L’avis d’un protestant sur Éric Zemmour
11 mars 2022

Éric Zemmour occupe l’espace politique depuis plusieurs semaines maintenant et divise l’opinion des Français. Il y a fort à parier que l’opinion des chrétiens est tout autant divisée à son sujet. Afin de faire comprendre l’objet de cet article et ce qui le motive, j’aimerais proposer en introduction un plaidoyer pour la vision politique que développe notre site.


La politique est plus que la guerre des partis

En exposant la pensée politique calviniste, de Calvin à Althusius en passant par Emer de Vattel, les notions de bien commun chez Thomas d’Aquin, Hooker et Hemmingsen, nous avons plaidé pour une conception de la politique bien plus large que la guerre des partis. La politique, c’est l’art d’organiser les sociétés humaines. À ce titre, la famille, les associations, l’Église, la nation, les municipalités sont, dans la mesure où ce sont des groupes d’êtres humains qui s’organisent, des sociétés politiques.

La guerre des partis aurait bien des raisons de rebuter le chrétien. Mais la politique n’a pas à le faire : on ne peut pas ne pas faire de politique. Dès lors qu’on songe à la façon dont un groupe humain va s’organiser et fonctionner, on entre dans une réflexion politique au sens large. Va-t-on adopter une structure hiérarchique ? D’où vient l’autorité des uns et des autres ? Quels sont leurs devoirs mutuels ? Sans l’ombre d’un doute, Dieu a des choses à dire sur la politique comprise en ce sens. C’est avec cette conception qui se veut globale de la politique que, sur ce site théologique, nous publions sur ces sujets. Et c’est cette approche que je voudrais avoir dans le présent billet.

Nuages et réalisme

On reproche régulièrement aux théologiens d’être dans une haute tour d’ivoire, de vivre dans le monde des idées, d’être éloignés des considérations quotidiennes de leurs contemporains. Cette critique est justifiée quand on considère la méthodologie employée parfois quand il s’agit de réfléchir à des sujets économiques, artistiques, sociologiques ou politiques. En effet, la réflexion, au lieu de commencer par le réel, qui implique de se frotter sérieusement à l’économie, l’art, la sociologie, la politique, commence dans des principes nuageux et cherche ensuite des « applications » au réel.

S’il est approprié de prendre le temps de formuler ses principes en des termes universaux, il est aussi tout à fait pertinent de partir d’une situation bien réelle et concrète et d’en proposer une analyse à l’aide de ces principes. Autrement, on court le risque de parler de tout sauf de la réalité. Ainsi, partir du cas très concret d’une personnalité publique, que l’on prend le temps d’écouter sérieusement, pour ensuite faire l’exercice d’analyser sa pensée, pousse fortement à ne pas rester dans des considérations nuageuses. Au contraire, c’est la brutalité du réel, son caractère polémique, qui vient à notre rencontre et qui nous donne presque envie de retourner dans nos nuages. Mais c’est seulement ainsi que l’on aiguise sa réflexion.

Culture de la censure et culture du débat

Comme je l’évoquais, le réel nous fait aussi courir le risque de la vaine polémique. Et quoi de plus polémique que le cas d’Éric Zemmour, qui semble susciter des réactions passionnées d’adhésion ou de dégoût ? Face à un tel clivage, deux voies sont tentantes pour le chrétien. Elles ont chacune leurs excès et leurs vertus.

La première, que je nomme culture de la censure, consiste à considérer qu’il faut purement et simplement taire ces sujets entre chrétiens. Elle peut être vertueuse lorsqu’il s’agit d’une question qui rentre dans le sujet des chrétiens forts et faibles, pour reprendre le langage de Paul qui nous recommande dans ces situations de ne pas discuter des opinions. L’enjeu ici est l’amour et la préservation de la conscience de l’autre. Ces situations concernent la liberté chrétienne et les questions dites adiaphora. Cette voie peut aussi être vicieuse lorsqu’elle conduit à reproduire dans l’Église la cancel culture de notre époque : ne pas supporter qu’un frère puisse penser telle chose et lui imposer le silence, s’indigner lorsqu’il s’exprime. Cette opinion est-elle donc si importante pour moi que je ne puisse concevoir qu’un frère ait des raisons de penser et de parler différemment ?

La deuxième, que j’ai appelée culture du débat, consiste à considérer qu’une bonne discussion, réfléchie et argumentée, résout mieux une tension que le silence. Elle a de vertueux qu’elle pousse au courage d’aimer assez une autre personne pour lui exprimer dans le calme les raisons du désaccord et d’aimer assez la vérité pour tenter de la faire triompher dans sa propre pensée et celle de son interlocuteur. Elle peut être dévoyée d’une manière que chacun comprendra assez aisément en se souvenant d’un débat ni réfléchi ni dépassionné auquel, je le pense, chacun de nous a déjà pu assister voire participer.

Vous l’aurez compris, je pense qu’il y a lieu, même pour les sujets politiques tendus comme celui-ci, d’entamer une discussion qui se veut raisonnée, aussi dépassionnée que possible, pour l’unité des chrétiens. Le risque, en effet, si le sujet n’est pas abordé de front, est que chacun songe dans son coin « de toute façon, c’est un vilain gaucho » ou « conservateur comme il est, ça ne m’étonnerait pas qu’il vote pour untel… », emportant alors toutes les connotations négatives que l’on associe à tel ou tel opinion. Ce sera un cas d’école pour moi, un défi : aborder un sujet si clivant de manière dépassionnée et de telle sorte que je rendrais service à mes lecteurs.

N’y a-t-il plus un sage pour siéger aux portes ?

L’homme sage des Proverbes est décrit comme siégeant aux portes, c’est-à-dire là où les décisions politiques se prenaient. Il y a tant de mauvais exemples de chrétiens qui ont traité de sujets politiques de manière immature que l’on est désormais tenté, en particulier peut-être lorsqu’on est pasteur, de prendre la voie de la culture de la censure (et de l’autocensure). Malheureusement, cela laisse les chrétiens avec de vraies questions, des questions importantes pour leurs vies et la vie de la nation dont nous devons chercher le bien, sans autre réponse que celles que le monde propose. N’y aurait-il donc plus aucun homme sage parmi le peuple de Dieu pour éclairer les réflexions politiques des autres chrétiens ? Nous savons que ça n’est pas le cas. Donnons donc l’exemple d’un peuple qui sait aborder ces sujets avec plus de maturité.

Ne serait-ce pas cocasse que les pasteurs parlent de tout sauf de ce qui préoccupe les pensées de leurs fidèles les six jours de la semaine ? On pourrait ici blâmer ces croyants, en leur rappelant qu’ils devraient penser à autre chose. Mais le chrétien « spirituel » n’est pas le chrétien « désincarné ». La vie conduite par l’Esprit se vit aussi dans nos achats, nos études, notre travail… Oui, il est normal que la politique préoccupe les croyants et il serait bien dommage que la sagesse chrétienne n’ait rien à proposer pour les aiguiller.

Je ne prétends pas être cet homme sage. J’entreprends simplement de proposer un lieu où ce débat peut avoir lieu, entre chrétiens, éclairé des réflexions politiques, philosophiques et théologiques millénaires du christianisme. Je vous prie de bien vouloir me lire dans cet esprit, sans scandale superflu, et je suis sincèrement intéressé de poursuivre la conversation dans la section commentaire de cet article. Vous l’aurez aussi compris, je l’espère, le but de cet article n’est pas de donner une consigne de vote, de choisir une voie partisane particulière ou de classer le bon chrétien dans un camp plutôt qu’un autre.

Pourquoi Zemmour ?

Vous l’aurez compris en lisant ce qui précède, s’il s’agit d’aborder un sujet particulièrement clivant dans l’Église pour le dépassionner, parler d’un candidat clivant dans le contexte clivant d’une élection est particulièrement indiqué. Mais d’autres considérations conduisent à ce choix. Premièrement, Zemmour est probablement le candidat en lice qui a produit le plus de contenu susceptible d’une analyse à la lumière du christianisme. Que ce soit ses essais, conférences, romans, livres historiques et maintenant propositions politiques, la quantité et l’étendue des sujets abordés sont importantes. Deuxièmement, la nature des réflexions qu’il porte concerne des sujets d’un intérêt particulier pour le chrétien de notre époque. La masculinité et la féminité, pour ne prendre qu’un exemple, est un sujet où la pensée chrétienne traditionnelle est mise à rude épreuve par les évolutions culturelles du monde occidental. Troisièmement, c’est le candidat qui, dans sa rhétorique, se positionne volontairement le plus comme un soutien du christianisme. Il va évoquer le passé chrétien de la France, ses églises, ses traditions catholiques, faire une vidéo à l’occasion de Noël. Enfin, comme nous le verrons dans cet article, c’est le seul candidat à ma connaissance qui nous livre sa compréhension de la Réforme et du protestantisme.

Une dernière remarque : ce qui suit a été écrit en grande partie vers le mois de novembre, alors que monsieur Zemmour n’avait ni parti, ni programme et n’était pas encore officiellement candidat.

Sans plus tarder, voici l’avis critique d’un protestant, le mien, sur Éric Zemmour.


En tant que chrétien réformé confessant (ce qui implique un certain positionnement, éthique notamment), j’ai des instincts plutôt conservateurs en politique. Pour autant, je ne suis pas de près Éric Zemmour depuis très longtemps. Je l’ai découvert récemment sur suggestion d’un ami, j’ai pris le temps d’écouter un bon nombre de ses interventions, de lire son dernier livre et d’en parcourir d’autres. Certes, mes camarades de droite au lycée se passionnaient déjà pour son Suicide français, mais je n’avais alors pas la tête à la politique. Comme beaucoup de jeunes conservateurs je le pense, j’ai découvert Zemmour avec un premier abord plutôt positif : il défend des positions éthiques sur des sujets de société qu’on pensait bannis à jamais, il a une puissance rhétorique et, si ce n’est une érudition, du moins une culture remarquable et appréciable. Dans le climat médiatique d’hostilité aux conceptions chrétiennes traditionnelles d’un grand nombre de sujet, c’est donc l’accord avec Éric Zemmour qui frappe premièrement le conservateur et retient son attention. On est ainsi conduit à l’écouter à nouveau et c’est alors qu’un premier désaccord surgit, puis un deuxième et enfin une bonne dizaine de sérieux désaccords. J’aimerais esquisser la nature de ces convergences et de ces désaccords et proposer des ressources pour approfondir la réflexion.

Style et contenu de son dernier livre

Des anecdotes qui s’étalent de 2006 à 2020, principalement des rencontres avec des journalistes, des politiques mais aussi de brèves lectures sur des faits de société que nous connaissons tous (attentats, victoires sportives, mort de telle personnalité, démission d’une autre, etc.).

Vous n’y retrouverez pas de programme politique. Vous ne retrouverez pas non plus une thèse sur l’état et l’avenir de notre société. Il s’agit plutôt d’une autobiographie politique : comment, moi, journaliste, en suis venu à vouloir être candidat, ou du moins à l’envisager. C’est aussi une histoire de la droite française, du RPR à l’union avec le centre et sa division entre droite populaire du FN et centre-droit de l’UMP.

Les sections sont d’inégale qualité en termes de réflexion et de style. Je trouve le rapport de l’année 2020 particulièrement réussi sur le plan du style.

Zemmour et les femmes

Zemmour critique fortement le féminisme. Il dresse dans ses diverses interventions une analyse réfléchie du phénomène et pose de bons constats. Mais ensuite, lorsqu’il s’agit de proposer une alternative, Zemmour n’a en tête que le mythe de Don Juan. Il admire l’homme de pouvoir à femmes comme un homme « fort ». On le voit dans son analyse des affaires Dominique Strauss-Kahn et Tariq Ramadan, et dans son admiration pour certains de nos Don Juan nationaux.

Je crains que la jeunesse conservatrice soit en perte de repères et puisse être séduite par diverses idéologies qui pourraient lui donner à nouveau une vision prétendument solide pour la masculinité, mais qui sont de faux-semblants. Ainsi, certains semblent s’éprendre de l’homme fort de Nietzsche et en faire une lecture anti-féministe. Zemmour semble aduler un Don Juan napoléonien : l’homme de pouvoir, l’homme à femmes. D’autres sont épris d’un stoïcisme à la Jordan Peterson (et c’est probablement le plus vertueux des trois).

Une fois qu’on a dit cela, il nous reste encore à répondre à ces idéologies. Le De natura boni de saint Augustin répond convenablement aux stoïciens. Pour le mythe de Don Juan, il suffit de méditer quelques minutes pour se rendre compte de sa profonde faiblesse. Quoi de plus facile, une fois le pouvoir atteint, que d’être un homme à femmes ? Quelle force de caractère y a-t-il à céder aux passions auxquelles on a la capacité de se livrer ? L’homme à femmes n’est en rien plus fort que l’homme qui s’enfile trois pizzas parce qu’il le veut et le peut. L’homme à femmes est actif sexuellement, mais il ne vaut pas mieux que l’homme castré qu’il dénonce. Et il y a fort à parier que l’un se changerait en l’autre simplement selon qu’il possède le pouvoir ou non. Bonaparte était vierge avant d’être empereur. C’est donc bien uniquement parce qu’il était puissant qu’il était séducteur. Quelle serait la vraie force, une force étonnante pour un homme ? Ce serait que, pouvant obtenir ce qu’il désire, il maîtrise ses passions pour atteindre un bien supérieur. C’est la soumission des passions à la raison qui témoigne d’une vraie force de caractère, et la soumission de sa raison à Dieu qui témoigne d’une vraie sagesse. C’est celui qui, à petite échelle, ne va pas manger ces trois pizzas parce que sa raison lui indique qu’il y a mieux à faire. C’est encore celui qui, pouvant obtenir un grand nombre de femmes, reste fidèle à la sienne (où l’on comprend que certains qui sont fidèles n’en sont pas pour autant vertueux : l’occasion d’être infidèle ne s’est tout simplement pas présentée).

Mon premier angle d’attaque sur la pensée d’Éric Zemmour concernerait donc sa conception de la masculinité qui, sous des apparences de force, révèle en fait une profonde faiblesse. Ici, c’est la réflexion entamée par saint Augustin sur l’ordre de la charité et reprise par Thomas d’Aquin qui guide mon propos. J’ai suggéré par ailleurs dix pistes de réflexion chrétienne sur la masculinité.

Et tout cela nous mène à Sarah Knafo et à mon prochain point…

Zemmour et la morale

Zemmour est un homme à femmes. Il ne s’en cache pas. Oui, il est marié et père de trois enfants. Oui, peut-être que son épouse et lui sont complices. Mais, tout le monde le sait maintenant (depuis la une de Paris Match), il n’est pas fidèle, pas plus qu’une bonne partie de notre classe politique et que nos précédents présidents.

Un article de Marianne affirme que seuls ceux qui ne connaissent pas les idées de Zemmour sur la masculinité s’en étonneront. C’est exact. L’article poursuit en affirmant que seuls quelques coincés en seront gênés. C’est scandaleux.

On veut détourner la honte de l’infidèle sur ceux qui sont dérangés par l’infidélité. Après tout, c’est sa vie privée… Ces gens oublient que l’âme humaine n’est pas segmentée de manière imperméable et que ses habitus (ses vertus et ses vices) sont des plis, des habitudes qui imprègnent tout le caractère. Ainsi, un homme qui ne sait pas diriger sa maison, dans la Bible, ne peut pas être pasteur et diriger la maison de Dieu. Je suggère que ce ne sont pas les coincés, mais les gens réfléchis qui devraient être déçus de son infidélité. Elle dénote un homme qui manque de maîtrise, de constance, de vertu. C’est l’éthique des vertus que porte la tradition chrétienne qui guide ma réflexion ici. Richard Baxter disait à ce sujet :

Un homme vil pourrait être un bon tailleur ou cordonnier ou charpentier ou marin, parce qu’aucune vertu morale n’est nécessaire à la bonne réalisation de son art. Mais un homme vil ne saurait être un bon magistrat ou ministre ou mari ou parent, car une grande dose de vertu est nécessaire pour ces devoirs.

Richard Baxter, The Godly Home, Crossway, 2010, p. 45 (traduction personnelle).

Zemmour et l’Histoire

« Un juif français doit pleurer plus amèrement sur la défaite de Napoléon à Waterloo que sur la destruction du Temple », aime à répéter Zemmour. Au-delà du rapport à la religion et à la laïcité que dénote cette citation, j’aimerais surtout la prendre pour illustration de son rapport à l’histoire. Cela me rappelle cette citation de Marc Bloch, qu’il affectionne également : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. »

Ces citations supposent qu’on doit approuver ou s’unir à la politique napoléonienne. Qu’on doit approuver la Révolution et sa fête de la Fédération. Zemmour semble avoir une approche de ce genre avec l’histoire de France jusqu’à la Seconde Guerre mondiale : tout ce qu’a fait la France doit être loué, admiré, adulé. J’imagine bien qu’il a une lecture plus conservatrice de la Révolution. Et il sait bien que Jacques Bainville, qu’il admire, n’appréciait pas tant que ça Napoléon. Peut-être qu’il ne donne là qu’un bel exemple pour l’illustration. Mais cette considération que, parce que la France l’a fait, on ne peut pas y porter un jugement négatif, ressort de plusieurs de ses interventions.

Oh, bien entendu, c’est infiniment moins grave que la tendance actuelle à mépriser tout ce qui a été fait hier, à brûler les livres et déboulonner les statues de ceux qui ont eu le malheur, il y a un, deux ou cinq siècles de ne pas anticiper les folies de notre temps et de ne pas y adhérer. Mais il n’est pas nécessaire d’adopter en réaction l’attitude inverse.

Du reste, des historiens s’opposent à la version que Zemmour donne de certains événements, d’autres le soutiennent. C’est un débat qui dépasse le profane. Rappelons simplement que nous sommes biberonnés à une vision progressiste et libérale du monde, qui tord l’histoire des religions, des femmes, des races, des peuples, qui redessine le présent et nous propose une eschatologie transhumaniste. Dans ce contexte, il me semble que le danger majeur de la perversion historique ne se situe pas du côté de Zemmour. Nous aborderons dans la section sur le protestantisme un problème précis avec sa lecture de l’histoire.

Zemmour, la religion et la laïcité

Dans un entretien accordé au média Livre noir, Zemmour dit que tous les gens sensés savent que la religion doit être confinée à la vie privée car dès lors qu’on se permet de dire « Dieu a dit » dans l’espace public, plus aucun débat rationnel et raisonnable n’est possible. Il a répété cela dans le Face à la rue organisé récemment par CNEWS. En cela, et dans son insistance à penser que la laïcité servira de rempart à l’islam(isme), Zemmour me semble profondément dans l’erreur.

Dans l’erreur premièrement parce que la religion n’est pas irrationnelle ni irraisonnable et qu’une interraction fructueuse entre elle et la politique est possible. Son gout de l’histoire de France aurait dû lui apprendre cela. Deuxièmement, parce qu’on s’illusionne si l’on pense que la laïcité fera rempart à l’islam. Les valeurs de la République ne font plus rêver personne, du moins plus comme on rêvait, dans l’idéal maçonnique de la IIIe République, d’une religion républicaine. D’ailleurs, l’utilisation même du vocabulaire religieux par ces franc-maçons, ou plus récemment par Vincent Peillon ou Jean-Luc Mélenchon démontre qu’ils sont conscients, selon le mot d’André Malraux, qu' »une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion. » Platon avait déjà compris cela.

Vincent Peillon, ex-ministre de l’éducation, l’a bien compris aussi. Dans son livre Une religion pour la République(!), publié en 2010 aux éditions Seuil, il ne cachait pas les intentions derrière ses réformes éducatives : « La laïcité française, son ancrage premier dans l’école, est l’effet d’un mouvement entamé en 1789, celui de la recherche permanente, incessante, obstinée de la religion qui pourra réaliser la Révolution comme promesse politique, morale, sociale, spirituelle. Il faut pour cela une religion universelle : ce sera la laïcité. Il lui faut aussi son temple ou son église : ce sera l’école. Enfin, il lui faut son nouveau clergé : ce seront les hussards noirs de la République » (sic.). Et M. Peillon de poursuivre : « Toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l’Église ».

La différence principale entre un Peillon et un Zemmour tient dans ce mot « universelle » qui vient qualifier religion. Zemmour rêve d’une religion nationale.

Ce qu’il faut, c’est un nouveau cœur, et non une nouvelle organisation des relations entre la religion et la sphère publique, quelle qu’elle soit. Ce qu’il faut contrer, ce n’est pas la religion des gens religieux, c’est le péché qui est en eux, comme en tous les hommes, qu’ils soient religieux ou irréligieux. Ce qu’il faut donc c’est la propagation de l’Évangile dans notre société, l’acceptation du règne du Christ par des personnes qui ne sont pas encore chrétiennes, et une compréhension approfondie des implications pratiques du règne du Christ sur nos vies par celles qui le sont déjà. L’Évangile : voilà ce qui seul peut faire barrage à l’extrémisme religieux.

CHAUNY Pierre-Sovann, La laïcité comme rempart à l’extrêmisme ?

Mais Zemmour, et je prends ça pour une salutaire incohérence, reconnait1 qu’une renaissance française ne peut passer que par une renaissance chrétienne française. Il est donc conscient de ce que dit Malraux, puisqu’il aime le citer. Parallèlement à cela, il critique fortement, et plusieurs vidéos compilent ses critiques, et l’universalisme du pape François (que Mélenchon salue, cf. le discours du pape pour la journée internationale des migrants) et l’Église catholique d’après le concile Vatican II. Il sent donc bien que ce renouveau chrétien ne peut pas, du moins pas aujourd’hui, passer par le catholicisme. Ce serait au contraire destructeur pour la France de suivre la tendance actuelle du pape, de la Curie romaine et des encycliques : Emmanuel Macron le fait très bien lorsqu’il répond à l’appel de Fratelli Tutti (encyclique saluée elle aussi par Mélenchon) et du catéchisme à abolir la peine de mort dans le monde entier. On constate en même temps que la foi réformée en France est dans un état tel qu’elle ne peut pas encore non plus être la matrice de notre civilisation. J’ai donc une vision assez pessimiste de l’avenir de notre histoire sur ce plan fondamental, qui détermine tous les autres.

Zemmour et le protestantisme

Richelieu est un homme admirable. Sur tous les fronts, il semble n’avoir eu aucun autre ennemi que ceux de l’État, du moins c’est ce qu’il disait sur son lit de mort. Oui, dans une telle perspective, on peut comprendre sa politique envers les protestants : ne risquaient-ils pas de former un État dans l’État ? N’allaient-ils pas du côté de notre ennemi héréditaire britannique ? Il y a ici un certain pragmatisme digne de la Catherine de Médicis que Balzac illustre dans ses Deux Rêves. Elle nous dit que si elle avait été anglaise, elle aurait massacré les catholiques comme à la Saint-Barthélémy mais, qu’étant française, il fallait faire cela des protestants, son seul échec étant que, le lendemain, des protestants étaient encore en vie en France.

Ces politiques ne comprennent pas que la religion vaut plus encore que la nation. La gauche ne le comprend pas de l’islam, la droite ne le comprend plus du christianisme et Zemmour ne le comprend pas du protestantisme en particulier. Si la vérité est du côté de la Réforme, alors il est naturel que les réformés aillent jusqu’à troubler l’ordre public pour faire reconnaître cette vérité. Il est aussi naturel qu’ils reçoivent tous les soutiens, y compris ceux des ennemis de la France. N’est-ce pas exactement, en miroir, ce que fit François Ier pour les intérêts de la France ? Alors que les réformés s’unissaient aux protestants anglais contre l’État catholique, notre Valois s’unit aux princes protestants allemands (et même aux Turcs !) contre Charles Quint. Pour François Ier, la nation valait plus que la religion et il était alors prêt à trahir le catholicisme, que dis-je, le christianisme, pour les intérêts de la France. Pour les réformés, Dieu valait plus encore que le roi et ils étaient prêts à trahir un État qui persécutait la vérité pour l’intérêt supérieur (c’est-à-dire éternel) des Français et de la France. La France n’aura pas voulu de la Réforme, elle aura eu la Révolution et désormais tente l’impossible alliage, source de toutes ses querelles internes, entre le vieil héritage royaliste et papiste et l’autre héritage laïque et républicain. Zemmour y croit encore : « Autour de Ferry, les Lavisse, les Vidal de la Blache, et bien d’autres, avaient, eux, réalisé une admirable synthèse entre la monarchie et la république, entre l’Ancien Régime et la Révolution, réunissant les ennemis et les massacres d’hier autour de la nation et du sentiment patriotique. » Ce sentiment ne soutiendra pas longtemps cette alliance entre des principes contraires qui s’endurcissent chacun dans notre pays depuis des siècles. La Catherine de Médicis de Balzac avait raison : le problème de l’Édit de Nantes, c’est qu’il laissait subsister deux principes contraires dans un même État. Tôt ou tard, il serait abrogé. Mon regret est que la Ligue catholique ait obtenu l’abjuration d’Henri IV, notre révolution aurait pu ressembler à l’anglaise et s’achever là.

Il y avait un fondamentalisme protestant qui était très vindicatif, très méprisant, très arrogant qui agressait cette société catholique. Et cette société catholique s’est sentie agressée par ce fondamentalisme, disait Zemmour — et ça justifie les massacres ? demande le journaliste.

Jean-Noël Lafargue2 a bien raison de répliquer que les guerres de religions démarrèrent lorsque le roi concéda aux réformés le droit temporaire de se rassembler. L’édit spécifiait que ce droit devait s’exercer hors de l’enceinte des villes. À Wassy (Champagne), des protestants s’étaient rassemblés dans une grange, laquelle grange se situait dans la ville et non à l’extérieur. Le duc de Guise, qui passait dans le coin avec sa troupe, décida de leur interdire cette réunion. Refus net, les protestants envoient des caillasses, le duc en reçoit une et décide alors de charger : Il y a peut-être eu cent cinquante blessés et cinquante morts (les estimations varient, cependant), y compris des femmes et des enfants. Les protestants survivants seront condamnés pour sédition et verront leurs biens confisqués. Ni le duc de Guise ni ses hommes ne seront inquiétés. Voilà pour la fameuse arrogance vindicative des réformés.

— Ça justifie pas, ça explique, j’essaie de comprendre (…) mais les protestants n’étaient pas en reste, hein, il y a des massacres de catholiques par des protestants, continue Zemmour. »

Indiscutablement, ajoute encore M. Lafargue, les guerres de religion ont tué des deux côtés. Et aussi tué à côté, puisqu’elles ont eu beaucoup de victimes collatérales. Mais il n’y a pas d’équivalent protestant aux massacres de civils : il y a surtout eu des prises militaires de villes. Zemmour oppose démagogiquement « l’élite protestante » au « petit peuple catholique », mais beaucoup de conflits des guerres de religion ont à la fois divisé la plus haute aristocratie (Condé, Guise, Bourbon, Châtillon, Montmorency), et des populations entre elles. Le bilan est surtout un gros gâchis, mais qui a effectivement permis à la papauté (le « petit peuple » ?) de conserver sa mainmise sur la monarchie française et sur le pays entier. La Saint-Barthélémy (24 août 1572) fut une réaction, dans les hautes sphères catholiques, à la politique royale d’apaisement envers les protestants, concrétisée par le mariage entre la sœur du roi, Marguerite de Valois, et le protestant Henri de Navarre (futur Henri IV). Toute la noblesse française, protestante et catholique, était alors à Paris. Le 22 août, un sniper équipé d’une arquebuse tire sur l’amiral de Coligny, protestant populaire qui a de l’influence sur le roi. Coligny est blessé à la main. On débat encore de l’identité des commanditaires de l’attentat… Des protestants accourent pour protéger Coligny mais des amis du duc de Guise finissent par pénétrer chez ce dernier, l’achèvent, l’éviscèrent, l’émasculent, le défenestrent, le traînent puis le pendent. C’est le déclenchement de plusieurs jours de meurtres de protestants par des catholiques, à Paris et dans plusieurs villes de France. Bilan : entre 10 000 et 30 000 morts.

Peut-être Zemmour pensait-il au baron des Adrets, qui n’agissait pas pour la cause d’une religion mais en tant que militaire ; il est d’ailleurs devenu catholique peu après.

Quoi qu’il en soit, opposer petit peuple catholique et élites protestantes, et laisser entendre que les deux ont fait des choses comparables en France (et même ailleurs), c’est absurde. Toute l’Europe a frémi de la Saint-Barthélémy et bien des contemporains ont vu dans la Révolution son jugement. Le roi même qui l’avait permise a été pris de cauchemars jusque sur son lit de mort.

Et Zemmour, qui nous offre cette lecture dans Destin français, pense pouvoir citer Montaigne pour l’appuyer ; il se trouve après recherche que la citation est aprocryphe et que Montaigne n’a jamais soutenu chose pareille.

Mais, à part ces relectures de l’histoire, puis-je reprocher à Zemmour de ne pas voir dans le protestantisme huguenot ce qui aurait pu être une matrice gallicane chrétienne, à la manière des anglicans, quand l’Église protestante unie de France et la Fédération protestante de France, qui prétendent le représenter, n’offrent rien qui ressemble de près ou de loin aux idées des premiers réformés ? Il est naturel qu’un politique ait une lecture purement sociologique des religions.

Zemmour et l’éthique de la vie

Zemmour critique la loi Neuwirth dans Suicide français. Mais le fait-il plus par anti-féminisme que par éthique de la vie ? Propose-t-il une analyse de société ou un jugement moral ? Pour comprendre De Gaulle sur cette loi, je vous renvoie à cet article.

Je note aussi un malaise certain lorsqu’il feint de défendre l’avortement sur le plateau de Ruth Elkrief. Je le soupçonne d’être pro-vie philosophiquement mais de choisir de ne pas en faire un combat dans ce contexte hostile. Des prises de position précédentes vont aussi dans ce sens : En 2010, il affirmait que la loi Veil avait été détournée de son but et en 2020, il dénonçait les propos d’Olivier Veran qui s’inquiétait de la diminution du nombre d’IVG !

Zemmour se prononce régulièrement contre l’intrusion des lobbys LGBT dans les écoles. Nous avions abordé sur ce site la façon dont le Planning familial français faisait l’apologie du polyamour et des autres « progrès » de la théorie du genre.

Il a aussi indiqué vouloir revenir sur l’extension du délai de l’IVG de 12 à 14 semaines récemment promulguée, et sur la PMA sans père, ouverte aux femmes célibataires ou homosexuelles, aussi accordée par le gouvernement Macron. Ce serait la première fois que les lois progressistes connaîtraient un point d’arrêt et un demi-tour en France3.

Droite ou extrême-droite ?

Sur l’immigration et l’économie, Zemmour est de droite. Il reprend parfois mot pour mot le programme du RPR des années 80. Une idée ne peut pas être de droite dans les années 80 et d’extrême-droite de nos jours. Son programme économique (du moins ce qui en ressort de ses interventions) ne ressemble ni de près ni de loin à celui du FN/RN. Il est plutôt éclectique et libéral en économie, ce qui ne ressemble pas à la tradition de l’extrême-droite française. Bien que la France dépasse et précède pour lui la République, il demeure républicain, ce qui n’est pas non plus conforme à ce qu’on appelle proprement l’extrême-droite. Ce débat d’étiquettes a peu d’intérêt en réalité, il participe en fait à toute la rhétorique visant à approuver ou réprouver un candidat par un langage choisi : polémiste, extrême, super / hyper / très à droite, etc. Beaucoup de chaleur, peu de lumière.

Zemmour, L’islam et l’immigration

Les numéros des plaques de voitures de police banalisées sont inscrits sur les murs. Les commerces servent de relais pour les dealers en arrière-boutique. Les drapeaux de l’Algérie et de la Palestine flottent dans la rue. Les passants y entendent des sourates. Les restaurants et boucheries sont tous hallal. Les panneaux publicitaires nous proposent des réductions sur l’agneau pour l’Aïd et des transferts d’argent facilités vers « le bled ». Chaque jour on nous propose de la drogue. On peut mettre une pièce dans l’urne pour la Palestine quand on achète du pain. On entend les mères faire réciter la chahada à leurs petits sur le chemin de l’école. On tente de nous prendre notre portefeuille. On insulte nos enfants parce qu’ils sont blancs. Les enseignes sont en arabe. C’est d’ailleurs la langue majoritairement parlée ici.

Un fantasme de Zemmour ? Non, c’est mon quartier depuis plus d’un an. Ces choses existent. J’ai vu et vécu toutes ces choses. On peut contester diverses mesures de Zemmour. On peut questionner ses chiffres. Mais un constat s’impose pour quiconque veut bien ouvrir les yeux : il existe des quartiers islamisés où la population a été remplacée. Mon quartier était il y a soixante ans un quartier commerçant, abritant le plus grand marché d’Europe, avec ses rues piétonnes… Il me semble problématique que décrire son quartier puisse paraître être un acte partisan. Pourtant, ce sera nécessairement le cas si une partie de la classe politique refuse de nommer cette réalité.

De là à penser qu’il s’agit d’un remplacement à échelle nationale ou continentale et qu’il serait orchestré, c’est autre chose. Les chiffres de l’immigration montrent en effet que l’immigration intra-européenne et non uniquement extra-européenne augmente aussi significativement ces dernières années et que l’émigration des Français augmente aussi de manière constante. Par ailleurs, la part respective des Français et des étrangers dans la natalité s’est considérablement modifiée non seulement en raison de l’immigration mais aussi parce que les Françaises font tout simplement de moins en moins d’enfants.

Il me semble néanmoins que la considération des chiffres ne suffit pas pour évaluer cette question. En effet, il me semble raisonnable de penser que la culture d’origine des migrants et non seulement leur nombre joue un rôle important dans leur intégration potentielle. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’une culture qui a connu 2000 ans d’influence chrétienne soit profondément différente d’une culture qui a connu près de 1500 ans d’influence islamique dans ses arts, ses lois, sa conception de la famille, des sciences, etc. ? Si après seulement quelques années d’expansion du christianisme, l’économie de l’Asie mineure s’en trouvait modifiée, comme en témoigne le livre des Actes qui rapporte que les marchands d’idoles d’Éphèse s’en inquiétaient4, pensons-nous vraiment que des siècles puissent ainsi s’écouler sans conséquence majeure sur tous les domaines d’une civilisation ? Sans considération religieuse, les féministes peuvent-ils vraiment penser, par exemple, qu’une culture où l’on débat encore aujourd’hui à la télévision de la possibilité de battre sa femme vaut une culture comme celle de l’Italie5? Les populations musulmanes n’apostasient pas en traversant les frontières : déracinées, l’islam est leur seul ancrage, leur patrie de substitution. Dans des quartiers comme le mien où l’islam est majoritaire, les conversions de Français à l’islam sont fréquentes. Refuser de nommer l’islam en particulier (et non « les séparatismes » en général) conduit à des lois qui restreignent la liberté de tous les croyants voire de tous les Français (interdiction de l’instruction en famille et plus généralement la loi sur les séparatismes au sujet de laquelle le CNEF a fait part de ses réserves et inquiétudes). C’est à l’occasion du vote de cette loi que, pour ne pas stigmatiser l’islam, le gouvernement Macron a mentionné explicitement les évangéliques comme « un problème très important en France ». Une ministre, pour justifier cette mention, a été jusqu’à prétendre que les évangéliques exigeaient des certificats de virginité. Il me semble donc lucide de considérer que l’islam pose en France des problèmes qui ne sont pas posés de manière égale par les autres religions.

Faut-il en vouloir aux gens qui habitent dans mon quartier ? Je ne pense pas ! On ne peut pas s’étonner qu’ils ne soient pas assimilés si l’on ne tente plus de le faire. D’ailleurs, la majorité est fort sympathique et je m’efforce de les aimer, de les connaître, de vivre avec eux et non en face d’eux, de prier pour eux. Alors que j’écris ces lignes, mon épouse passe le pas de la porte en revenant d’une distribution de biens nécessaires pour les migrants de notre ville. Mais puisqu’ils ont quitté leur pays pour une raison, ne pourrait-on pas leur offrir mieux que de retrouver leur pays en miniature ici ? La France n’aurait-elle rien à leur offrir ? Qu’a-t-elle d’autre à offrir d’ailleurs qu’elle-même, sa culture, son histoire, sa littérature ? De simples prestations sociales associées à des tensions avec les Français qui ne les comprennent pas ? S’il faut aimer et accueillir l’étranger, ne l’aimons pas à moitié en lui offrant un toit. Offrons-lui une patrie à aimer.

J’apprécie tout particulièrement les réflexions du cardinal Sarah au micro d’Europe 1 à ce sujet. Il a vécu personnellement l’immigration lorsqu’il a quitté la Guinée pour venir étudier en France. Il dénonce la culpabilité de ceux qui vendent aux migrants l’Europe comme étant un Eldorado, des passeurs qui alimentent le mensonge et profitent de la naïveté des jeunes pour faire fonctionner leur petit commerce maritime qui coûte chaque année de nombreuses vies, et déplore la perte pour l’Afrique de forces vives, de jeunes qui auraient pu servir leurs pays et leur continent et œuvrer à son développement, mais qui se retrouvent à errer d’une frontière à une autre. Lorsque je m’étais rendu, dans un cadre humanitaire et missionnaire, au camp de migrants de Calais, j’avais pu voir des personnes qui étaient médecins dans leurs pays et qui, ici, gisaient dans la boue. Les migrants ont parfois honte de faire part à leur famille restée en Afrique de leur situation et du mensonge dont ils sont les victimes. Quel bel accueil ! Je ne sais qui pourrait faire ce travail, l’État ou les ONG, mais il faut expliquer aux Africains tentés par l’Europe qu’elle n’est pas ce paradis que certains leur figurent. Je suis méfiant du faux humanisme qui appelle à l’accueil sans avoir de solutions que l’on peut raisonnablement mettre en place immédiatement pour l’intégration. Il conduit à alimenter ces illusions et les ONG se retrouvent finalement à devoir pallier la misère. Souvenons-nous que la gauche de Jules Ferry invoquait aussi des motifs humanistes (le devoir de la France de civiliser le monde) pour justifier une colonisation par la force6.

Affiche de propagande coloniale humaniste : la France (Marianne) apportant la prospérité (voir la corne d’abondance) et l’éducation (voir le livre) au monde.

Pour un examen des données bibliques sur l’accueil de l’étranger, voir cet article.

Quelques données d’intérêt : un sondage Ipsos réalisé en 2017 auprès des évangéliques français relève que 70% d’entre eux pensent qu’il y a trop d’immigrés en France. Un sondage Ifop réalisé en 2012 indique que 61% des évangéliques pensent que l’islam pose des problèmes d’incompatibilité avec la France et qu’en outre 12% pensent que cela « constitue un choc de civilisation ». Seuls les 27% restant pensent que l’islam en France ne pose pas de problèmes insurmontables. Difficile de savoir comment l’opinion des évangéliques a évolué depuis, mais la proportion d’immigrés en France est passée de 9,7% à 10,3% entre 2017 et 2021.

Zemmour candidat

Adolf Hitler ou Jeanne d’Arc ? Vous l’aurez compris, je ne mords ni à la rhétorique qui en fait un diable, ni à celle qui en fait le salut de la France. Si l’on peut partager certains de ses constats, des faiblesses majeures dans son système empêche le protestant que je suis d’adhérer à sa compréhension de la masculinité, de la laïcité et de l’histoire de la Réforme en France. Mais il s’agit ici d’une analyse d’un système intellectuel, pas encore d’un programme politique. En effet, son programme ne comporte pas de mesures qui seraient directement liées à sa conception de la Réforme ou de la masculinité, par exemple. Par ailleurs, un président ne gouverne pas seul et ainsi la personnalité du président a une moindre influence sur la conduite du pays que dans une monarchie absolue. L’adhésion à son programme dépend donc plus significativement de l’appréciation que l’on a de sa pensée sur l’immigration et la laïcité mais aussi l’économie, l’écologie, le pouvoir d’achat, l’agriculture, l’armée, le numérique, l’Europe, les affaires étrangères, l’énergie, la justice, la sécurité, l’éducation et le rôle de l’école, etc.

Cette autre analyse, puisque nous sommes dans une république, revient au citoyen. Les deux ne sont toutefois pas déconnectés et j’espère que les réflexions que je propose sur son système de pensée aideront nos lecteurs à faire une critique plus avisée, loin des discours passionnés, du programme qu’il soumet aux Français. C’est avant tout par la lecture des programmes que j’encouragerais chaque chrétien et chaque citoyen à commencer son évaluation. C’est une approche plus intelligente que celle des polémiques incessantes que les journaux font et défont, cherchant le sensationnel plus que l’honnêteté intellectuelle. Le format adopté par l’équipe de campagne de Zemmour permet de consulter aisément les parties qui nous intéressent.


Illustration en couverture : Jean-Louis-Ernest Meissonier, 1814, la Campagne de France, huile sur toile 1864 (musée d’Orsay, Paris).

  1. Voir ce passage de sa conférence de 2021 à Toulon.[]
  2. Enseignant à l’université de Paris VIII.[]
  3. La Floride vient de diminuer le délai légal de l’IVG de 24 à 15 semaines.[]
  4. Actes 19.[]
  5. Je prends l’Italie comme exemple car l’immigration italienne a été la plus grosse vague d’immigration en France.[]
  6. Elle s’opposait alors à la droite, à l’extrême-droite et à l’extrême-gauche de Clémenceau.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

4 Commentaires

  1. Razana

    Il y a une erreur :
    Le sacre de Reims ne fait pas référence à la politique Napoléonienne, le sacre de Napoléon ayant eu lieu à Paris, mais au sacre des rois de France.

    La citation en question signifie la chose suivante ; prendre la France dans l’intégralité de son histoire : Ancien Régime et République.
    En effet, l’idée est qu’il est impossible de comprendre l’histoire de France sans SENTIR le sens « charnel » des événements politique : la majesté et religiosité de la monarchie d’un côté et l’effervescence collective de la République.

    Réponse
    • Razana

      PS : Effervescence républicaine qui est tout aussi religieuse par ailleurs

      Réponse
  2. Victor

    Non, il n’y a pas d’erreur car la claire intention de Maxime Georgel, en rappelant les propos de Marc Bloch, n’est pas d’établir un lien entre le sacre des rois de France à Reims et la politique napoléonienne (on pourrait d’ailleurs en dire autant de la fête de la Fédération). Il est évident que son intention est de mettre en évidence la grande admiration qu’a Eric Zemmour pour Napoléon ler considéré comme le successeur inspiré tout autant par les Lumières (Révolution, donc Fête de la Fédération) que par les rois qui ont fait la France (monarques de droit divin, donc leurs sacres à Reims). Par ailleurs, que l’empereur se soit fait sacrer et couronner à Paris plutôt qu’à Reims relève ici de l’anecdote, me semble-t-il.

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    • Maxime Georgel

      Effectivement, je n’avais pas encore pris le temps de répondre mais Victor a bien compris l’intention. Je sautais de la remarque de Bloch à l’admiration de Zemmour pour Napoléon et ne confondais en effet pas les évènements auxquels ces choses font référence.

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