Une défense exégétique de la Loi Naturelle (2/5) : l'Ancien Testament
16 juillet 2019

Nous poursuivons notre traduction de la série « An exegetical case for natural law » d’Andrew Fulford publiée sur The Calvinist International avec le deuxième article. Vous pouvez retrouver l’ensemble des articles de cette série ici.


Dans mon article d’introduction, j’ai tenté de définir les concepts que je chercherai à soutenir exégétiquement. Les trois hypothèses que j’ai entrepris de prouver sont :

  • (N1) il existe un ordre objectif de l’univers du type décrit ci-dessus ;
  • (N2) cet ordre est objectivement visible, présent pour être observé, que l’on porte ou non les lunettes de l’Écriture ;
  • (N3) au moins certaines personnes non régénérées perçoivent cet ordre.

Preuves issues des Écritures hébraïques

La richesse des preuves de la loi naturelle dans les Écritures est trop importante pour que je sois en mesure de les répertorier exhaustivement, du moins dans un laps de temps relativement court. Ce qui suit n’est qu’un petit échantillon de ce que j’aurais pu présenter, et ce ne sont même pas nécessairement les preuves les plus solides. Cet échantillon est toutefois représentatif et, d’ici la fin de l’étude, j’espère que les lecteurs seront eux-mêmes en mesure de repérer facilement d’autres preuves.1

Genèse

Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. A la fin du septième jour, il se reposa, après avoir déclaré son œuvre bonne. Nous voyons ici la première proclamation de la doctrine de la loi naturelle. Quand Dieu a regardé son œuvre achevée, il a dit qu’elle était bonne (Gen 1:31). Tout ce qui détruirait ou corromprait cet ordre créé, selon la logique, serait mauvais ou mal. 2 Cela signifie que le monde créé est objectivement bon, et la doctrine de C.S. Lewis de la « valeur objective » est enseignée dans Genèse 1.

Genèse 2 nous fournit une autre preuve à notre hypothèse. Dieu a vu Adam seul, et a dit que cela n’était « pas bon » (Gen 2:18). Que pourrait signifier cette affirmation ? Sûrement quelque chose comme : « Étant donné la nature d’Adam, étant donné les propriétés intrinsèques qu’il possède, le fait qu’il reste sans une femme-complémentaire lui nuira ». Dieu a évalué ce qu’Adam était, et a jugé qu’il n’était pas dans une bonne situation. La forme masculine d’Adam était intrinsèquement dirigée vers une compagne qui lui manquait et dont il avait besoin pour son épanouissement.

Ainsi déjà, après les deux premiers chapitres de la Bible, nous voyons l’affirmation d’un ordre objectif (N1), une loi naturelle.

Exode

Bockmuehl3 mentionne le cas de Jéthro dans Exode 18. « Ce que tu fais n’est pas bien… car la chose est au-dessus de tes forces, tu ne pourras pas y suffire seul. » (vs. 17-18). Nous avons ici un exemple de quelqu’un en dehors de l’assemblée visible du peuple de Dieu (bien qu’il s’agisse très probablement d’un craignant Dieu), qui offre la sagesse au législateur de Dieu lui-même, Moïse. De toute évidence, la suggestion de Jéthro n’était pas tirée de la Torah, sinon il n’aurait pas eu besoin de la donner. Mais il est tout aussi évident que ses conseils sont fondés sur le bon sens. Moïse avait besoin de déléguer et de répartir le travail ; son temps et son énergie ne pouvaient tout simplement pas faire face à la charge de travail, et il était certainement capable de déléguer. Jéthro a perçu le problème et la solution là où aucune loi divine explicite n’a abordé la question. Bien sûr, on pourrait dire que le conseil de Jéthro découle par extension d’un principe mosaïque plus fondamental, mais il est tout aussi évident que ce conseil relève du bon sens. Il est certainement très crédule de suggérer que seul quelqu’un qui a lu la loi de Moïse pourrait faire une telle suggestion. Et pourtant, Moïse en a manifestement profité, et il a ainsi accompli la loi naturelle, qui oriente les gens vers leur propre bien. Cet exemple est donc conforme à N1, et suggère probablement N2. Si Jéthro n’était pas régénéré, cela prouve N3.

Deutéronome

Collins souligne 4 Deutéronome 4:6, où Dieu dit à Moïse :

 Voici, je vous ai enseigné des lois et des ordonnances, comme l’Eternel, mon Dieu, me l’a commandé, afin que vous les mettiez en pratique dans le pays dont vous allez prendre possession. Vous les observerez et vous les mettrez en pratique; car ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples, qui entendront parler de toutes ces lois et qui diront: Cette grande nation est un peuple absolument sage et intelligent!

(Deutéronome 4:5-6)

Si Israël garde la loi, Dieu affirme que les nations concluront que c’est un peuple sage et intelligent. Quelle est la logique de cette promesse ? Il faut que les nations regardent et voient comment le respect de cette loi mène à l’épanouissement, au bien de l’homme. Mais cela suppose plusieurs choses. Premièrement, cette promesse suppose qu’il y a un bien humain objectif. L’affirmation contraire serait que le bien est ce que la loi dit qu’il est, et rien de plus. Mais alors, la déclaration des païens ne signifierait rien de plus : « C’est une nation qui vit selon ses lois. » Évidemment, c’est absurde. Il doit plutôt supposer, deuxièmement, que les païens savent ce qu’est l’épanouissement humain, et qu’ils peuvent constater que le fait d’obéir à la loi de Dieu y conduit. Cela prouve certainement N1, quoi qu’il en soit.  Il pourrait même prouver N3, à moins que nous ne supposions que seuls les Gentils régénérés tirent cette conclusion de leurs observations.

Ésaïe

Bockmuehl souligne la polémique contre l’absurdité de l’idolâtrie dans Ésaïe. Au chapitre 44, on trouve une description de la folie de cette pratique. Le verset 19 est un bon résumé :

19 Il ne rentre pas en lui-même,
Et il n’a ni l’intelligence, ni le bon sens de dire:
J’en ai brûlé une moitié au feu,
J’ai cuit du pain sur les charbons,
J’ai rôti de la viande et je l’ai mangée;
Et avec le reste je ferais une abomination!
Je me prosternerais devant un morceau de bois!

Au premier abord, il peut sembler que ce verset contredit N3, mais ce n’est pas forcément le cas. Romains 1 seul suggère qu’il peut y avoir simultanément une sorte de connaissance et de non-connaissance (comme nous le verrons lorsque nous arriverons à ce texte), ou du moins une connaissance précédant l’ignorance coupable, et la même situation est sans doute présente ici. Ésaïe fait une observation sur le comportement païen : il est clair qu’ils ne voient pas, d’une certaine manière, la folie de ce qu’ils font, sinon ils cesseraient de le faire. Pourtant, c’est encore de la folie, une action qui défie la réalité, ce qui prouve au minimum N1. De plus, le fait que Ésaïe ne le décrit pas comme une simple ignorance, mais plutôt comme une illusion, prouve N2 : les simples faits de la nature du bois et de la divinité prouvent qu’ils ne peuvent être identiques. Ce n’est pas une vérité que l’on ne peut connaître qu’au moyen de témoignages historiques sur les événements de l’Exode, par exemple. C’est plutôt quelque chose d’évident à première vue. Le ton de la dérision tout au long du texte semble également impliquer N3, de même, que bien que les païens soient aveugles dans un sens, ils le sont en étant coupables. Ils ont ignoré la réalité et, pour cette raison, ont cessé de la voir à un certain niveau.

Jérémie et Amos

Jérémie, selon Bockmuehl, 6 établit un parallèle entre ce que nous appelons la loi naturelle et la révélation spéciale de l’Écriture :

Même la cigogne connaît dans les cieux sa saison;
La tourterelle, l’hirondelle et la grue
Observent le temps de leur arrivée;
Mais mon peuple ne connaît pas la loi de l’Eternel. (Jérémie 8:7)

Les lois que suivent les animaux inférieurs sont des lois naturelles, et nous avons donc ici un témoin de N1, bien que dans ce cas, le prophète ne souligne pas l’aspect éthique de l’ordre naturel.

Bockmuehl note7 un passage similaire dans Amos 6:12 :

Est-ce que les chevaux courent sur un rocher,
Est-ce qu’on y laboure avec des bœufs,
Pour que vous ayez changé la droiture en poison,
Et le fruit de la justice en absinthe?

Dans ce cas, l’analogie du labour fournit un exemple de déduction éthique à partir de l’ordre naturel : un sol rocheux est d’une telle nature qu’il serait insensé d’essayer d’y labourer, lorsque de meilleures terres sont disponibles. Le non-sens, bien sûr, est une autre façon de parler de la folie, c’est le nom que la Bible donne aux actions qui tentent de défier l’ordre bon et sage intrinsèque à la création. Et perdre son temps et son énergie dans une telle entreprise agricole serait certainement un exemple de folie. Donc, cette brève analogie suppose au moins N1 et N2. De plus, l’analogie présente dans le texte suppose probablement qu’une personne non régénérée pourrait voir la folie d’un tel acte.  Le parallèle immédiat est un acte si stupide qu’un cheval a le sens de ne pas le faire ; de toute évidence, ce n’est pas le genre de comportement pour lequel une régénération est nécessaire avant de pouvoir le considérer comme étant stupide.  Ainsi, Amos semble également soutenir N3.

Job

Bockmuehl fait également référence à un exemple important8 de l’éthique de la loi naturelle mise en pratique. Lors du dernier appel, Job dit :

13 Si j’ai méprisé le droit de mon serviteur ou de ma servante Lorsqu’ils étaient en contestation avec moi, 14 Qu’ai-je à faire, quand Dieu se lève ? Qu’ai-je à répondre, quand il châtie ? 15 Celui qui m’a créé dans le ventre de ma mère ne l’a-t-il pas créé ? Le même Dieu ne nous a-t-il pas formés dans le sein maternel ?

(Job 31 :13-15)

Job affirme au moins N1 dans ce cas. Plus précisément, il met en évidence un aspect de l’ordre créé, et attend de ses interlocuteurs qu’ils voient que cet « être » a un « devoir-être » évident qui y est impliqué. La nature humaine commune partagée entre Job et son esclave, qui leur a été donnée par leur Seigneur commun, exige que Job traite son serviteur avec équité. La force de son argumentation telle qu’elle se présente dans le texte dépend entièrement de cette humanité commune observable.

Collins pointe du doigt une partie de la réponse du Seigneur à Job9, utile à nos objectifs visés ici : quand Dieu donne sa réponse à Job, il renvoie l’homme juste aux aspects de l’ordre créé, et attend de lui qu’il en déduise la bonne perspective sur le Créateur à partir de cet ordre. Plus spécifiquement, Dieu dirige Job vers les vastes étendues de son ignorance sur la façon dont le Seigneur gouverne l’univers.  Job comprend le point (Job 40:3-5 ; 42:1-6). Ce texte suppose donc, encore une fois, au moins N1, et un exemple du « paralogisme naturaliste » de Hume, si ce n’est N2 et N3.

Et en effet, plus tôt dans le livre, Job avait déjà tiré cette leçon de la nature. Collins relève une partie de l’argument de Job qui anticipe une perspective des Proverbes, lorsqu’il déclare que la Sagesse se rapporte à l’ordre de la création. Job dit :

20 D’où vient donc la sagesse? Où est la demeure de l’intelligence? 

21 Elle est cachée aux yeux de tout vivant, Elle est cachée aux oiseaux du ciel.

22 Le gouffre et la mort disent: Nous en avons entendu parler.

23 C’est Dieu qui en sait le chemin, C’est lui qui en connaît la demeure;

24 Car il voit jusqu’aux extrémités de la terre, Il aperçoit tout sous les cieux.

25 Quand il régla le poids du vent, Et qu’il fixa la mesure des eaux,

26 Quand il donna des lois à la pluie, Et qu’il traça la route de l’éclair et du tonnerre,

27 Alors il vit la sagesse et la manifesta, Il en posa les fondements et la mit à l’épreuve. 

28 Puis il dit à l’homme: Voici, la crainte du Seigneur, c’est la sagesse; S’éloigner du mal, c’est l’intelligence.

(Job 28 :20-28)

Nous ne pouvons ignorer le lien entre les versets 20-27 et le verset 28. Un commentateur écrit justement:

Après avoir montré Dieu comme étant la Source de la sagesse, l’auteur présente maintenant son application à l’homme. L’homme doit se tourner vers Dieu pour la sagesse. L’homme ne peut y participer que par la connaissance de l’esprit révélé de Dieu. Le reconnaître comme Dieu et vivre dans la sphère de ses préceptes vitaux est une sagesse pour l’homme (Deut 4:5–6; Ps 111:10; Prov 8:4–9; 9:10). 10

Encore une fois, la structure objective de l’univers a des implications éthiques (N1). Le fait que l’homme manque de sagesse, mais que Dieu la possède manifestement (quelque chose qui apparaît comme évident à la lumière de la création), signifie que l’homme doit aller vers Dieu pour cette sagesse. En d’autres termes, la loi naturelle exige le culte du Créateur.

Psaumes

L’endroit évident où trouver la loi naturelle dans les Psaumes est le Psaume 19. Puisque ce texte est l’un des passages centraux de l’Ancien Testament sur ce sujet, je vais le citer dans son intégralité :

Au chef des chantres. Psaume de David. Les cieux racontent la gloire de Dieu, Et l’étendue manifeste l’œuvre de ses mains.

Le jour en instruit un autre jour, La nuit en donne connaissance à une autre nuit.

Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles Dont le son ne soit point entendu:

Leur retentissement parcourt toute la terre, Leurs accents vont aux extrémités du monde, Où il a dressé une tente pour le soleil.

Et le soleil, semblable à un époux qui sort de sa chambre, S’élance dans la carrière avec la joie d’un héros;

Il se lève à une extrémité des cieux, Et achève sa course à l’autre extrémité: Rien ne se dérobe à sa chaleur.

La loi de l’Éternel est parfaite, elle restaure l’âme; Le témoignage de l’Éternel est véritable, il rend sage l’ignorant.

Les ordonnances de l’Éternel sont droites, elles réjouissent le coeur; Les commandements de l’Éternel sont purs, ils éclairent les yeux.

La crainte de l’Éternel est pure, elle subsiste à toujours; Les jugements de l’Éternel sont vrais, ils sont tous justes.

10 Ils sont plus précieux que l’or, que beaucoup d’or fin; Ils sont plus doux que le miel, que celui qui coule des rayons.

11 Ton serviteur aussi en reçoit instruction; Pour qui les observe la récompense est grande.

12 Qui connaît ses égarements? Pardonne-moi ceux que j’ignore.

13 Préserve aussi ton serviteur des orgueilleux; Qu’ils ne dominent point sur moi! Alors je serai intègre, innocent de grands péchés.

14 Reçois favorablement les paroles de ma bouche Et les sentiments de mon coeur, O Éternel, mon rocher et mon libérateur! 

Beaucoup de commentateurs ont noté le parallèle entre les versets 1-6 et 7-14, mais je tiens à souligner le lien de ce texte à la fois entre Genèse 1 et la loi naturelle. Dans les versets 1-6, nous sommes en admiration devant la bonté des cieux. Ceux-ci, tandis qu’ils se tiennent debout, déclarent la gloire de leur Créateur. Au commencement, après que Dieu ait créé les étoiles et le soleil, et leur ait confié leurs fonctions permanentes, il conclut que cela était bon (Gen 1:18). David est d’accord ici : quand le soleil (représentant du ciel entier, sans doute) parcourt son circuit quotidien, il obéit avec joie à sa loi, rédigée par le Créateur (Ps 19:5). Les cieux font ce pour quoi ils ont été faits, et voilà ce que cela signifie pour eux de s’épanouir, et ils sont donc « heureux ».

La seconde partie du psaume ramène le lecteur au domaine humain, et en substance, dit : les êtres humains s’épanouissent également lorsqu’ils vivent de la manière dont ils ont toujours été destinés à vivre. Et ce chemin leur est tracé par la Torah.

Mais attention : s’il n’y avait pas de bonté humaine objective, un fait qui existait en même temps que la Torah, et non simplement réduit à elle, les déclarations des versets 7-8 n’auraient pas de sens. Ils ne feraient qu’énoncer des tautologies : « La loi du Seigneur est parfaite, rendant l’âme conforme à la loi du Seigneur. » Mais le psalmiste signifie bien sûr plus que cela : il veut dire que l’obéissance à la loi écrite de Dieu permet à l’homme de s’épanouir, ce qui est finalement déterminé par la manière dont Dieu a fait les êtres humains.

Ainsi, le Psaume 19 affirme N1. Il affirme aussi, en disant que l’ordre des corps célestes déclare la gloire de Dieu, N2.

Proverbes

Le livre des Proverbes apporte un soutien important à la doctrine chrétienne de la loi naturelle. Il affirme continuellement que le fondement de la sagesse dans la création vient de son Créateur, qui a fondé l’univers avec sagesse (Pr 3:9 ; 8:22-31).11 Cela, comme nous l’avons noté plus haut, élimine toute possibilité d’« autonomie » et d’ « indépendance » de la loi naturelle, et les meilleurs représentants de la tradition, comme Thomas d’Aquin, ont toujours approuvé les Écritures sur ce point.

Pourtant, l’omniprésence de la sagesse dans la création, une présence expliquée par l’usage que le Créateur en fait, signifie que la sagesse parle avec sa propre voix en tous lieux (Pr 8:1-11). La sagesse ne se trouve pas seulement dans la synagogue dans les pages de la Torah ; elle s’élève dans les rues et sur les marchés.12 Ce point est tout aussi important que la dépendance de la loi naturelle vis-à-vis de Dieu. Car nous, chrétiens, nous ne sommes pas des monistes : nous croyons réellement que d’autres êtres que Dieu existent. Par conséquent, nous croyons aussi que la sagesse inhérente à toute créature peut nous parler, tout comme Dieu peut intervenir directement au cours de l’histoire pour nous parler. Cependant, rien de tout cela n’implique que les créatures existent d’une manière ou d’une autre en dehors du soutien divin continu. Au contraire, comme le fait remarquer Thomas d’Aquin, c’est le contraire qui se produit. Leur existence continue n’a pas de sens sans un être nécessaire qui les empêche de sombrer dans l’annihilation.

Collins développe deux concepts fondamentaux de la sagesse proverbiale qui permettent de donner des détails sur ce que les Écritures disent sur l’enseignement de la loi naturelle. Tout d’abord, la sagesse enseigne la « limite ». Autrement dit, elle enseigne que le contrôle de l’humanité sur l’histoire n’est jamais total (p. ex., Prov 27.1).13 Cela exige de l’humilité et un comportement éthique, car les êtres humains ne sont jamais totalement aux commandes (Pr 21:30 ; 19:31 ; 16:1 ; Pr 3:7). 14 Mais deuxièmement, la sagesse enseigne l’« ordre ». L’un des aspects fondamentaux de cet ordre est ce que l’on pourrait appeler la structure « acte et conséquence » de la réalité. Comme le dit Collins, « Il ne fait aucun doute que l’idée que certains actes (ou attitudes) ont des conséquences nécessaires est fondamentale pour la pensée proverbiale depuis les temps les plus anciens ».15 Il y a, comme dirait Francis Schaeffer, une « réalité réelle ». En effet, les proverbes contiennent souvent des observations explicites sur le cours normal de la vie, qui fournissent la raison de leur conseil : par exemple, Prov 27:23-24.16

L’homme sage, dans les Proverbes, est celui qui acquiert la sagesse par l’observation. L’insensé, par contre, est l’homme qui ne fait pas cela, mais qui « méprise la sagesse » (Prov. 1,7). Il est important que nous reconnaissions ce fait, car il nous dit quelque chose sur le caractère de la loi naturelle. Je pense qu’il doit être évident que le livre des Proverbes soutient N1 et N2, mais aussi, par sa condamnation de l’insensé, N3. L’insensé n’est pas celui qui reste ignorant de la sagesse parce qu’il est en dehors de l’église visible. C’est plutôt celui qui a refusé d’apprendre ce qu’il aurait pu apprendre en observant le monde, si son cœur n’avait pas été corrompu ni endurci. Le christianisme ne dit pas que l’humanité est condamnée uniquement parce qu’elle défie les lois positives spécialement révélées par Dieu, bien qu’il dise bien entendu que les gens qui ont défié ces lois sont condamnés. Adam, tous les Israélites, tous les chrétiens et tous ceux qui ont entendu leur témoignage ont été dans cette situation. Mais les Proverbes et les Écritures disent aussi que Dieu condamne l’espèce humaine parce que l’humanité a rejeté activement et intentionnellement l’ordre moral qui l’entoure continuellement, et qui « crie dans les rues ».

Ecclésiaste

Un autre texte important pour la présentation biblique de la loi naturelle apparaît dans le livre du Prédicateur, plus spécifiquement dans le célèbre passage de 3:1-8 :

Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux:

un temps pour naître, et un temps pour mourir; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté;

un temps pour tuer, et un temps pour guérir; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir;

un temps pour pleurer, et un temps pour rire; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser;

un temps pour lancer des pierres, et un temps pour ramasser des pierres; un temps pour embrasser, et un temps pour s’éloigner des embrassements;

un temps pour chercher, et un temps pour perdre; un temps pour garder, et un temps pour jeter;

un temps pour déchirer, et un temps pour coudre; un temps pour se taire, et un temps pour parler;

un temps pour aimer, et un temps pour haïr; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix.

Collins fait référence à ce célèbre discours parce qu’il présente les limites des « règles » que nous trouvons dans les proverbes, et qu’il fournit certainement un contexte général pour l’application pratique de ces normes. Comme le dit Collins : « Puisque les proverbes ne sont pas des lois universellement valables, mais admettent des exceptions, leur applicabilité dépend de l’identification du temps opportun. »17 Cependant, il serait erroné d’imaginer qu’il s’agit là d’une restriction ou d’une correction de la pensée de la loi naturelle. L’idée que la loi naturelle confie à la prudence ou au discernement le soin de prendre des décisions particulières a été reconnue tout au long de l’histoire. Pour en revenir à notre défenseur exemplaire, Thomas d’Aquin parle de cet aspect de la loi dans sa discussion sur la loi humaine.

Premièrement, I-II.95.2:

Il faut savoir cependant qu’il y a une double dérivation de la loi naturelle : d’une part, comme des conclusions par rapport aux principes ; d’autre part, comme des déterminations de règles générales. Le premier mode ressemble à celui des sciences, où les conclusions démonstratives se déduisent des principes. Quant au second mode, il ressemble à ce qui se passe dans les arts, quand les modèles communs sont déterminés à une réalisation spéciale ; tel est le cas de l’architecte qui doit préciser la détermination de la forme générale de maison à telle ou telle structure d’habitation. Donc, certaines dispositions légales dérivent des principes généraux de la loi naturelle à titre de conclusions ; ainsi le précepte : « Il ne faut pas tuer » peut dériver comme une conclusion du principe : « Il ne faut pas faire le mal. » Mais certaines dispositions légales dérivent des mêmes principes à titre de détermination ; ainsi la loi de nature prescrit que celui qui commet une faute soit puni ; mais qu’il soit puni de telle peine, est une détermination de la loi de nature.

Deuxièmement, à la question suivante:

C’est pourquoi, en décrivant les caractéristiques de la loi, S. Isidore a posé d’abord trois éléments : « qu’elle soit en harmonie avec la religion », en ce sens qu’elle soit conforme à la loi divine ; « qu’elle s’accorde avec la discipline des mœurs », en ce sens qu’elle soit conforme à la loi de nature ; enfin « qu’elle favorise le salut public », en ce sens qu’elle soit adaptée à l’utilité des hommes.

Toutes les autres conditions qui suivent se ramènent à ces trois chefs. Que la loi humaine doive être honnête, cela revient à dire qu’elle soit en harmonie avec la religion. Si l’on ajoute : qu’elle soit juste, réalisable selon la nature et la coutume du pays, adaptée au temps et au lieu, cela signifie que la loi devra être adaptée à la discipline des mœurs. La discipline humaine, en effet, se définit : 1° par rapport à l’ordre de la raison, et c’est ce qu’on exprime en disant que la loi est juste. – 2° par rapport aux facultés de ceux qui agissent. Car une éducation doit être adaptée à chacun selon sa capacité, en tenant compte également des possibilités de la nature humaine (ainsi ne doit-on pas imposer aux enfants ce qu’on impose à des hommes faits) ; elle doit enfin être adaptée aux usages, car un individu ne peut pas vivre comme un solitaire dans la société, sans se conformer aux mœurs d’autrui. – 3° La discipline doit être en rapport avec telles circonstances données, d’où : la loi sera adaptée au temps et au lieu.

La loi naturelle laisse donc certaines décisions ouvertes à la détermination humaine, et ces jugements sont sagement rendus lorsqu’ils s’accordent avec « le lieu et le temps », comme le dit le Prédicateur. La vraie sagesse ne désire pas seulement des lois positives, mais comprend la nécessité d’une certaine mesure de subjectivité quand il s’agit des détails. 


  1. Les travaux de John J. Collins dans Encounters with Biblical Theology, et de Markus Bockmuehl dans Jewish Law in Gentile Churches, sont très utiles pour étudier le sujet de cette série. Par le passé, j’ai également consulté le livre de James Barr intitulé BiblicalFaith and Natural Theology.
  2. La possibilité de violer cet ordre créé ne contredit pas une vision augustinienne, thomiste ou calviniste de la providence et de la grâce, bien entendu. Le genre de liberté dont jouissent les êtres humains est la liberté de violer ce que les thomistes appellent la volonté antécédente, ou ce que les réformés appellent la volonté révélée, de Dieu, et non sa volonté conséquente ou secrète. La loi naturelle est la révélation de la volonté moralede Dieu, et ce n’est pas une violation de la doctrine d’Augustin, Thomas et Calvin que de dire que cette volonté peut être combattue.
  3. Bockmuehl, Jewish Law in Gentile Churches, 91. 
  4. Collins, Encounters with Biblical Theology, 101-2. 
  5. Bockmuehl, Jewish Law in Gentile Churches, 92. 
  6. Bockmuehl, Jewish Law in Gentile Churches, 92n14. 
  7. Bockmuehl, Jewish Law in Gentile Churches, 92. 
  8. Bockmuehl, Jewish Law in Gentile Churches, 94-95. 
  9. Collins, Encounters with Biblical Theology, 96. 
  10. Elmer B. Smick, “Job” dans ed. Frank E. Gaebelein, The Expositor’s Bible Commentary (Grand Rapids, MI: Zondervan Publishing House, 1988), 977. 
  11. Collins, Encounters with Biblical Theology, 100. 
  12. Le contraste avec les pages de la Torah dans la synagogue est de moi, mais cf. Collins, Encounters with Biblical Theology, 96. 
  13. Collins, Encounters with Biblical Theology, 97. 
  14. Collins, Encounters with Biblical Theology, 97.
  15. Collins, Encounters with Biblical Theology, 99. 
  16. Collins, Encounters with Biblical Theology, 107. 
  17. Collins, Encounters with Biblical Theology, 114. 

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