquent aussi.

§18 : Il est écrit: Ce que je désire, est-ce que le méchant meure ? dit le Seigneur, l’Éternel. N’est-ce pas qu’il change de conduite et qu’il vive ? Ézéchiel 18,23. C’est donc qu’il y a des volontés de Dieu inefficaces.
Réponse : Le mot hébreu derrière désir désigne plutôt “avoir plaisir en”, la complaisance. Dieu ne ressent pas de plaisir dans la destruction d’une créature, mais dans l’accomplissement de sa justice. C’est pourquoi il dit que sa volonté préceptive est la repentance des pécheurs.

Volonté absolue / conditionnelle

Dans l’idée, une volonté absolue est une volonté sans conditions. Une volonté conditionnelle est une volonté avec une condition (si tu crois en Dieu alors tu es sauvé). L’idée n’est pas forcément mauvaise si on applique la conditionnalité uniquement à la volonté de précepte. Mais elle est dangereuse lorsque, comme le font les remontrants / arminiens, elle est appliquée à la volonté de décret. Elle revient à dire que dans les plans de Dieu, il y a des conditions qui peuvent être activées par les humains.

Soit la volonté conditionnelle: “Si Judas a la foi, alors Dieu le sauve.” Plusieurs options sont possibles :

  • Il est certain que dans le futur, Judas croira. Dans ce cas ce n’est pas une volonté conditionnelle, mais absolue puisque la condition elle-même est absolument certaine.
  • Il est certain que dans le futur, Judas ne croira pas. Cela revient à dire que Dieu veut quelque chose qu’il ne veut pas. C’est la marque d’un fou, et non d’un sage. Bref, dans un cas comme dans l’autre, il n’y a pas de volonté conditionnelle à proprement parler.

Cela ne veut pas dire que Dieu n’utilise jamais de condition dans ses commandements, mais il faut comprendre la nature de cette condition correctement :

  • Elle peut être a priori et antécédente. Cela veut dire que l’exécution d’une promesse est liée à l’exécution de la condition. Ce sens là est bon. Quand Dieu veut sauver, cela inclut nécessairement la condition pour le salut.
  • La condition peut être a posteriori et conséquente. Cela veut dire qu’on peut vouloir la proposition, mais que la condition est située après, et donc peut ne pas être activée. Dieu veut sauver, mais la condition pour être sauvé n’est pas activée encore.
  1. Conséquent signifiant littéralement “qui suit”[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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