Doit-on accepter Tobit, Judith, Sagesse, Siracide, les 2 premiers Macchabées, Baruch et les ajouts à Esther et Daniel parmi les livres canoniques ? Contre les papistes, nous le nions
Une grande différence entre les bibles éditées par les catholiques et celles éditées par les protestants est la présence ou non des livres dits « apocryphes » par les protestants, et « deutéro-canoniques » par les catholiques. Les protestants ne font que suivre l’usage Augustin lorsqu’il utilise ce mot « apocryphe » pour dire qu’ils ont une origine obscure.
La question est uniquement de savoir si les livres de Tobit, Judith, Baruch, Sagesse, Ecclésiastique, 1 et 2 Macchabées, les ajouts à Esther et Daniel — que les papistes considèrent comme canonique et que nous excluons du canon — sont canoniques ; non pas qu’ils ne contiennent pas beaucoup de choses bonnes et vraies, mais parce qu’ils ne portent pas la marque des livres canoniques.
François Turretin, ITE, 2.9.2
Argumentation (§§ 3-5)
- L’Église juive ne les as jamais considérés comme canoniques. Au contraire, ils avaient la même opinion que les protestants. Turretin cite Flavius Josèphe, Contre Apion, 1.39-41 ; l‘humaniste Bécan, Manuale Controversarium, 1.1 ; et Thomas Stapelton, apologète catholique, De principiis fidei doctrinalibus controversia, 5.7.
Objection : C’est le canon des Juifs. Nous les Chrétiens en avons un différent.
Réponse : Augustin dit « Si quelqu’un veut voir où sont écrites ces promesses, qu’il lise Moïse et les Prophètes. Si quelque ennemi veut s’opiniâtrer en disant : Vous vous êtes fait vos prophéties, montrons-lui les livres des Juifs, puisque l’aîné doit être le serviteur du plus jeune. » Discours sur les Psaumes, 40.14. - Ni Christ ni les apôtres ne les citent comme canoniques. Au contraire, Christ reprend en Luc 24,44 la division ancienne du canon juif, qui n’utilise pas les apocryphes de l’Ancien Testament.
- L’Église ancienne ne les reconnaît pas dans ses listes. Turretin cite comme référence le synode de Laodicée, canon 59 ; Méliton de Sardes, vers l’an 116, dont le témoignage est cité par Eusèbe de Césarée dans l’Histoire ecclésiastique, 4.26 ; Épiphane dans De Epicureis ; Jérôme et Athanase.
- Leurs auteurs ne peuvent pas avoir été des auteurs inspirés, parce qu’ils ont écrit après Malachie et que Malachie est le dernier auteur inspiré. Nous tirons cela de Flavius Josèphe, Contre Apion, 1.41. L’historien juif du premier siècle affirme la thèse d’un grand silence des Écritures pendant laquelle aucun prophète ne s’est exprimé. Or tous les livres apocryphes ont été écrit dans cette période de quatre cents ans. Il est à noter que j’ai écrit davantage sur ce sujet.
- Leur style est humain et non divin, et il y a des erreurs. En voici une liste:
- Tobit 5,12 : L’ange ment.
- Tobit 6,6 : L’ange propose de faire un exorcisme à base de rituel occulte.
- Tobit 12,12 : Il s’arroge les prières qui devraient être dirigées vers Christ seul.
- Judith 9,21 félicite l’œuvre de Siméon que Jacob a maudit en Genèse 49,5-7.
- Judith ment et séduit, ce qui est une étrange façon d’être pieuse (Judith 11).
- En Sagesse 9,7-8, l’auteur revendique être Salomon le roi d’Israël, mais mentionne plus loin des gymnases qui n’ont pas existé avant les conquêtes d’Alexandre le Grand. Il introduit aussi la notion pythagoricienne de métempsychose en Sagesse 8,19-20.
6. Il y a des contradictions internes aux livres au point où Sixte de Sienne — le catholique inventeur du terme « deutérocanonique »- rejette les ajouts à Daniel et Esther. En voici une liste:
- Dans Baruch, il est écrit que cinq après la destruction de Jérusalem, il a lu son livre à Jékoniah et tout le peuple juif à Jérusalem. Problème : Jékoniah est en prison à ce moment, et Baruch est en Égypte à cette date !
- Baruch 1,10 : il mentionne un autel du Seigneur qui n’existe plus vu que le Temple a été détruit.
- 1 Machabées 1,16 et 1 Machabées 9,28, 10 se contredisent. Le suicide de Razis est glorifié (2 Machabées 14,42). Turretin renvoie à John Rainolds, Daniel Chamier, Charles Dumoulin, Friedrich Spanheim (sans donner plus de détails, hélas).
Objections (§§ 6-13)
Cette section a été traduite et publiée intégralement ici. Je vous encourage à lire vous même les mots de Turretin. Je me contenterai donc d’un commentaire.
§ 7 : Il est vital dans cette question de comprendre que les pères de l’Église utilisaient le mot « canon » de deux façons : un sens large qui désignait le canon des livres lus en Église. C’est ce sens là qu’Augustin utilise dans sa Réponse aux Manichéens 11.5. Et il y a un sens strict, tel que l’utilise Jérôme dans les préfaces de ses commentaires bibliques, où il s’agit des livres qui servent de fondement aux doctrines.
Cette distinction n’est pas qu’une invention ou une mésinterprétation de protestant malhonnête : le grand théologien romain Cajetan dit lui-même :
La parole des conciles aussi bien que des enseignants a mis à l’épreuve les mots de Jérôme, il s’avère que ces livres [apocryphes de l’Ancien Testament] ne sont pas canoniques pour établir des doctrines de la foi, bien qu’ils puissent être appelés canoniques pour l’édification des croyants, vu qu’ils ont été reçus dans le canon biblique dans ce but.
Commentaire d’Esther.
Pareillement pour Denys le Chartreux, mystique romain.
§§ 10-11 : Ce n’est pas parce que les Pères citent des apocryphes de l’Ancien Testament, même pour établir une doctrine, que ceux-ci ont un statut d’Écriture inspirée. Si c’était le cas, les citations de Paul rendraient Aratus, Ménandre et Epiménide canoniques, vu qu’ils sont cités en Actes 17,28, 1 Corinthiens 15,28 et Tite 1,12.
J’en profite pour rajouter ceci, et c’est bien de moi et non de Turretin : Les théologiens réformés, surtout dans les premières générations, n’hésitent pas non plus à citer des livres apocryphes de l’Ancien Testament pour prouver une doctrine. C’est ainsi que Calvin cite Baruch dans son commentaire sur 1 Corinthiens 10,20. De même Zacharias Ursinus se sert du livre de la Sagesse en soutien de son commentaire du credo. Si donc la citation est une preuve de reconnaissance du statut inspiré des apocryphes, alors on aboutit à la conclusion absurde que les réformés qui rejettent la canonicité des apocryphes l’acceptent. Rideo.
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