Il y a 150 ans, à l’issue de la treizième session des débats, les délégués du trentième synode général de l’Église réformée de France, réunis au temple du Saint-Esprit à Paris, après de longs et parfois houleux débats, adoptaient ce qui devenait sa déclaration de foi, sur la base d’un texte du pasteur Charles Bois, professeur d’histoire à la faculté de théologie de Montauban, légèrement amendé au cours de la séance.
Votée à une majorité de 61 votes pour (45 contre, 2 absents au moment du vote), la déclaration de foi situe l’Église réorganisée dans la continuité de l’Église d’avant la Réformation, résume ce que l’Église croit, sans que l’autorité concrète qu’elle aurait dans l’Église (et la manière de discipliner les pasteurs en désaccord) soit bien claire au moment du scrutin. La situation du parti libéral devenait plus difficile ; à partir de 1882, la création de paroisses autonomes dans les grandes villes leur permettra de maintenir leur caractère théologique propre, et la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905 engendrera la création de différentes unions d’Églises.
La déclaration de foi de 1872 reste le texte confessionnel fondamental des Églises protestantes réformées évangéliques (UNEPREF) ; la confession de foi de La Rochelle s’y est ajoutée officiellement lors de leur synode de 1962. Dans les Églises réformées de France (qui forment aujourd’hui l’EPUdF), la déclaration de foi de 1938, rejetée par les réformés évangéliques, s’y est substituée.
« Au moment où elle reprend la suite de ses Synodes interrompus depuis tant d’années, l’Église réformée de France éprouve, avant toutes choses, le besoin de rendre grâces à Dieu et de témoigner son amour à Jésus-Christ, son divin Chef, qui l’a soutenue et consolée durant le cours de ses épreuves.
Elle déclare, par l’organe de ses représentants, qu’elle reste fidèle aux principes de foi et de liberté sur lesquels elle a été fondée.
Avec ses pères et ses martyrs dans la Confession de la Rochelle, avec toutes les Églises de la Réformation dans leurs divers symboles, elle proclame l’autorité souveraine des Saintes Écritures en matière de foi, et le salut par la foi en Jésus-Christ, fils unique de Dieu, mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification.
Elle conserve donc et elle maintient, à la base de son enseignement, de son culte et de sa discipline, les grands faits chrétiens représentés dans ses sacrements, célébrés dans ses solennités religieuses et exprimés dans ses liturgies, notamment dans la Confession des péchés, dans le Symbole des apôtres et dans la liturgie de la Sainte-Cène. »
Le scrutin étant public, il est possible de tirer quelques enseignements de géographie électorale :
Les délégués ayant voté pour étaient issus des consistoires suivants : Alès, Bagnères-de-Bigorre, Besançon, Bergerac, Bolbec (Seine-Maritime), Bordeaux, Boulogne (Pas-de-Calais), Constantine (Algérie), Crest (Drôme), Dieulefit (Drôme), Dijon, Étaules (Charente-Maritime), Frontenay (Jura), Grenoble, Jarnac, La Rochelle, La Tremblade (Charente-Maritime), Lavoulte (Ardèche), Le Cateau (Nord), Le Mas d’Azil (Ariège), Le Vigan, Lille, Marennes (Charente-Maritime), Marseille, Mens (Isère), Montauban, Montcarret (Isère), Montmeyran (Drôme), Nantes, Nieulle (Charente-Maritime), Orléans, Parfondeval (Aisne), Rochefort, Rouen, Sabarat (Ariège), Saint-Quentin (Aisne), Saverdun (Ariège), Toulouse, Valence, Vallon (Ardèche), Verdun-sur-Garonne (Tarn-et-Garonne).
Les délégués ayant voté contre étaient issus des consistoires suivants : Agen, Aujargues (Gard), Bédarieux (Hérault), Castres, Garrigues-Saint-Chaptes (Gard), Lamastre (Ardèche), Libourne (Gironde), Marvejols (Lozère1), Massereau-Sommières (Gard), Meyrueis (Lozère), Mont-de-Marsan, Montpellier, Montredon (Tarn), Nancy, Pont-de-l’Arn (Tarn), Quissac (Gard), Royan (Charente-Maritime), Saint-Affrique (Aveyron), Saint-Maixent (Deux-Sèvres), Saint-Privat-de-Vallongue (Lozère), Saint-Roman-de-Fousque (Lozère), Salies (Pyrénées-Atlantiques), Sénégats (Tarn), Uzès, Vernoux (Ardèche).
Le Havre, Lyon, Nîmes, Paris sont divisés.
L’Ariège, la vallée du Rhône, le Poitou sont donc des régions majoritairement orthodoxes ; le Languedoc (Cévennes comprises) et le Tarn sont plutôt libéraux, mais sans unanimité. À Paris, les libéraux sont en majorité (12 contre 9).
Nous avons publié sur ce site de nombreux discours du synode (tous issus, à l’exception du sermon d’ouverture, du recueil du pasteur Eugène Bersier, Histoire du synode général de l’Église réformée de Paris, 2 tomes, Paris : Sandoz et Fischbacher, 1872), que vous pouvez retrouver ci-dessous en ordre chronologique :
La suite des discussions du Synode porte sur des questions d’organisation et de discipline qui sont moins pertinentes pour aujourd’hui. Nous continuerons à publier certains discours du Synode dans les semaines à venir, mais de manière plus sélective.
Illustration : chœur du temple du Saint-Esprit.
- Situé dans le Gard par erreur par E. Bersier.[↩]
Après avoir été tenus en échec par les orthodoxes au Synode national de l’Église réformée de France en 1872, les libéraux adoptèrent une stratégie nettement érastienne pour parvenir à leurs fins. Ils investirent l’État républicain et utilisèrent l’autorité du glaive étatique pour forcer l’Église réformée – majoritairement orthodoxe – à accepter les libéraux en son sein. Cela, tout en empêchant aux orthodoxes majoritaires de tenir de nouveaux synodes pendant trois décennies (!) :
« Sous la IIIe République, les réformés purent convoquer un synode. Celui-ci adopta une confession de foi orthodoxe, rédigée par Charles Bois (1826-1891). Les libéraux, qui ne pouvaient y souscrire, furent autorisés par le gouvernement à rester dans l’Église. Le gouvernement interdit de nouveaux synodes ; les orthodoxes ne purent donc avoir pendant 30 ans que des synodes officieux, tandis que les libéraux avaient des assemblées générales. »
Source ↑ : Jules-Marcel Nicole, ‹Précis d’histoire de l’Église›, Éditions de l’Institut Biblique, Nogent-sur-Marne, 2005, p. 224 sur 295.
Ainsi, la libéralisation du protestantisme français est largement le fait de jacobins en soutane qui, battus sur le terrain ecclésiastique, instrumentalisèrent l’État pour affaiblir les orthodoxes en leur interdisant de tenir de nouveaux synodes tout en permettant aux libéraux de continuer à contaminer l’Église réformée. Ferdinand Buisson (1841-1932), Directeur de l’Enseignement primaire de 1879 à 1896, Jules Steeg (1836-1898) et Félix Pécaut (1880-1896), tous deux Inspecteurs généraux de l’Éducation nationale, de même que Louis Liard (1846-1917), Directeur de l’Enseignement supérieur de 1884 à 1902, furent les figures de proues de ce revanchisme libéral « protestant ».
Source ↑ : Philippe Nemo, ‹Les Deux Républiques françaises›, Chapitre III : ‹Troisième mythe – 1793 aurait été laïque›, Presses universitaires de France, 2008, 308 p.